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Sur une plage de Rio de Janeiro (40221555 | © Lazyllama | Dreamstime.com).
Depuis 2022, les Presses Universitaires de Franche-Comté publient une revue semestrielle, Football(s). Histoire, culture, économie, société, dont le rédacteur en chef est Paul Dietschy, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Franche-Comté. L’approche est résolument internationale, comme le montrent la composition du comité scientifique et une section de correspondances de l’étranger dans chaque numéro. Le pluriel du titre signale que le football est approché « sous ses différentes variantes » : ainsi, le numéro 3 était consacré « au rugby français à son histoire, son organisation et son jeu. »
Le dossier thématique du numéro 5 s’intéresse aux « religions du football », à travers un choix très varié de contributions, qu’il n’est pas possible de mentionner toutes ici ; mais on peut consulter le sommaire sur le site de l’éditeur.
En deux pages, l’éditorial du rédacteur en chef dresse un tableau concis des apports des différents articles du numéro. Les footballs « ne sont sans doute pas des religions au sens propre du terme ». Si les supporters se trouvent « conviés à une célébration construite autour de rituels participatifs » et s’ils « questionnent le sort et le destin », « ils ne renvoient toutefois pas à une quelconque transcendance. » Mais les « manifestations d’une pensée magique associée au football », à travers des superstitions de joueurs et de supporters, peuvent toucher au religieux.
L’éditorial met aussi en évidence d’autres aspects du dossier, à savoir les liens entre football et religion organisée : par exemple, dans certaines régions de la France, des prêtres ont diffusé le jeu et s’en sont servi en même temps « comme moyen d’évangélisation et d’éducation » — de même que des organisations catholiques ont joué un rôle dans la diffusion du football en Belgique, pour se limiter aux études de cas proposées par le numéro. Même dans un contexte sécularisé, les références catholiques n’ont pas disparu du monde du football. Et l’on sait que le pape François est lui-même « un grand amateur de football », comme le rappelle Bruno Dumons (directeur de recherche au CNRS) dans un article bien documenté sur le football et le catholicisme en France de 1870 à nos jours. Stanislas Maruffi (Université d’Aix-Marseille) raconte les liens étroits entre l’édifice religieux symbolique de la ville de Marseille, Notre-Dame de la Garde, et l’Olympique de Marseille (OM), dont les supporters vont remercier la Vierge après une victoire ou en solliciter les bonnes grâces avant un match. Et des supporters n’hésitent pas à participer en tant que groupe à des efforts de financement de travaux de rénovation de la basilique.
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Rome, 4 février 2020 : boutique cadeaux religieuse près de la cité du Vatican avec les chemises des joueurs des principales équipes de football italiennes (173079933 | © 2020 Sergio Di Pasquale | Dreamstime.com).
Dans le même temps, la question de séparation entre sport et religion se pose notamment en de nouveaux termes à travers la présence de joueurs musulmans dans des équipes européennes, avec les ajustements consentis dans certains pays. Comme le concluent Jean Bréhon et Olivier Chovaux (Université d’Artois) dans leur article sur les formes d’expression de la religiosité dans les stades de football, « les questions d’identité ne sauraient (…) rester à la porte des stades. »
Dans un article nourri par de nombreux exemples, Christian Brombeger (Université d’Aix-Marseille) se penche pour sa part sur les rapprochements entre grand match de football et rituel religieux, perçus pas seulement en contexte occidental, puisqu’il nous apprend que, en Iran, on dit que « le stade est la deuxième mosquée ». Mais ces analogies ne signifient pas identité : le match ne nous expose pas « d’où nous venons et où nous allons ». En revanche, l’observation du football soulève des questions à propos des rituels dans les sociétés industrielles et post-industrielles.
Un texte signé par Katarzyna Herd (Université de Lund) et Albrecht Sonntag (ESSCA, Angers) « la présence massive de comportements ritualisés dans le football » au-delà des aspects anecdotiques qui retiennent le plus souvent l’attention médiatique, en s’intéressant plus spécifiquement « aux rituels superstitieux mainstream observés massivement par des fans européens marqués par ailleurs par un rationalisme assumé dans leur vie hors football ». Des personnes cultivées et rationnelles ne reculent pas devant des microrituels supposés aider leur équipe ou croient pouvoir identifier des corrélations entre des actes qu’ils posent et les résultats, comme nous le montrent quelques portraits dressés par les auteurs. Cela constitue un exemple de la vivacité que conserve la pensée magique « dans nos sociétés présumées scientifiques », selon leur analyse. Il faut la mettre en lien avec « la condition de l’amateur de football » : « celle de l’impuissance devant l’absurde, ballotté par un destin sur lequel il n’a guère de prise ». Cependant, les amateurs de football domptent le vertige tout en pratiquant la distance ironique quand ils parlent de leurs rituels, ce qui est proscrit dans le contexte religieux et celui de la pensée magique —conduisant les auteurs à voir dans l’attitude des amateurs de football conscients du caractère grotesque des rituels auxquels ils sont attachés « l’expression vivante d’une réflexivité que nous n’hésitons pas à qualifier de postmoderne ».
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Au Myanmar, un enfant joue au football devant un temple (64465083 | © 2015
Kobackpacko | Dreamstime.com).
Le dossier est enrichi aussi par un long entretien avec Mgr Emmanuel Gobilliard, évêque de Digne et délégué du pape pour les Jeux olympiques et paralympiques de Paris en 2024, également amateur de sports variés et footballeur. Il commente ainsi le sentiment de communion dans les vestiaires avant un match :
« J’ai vécu plusieurs fois cette impression de communion (…). C’est la communion du silence où l’on se concentre et où l’on va chercher un peu plus haut. Parfois, il peut y avoir des temps de prière, adaptés à chacun. Ce n’est pas une prière chrétienne, mais une prière silencieuse, qui peut évoquer tel ou tel joueur disparu ou qui a des difficultés. Là, c’est comme si on se recentrait tous sur quelque chose qui transcende l’équipe. »
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© 2023 Jacob Wackerhausen | iStock.
Dans certaines formes de vocabulaire emprunté au registre religieux ou de pratiques superstitieuses, l’évêque veut voir avant tout la tentative de « balbutier un rapport au religieux ». Ainsi, au fil des articles de ce numéro original, nous voyons se dessiner des articulations et perspectives variées sur les rapports entre football et religion.
« Les religions du football », Football(s). Histoire, culture, économie, société, 2024, numéro 5, 234 p.
Commandes auprès des Presses Universitaires de Franche-Comté, https://pufc.univ-fcomte.fr/revues/football-s-histoire-culture-economie-societes.html