Le paysage religieux de l’Ukraine est plus hétérogène que celui d’autres pays de l’Europe orientale. Si la majorité de la population se reconnaît dans l’héritage de la tradition chrétienne byzantine, celle-ci n’est pas représentée par une seule Église. Il existe deux grandes Églises orthodoxes et l’Église gréco-catholique. Cette situation reflète en partie la complexe évolution historique de l’Ukraine. Cette diversité empêche surtout qu’une Église puisse prétendre à un rôle de quasi-Église d’État, observe Andriy Mykhaleyko (Université catholique d’Eichstätt-Ingolstadt, Allemagne) dans une analyse des transformations créées par la guerre dans le paysage religieux de ce pays (Religion & Gesellschaft in Ost und West, août-septembre 2022).
Les trois Églises ont clairement condamné la guerre lancée par la Russie contre l’Ukraine et appelé leurs fidèles à défendre la souveraineté du pays. L’éclatement de la guerre a placé dans une situation particulièrement difficile l’Église orthodoxe ukrainienne liée au Patriarcat de Moscou avec un statut d’autonomie, dirigée par le métropolite Onuphre, qui compte le plus grand nombre de paroisses. L’alignement du patriarche Kirill de Moscou sur la ligne du Kremlin a conduit dès les premières semaines de la guerre une partie des évêques de cette Église à suspendre la commémoration liturgique du Patriarche, en marquant ainsi une distance sans rompre pour autant. Le 27 mai 2022, une assemblée ecclésiale a déclaré la pleine indépendance de l’Église orthodoxe ukrainienne, mais sans aller jusqu’à utiliser le terme usuel d’autocéphalie, ce qui a permis au Patriarcat de Moscou d’interpréter cette décision comme une réaffirmation d’autonomie.
L’Église gréco-catholique a toujours été favorable à l’indépendance de l’Ukraine, adoptant des positions pro-européennes et soutenant une Ukraine libérée de l’influence russe, poursuit Mykhaleyko. Mais en tant qu’Église catholique, elle reconnaît le Pape. Or, les prises de position de celui-ci s’inscrivent dans une perspective mondiale, dépassant les enjeux ukrainiens, et prennent également en compte les relations avec la Russie et le Patriarcat de Moscou. Certaines initiatives et déclarations de Rome ont suscité des irritations dans les rangs gréco-catholiques.
Quant à l’Église orthodoxe d’Ukraine, à la tête de laquelle se trouve le métropolite Epiphane, elle résulte de la fusion de deux groupes autocéphalistes ukrainiens qui n’étaient reconnus par aucune autre Église orthodoxe, mais ont finalement obtenu en 2019 une reconnaissance canonique grâce à l’octroi d’autocéphalie par le patriarche Bartholomée de Constantinople (ce qui a entraîné une rupture entre le Patriarcat de Constantinople et celui de Moscou). Elle semblerait être la mieux placée pour s’ajuster au concept politique de l’Ukraine indépendante. Cependant, depuis le début de la guerre, ses efforts pour convaincre les paroisses de l’Église orthodoxe jusqu’alors liée au Patriarcat de Moscou de rejoindre ses rangs pour des raisons patriotiques et politiques n’ont obtenu que des résultats modestes, relève Mykhaleyko. Avec le soutien des autorités politiques ukrainiennes, une réunion de clercs des deux Églises s’est déroulée à Kiev le 5 juillet 2022, mais il s’agissait plus de dialoguer que d’entreprendre la recherche de solutions, note Mykhaleyko.
Andriy Mykhaleyko, « In Bewegung : Die Kirchenlandschaft und der Krieg in der Ukraine », Religion & Gesellschaft in Ost und West, août-septembre 2022, pp. 34-37.
Religion & Gesellschaft in Ost und West est une publication de l’Institut G2W, à Zurich, fondé il y a cinquante ans – www.g2w.eu