Il a suffi de quelques jours pour régler un des plus vieux « conflits gelés » de juridiction de l’orthodoxie mondiale. Le 9 mai, le Patriarcat œcuménique de Constantinople reconnaissait la canonicité de l’Église orthodoxe de la République de Macédoine du Nord, rétablissant la pleine communion avec celle-ci, désignée sous le nom d’archevêché d’Ohrid. Deux semaines plus tard, l’Assemblée annuelle des évêques orthodoxes serbes emboîtait le pas. Le 19 mai, les cloches de la basilique Saint-Sava de Belgrade sonnaient à la volée pour accueillir l’archevêque Stefan d’Ohrid, venu concélébrer une liturgie de réconciliation avec le patriarche Porfirije de Serbie. Cinq jours plus tard, le mardi 24 mai, ce dernier rendait la politesse à son hôte macédonien à Skopje. Mais, à l’issue d’une liturgie concélébrée en la cathédrale saint Clément-d’Ohrid, il prenait tout le monde de court, en lançant : « Je vous annonce une bonne nouvelle ! L’Église orthodoxe serbe a répondu à l’unanimité aux demandes de l’Église orthodoxe macédonienne – Archevêché d’Ohrid, et l’Assemblée des évêques de notre Église bénit, approuve, accepte et reconnaît son autocéphalie. »
Avant cette déclaration surprise du patriarche Porfirije, on supposait plutôt que l’Église serbe allait octroyer une très large autonomie à celle de Macédoine, sur la base du statut déjà proposé en 1959, mais toujours refusé par Skopje. C’est en tout cas un schisme vieux de 55 ans qui trouve ainsi une solution. L’Église orthodoxe macédonienne a proclamé son autocéphalie en 1967, se détachant de l’Église serbe, dont elle dépendait depuis la restauration patriarcale de cette dernière, au lendemain de la Première Guerre mondiale. Le Patriarcat serbe de Peć, aboli par l’Empire ottoman en 1766, a été restauré en 1920, avec juridiction sur l’ensemble des orthodoxes du Royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes de l’époque, qui incluait la partie de la Macédoine accordée à la Serbie lors du traité de Bucarest, en 1913. La nouvelle Église macédonienne revendiquait, quant à elle, la continuité avec l’archevêché médiéval d’Ohrid, également supprimé par la Porte en 1767 et qui n’avait jamais été placé sous la juridiction de Peć.
Le schisme macédonien de 1967 a été largement favorisé par les autorités communistes yougoslaves de l’époque, soucieuse de conforter l’affirmation d’une identité nationale macédonienne spécifique, pour faire pièce aux revendications bulgare et serbe, qui considéraient respectivement les Slaves macédoniens comme des « Bulgares de l’est » ou des « Serbes du sud »… Le 17 mai 2002, les deux Églises avaient failli se réconcilier après de longues négociations, mais l’accord conclu à Niš, en Serbie, reprenant les bases de la proposition de 1959 – retour de l’Église macédonienne dans le giron du Patriarcat de Belgrade avec l’octroi d’une large autonomie – avait été dénoncé par la quasi-totalité des évêques macédoniens quelques jours seulement après sa signature. Les causes de ce retrait étaient essentiellement politiques : un an après avoir failli sombrer dans une guerre civile provoquée par l’émergence d’une guérilla albanaise, l’Église macédonienne ne voulait pas sembler « capituler » devant la Serbie, et c’est sous la pression directe des autorités politiques et des médias que les évêques macédoniens ont repris leur signature.
Un seul d’entre eux, Jovan Vraniškovski, alors titulaire du diocèse de Pélagonie, suivi par quelques dizaines de moines et de moniales, choisit d’accepter les termes de l’accord, prenant la tête d’une Éparchie d’Ohrid, rattachée au Patriarcat de Belgrade, ce qui entraîna son exclusion de l’Église macédonienne. L’évêque Jovan a même été emprisonné à plusieurs reprises sur la base d’accusations très opportunistes de malversations fiscales, révélant l’ingérence des autorités politiques macédoniennes dans les questions ecclésiastiques[1]. La réconciliation macédo-serbe scelle du reste le sort de cette éparchie : tandis que l’évêque Vraniškovski a opportunément annoncé son départ en retraite, les quelques prêtres et moines qui lui restaient fidèles devraient réintégrer sans difficultés majeures l’Église macédonienne. Le sort des trois évêques ordonnés dans l’éparchie demeure plus incertain. Encore jeunes, ils ne sauraient être mis en retraite et il faudra donc leur trouver une place, soit dans l’Église macédonienne soit dans l’Église serbe, où servent déjà du reste un certain nombre de prêtres originaires de Macédoine du Nord.
En 2015, une reprise des négociations macédo-serbes sous l’égide du Patriarcat de Moscou avait été évoquée, sans se concrétiser, tandis qu’en 2017, l’Église macédonienne avait tenté de sortir de son isolement, en envisageant un rapprochement avec l’Église orthodoxe bulgare[2], mais cette solution, qui aurait été très peu conforme à la tradition canonique, puisque jamais l’exarchat puis le Patriarcat bulgare n’ont eu de compétence reconnue sur le territoire de l’actuelle République de Macédoine du Nord, même si l’orthodoxie bulgare revendique aussi l’héritage de l’ancien archevêché d’Ohrid. L’Église bulgare fait incontestablement figure de grande perdante du règlement finalement trouvé, de cette double volte-face macédo-serbe, l’Église macédonienne acceptant dans un premier temps ce qu’elle refusait depuis les accords de Nis, il y a vingt ans, à savoir son retour sous le giron de l’Église serbe, avant que celle-ci n’accorde ce qu’elle refusait depuis 55 ans, l’octroi de la pleine autocéphalie à cette Église…
Lourd contexte géopolitique
Comprendre cette double volte-face, si inattendue, oblige à se pencher sur le contexte géopolitique. En 2002, la Macédoine sortait à peine du conflit armé de 2001, le pays n’était pas membre de l’OTAN, n’avait pas encore le statut de candidat à l’intégration européenne et était toujours englué dans son conflit avec la Grèce. Alors que l’existence même du pays avait été remise en cause par la guérilla albanaise, l’identité nationale des Macédoniens était contestée par tous les voisins, les Bulgares comme les Grecs. Dans ces conditions, il n’était pas question de remettre en cause l’un des piliers de cette identité fragile, l’Église nationale. Pour sa part, la Serbie semblait au contraire en train de solder à marche renforcée son passé nationaliste. Le Premier ministre réformateur Zoran Đinđić, assassiné le 12 mars 2003, affirmait sa volonté de solder les lourds dossiers hérités du passé, notamment celui du Kosovo… Vingt ans plus tard, la situation est bien différente.
Sous l’égide du Premier ministre social-démocrate Zoran Zaev, au pouvoir depuis 2017, la Macédoine a réussi à normaliser ses relations avec la Grèce, avec la signature, en juin 2018, des accords de Prespa, soldant la longue querelle du nom du pays, la Grèce acceptant désormais de la reconnaître sous l’appellation de « Macédoine du Nord », alors qu’elle estimait jusqu’alors que le terme même de « Macédoine » appartenait de manière exclusive au patrimoine hellénistique[3]. Ce pas historique n’a pas permis, toutefois, de relancer la dynamique de l’intégration européenne – le pays a le statut officiel de candidat depuis 2005 – les obstacles venant désormais de Bulgarie : Sofia et Skopje partagent une histoire largement commune, mais celle-ci n’offre pas un terreau au rapprochement. Bien au contraire, les figures des héros nationaux sont contestées par les deux pays, depuis le tsar Samuil (Xe siècle) jusqu’aux combattants de la guerre contre l’Empire ottoman, au début du XXe siècle. Ces conflits picrocholins pourraient sembler « folkloriques » s’ils n’avaient pas mené la Bulgarie à sortir l’arme du veto pour bloquer l’avancée européenne de son voisin[4]. La Macédoine du Nord est néanmoins officiellement membre de l’OTAN depuis 2020, et elle entretient des relations étroites avec la Serbie, dans le cadre de l’initiative Open Balkans, un espace de libre-échange régional initié par le Premier ministre serbe Vučić. Si la communauté albanaise (20% de la population totale) du pays est toujours loin d’une véritable intégration, la menace séparatiste n’est plus à l’ordre du jour.
La Serbie, longtemps considérée par les Européens comme le « pilier de la stabilité régionale », malgré la dérive autoritaire et corrompue de plus en plus appuyée du régime d’Aleksandar Vučić, a été prise de court par le déclenchement de la guerre en Ukraine. Non-membre de l’OTAN, le pays refuse d’appliquer les sanctions européennes contre la Russie, alors même qu’il est candidat à l’intégration européenne, et cherche à garder le cap d’une difficile neutralité. Tandis que les négociations avec le Kosovo sont dans une impasse totale, la Serbie est soumise à de fortes pressions contradictoires, tant de la part des Occidentaux que de Moscou, car elle reste très dépendante du pétrole et du gaz russe.
Course de vitesse entre Belgrade et Constantinople ?
Le monde orthodoxe, enfin, profondément déchiré par la guerre en Ukraine[5], ressent encore l’effet de l’onde de choc provoqué par la reconnaissance d’une Église ukrainienne autocéphale par le tomos du patriarche œcuménique de Constantinople, début janvier 2019[6]. L’Église serbe a été particulièrement secouée, redoutant que cette reconnaissance ne représentât un appel d’air pour les deux Églises dissidentes qui contestaient son autorité – l’Église macédonienne, mais aussi la petite Église orthodoxe autocéphale du Monténégro[7], qui n’était guère en communion qu’avec le Patriarcat de Kiev, avant la reconnaissance de l’Église orthodoxe d’Ukraine par Constantinople. Cette Église monténégrine autocéphale, dont l’audience demeure très limitée à certains « bastions » traditionnels du nationalisme monténégrin, se retrouve donc plus isolée que jamais. Le 10 juin, le président monténégrin Milo Đukanović s’est rendu au Phanar, à Istanbul, pour rencontrer le patriarche Bartholomée, mais l’enthousiasme de 2019 n’est plus de mise, quand certains croyaient, au Monténégro, que la reconnaissance de l’Église ukrainienne allait ouvrir la voie à celle du Monténégro…
Dans le domaine ecclésiastique aussi, la Serbie essaie de s’en tenir à une position de neutralité ou d’équidistance entre le Patriarcat œcuménique et celui de Moscou. Après de longues hésitations, les représentants de Belgrade ont pris part au Concile panorthodoxe de Crète, en 2016. L’Église serbe n’a bien sûr pas reconnu l’autocéphalie ukrainienne octroyée par le tomos de Bartholomée Ier en janvier 2019, car cela aurait supposé une rupture directe avec Moscou. Souvent présentée comme l’un des principaux relais de l’influence russe en Serbie, l’Église serbe est surtout très proche du pouvoir politique. Un rapport récent destiné au Service d’action extérieur de l’Union européenne[8] suppose même qu’Aleksandar Vučić voudrait compter sur elle pour faire « passer » auprès de l’opinion publique serbe un éventuel alignement du pays sur les positions et les sanctions européennes contre la Russie. A contrario, le professeur Rodoljub Kubat, ancien titulaire de la chaire d’enseignement de l’Ancien Testament à la Faculté de théologie de Belgrade, dont il a été licencié en 2020 après avoir révélé un scandale de mœurs, estime que l’Église représente toujours la seule institution sociale capable de menacer le régime, voire même de le faire chuter si jamais Moscou le décidait.
En prenant l’initiative d’octroyer l’autocéphalie, le Patriarcat de Belgrade a en tout cas réalisé une belle opération politique, en réaffirmant ses droits d’Église mère et sans rien perdre au change, puisqu’elle n’exerçait plus aucune autorité effective sur l’orthodoxie macédonienne. Le Patriarcat de Moscou devrait même reconnaître l’Église de Macédoine, puisqu’il a toujours assuré qu’il alignerait sa position sur celle de Belgrade. « La position de l’Église orthodoxe russe tiendra compte, avant tout, de l’approche de l’Église serbe sur cette question, que nous reconnaissons toujours comme ayant les droits canoniques exclusifs en Macédoine du Nord », expliquait ainsi l’archiprêtre Igor Yakimtchouk, secrétaire aux relations interorthodoxes, dès le 9 mai, juste après l’annonce du Patriarcat œcuménique.
L’archiprêtre Nicolas Balashov, vice-président du Département des relations ecclésiastiques extérieures (DECR) du Patriarcat de Moscou, est allé plus loin, en voyant dans la décision de Constantinople « une intrusion grossièrement anticanonique et politiquement motivée dans la compétence de l’Église orthodoxe serbe »[9]. En réalité, les tentatives de Moscou d’instrumentaliser la question de Macédoine comme nouveau motif de litige avec Constantinople, en établissant un parallèle entre le cas ukrainien et le cas macédonien, dans l’intention évidente de rallier à elle les Églises des Balkans contre Constantinople, ont fait long feu après l’initiative de Belgrade qui, en reprenant la main, a évité que le sort des deux Églises d’Ukraine et de Macédoine ne puisse être lié. Seule l’Église bulgare se retrouve marginalisée dans l’affaire, et il n’est pas surprenant que cela soit l’une de ses figures les plus liées à Moscou, le métropolite Gabriel de Lovetch, qui ait exprimé les plus vives réserves sur la reconnaissance canonique de l’Église macédonienne. Toutefois, les évêques grecs ont également été pris au dépourvu par l’initiative de Belgrade, et ont d’autres motifs d’inquiétude et d’insatisfaction.
La question du nom est-elle relancée ?
En effet, par sa décision du 9 mai du Patriarcat œcuménique reconnaît la canonicité de l’archevêché d’Ohrid, mais sans que le qualificatif « d’Église macédonienne » ne soit jamais utilisé. Il est juste précisé que la compétence de cet archevêché s’exerce « dans les frontières de la République de Macédoine du Nord », selon le nouveau nom officiel du pays, accepté par la Grèce. Par contre, le communiqué du 16 mai de l’Assemblée des évêques serbes parle bien d’une « Église orthodoxe macédonienne » sans préciser quelles étaient les limites géographiques de sa juridiction, et c’est sous ce nom que le patriarche serbe Porfirije lui a accordé l’autocéphalie le 19 mai. Le tomos d’autocéphalie remis à Belgrade le 5 juin à l’archevêque Stefan, et d’abord publié sur le site du diocèse macédonien d’Australie et de Nouvelle-Zélande, précise que l’Église serbe reconnaît « le statut autocéphale de l’Église de Dieu en Macédoine du Nord, qui s’appelle aujourd’hui ÉGLISE ORTHODOXE MACÉDONIENNE, laquelle est le successeur de l’ancien et glorieux Archevêché d’Ohrid, en raison duquel son titre inclut ce vénérable nom, et qui couvre l’espace canonique de l’ancienne Église autonome portant le même nom au sein de notre Patriarcat serbe depuis 1959 »[10]. Le nom de l’Église est écrit en lettres capitales, mais, même s’il n’est pas davantage précisé, « l’espace canonique » en question correspond bien aux frontières de la République de Macédoine du Nord. Les évêques grecs auraient toutefois sûrement souhaité une définition plus explicite.
L’un des premiers à réagir a été le métropolite Makarios de Sidirokastro, dans la région grecque de Macédoine centrale, rattaché au patriarcat œcuménique, qui a adressé une virulente lettre ouverte à l’Église serbe et « à l’Église en République de Macédoine du Nord », reprochant au communiqué de l’Assemblée des évêques serbes de passer sous silence « le rétablissement de la communion liturgique de l’Église du nouvel État de Macédoine du Nord avec les Églises orthodoxes qui a été restaurée par la décision du Patriarcat œcuménique du 9 mai 2022 »[11]. La question des limites de la juridiction est en effet de la plus haute importance : d’une part, certaines voix en Grèce ne manquent pas, déjà, de soupçonner l’Église macédonienne de nourrir des prétentions sur les régions de Macédoine qui se trouvent en Grèce. Dans sa lettre ouverte, Makarios de Sidirokastro souligne ainsi que « si le Patriarcat de Serbie viol[ait] la condition posée par le Patriarcat œcuménique de limiter l’Église d’Ohrid aux frontières de l’État de Macédoine du Nord, il prendra[it] sur lui l’irrédentisme ecclésiastique de l’Église de Skopje. »
Réuni en Assemblée ordinaire les 7 et 8 juin, le Saint-Synode de l’Église grecque a formalisé ces positions, en exprimant « trois réserves et objections », qui concernent « l’utilisation du terme ‘Église orthodoxe de Macédoine’ attribué par l’Église de Serbie à l’Église d’Ohrid », « la mention d’une ‘diaspora’ de l’Église d’Ohrid » et enfin « l’octroi de l’autocéphalie par le Patriarcat de Serbie, étant donné que le très vénérable Patriarcat œcuménique est le seul compétent pour accorder l’autocéphalie »[12]. L’heureuse résolution du schisme macédonien pourrait donc raviver de profondes lignes de fracture au sein de l’orthodoxie. Le Patriarcat serbe considère en effet que l’octroi de l’autocéphalie est de son exclusive compétence, en sa qualité d’Église mère, tandis que la question des diasporas pourrait se révéler particulièrement explosive – bien plus encore, sans doute, que celle des limites territoriales revendiquées par l’Église macédonienne : malgré les craintes grecques, il est bien peu probable que celle-ci nourrisse des velléités irrédentistes sur les parties de la « Macédoine historique » qui ont été attribuées en 1913, à l’issue des guerres balkaniques, à la Bulgarie (Macédoine du Pirin) et à la Grèce (Macédoine égéenne).
La question de la diaspora est autrement plus concrète. L’Église macédonienne compte trois diocèses en diaspora, avec les éparchies de Dortmund (Europe), Toronto (Amérique du Nord) et Melbourne (Australie et Nouvelle-Zélande). Ces riches diocèses contribuent de manière significative à son financement, et l’Église joue, comme souvent, le rôle d’un pilier et d’un gardien de l’identité nationale des Slaves macédoniens, notamment en Australie et en Nouvelle-Zélande, où vit depuis des décennies une très importante communauté qui cultive un nationalisme virulent, alors même que la distance rend bien rares les contacts et les retours au pays des origines. Des dizaines de milliers de personnes avaient ainsi défilé en 2018 dans les rues de Sidney, Brisbane, Perth ou Melbourne contre l’accord de compromis sur le nom du pays[13]. Cette diaspora est moins liée aux sociaux-démocrates actuellement au pouvoir qu’aux nationalistes conservateurs de la VMRO-DPMNE, actuellement dans l’opposition, mais qui demeure une force politique majeure en Macédoine du Nord.
Au vrai, l’Église grecque joue exactement le même rôle de garant et de gardien de l’identité nationale des communautés grecques en diaspora, même si toutes les paroisses grecques de l’étranger sont placées sous l’autorité du Patriarcat œcuménique et non de l’archevêché d’Athènes, mais cela n’empêche pas le Saint-Synode de lancer l’accusation d’ethnophylétysme. L’enjeu dépasse largement le cas de la seule Église macédonienne, car le Patriarcat œcuménique voudrait unifier sous sa houlette les communautés orthodoxes des pays qui ne sont pas de tradition orthodoxe mais où vivent des communautés diasporiques. Cette perspective serait difficilement acceptable pour toutes les Églises nationales, pas seulement celles des Balkans, d'autant que les paroisses de la diaspora contribuent de manière substantielle au budget de plusieurs de ces Églises, et ces paroisses jouent un rôle communautaire qui outrepasse largement le domaine strictement religieux, avec par exemple des activités d’enseignement de la langue et de l’histoire nationale.
La résolution du schisme macédonien a mis un terme à un conflit qui déchirait depuis plus d’un demi-siècle l’orthodoxie dans les Balkans, mais le patriarche serbe a réussi à prendre de court le Patriarcat œcuménique en octroyant lui-même à l’Église macédonienne un tomos d’autocéphalie. Certains y verront une victoire des Églises nationales face aux prétentions de Constantinople, mais, alors que le nationalisme est également partagé par les Églises grecque, macédonienne et serbe, cette solution montre surtout combien l’unité de l’orthodoxie est toujours confrontée aux défis de l’ethnophylétysme, et ceci dans le contexte particulièrement tendu de la guerre qui se poursuit en Ukraine. Les fidèles et les prêtres de Macédoine du Nord peuvent néanmoins se féliciter d’avoir été réintégrés dans la communauté universelle de l’orthodoxie, sans avoir dû passer sous les fourches caudines de leurs voisins.
Jean-Arnault Dérens
Notes
- L’évêque a été condamné à un total de cinq années et demie de prison, dans deux procès successifs. Il a été définitivement remis en liberté en 2015. ↑
- « Orthodoxie : l'Église macédonienne veut se placer sous l'autorité de l'Église bulgare pour obtenir son autocéphalie », Le Courrier des Balkans, 21 novembre 2017. ↑
- Voir le dossier du Courrier des Balkans : « Après 27 ans de querelle avec la Grèce, la Macédoine est devenue la Macédoine du Nord », https://www.courrierdesbalkans.fr/+-Nom-de-la-Macedoine-+ ↑
- Voir le dossier du Courrier des Balkans : « Bulgarie et Macédoine du Nord : les frères ennemis », https://www.courrierdesbalkans.fr/+-Bulgarie-Macedoine-du-Nord-3310-+ ↑
- J.A. Dérens, « Analyse : l’orthodoxie mondiale au défi de la guerre en Ukraine », Religioscope, 20 mars 2022. ↑
- « Orthodoxie : les conséquences de la rupture entre Moscou et Constantinople », Le Courrier des Balkans, 6 novembre 2018. ↑
- J.A. Dérens, « Orthodoxie: l’Église serbe face aux schismes macédonien et monténégrin », Religioscope, 16 juin 2004. ↑
- « EU dokument o Srbiji: Vučić odlaže raskid s Rusijom, a pomaže mu opozicija », Radio Free Europe, 7 juin 2022. ↑
- « Seule l’Église serbe peut résoudre le statut de l’Église de Macédoine du Nord, disent les représentants des Églises bulgare et russe », Orthodoxie.com, 12 mai 2022. ↑
- « Le texte du Tomos d’autocéphalie de l’Église orthodoxe de Macédoine du Nord a été publié par le diocèse macédonien d’Australie et de Nouvelle-Zélande », Orthodoxie.com, 9 juin 2022. ↑
- « Lettre ouverte de Mgr Macaire, métropolite de Sidirokastro au Patriarcat serbe et à l’Église en République de Macédoine du Nord », Orthodoxie.com, 20 mai 2022. ↑
- « Le Saint-Synode de l’Église orthodoxe grecque émet des objections au sujet de l’autocéphalie macédonienne », Orthodoxie.com, 9 juin 2022. ↑
- « Macédoine : la diaspora mobilise en force contre les négociations avec la Grèce », Le Courrier des Balkans, 5 mars 2018. ↑