Si les Albanais aiment à cultiver une image de tolérance religieuse et à répéter la maxime de Pashko Vasa (1825-1860) selon laquelle « la religion des Albanais est l'albanité », l'appartenance nationale albanaise s'associe à différents héritages religieux. En outre, la définition ethnonationale ne s'est pas élaborée de la même façon au XXe siècle en Albanie et dans les populations albanaises de la Yougoslavie. Parmi ces dernières, la dimension religieuse (musulmane) a joué un rôle plus important pour perpétuer l'identité albanaise, à travers les écoles islamiques et — plus encore — les centres soufis, écrit Robert Pichler (Académie autrichienne des sciences), spécialiste des Balkans, dans un article sur le renouveau islamique chez les Albanais de la Macédoine du Nord (Religion & Gesellschaft in Ost und West, novembre 2021).
Dans cette république yougoslave devenue indépendante en 1991, les Albanais forment la plus importante minorité avec un quart de la population selon les chiffres de 2002, même si les résultats du recensement de 2021 modifieront peut-être ce pourcentage. Les Macédoniens ont développé leur propre conscience nationale autour de mythes liés au passé macédonien, construction à laquelle l'Eglise orthodoxe macédonienne (qui avait déclaré son indépendance dès 1967) apporte sa contribution en insistant sur l'identité chrétienne dominante. En 2001, les frictions autour de l'affirmation albanaise donnèrent lieu à des affrontements armés, auxquels les Accords d'Ohrid mirent un terme la même année à la suite de l'intervention de l'OTAN.
De part et d'autre, relève Pichler, des édifices sacrés très visibles sont devenus autant de marqueurs identitaires. En outre, dans les régions albanaises de la Macédoine du Nord, la religion a pris plus de place dans la vie quotidienne. Alors que les mosquées accueillaient surtout des fidèles âgés dans les années 1990, elles accueillent de plus en plus de jeunes gens, et pas seulement pour les prières du vendredi. Peu pratiqué il y a trente ans, le jeûne du ramadan « est aujourd'hui largement respecté et observé ». L'alcool a souvent disparu des cérémonies de mariage. Des signes extérieurs d'appartenance musulmane (foulards féminins, barbes masculines) sont de plus en plus courants.
L'inclination religieuse d'une partie des jeunes influencés par des modèles musulmans transnationaux est loin de plaire à tous les Albanais, précise Pichler. Les milieux nationalistes albanais classiques voudraient une alliance entre nation et religion dans laquelle cette dernière jouerait un rôle subordonné. Les principaux partis politiques albanais s'en tiennent à des programmes politiques séculiers. Une étude à propos de l'influence de la religion sur l'identité au Kosovo voisin, en 2016, avait produit des résultats révélant des glissements d'une partie de la population à partir d'une identité ethno-linguistique vers une identité ehtno-religieuse : 57 % des Albanais musulmans du Kosovo se définissaient d'abord comme albanais et 32 % d'abord comme musulmans. Pichler estime que nous assistons à une évolution semblable parmi les Albanais en Macédoine du Nord.
Robert Pichler, « Religiöse Erneuerung : Islam bei den Albanern Nordmakedoniens », Religion & Gesellschaft in Ost und West, 49/11, novembre 2021, pp. 7-10.
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