Depuis une quinzaine d'années, au fur et à mesure que progresse dans les pays occidentaux la part des personnes sans affiliation religieuse, les études sur ces segments de la population se multiplient, ainsi que Religioscope s'en était fait l'écho à l'occasion d'un colloque en 2016. Parmi les chercheurs qui s'intéressent à ce thème, plusieurs sont plutôt habitués à étudier les croyants, à l'instar de Stefan Huber, professeur de recherche empirique sur les religions à l'Institut de théologie pratique de l'Université de Berne. Mais cela n'a rien de paradoxal, explique-t-il à Judith Hochstrasser dans un entretien accordé au magazine Horizons du Fonds national suisse de la recherche scientifique (décembre 2018) : en étudiant les « non religieux », on peut aussi espérer apprendre indirectement quelque chose sur les religieux. « Car dans ce contexte, on peut renverser la formule et les définir eux comme les 'non' : les non laïcs. »
Stefan Huber participe à un projet de recherche qui a été mené conjointement avec des chercheurs de l'Université de Lausanne sur le sujet « Être séculier en Suisse ». Il s'agissait pour les chercheurs de se pencher non sur l'absence de religion, mais sur les valeurs positives et objectifs des séculiers. La recherche s'intéresse à la fois aux laïcs et aux laïcistes. Pour les premiers, explique Huber, le terme à lui seul fonde rarement une identité. « Il en va cependant différemment pour le groupe des laïcistes, des individus qui s'engagement activement en faveur de la laïcité, comme la séparation de l'Église et de l'État. Par exemple les libres penseurs, qui existent en Suisse depuis plus d'un siècle. Dans ce cas, l'image laïque qu'ils ont d'eux-mêmes participe à la définition de leur identité. » Dans l'ensemble, le profil social des personnes laïques ne se distingue pas de la moyenne de la population, même s'ils tendent à avoir un niveau d'éducation un peu plus élevé et une moyenne d'âge légèrement plus jeune. Le profil des laïcistes est en revanche plus distinct : « ce sont majoritairement des hommes, plus âgés, très bien formés, plutôt de gauche, souvent citadins et qui travaillent fréquemment dans les domaines de l'informatique ou des sciences techniques », selon Huber.
Sur beaucoup de points, les perceptions des laïcs et des religieux paraissent assez proches. Chez les uns et les autres, l'approche de l'hindouisme et du bouddhisme serait plutôt positive, celle de l'islam plus critique. Mais quand il est question du christianisme, les perceptions varient fortement. Stefan Huber présume que les tensions entre laïcs, laïcistes et religieux vont plutôt augmenter, à l'heure où la part des personnes sans confession a fortement augmenté (environ 25 % de la population en Suisse) et où les laïcs s'expriment davantage. La religion ne va plus de soi : une attitude laïque devient « de plus en plus le courant dominant d'un monde où la norme est fixée par un nombre croissant de personnes laïques ».
Judith Hochstrasser, « Les laïcs ont davantage le goût du risque », Horizons, N° 119, décembre 2018, pp. 40-41.
Site du magazine Horizons :
https://www.revue-horizons.ch/
Site du Fonds national suisse de la recherche scientifique :
http://www.snf.ch