En 2017, Religioscope avait consacré un article assez fourni à la précédente édition de One'. Nous répéterons pas l’exercice cette année et nous limiterons à quelques notes autour du thème central choisi.
Outre le Réseau évangélique suisse (RES) et plusieurs œuvres d’inspiration évangélique, on trouve plusieurs Églises ou fédérations parmi les organisateurs de la journée : l'Association vaudoise d’Églises évangéliques (AVEE), les Églises évangéliques apostoliques romandes (EEAR), la Fédération romande d’Églises évangéliques (FREE), l'Union des Églises évangéliques de réveil (UEER) et l’Armée du Salut.
Comme chaque année, plusieurs stands présentaient une variété d’initiatives évangéliques, témoignant tant de la diversité que de certaines évolutions du milieu évangélique, illustrées par exemple par les stands de deux associations d’inspiration évangélique engagées dans des démarches écologiques, mais aussi de transformation sociale : les projets suisses de A Rocha et la branche suisse de Food for the Hungry (FH).
En quête de pertinence
La ligne directrice pour cette année était « 360° - Élargir notre vision et dépasser nos préjugés », pour encourager à « regarder hors de notre boîte chrétienne ». Cela justifiait par exemple une présentation et un atelier autour de Sébastien Noir, ingénieur en technologies de l’information, sur le thème « Technologie et intelligence artificielle » : les chrétiens, expliqua l’intervenant, doivent avoir quelques idées sur les questions qui se posent dans le monde qui les entoure s’ils veulent être pris au sérieux dans leur communication du message évangélique.
Dans le même sens, Sylvain Bréchet, enseignant et chercheur à l’Institut de physique de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), s’efforça de montrer à ses auditeurs les faiblesses d’une position scientosceptique refusant d’admettre des faits scientifiques avérés, encourageant plutôt une démarche concordiste considérant la théologie et la science comme « deux approches complémentaires de la révélation de Dieu ».
Le souci des responsables évangéliques à l’initiative des journées One’ est de proposer une approche chrétienne pertinente dans l’environnement contemporain : celui d’une société de plus en plus post-chrétienne. L’un des moteurs de cette démarche est bien entendu la volonté d’évangéliser. L’idée centrale est de se mettre à l’écoute d’un monde qui ne semble que modérément intéressé par le message chrétien pour comprendre ses interrogations et ses attentes. Des orateurs n’ont pas manqué d’insister sur le besoin d’utiliser dans cette perspective un vocabulaire compréhensible, et pas ce qu’on désigne traditionnellement dans le milieu protestant comme un « patois de Canaan », c’est-à-dire des termes qui ne peuvent être compris que par des personnes déjà familières avec le message et les concepts de la foi chrétienne.
Pourquoi implanter de nouvelles églises ?
Une intervention et un atelier ont été consacrés au thème de l’implantation d’églises (le terme étant à comprendre ici avant tout au sens de communautés locales[1]). Une petite vidéo publiée au début de l’automne 2018 par la FREE sur la dynamique de l’implantation de nouvelles églises déclare que cette expression était encore peu utilisée en Suisse romande il y a une dizaine d’années[2], mais que le thème suscite aussi bien des réactions enthousiastes que des craintes de voir cette « mode » affaiblir les communautés existantes.
Pour One’ 2018, le sujet avait été confié au pasteur Frank Jeanneret, qui travaille à l’implantation d’églises dans le département français du Doubs et préside aussi le programme de développement d’églises M4 Suisse.
On pourrait se demander si l’implantation de nouvelles églises est réellement nécessaire, concède l’orateur : en Suisse romande, il existe déjà une église évangélique pour un peu plus de 5.000 habitants, alors que la proportion est une pour 29 000 habitants en France. Mais il rappelle aussitôt que, malgré cette densité, les évangéliques ne constituent guère plus de 3 % de la population et qu’une part croissante de celle-ci n’a plus d’appartenance religieuse, sans parler de la présence de groupes ethniques issus de différentes immigrations comptant peu de chrétiens dans leurs rangs : il se demande ainsi combien de Turcs en Suisse romande connaissent Jésus ?
Les églises vivent, mais meurent aussi, souligne le pasteur Jeanneret. Des églises peuvent tomber dans les travers de l’institutionnalisation et de la sclérose, peinant à intégrer de nouveaux fidèles. L’implantation d’églises constituerait ainsi un outil de renouvellement. Mais l’orateur prend soin de prévenir des inquiétudes et de rappeler qu’une implantation ne doit pas être entreprise contre des groupes déjà existants. Il souligne également que cette implantation ne doit pas être comprise premièrement comme l’ouverture de nouveaux lieux de culte (même si ce sera souvent le cas), mais comme des lieux de vie où l’on porte témoignage : il s’agit avant tout de « faire des disciples ». L’insistance est mise sur un projet « tourné vers les gens, et spécifiquement vers les gens en recherche de Dieu et qui ne vont pas à l’église », comme le rappelle la vidéo mise en ligne par la FREE.
Précisant sa pensée en répondant aux questions du public durant l’atelier après son intervention, le pasteur Jeanneret répond aux objections sur la nécessité de redynamiser des églises déjà établies avant de vouloir en créer de nouvelles explique que « réformer une église existante va prendre beaucoup plus d’énergie que d’accompagner la naissance d’une nouvelle communauté ». En revanche, il insiste sur le rôle positif que peuvent jouer des églises existantes dynamiques en devenant « églises-mères » de nouveaux groupes : selon lui, trop peu assument cette fonction.
Il est vrai que des recherches sociologiques ont mis en évidence l’importance de la circulation interne qui contribue au succès de certaines nouvelles communautés évangéliques, avec des membres de communautés déjà existantes qui transfèrent leur appartenance à un nouveau groupe. Dans la perspective de l’implantation d’églises, cela ne constitue pas un problème, d’autant plus que l’ecclésiologie évangélique ne perçoit pas la multiplicité des « dénominations » comme un problème, surtout à l’heure de la coopération croissante entre membres de ces différentes dénominations, attestée par One’ et bien d’autres initiatives : « L’Église actuelle, c’est l’Église de Jésus-Christ, quelles que soient les dénominations. » Cela n’empêche pas les réticences de celles et ceux qui s’efforcent de maintenir des églises existant déjà depuis des décennies et craignent le grignotage.
L’outil M4
Depuis quelques années, le programme M4 est mis en avant pour accompagner l’implantation d’églises. La décision de créer une antenne suisse du programme avait été prise en 2014, comme le relatait alors Serge Carrel, et il a commencé à fonctionner en 2016. Ce programme a été conçu par des chrétiens norvégiens : ce point est important, car son caractère européen a été l’une des raisons de son choix comme outil de développement de nouvelles églises par le RES[3]. En Suisse, c’est un projet géré par Campus pour Christ. Il n’a pas pour objectif de créer des « églises M4 », mais uniquement de former et d’aider les implanteurs — le plus souvent sur mandat d’une fédération d’églises, nous explique une permanente de Campus pour Christ — durant les deux premières années du processus d’implantation.
Selon les informations fournies par M4, cinq nouvelles églises accompagnées par ses soins ont déjà vu le jour en Suisse romande. Articulé autour des quatre thèmes : Maître, Mission, Multiplication et Mouvement, un manuel en deux volumes, traduit de l’anglais, accompagne le processus depuis ses débuts, avec de riches références bibliographiques et de nombreux exercices et questions pour développer la réflexion des participants sur leur entreprise[4].
Illustration de la permanente impulsion de partage de la foi qui traverse les milieux évangéliques, la façon d’aborder l’implantation d’églises montre aussi comment la fluidité des structures et les aspirations à explorer constamment des chemins nouveaux peuvent se trouver mises au service de l’évangélisation. Il ne faut pas imaginer qu’une recette miraculeuse aurait été découverte : dans le numéro spécial de Vivre (FREE) publié à l’occasion de la journée One’ 20'18, Frank Jeanneret relève que l’implantation d’églises est « plutôt lente et laborieuse » actuellement en Europe[5]. Cependant, tant pour les observateurs que pour les acteurs du champ religieux, ces efforts de développement d’églises et leur impact sur le milieu évangélique mériteront des suivis et des analyses.
Jean-François Mayer
Notes
- Selon les textes, la capitale est utilisée ou non pour le mot « églises ». Sans entrer dans des considérations ecclésiologiques pour savoir s’il vaut mieux écrire « Églises » ou « églises » pour cet usage spécifique, nous avons décidé de nous en tenir ici à la minuscule, par analogie avec le mot « paroisse ». En outre, l’édition française du manuel en deux volumes de M4 sur les implantations d’églises (voir note 4) utilise lui-même la minuscule dans ce sens. ↑
- Une affirmation qu’il convient peut-être de relativiser un peu, puisqu’un article de 2009 sur le site de la FREE parlait de plusieurs projets et expériences d’implantation (« Ça bouge du côté des implantations de nouvelles Eglises en Suisse romande ! », 13 novembre 2009). Ce qui est nouveau, en revanche, est le recours à un outil de développement tel que M4 (voir plus loin). ↑
- Aimer. Nouvelles de Campus, septembre 2018, p. 6. « Seule, aucune dénomination ne pourra combler tous les besoins, c’est pourquoi nous nous inscrivons dans la dynamique de collaboration du Réseau évangélique suisse. Avec le soutien logistique de Campus pour Christ, les dénominations suivantes sont particulièrement impliquées à ce jour : l’Armée du Salut ; la FREE ; les Églises évangéliques apostoliques romandes. » (Site de M4 Suisse) ↑
- M4, t. 1 : Maître et Mission, Lausanne, Campus pour Christ Suisse, 2015 ; M4, t. 2 : Multiplication et Mouvement, Lausanne, Campus pour Christ Suisse, 2016. ↑
- Vivre, N° 5, sept.-oct. 2018, p. 10. ↑