La multiplication de codes de conduite dans tous les domaines, y compris dans le milieu universitaire, entraîne des conséquences pour le travail de terrain sur les religions, explique George Chryssides (Université de Birmingham) dans son introduction à un numéro spécial de Fieldwork in Religion consacré aux questions d'éthique de la recherche de terrain ; ce dossier se fonde sur des contributions reflétant la situation dans le monde anglophone. Dans son propre article, à partir de ses expériences de recherche sur les Témoins de Jéhovah, Chryssides note que les commissions de recherche responsables du contrôle de la déontologie semblent parfois imaginer que tout peut être prévu, alors qu'un travail de terrain sur un groupe religieux se révèle riche en imprévus. Le risque est de voir l'encadrement de la recherche étouffer des enquêtes prometteuses. On ne peut transférer les critères d'une recherche biomédicale, fondée sur l'expérimentation, à des recherches de terrain dans le champ des religions, qui requièrent observation et participation. En attirant l'attention sur les obstacles présentés par une réglementation excessive de la recherche et la couche bureaucratique qu'elle menace d'ajouter, Chryssides ne plaide cependant pas pour l'abolition des commissions de déontologie : il reconnaît que les institutions ont aussi des obligations et note que ces commissions peuvent aussi aider à protéger des chercheurs et leur travail dans certaines circonstances.
Susan Palmer (Concordia University and McGill University) exprime elle aussi ses préoccupations, notamment quand il s'agit de recherches sur des mouvements religieux et sociaux controversés. Elle affirme observer pour ces raisons un déclin de travaux de recherche sur des terrains à risque. Surtout pour de jeunes chercheurs, les commissions de déontologie et d'éthique peuvent être intimidantes. Les processus mis en place peuvent entraîner des retards et empêcher de saisir les occasions de recherche qui se présentent. Cependant, ses propres expériences ont montré à Palmer que des réformes étaient possibles, mais à condition que des chercheurs expérimentés fassent entendre leur voix et expliquent les difficultés auxquelles ils se trouvent confrontés.
Un article par une chercheuse juive et un autre par un chercheur musulman soulèvent une autre question : ce que Abdul-Azim Ahmed (Université de Cardiff) appelle « l'éthique de l'insider », avec sa double identité de chercheur et de croyant. Il a mené une enquête ethnographique sur une mosquée britannique en tant que musulman pratiquant au sein de cette communauté. Il ne suffisait pas d'obtenir l'approbation des responsables de la mosquée, mais il lui fallait aussi s'assurer que les fidèles étaient toujours conscients de ses intentions ethnographiques lorsqu'ils partageaient des informations avec lui. Son double statut imposait au chercheur une double exigence : celle de respecter le code de conduite académique en matière de recherche et celle de se conformer aux normes éthiques islamiques en tant que musulman.
Le numéro spécial de Fieldwork in Religion inclut deux autres articles, dont l’un sur l’ethnographie de l’enquête sur des plateformes virtuelles : le développement d’Internet fait en effet surgir de nouvelles questions pour l’étude des religions.
Comme son titre l’indique, Fieldwork in Religion est une revue interdisciplinaire consacrée aux questions liées aux travaux de terrain sur les religions. Elle est publiée depuis 2005 et éditée par Equinox Publishing.
Le dossier « Ethics and Fieldwork » a été publié dans le volume 12, numéro 2, daté du mois de novembre 2017, mais paru en réalité à la veille de l’été 2018.