Un premier rassemblement intitulé One’ s’était tenu l’année précédente à Forum Fribourg, un centre de conférences et d’expositions d’accès commode, à proximité d’une sortie d’autoroute. Il avait réuni 2 000 personnes : la participation était en légère augmentation cette année. Les visiteurs venaient principalement des différentes régions francophones de la Suisse.
Pourquoi One’ ?
Le concept One’ n’imite pas un modèle de réunions déjà existant, explique Nicolas Frei, chargé des relations avec les médias. Il est le fruit de la réflexion de pasteurs, qui ont prié et réfléchi pour savoir que faire en Suisse romande. L’idée a été celle d’un événement qui rassemble, dans une perspective intergénérationnelle, mais avec un accent mis sur les jeunes adultes et les familles.
Le programme clamait la volonté de « connecter les chrétiens entre eux dans un style actuel et dynamique ». Un événement tel que celui-ci est approché comme une occasion de revisiter des thèmes classiques sous une forme innovante. Selon Nicolas Frei, le précédent rassemblement aurait d’ailleurs déjà inspiré des pasteurs pour trouver des voies de renouvellement des formes de prédication.
Autre particularité de One’ : les organisateurs ont choisi de ne pas mettre en avant des « vedettes » du monde évangélique et de ne pas faire venir des têtes d’affiche, mais plutôt de permettre à des figures d’émerger et de donner la parole à des personnes moins connues, principalement en Suisse romande. L’événement est ainsi organisé autour d’un « concept bien ficelé », observe Frei, plutôt qu’autour de la réputation d’un orateur.
Pourquoi l’intitulé One’ ? Le mot exprime le désir de trouver une unité et de la vivre, le cas échéant au-delà même du milieu évangélique. Plus concrètement, on relève parmi les organisateurs quatre fédérations d’Églises (Association vaudoise d’Églises évangéliques [AVEE], Églises évangéliques apostoliques romandes [EEAR], Fédération romande d’Églises évangéliques [FREE] et Union des Églises évangéliques de réveil [UEER]) et des organisations évangéliques, à commencer par le Réseau évangélique suisse (RES). En outre, plus de vingt œuvres évangéliques sponsorisaient la réunion.
Si le rassemblement se voulait génériquement chrétien et ouvert à des personnes d’autres familles confessionnelles chrétiennes, One’ était bien une réunion évangélique dans son style, sa sensibilité et sa dynamique — et par ses participants. Il est vrai que les rapports entre milieux évangéliques et Églises historiquement dominantes évoluent ; de part et d’autre, il reste cependant une variété d’attitudes, ouvertes ou plus réservées, comme on pouvait le constater au hasard de discussions dans les couloirs de l’événement. Quand la discussion mentionne le catholicisme, certains interlocuteurs parlent de « nos frères catholiques », tandis que d’autres continuent de cultiver l’idée d’activités missionnaires en terrain catholique.
Notons une bonne participation de personnes venant des cantons traditionnellement catholiques de Fribourg et du Valais : dans ce dernier canton, des communautés évangéliques de langue française ont commencé à se former dans les années 1970, tandis que les premières congrégations évangéliques francophones toujours actives dans le canton de Fribourg sont apparues dans les années 1980. Lees perceptions mutuelles entre évangéliques et catholiques dans ces environnements se sont beaucoup transformées au fil des ans et des contacts.
Quel message pour quel public ?
Toutes les allocutions étaient volontairement courtes et soigneusement minutées. Le propos était toujours d’accès aisément compréhensible. À côté de thèmes classiques, exposés de façon concise, comme le salut ou la Bible, d’autres sujets permettaient d’aborder des thèmes tels que l’activité professionnelle, la famille ou la sexualité : sur ce dernier point, le sujet — traité de façon très ouverte — était la question de se libérer de l’addiction à la pornographie, avec le témoignage d’un couple racontant sa propre expérience et soulignant sans détour que la pornographie représente aussi un problème en milieu évangélique.
Ces interventions n'étaient pas articulées comme de simples enseignements doctrinaux, mais comme l’application du message de l’Évangile à ses situations concrètes à travers les témoignages d’expériences personnelles d’orateurs qui confessent leurs faiblesses et leurs échecs, mais aussi la promesse d’une issue accessible à chacun.
Outre la capacité de nombre de prédicateurs évangéliques à établir un lien entre leur message spirituel et la vie quotidienne, la mise en avant d’orateurs qui n’ont pas un statut de « vedettes » permet au public de s’identifier avec des personnes qui ressemblent à tout un chacun, et qui ont les mêmes problèmes et expériences que toute famille ordinaire.
Selon les thèmes et selon les orateurs (plus ou moins talentueux), l’attention d’une partie de l’auditoire variait, notamment parmi les jeunes : durant certains exposés, plusieurs d’entre eux tapotaient sur leurs smartphones, tandis qu’ils accordaient à d’autres interventions une attention soutenue.
Tout naturellement, l’accent a été mis sur l’unité, avec des discours présentant le rassemblement comme celui d’une grande famille. Si les interventions ont généralement été plutôt consensuelles, l’une a abordé des sujets plus sensibles dans les relations intra-évangéliques. Christian Kuhn, secrétaire général du Réseau évangélique suisse (RES) et actif dans plusieurs initiatives évangéliques, a parlé du Saint-Esprit en dressant une liste des « ornières », parfois « très profondes », dans lesquelles tombent les uns et les autres autour de ce thème : il n’était pas difficile de reconnaître dans les descriptions des courants et thèmes qui font aujourd’hui débat dans le milieu évangélique. Kuhn conclut en soulignant que le Saint-Esprit est trop grand, trop puissant, pour se limiter « à nos petites ornières ».
La musique jouait, comme toujours, un rôle important : chacune des séances plénières était accompagnée d’un moment de louange avec un groupe sur scène et l’éclairage attendu lors d’un spectacle ou concert. Les paroles projetées sur l’écran permettaient aux participants de se joindre à la louange. Comme souvent dans des réunions évangéliques aujourd’hui, les emprunts aux modèles de la culture séculière du spectacle étaient frappants, surtout pour le visiteur qui a l’habitude de traditions chrétiennes plus orientées vers des modèles liturgiques classiques. Cela va plus loin que l’équipement professionnel des musiciens : des animateurs étaient aussi là pour faire les transitions et « chauffer la salle » au début de sessions, exactement comme le feraient les animateurs d’un show télévisé.
Si certaines formes rappellent des codes de la culture séculière moderne et si l’accompagnement musical est loin d’être celui qu’on aurait pu trouver dans une Église évangélique il y a une cinquantaine d’années, le contenu est en revanche chrétien, de doctrine évangélique classique : les chants disent la foi, la confiance en Dieu et la joie de suivre le chemin du salut. Entre les chants, des moments de prière peuvent surgir. Les paroles sont simples. Lors de la dernière réunion, le soir, les chants étaient particulièrement destinés à un public jeune.
Un point à noter : tous les chants choisis pour cette journée, annonça-t-on à la fin de la dernière session, étaient des compositions en français, et aucun chant n’était traduit de l’anglais. Plusieurs compositeurs se joignirent d’ailleurs aux musiciens sur la scène. Cet effort de productions musicales modernes en français est révélateur de la volonté de développer un témoignage évangélique adapté à un environnement culturel européen, même si bien des traits se retrouvent des deux côtés de l’Atlantique, à l’heure de la mondialisation : l’usage large de mots anglais lors d’une rencontre pourtant exclusivement francophone en témoigne, à commencer par l’intitulé même du rassemblement (One’) et ceux des activités (One’talks, One’kids…).
De la formation à la mission en passant par l’action humanitaire
Entre les sessions, les visiteurs n’avaient pas seulement l’occasion de se restaurer à des stands proposant des crêpes, des plats syriens ou latins, ou des burgers. Ils pouvaient aussi découvrir des stands de livres et de disques, rencontrer les médias évangéliques tant écrits qu’audiovisuels, faire connaissance avec des groupes de motards chrétiens (deux stands autour de ce thème : Jesus Ministries et Route 777), acheter des t-shirts et bonnets de Maranatha (une ligne de vêtements entièrement gérée par des bénévoles pour soutenir financièrement des jeunes à faibles ressources pour participer à des camps chrétiens), ou encore assister à des spectacles sur un stand destiné à présenter et stimuler de jeunes talents.
Nombre d’œuvres et initiatives évangéliques étaient présentes. Plutôt que d’en dresser la liste, intéressons-nous brièvement à deux catégories bien représentées au rassemblement One’ : celle de la formation et celle de la mission à l’étranger et/ou action humanitaire.
Le thème de la formation était d’autant plus pertinent alors que la nouvelle HET-PRO (Haute École de Théologie) vient d’ouvrir ses portes à Saint-Légier (canton de Vaud), prenant la succession de l’Institut Emmaüs (fondée en 1925). Les médias régionaux ont donné écho à cette initiative, d’autant plus qu’elle a suscité certaines réactions réservées ou irritées du côté de l’Église réformée du canton de Vaud, qui continue de miser sur la Faculté de théologie de l’Université de Lausanne (Patrick Chuard, « La Faculté de théologie se défend d’être une 'fabrique d’athées' », 24 heures, 13 novembre 2017). La HET-PRO est soutenue, pour sa part, par des milieux évangéliques indépendants de l’Église réformée, mais aussi au sein de celle-ci. Elle aspire à obtenir dans quelques années l’accréditation de ses diplômes à l’instar de hautes écoles spécialisées dans d’autres domaines, mais cela implique d’abord d’avoir terminé un cycle complet pour évaluation. La HET-PRO propose des formations en théologie appliquée qui iront jusqu’au Master (M.A. en théologie appliquée, deux années supplémentaires après les trois années nécessaires pour l’obtention du B.A.). Il est également possible d’y suivre une formation d’un an pour l’obtention d’un certificat.
Un stand présentait la HET-PRO aux personnes désirant en savoir plus. Mais on notait aussi la présence de plusieurs autres parcours de formation, destinés tant à des chrétiens désireux de se préparer pour un ministère qu’à des personnes souhaitant mieux s’équiper théologiquement. On y trouvait l’Institut biblique de Genève, né dans le cadre du groupe Action biblique, dont la longue histoire remonte aux années 1920 et qui propose un certificat en une année ou un diplôme en quatre années accompagnant des stages (outre différentes autres formations, dont une « filière mission transculturelle » et des études à distance).
D’autres proposent des formations plus courtes ou à temps partiel, par exemple le Centre de formation biblique Rhema (installé depuis 2016 dans les locaux de l’Église évangélique d’Oron) ; cette branche suisse romande d’une formation internationale, établie dans une cinquantaine de pays, propose un programme de trois années, réparti sur des week-ends. Selon une élève présente, si une partie des étudiants s’engagent ensuite dans un ministère, la majorité d’entre eux ne le fait pas. Pour des jeunes de 18 à 30 ans, il existe Factory, à Lausanne, « une école chrétienne de formation au leadership », à travers une formation de dix mois, répartie entre trois jours par semaine sur le campus et 20 à 25 heures de stage. « L'axe des connaissances demeure ici à un stade d'introduction théologique », explique le site de cette école. Quant à Startup Ministries (Orvin), qui « accueille en priorité des hommes et des femmes ayant le désir de recevoir une formation biblique et pratique à la suite d’un appel de Dieu pour servir au sein de l’Église et/ou dans le monde séculier », son concept est celui de « 2 ou 2.5 jours de formation théorique au centre d’apprentissage et 3 jours de pratique au sein d'une église locale ». La formation complète dure trois ans et peut être complétée par d’autres modules.
Toutes ces formations sont révélatrices de deux aspirations : le désir des milieux évangéliques de renforcer la formation et une forte orientation vers les applications pratiques. Cette orientation répond aux besoins des communautés ainsi qu’à une orientation vers la mission et à la volonté d’implanter de nouvelles églises, mais exprime aussi une réticence face à une approche de la foi qui deviendrait trop intellectuelle (ou face à une théologie qui tournerait à l'exercice intellectuel mettant en question les fondements de la foi). « Vous ne choisirez plus entre la théorie et la pratique », affirme le site de l’Institut biblique de Genève. Tout en affirmant son caractère académique et sa volonté d’équiper théologiquement ses étudiants, Startup Ministries utilise le vocabulaire de l’apprentissage et aspire à préparer « des praticiens aptes à entrer dans le ministère directement après la formation ». La HET-PRO se veut protestante et professante, mais aussi « professionnalisante », avec des « diplômés directement opérationnels ». Dans ces perspectives, il n’est pas étonnant que ces formations tendent à mettre l’accent non seulement sur les cours, mais aussi sur l’expérience communautaire entre étudiants. Notons enfin la volonté souvent affirmée d’avoir un impact sur la société : la formation doit y contribuer.
L’autre élément que ne pouvait manquer de noter un visiteur était la présence d’une variété d’œuvres évangéliques se donnant pour mission d’agir aussi en dehors du monde occidental, dans le domaine humanitaire et/ou missionnaire. Certaines sont des initiatives locales, mais beaucoup sont des branches d’organisations internationales. Cet horizon évangélique qui dépasse les frontières a une longue tradition et s’affirme plus encore à une époque où les facilités de communication et de déplacement ont réduit les distances.
On pouvait rencontrer des organisations comme Interserve, Compassion, Medair, et d’autres, petites ou grandes, chacune avec son histoire et ses activités spécifiques : si les approches varient, toutes ont la foi chrétienne pour base de leur engagement. L’accent de certains groupes porte avant tout sur la dimension humanitaire. Ainsi, le site de Medair explique :
« En tant que signataires du code de conduite du Mouvement International de la Croix-Rouge, nous pensons que l'aide doit être accordée aux plus vulnérables et ne doit pas être dispensée à des fins politiques, sociales ou religieuses. Notre priorité est avant tout de répondre aux besoins des personnes aidées. »
D’autres combinent les deux dimensions. Ainsi, nous a expliqué le représentant de l’Action pour les chrétiens persécutés et les personnes dans la détresse (ACP), branche francophone d’AVC International (une organisation d'origine allemande), l’assistance est bien entendu donnée à toute personne sans distinction d’appartenance religieuse, mais il ne saurait être question de renoncer pour autant à partager l’Évangile. ACP déclare jouer cartes sur table, en annonçant au préalable à ses partenaires et lieux d’accueil que l’œuvre entend non seulement apporter une aide, mais aussi faire connaître Jésus-Christ.
Pour des chrétiens enclins à l’action missionnaire, l’islam est aujourd’hui un sujet important. On pouvait ainsi trouver lors de la journée One’ un stand de Frontiers, qui apporte « un soutien au développement humanitaire et économique », mais met l’accent sur le partage de la Bonne Nouvelle avec les musulmans, avec une insistance sur le respect des cultures afin de permettre aux musulmans se tournant vers le Christ de « développer leur propre identité en Jésus ». Plus largement, l’action en direction de populations de tradition musulmane s’inscrit dans l’idée de prêcher l’Évangile aux « peuples non atteints ». En outre, comme le reste de la population des pays occidentaux, les chrétiens évangéliques s’interrogent aussi sur l’islam, et il existe toute une littérature spécifiquement évangélique pour présenter cette religion ainsi que les défis posés au christianisme par l’islam.
L’intérêt pour des initiatives humanitaires ou missionnaires ne représente pas seulement une expression de l’aspiration évangélique à exprimer sa foi de façon concrète ou à la partager. C’est aussi un stimulant, quand on entend ou lit des nouvelles relatant de nombreuses conversions dans un pays, la croissance rapide de nouvelles communautés dans un autre ou les cas de chrétiens donnant leur vie pour leur foi dans des environnements hostiles. Tous ces récits viennent édifier les fidèles et démontrer la puissance de la foi, renforçant ainsi la détermination à agir également en Suisse.
En annonçant les activités variées de la journée, les organisateurs rappelaient au public que « c’est aussi une journée particulière, en présence de notre Seigneur, qui est au milieu de nous ». Un rassemblement tel que One’ offre aux évangéliques de la Suisse romande une occasion de prier, mais aussi et surtout de se retrouver : à la manière d’un « Facebook évangélique en direct », commente Claude-Alain Baehler, ce « lieu de rencontre privilégié » permettait des moments d’échanges conviviaux, dans les allées ou autour d’une table (« One’ rassemble les évangéliques de Suisse romande », La FREE, 20 novembre 2017). Les participants rencontrent ou découvrent des activités d’inspiration évangélique, dont certaines récemment lancées, comme le Collectif « I Respect Women ». La journée renforce le sentiment de communauté, avec une insistance sur la dimension relationnelle de la foi. De plus, dans un milieu marqué par l’idée que les chrétiens ne doivent pas se contenter de vivre une foi routinière, mais recevoir constamment de nouvelles impulsions, ce rassemblement (avec des messages qui se veulent stimulants, les chants repris par l’assemblée et le sentiment d’appartenir à un courant religieux dynamique) fonctionne peut-être comme un moderne outil au service de l’idéal de « réveil » des chrétiens, pour utiliser un terme qui accompagne l’histoire des courants évangéliques. La prochaine édition est déjà agendée pour novembre 2018.
Jean-François Mayer