Si les discours sur la shari'a et l'application de ce qui est compris comme « loi islamique » circulent aujourd'hui dans les différentes régions du monde où vivent d'importantes populations musulmanes, l'écho rencontré doit être mis en relation avec les contextes locaux, écrit Brandon Kendhammer (Ohio University) dans un article que publie The Review of Faith and International Affairs (automne 2017). Il propose de s'y intéresser non par le prisme de l'histoire ou de la théologie, mais par ce que ces aspirations révèlent chez les citoyens ordinaires. Ceux-ci se trouvent en effet confrontés aux problèmes de nombreux pays africains : corruption, inégalité, manque de confiance dans les autorités. Ces problèmes moraux conduisent au développement d'une « politique publique moralement interventionniste ». Dans ce sens, la demande de la shari'a n'est pas nécessairement aux antipodes d'attentes démocratiques dans l'imagination des musulmans nigérians, note l'auteur.
Les 180 millions d'habitants du Nigeria se répartissent de façon à peu près équivalente entre chrétiens et musulmans : « cette division a souvent été une source importante de tensions et de violences politiques ». Entre 1999 et 2003, douze États fédéraux du pays ont introduit la shari'a sous une forme ou une autre. Si l'activisme islamiste est présent au Nigeria, où des courants salafistes en progression ont cherché à exercer une influence politique depuis les années 1970, ce ne sont pas ces milieux qui auraient été à l'origine de cette introduction de la shari'a, même s'ils la présentent aujourd'hui comme le fruit de leurs efforts. L'introduction de la shari'a peut plutôt être attribuée à des politiciens et législateurs musulmans, qui essayaient de répondre ainsi à des attentes locales. Elle a d'abord été accueillie avec enthousiasme par de larges segments de la population musulmane des régions concernées. Mais ce soutien décroît depuis le milieu des années 2000, devant le constat que la shari'a n'a guère contribué à résoudre les problèmes systémiques tels que « la corruption, la mauvaise gestion des ressources publiques et la sécurité ».
Kendhammer voit donc dans ces initiatives d'introduction de la shari'a un imaginaire investissant la loi islamique de la capacité à imposer valeurs religieuses et moralité pour résoudre les problèmes des sociétés locales, avec le sentiment que les aspirations des citoyens ordinaires seraient mieux entendues « dans un système gouvernemental qui combinerait valeurs religieuses et institutions démocratiques » (même si celles-ci ne sont pas toujours comprises dans le même sens que les démocraties libérales). Faute d'autres réponses crédibles, des citoyens nigérians ordinaires peuvent penser que leurs intérêts sont « mieux servis à court terme en continuant à présenter aux gouvernements locaux et à ceux des États [fédéraux] des exigences exclusivistes articulées en termes religieux ».
Brandon Kendhammer, « All Shari’a Is Local : Islam and Democracy in Practice in Northern Nigeria », The Review of Faith and International Affairs, vol. 15, N° 3, automne 2017, pp. 35-43.
Site de la revue :
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Center on Faith and International Affairs (CFIA)
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