L’apparition de nouveaux mouvements religieux n’est pas circonscrite à certaines régions du monde, même si certains pays ont été particulièrement « productifs » à cet égard, notamment par la capacité à exporter des croyances au-delà des territoires et des peuples qui les avaient vus naître : on songe à certaines sectes chrétiennes, à des mouvements néo-hindous, à plusieurs nouvelles religions du Japon ou de la Corée. Des chercheurs prêtent une attention croissante à la Chine et à sa contribution potentielle à la créativité religieuse contemporaine.
Mais les pays à majorité musulmane viennent plus rarement à l'esprit, en dehors des mouvements qui se réclament de différentes interprétations de la tradition musulmane elle-même. Pourtant, non seulement des mouvements religieux nouveaux d’autres origines y trouvent aussi des convertis, mais ces pays produisent aussi leurs propres groupes, qui divergent parfois considérablement de la foi musulmane. Bien sûr, certaines zones du monde ne se prêtent pas à l’apparition et au développement de nouvelles voies religieuses autochtones : il serait difficile pour le prophète saoudien d’une nouvelle religion de prêcher dans son pays. Cela se révèle possible cependant dans d’autres régions, non sans obstacles, liés notamment au refus islamique d’accepter toute prétention prophétique postérieure à la prédication de Muhammad.
Au cours des dernières années, un programme de l’Orient-Institut (Istanbul) a rassemblé plusieurs chercheurs pour enquêter sur les différentes facettes des nouvelles religiosités en Turquie, liées ou non à un héritage islamique. Un autre pays qui retient l’attention est l’Indonésie. Un ouvrage récemment paru offre d’intéressantes perspectives à ce propos, outre une étude de cas sur un petit mouvement.
Dans Challenging Islamic Orthodoxy : Accounts of Lia Eden and Other Prophets in Indonesia (Springer, 2016), Al Makin (Sunan Kalijaga State Islamic University, Yogyakarta) ne se borne pas à nous livrer une belle enquête de terrain : en s’intéressant aux réactions de la société face au mouvement étudié et en les replaçant dans le contexte plus large de la gestion des religions en Indonésie, il nous permet d’esquisser également des approches comparatives.
L’intérêt d’Al Makin pour le sujet découle de recherches antérieures dans le cadre de sa thèse de doctorat. Dans celle-ci, il avait montré qu’il avait existé plusieurs prétendants au statut de prophète dans l’Arabie du VIIe siècle, mais leurs communautés n’avaient pas survécu. Cela l’a conduit à se demander si de nouveaux prophètes en Indonésie aujourd’hui auraient plus de succès en défiant l’orthodoxie islamique ? En effet, explique-t-il, des centaines de personnes affirment avoir reçu des messages divins depuis la fin de la période coloniale en Indonésie ; certains ont fondé de nouveaux mouvements religieux (NMR).
Historiquement, indique Al Makin, on observe en Indonésie deux types de mouvements : des mouvements messianiques et millénaristes, d’une part, et des phénomènes de religions populaires combinant plusieurs traditions religieuses et des croyances locales, d’autre part. Les NMR apparus après l’indépendance du pays héritent de ces deux traditions. Une grande partie de ces mouvements sont nés à Java, terrain fertile pour des entreprises syncrétiques (pp. 4-5).
Le groupe auquel s’est spécialement intéressé Makin a tiré son inspiration prophétique des mythes et enseignements de l’islam, du christianisme, du bouddhisme et de l’hindouisme. Sa mission prophétique s’est heurtée à l’hégémonie des institutions musulmanes, culminant avec la déclaration que la prophétesse et ses disciples ne se considéraient plus comme musulmans et que Dieu avait ordonné l’établissement d’une nouvelle religion (p. 6).
De l’islam à une nouvelle religion : l’histoire de Lia Eden
À sa naissance en 1947, la prophétesse se nommait Symsuriati, avant d’être connue plus tard sous le nom de Lia Aminuddin, Bunda Lia et Lia Eden. Sa famille était musulmane et religieuse : son père était un activiste de l’important mouvement musulman indonésien Muhammadiyah. Elle se maria à l’âge de 19 ans (un mariage arrangé) et le couple eut quatre enfants. Son mari fut par la suite le premier disciple de Lia, mais rompit finalement avec elle en 2009, quand il prit la défense de son fils, expulsé du siège du mouvement. Lia acquit une large réputation pour ses talents en matière d’arrangements floraux, au point d’avoir des revenus plus importants que ceux de son mari.
Ce fut au milieu des années 1990 qu’elle commença à développer des pouvoirs spirituels. Une entité spirituelle commença à lui parler en octobre 1995, qui révéla finalement en 1997 être l’Archange Gabriel. Lia acquit un pouvoir de guérison qui attira des personnes vers elle. Ceux qui l’approchaient étaient également en quête de conseils spirituels, même si elle n’avait aucune qualification particulière pour cela. Makin relève que plusieurs fondateurs de NMR indonésiens ont entamé leurs activités comme guérisseurs, le lien émotionnel forgé avec les patients offrant une base pour créer un mouvement (pp. 47-48). De fait, les patients de Lia vont — pour certains — se transformer en disciples.
Au départ, le mouvement prit le nom d’une source miraculeusement découverte, Salamullah (le salut ou la salutation de Dieu). Lia était au départne défenseuse de l’islam, s’inscrivant ainsi dans l’héritage familial : non seulement elle prêchait le tawhid (l’unité divine) ainsi que les bénéfices de la pratique des cinq prières quotidiennes et soutenait l’authenticité du Coran, mais elle protesta contre l’initiative du Conseil indonésien des oulémas (MUI) d’inviter des hindous et des bouddhistes, car l’hindouisme et le bouddhisme n'étaient pas la religion de Dieu, selon ses vues de l’époque. Vingt-trois membres du groupe se rendirent en 1997 en pèlerinage à La Mecque (p. 57).
Mais ses prétentions prophétiques placèrent rapidement Lia en porte-à-faux par rapport aux autorités musulmanes et allait conduire à un radical éloignement. Makin rapporte que, en octobre 1997, le fils d’un membre du groupe s’adressa au MUI pour demander un édit religieux déterminant si l’Archange Gabriel s’adresse encore ou non à des êtres humains. Comme on pouvait le prévoir, le MUI répondit que, selon la foi musulmane, Gabriel ne s’était adressé à personne d’autre après Muhammad.
En novembre 1997, Lia et un groupe de ses disciples eurent une réunion avec des représentants du MUI, rencontre dont le récit diffère considérablement selon les sources interrogées. Toujours est-il que, le mois suivant, le MUI émit un décret affirmant que toute prétention « à être accompagné, guidé et enseigné par l’Archange Gabriel contredit le Coran », déclarant ainsi hérétiques Lia et ses disciples, malgré leurs efforts répétés pour essayer de démontrer que la prophétesse était bien en contact avec Gabriel (pp. 34 et 131-132). Le MUI devint dès ce moment une cible des critiques de Lia.
La suite des événements montre à la fois une évolution du statut de la prophétesse et une transformation des croyances du groupe à son instigation. Lia finit par être appelée « Sa Majesté Mère Lia », entourée d’un conseil prophétique de vingt membres, tandis que ceux qui l’approchent se prosternent devant elle (p. 35). Lia allait être présentée également comme la réincarnation de plusieurs figures : la Vierge Marie, Jeanne d’Arc, Ève… (p. 39) En 2001, elle annonce son mariage avec Gabriel, et la différence entre Gabriel et elle s’estompe dans une union parfaite entre femme et archange. Dès la seconde moitié des années 2000, elle parla directement au nom de Dieu (p. 41).
Elle en arriva à exercer une autorité absolue, changeant souvent d’opinion, parfois en un temps très court, et prononçant de nombreuses exclusions de disciples. Des consignes variées, ainsi que de pénalités et punitions détaillées, furent introduites. Comme nous l’apprennent d’autres études sur des mouvements religieux naissants, de tels procédés tendent — jusqu’à un certain point — à renforcer la cohésion du groupe et à s’attacher les fidèles les plus convaincus tout en écartant ceux qui seraient plus tièdes. L’exigence d’adhésion totale conduit des membres à choisir le mouvement plutôt que leurs familles et entraîne de nombreux divorces, note Makin (p. 80). On note que cela se produit dans un contexte marqué par la rupture avec l’islam. En même temps, ces sacrifices, douloureux souvent, doivent démontrer la dévotion des fidèles à la cause.
Selon l’analyse de Makin, c’est dans l’interaction avec la critique extérieure et dans les conflits avec les opposants qu’une nouvelle identité du groupe se forgea : en effet, face au traitement du groupe comme hérétique, celui-ci en arriva à s’interroger sur sa propre identité. En l’an 2000, un édit de Gabriel déclara que Salamullah est une nouvelle religion, distincte de l’islam (pp. 66-67). Pendant quelque temps, certains membres semblent avoir continué à pratiquer encore les prières musulmanes, mais Lia elle-même abandonna les règles islamiques. Les membres furent aussi encouragés à lire les textes saints d’autres traditions (p. 69).
C’est aussi en l’an 2000 que fut reçu un commandement de Gabriel intimant aux membres de se retirer dans un lieu plus tranquille à l’extérieur de Djakarta. Un village fut choisi et plusieurs dizaines de fidèles allèrent s’y installer. Cependant, des tensions surgirent avec les villageois. Une pétition munie de centaines de signatures demanda le départ de Salamullah. En mai 2001, les tensions culminèrent avec l’attaque et le pillage de la maison par 200 émeutiers, même si d’autres villageois aidèrent les fidèles de Salamullah à s’échapper. Les auteurs de l’attaque ne furent pas poursuivis par la justice (pp. 72-73).
Loin d’inciter Lia à la modération, note Makin, l’opposition subie la renforça dans ses convictions. À la différence d’autres prophètes intimidés par les oppositions rencontrées, elle choisit la voie de la confrontation, en relayant des malédictions divines et en critiquant tant le gouvernement indonésien que les autorités musulmanes. En 2003, une révélation de Dieu institua Lia comme Son juge sur terre (p. 77). En 2005, Lia poursuivit son défi à l’orthodoxie musulmane en déclarant l’abolition de toutes les religions : il n’y a pas de religion dans le Royaume d’Eden (pp. 86-87).
Cependant, les nombreux messages critiques envers les institutions civiles et religieuses indonésiennes finirent par provoquer une réaction. Une descente de police eut lieu en décembre 2005. Arrêtée, Lia fut condamnée en 2006 à deux ans de prison pour infraction à la loi sur le blasphème — ce qui, loin de l’apaiser, ne fit que renforcer sa critique non seulement du MUI, mais de l’islam et des musulmans (pp. 95-96).
Le visiteur qui se rendait sur le site www.LiaEden.info (qui n’existe plus, mais dont certaines pages restent accessibles grâce au précieux outil Wayback Machine) pouvait y lire :
Bienvenue au Saint Trône du Royaume d’Eden. Ce site — qui appartient au Saint Esprit, le Souverain du Saint Trône du Royaume d’Eden —est le seul site web de l’Archange Gabriel qui émet les Révélations de Dieu le Seigneur des rois à notre époque.
Sa Majesté le Saint Esprit — un ange incarné en Lia Eden — est représenté dans une forme physique par Lia Eden[1] —Syamsuriati Lia Eden (Sa Majesté le Soleil Lia Eden), la Loyale et la Véridique.
Lia fut libérée en octobre 2007. En 2008, elle envoya plus de mille lettres aux autorités. De nouvelles arrestations eurent lieu en décembre 2008. Son annonce de l’abolition des religions occupa particulièrement le tribunal : elle expliqua cette déclaration comme une critique constructive et une invitation à revenir à l’essence des religions. Elle défenditpar ailleurs ses droits sur la base des principes de liberté religieuse (pp. 112-114). Cette fois-ci, Lia fut condamnée à deux ans et demi de prison, ce qui ne la convainc en rien de modérer son discours (pp. 95-96). Elle fut libérée en avril 2011 et n’a plus été emprisonnée depuis.
La dimension apocalyptique est fortement présente dans l’enseignement de Lia Eden. L’imminence de la fin du monde tel que nous le connaissons est régulièrement annoncée (p. 92). Les désastres naturels expriment la colère de Dieu contre l’Indonésie. À plusieurs reprises, elle annonce des tsunamis ou tremblements de terre.
Si le soutien généreux d’un récent converti permit de soutenir le groupe financièrement durant la période difficile que représente le second emprisonnement de Lia, l’hémorragie de membres qui quittaient le mouvement ou en étaient bannis se poursuivit cependant. Selon Makin, au début des années 2000, le groupe comptait 100 membres. Après le premier procès de Lia, ce nombre était descendu en dessous de 50. À sa sortie de prison après sa seconde peine, le noyau du groupe était réduit à 20 seulement (pp. 116-118). Cela ne préoccupait cependant pas outre mesure les fidèles convaincus que Dieu avait prévu cette diminution ou affirmant même que le nombre descendrait encore : ces revers n’entraveraient pas le plan divin (p. 118).
Le livre de Makin ne suit pas l’évolution du mouvement ensuite. Quelques recherches en ligne montrent qu’il est bien vivant, même s’il reste de taille modeste, mais le nombre de fidèles ne paraît pas avoir diminué encore.
En outre, alors que les sites Internet du groupe avaient été fermés il y a quelques années, un nouveau site très soigneusement présenté a vu le jour en 2015, complété par un compte Facebook et un fil Twitter. Ces différents canaux de communication sont régulièrement alimentés. Ils permettent de suivre l’évolution du mouvement et les élaborations doctrinales qui viennent enrichir le message existant. Il est également possible d’y regarder un certain nombre de vidéos et de photographies.
Le lecteur constate aussi que le mouvement continue d’identifier certains de ses membres comme réincarnations de figures historiques célèbres : ainsi, un enfant né en 2008 est considéré comme la réincarnation du président Sukarno (1901-1970)…
Il est frappant de constater que le site offre un nombre assez important de textes en anglais, ce qui indique que le groupe n’entend pas limiter son message au public indonésien, mais souhaite lui donner un écho international — bien qu’il reste à voir si des personnes d’autres nationalités pourront être convaincues de rejoindre le « Royaume d’Eden ».
Les réactions de la société indonésienne envers les nouveaux mouvements religieux
En 1954 déjà, rappelle Makin, un organisme de surveillance des « sectes mystiques » fut établi en Indonésie. Nombre de nouvelles religions ont fait l’objet d’interdictions, notamment entre 1964 et 1971. 353 groupes étaient enregistrés en 1984. N’étant pas officiellement considérés comme des « religions » dans le système indonésien — qui reconnaît aujourd’hui six traditions religieuses — leurs membres sont souvent contraints de se déclarer membres d’une des traditions reconnues. Plusieurs groupes rempliraient pourtant, en théorie, les conditions fixées par le ministère des Affaires religieuses, à savoir des enseignements structurés incluant l’existence d’un prophète et d’écritures saintes. Des responsables de « sectes mystiques » ont fondé plusieurs associations pour défendre leurs intérêts, mais l’absence de l’extension de la reconnaissance de nouvelles traditions comme religions place ces groupes dans une situation précaire et inégale par rapport aux religions établies, d’autant plus que la loi sur le blasphème de 1965 interdit les activités déviant des principaux enseignements des religions reconnues — ce que font bien entendu la plupart des prophètes indonésiens (pp. 8-13). Certains groupes — par exemple Subud — encouragent leurs fidèles à adhérer à l’une des religions officielles de l’Indonésie ;d’autres veulent en revanche être reconnus comme des religions indépendantes (p. 141).
De plus, le sentiment islamique en est arrivé à dominer le débat public, et l’essor de l’islamisme affaiblit le pluralisme. Les conditions sont donc moins favorables que jamais, aujourd’hui, pour réviser la loi sur le blasphème, utilisée pour poursuivre les prophètes de nouvelles croyances (pp. 15-16). Les cercles islamiques radicaux qui s’en prennent aux groupes « déviants » se trouvent parfois soutenus dans ces actions par des institutions d’État, affirme Makin avec plusieurs exemples à l’appui (p. 17). Ce n’est pas sans raison que Makin remarque que les réactions sociales et politiques autour de NMR constituent un indicateur du degré de pluralisme et de tolérance d’un pays — et pas seulement en Indonésie, d’ailleurs (p. 123).
Familier avec les recherches occidentales sur les controverses autour des NMR, l’auteur note des accents différents par rapport au contexte indonésien. Tandis que les réactions occidentales (séculières) ont mis l’accent sur le bien-être psychologique des adeptes ou sur des questions de sécurité, les réactions indonésiennes se préoccupent avant tout de religion, de foi et d’idéologie : ce n’est pas la crainte du lavage de cerveau, mais la peur de l’hérésie, commente-t-il (p. 124).
L’attitude à adopter face à des mouvements tels que le Royaume d’Eden n’est pas unanime parmi les musulmans eux-mêmes. D’un côté, le MUI a défini en 2007 des critères supposés permettre de déterminer si une secte est ou non hérétique, mais leur caractère strict ferait de bien des Indonésiens des « hérétiques » s’ils leur étaient appliqués (p. 130). À l’opposé de ces approches conservatrices, des groupes musulmans libéraux plaident pour le respect de la liberté religieuse et du pluralisme : ils ont pris la défense de Lia Eden, estimant qu’il ne revient pas à des tribunaux de juger des questions de foi et que des procès comme ceux intentés à Lia Eden violent les principes de liberté religieuse affirmés par la Constitution de l’Indonésie. Le responsable d’un réseau islamique libéral considère qu’il est absurde vouloir juger Lia Eden selon l’islam, puisqu’elle a tourné le dos à celui-ci (pp. 137-141).
Ainsi, même à travers l’affaire d’un petit groupe comme celui de Lia Eden, nous voyons se jouer des enjeux bien plus larges quant à la place de la religion dans la société indonésienne ainsi que des conflits intra-islamiques : interrogé par Makin, un responsable du MUI déclare que ces mêmes libéraux qui ont pris la défense de Lia défendent aussi l’adultère, l’homosexualité, la pornographie et le blasphème. « Le libéralisme est acceptable tant qu’il ne franchit pas les bornes placées par Coran et la Sunna. » (p. 133)
On voit aussi apparaître, au détour d’un chapitre, des acteurs privés qui jouent un rôle de « chasseurs d’hérésies », non sans similitudes avec les associations « anti-sectes » en contexte occidental, même si la nature des dénonciations est différente. Makin présente ainsi le responsable d’un Institut de recherche et d’étude de l’islam, qui recueille des informations sur les prophètes et sectes déviantes et documente ainsi les raisons pour lesquelles leurs enseignements doivent être considérés comme hérétiques, et collaborant avec les services de police pour surveiller ces groupes. Lors de sa visite à ce personnage, Makin dit avoir été impressionné par sa maison, remplie de matériel sur ces différents groupes (pp. 133-135).
Si des NMR peuvent rencontrer des oppositions sous toutes les latitudes, celles qu’ils connaissent en Indonésie ou dans d’autres pays islamiques sont liées à des contextes religieux et sociaux spécifiques. Makin conclut que, tant que sera maintenue la loi sur le blasphème introduite en 1965, la liberté religieuse des prophètes indonésiens ne sera pas respectée (p. 144)[2].
Conclusion
Des recherches de ce genre incitent aussi à tracer des parallèles avec des NMR dans d’autres régions du monde : des phénomènes structurellement semblables se développent à partir des différents contextes. Deux chercheurs allemands, Edith Franke et Sebastian Murken, ont ainsi publié un article dans lequel ils esquissent des parallèles pertinents entre l’émergence du Royaume d’Eden et celle du mouvement allemand Vie Universelle autour de Gabriele Wittek[3]. Ces deux femmes, que rien dans leur formation ne semblait destiner à un tel rôle, deviennent prophétesses de nouveaux messages religieux, l’un édifié à partir de fondements musulmans et l’autre à partir de fondements chrétiens, critiquant les institutions religieuses des traditions dont elles sont issuesLeurs statuts respectifs se trouvent de plus en plus exaltés dans la doctrine de leurs mouvements, devenant finalement plus que des prophétesses.
Si les réactions sociales auxquelles ils doivent faire face diffèrent, l’émergence de NMR représente un phénomène universel, témoignant non seulement des réponses qu’entendent apporter les prédicateurs de nouveaux messages aux interrogations de leurs contemporains, mais aussi de la capacité à rassembler autour d’eux des disciples convaincus par ces messages religieux et souvent prêts à sacrifier bien des intérêts personnels pour entrer dans ce qu’ils perçoivent comme une voie de salut — pour eux et pour le monde.
Jean-François Mayer
Notes
- Pour mieux comprendre la signification de cette formule, on peut lire un texte intitulé « The Holy Spirit’s Explanation Regarding the Holy Couple » (16 mars 2017, https://komunitaseden.com/2017/03/16/the-holy-spirits-explanation-regarding-the-holy-couple/), dont voici un passage qui clarifie les croyances du mouvement sur ce point : « La saint couple mentionné dans les RigVedas II.39 Shloka 2-7 est une prophétie d’un saint couple, à savoir l’Archange Jibril [Gabriel], le Saint Esprit comme Roi du Ciel, et la Reine du Ciel, Lia Eden. Et les versets dans Shloka 2-7 décrivent la condition présentant une paire d’époux et épouse identique. Ainsi Moi, le Saint Esprit, je viendrai et apparaîtrai comme un humain identique à Lia Eden. » On trouve dans le livre de Makin plusieurs passages élucidant la relation entre l’Archange Gabriel et Lia Eden. ↑
- Trois appendices (pp. 145-176) tracent de brefs portraits de plusieurs prophètes indonésiens et de leurs mouvements. Nous n’évoquerons pas cette section dans la présence recension, mais cela suffit à mettre en lumière le fertile terrain qu’offre l’Indonésie pour des recherches sur ces thèmes. ↑
- Edith Franke et Sebastian Murken, « Lia Eden und Gabriele Wittek. Zeitgenössische Prophetinnen zwischen religiöser Tradition und Non-Konformität », in E. Franke, C. Kleine et H. Mürmel (dir.), Devianz und Dynamik. Festschrift für Hubert Seiwert zum 65. Geburtstag, Göttingen, Vandenhoek & Ruprecht, 2014, pp. 80-96. ↑
Al Makin, Challenging Islamic Orthodoxy : Accounts of Lia Eden and Other Prophets in Indonesia, Springer, 2016, XXVIII + 244 p.
Ce volume est le premier de la série Popular Culture, Religion and Society: A Social-Scientific Approach, dirigée par Adam Possamai (Western Sydney University, Australie).