Si l'Église de l'unification est l'un des mouvements religieux contemporains d'origine coréenne les plus connus et est parvenu à s'internationaliser en intégrant des fidèles d’autres origines, il existe en Corée bien d’autres groupes nés à partir de la seconde moitié du XIXe siècle. Plusieurs sont numériquement plus importants. Ce n'est pas la taille de l'Église de l'unification qui retient l'attention, mais son histoire et les controverses qui l’ont fait connaître en Occident et ailleurs dans les années 1970 et 1980. Les divisions intervenues dans le mouvement depuis quelques années sont éclairantes pour l'analyse de l'évolution des nouveaux groupes religieux après la mort de leur fondateur ainsi que pour l'étude de la dynamique des schismes.
Nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer les conséquences du décès du Rév. Moon et ces divisions dans de précédents articles (« Église de l’unification: la succession de Sun Myung Moon », 14 septembre 2012 ; « De l’Église de l’Unification à l’Église du Sanctuaire : naissance et justification d’un schisme », 22 septembre 2015). Nous ne répéterons pas ce que nous avions écrit dans ces textes. Mais la réunion qui s'est tenue les 29 et 30 mai 2017 à la Faculté pour l'étude comparée des religions et de l'humanisme (FVG) à Anvers était un événement sans précédent et particulièrement instructif : des représentants des trois principaux groupes ont, pour la première fois, participé à une rencontre académique pour présenter leurs points de vue et débattre de leurs différends devant un groupe de chercheurs. Il ne s'agit pas de proposer un résumé complet de ces deux journées au programme bien rempli, d'autant plus que certains des débats ne pourraient être compris qu'avec de bonnes connaissances préalables de la théologie unificationniste. Ce compte rendu se limitera donc à résumer quelques points cruciaux, sans pouvoir entrer dans la complexité des arguments échangés : à l’heure d’Internet, il devient heureusement assez aisé, pour les personnes souhaitant approfondir de trouver des documents détaillant les différents points de vue.
Un mouvement complexe aux activités multiformes
Comme l'a rappelé Eileen Barker (INFORM, London School of Economics), le groupe religieux fondé en 1954 en Corée par Sun Myung Moon (1920-2012) sous le nom d'Association du Saint-Esprit pour l'unification du christianisme mondial devint un mouvement international qui attira l'attention publique de façon disproportionnée par rapport au nombre de ses membres. Depuis le décès de son fondateur, ce mouvement connaît des schismes, accompagnés d’évolutions doctrinales parfois inattendues.
Le mouvement unificationniste recouvre une variété de réalités, souligne Barker. C'est un mouvement religieux, avec une histoire de la chute et un retour de l'humanité à son identité originelle centrée sur Dieu. C'est un mouvement spiritualiste, dans le sens où le monde des esprits et l'influence de ceux-ci dans nos vies joue un rôle important, sur un arrière-plan marqué par le chamanisme. C'est un mouvement charismatique, tournant autour de la figure de Sun Myung Moon et des récits de sa vie proposés pour l'édification de ses disciples. C'est un mouvement messianique, puisque l'enseignement pointe le rôle messianique de Moon, qui a déclaré lui-même ouvertement être le Messie en 2004. C'est un mouvement millénariste et utopiste, qui travaille à l'avènement d'un monde pacifique et uni. C'est un mouvement politique, qui a soutenu pendant des années des initiatives fortement anticommunistes. C'est un mouvement avec des dimensions économiques, à l'origine d'entreprises, de médias et d'institutions académiques, qui contrôle un patrimoine immobilier.
Le mouvement est aujourd’hui divisé en trois principales organisations, de taille et de ressources inégales, auxquelles s'ajoutent d'autres groupes « schismatiques » de plus petite taille dans certaines régions du monde : la Fédération des familles pour la paix (FFP, en anglais : Family Federation for World Peace and Unification, FFWPU), avec les différentes initiatives associées, autour de la veuve de Sun Myung Moon ; la Family Peace Association (FPA, nom adopté en 2016) — qui patronne la Global Peace Foundation (GPF, lancée en 2009), s'adressant à un public plus large — sous la direction du fils aîné survivant de Moon, Hyun Jin Nim (appelé aussi Preston) ; la Sanctuary Church (World Peace and Unification Sanctuary), qui suit son cadet Hyung Jin Nim (appelé aussi Sean, à ne pas confondre avec le précédent, malgré la presque homonymie des noms en coréen), le plus jeune fils du fondateur défunt.
En outre, Barker relève l’existence d’une catégorie de membres « déconnectés », qui se considèrent encore comme unificationnistes, mais ne parviennent à se reconnaître dans aucun des groupes existants et déplorent les divisions survenues : ils peuvent se sentir trahis, n’ayant pas quitté un groupe, mais ayant plutôt l’impression que ce sont les groupes qui les ont quittés. Quant à la catégorie des « marginaux », elle existe depuis plus longtemps et désigne les personnes hésitantes par rapport à leur appartenance : sans rejeter le mouvement, ils hésitent à se décrire encore comme « membres », même si l’une ou l’autre branche les considère encore parfois comme tels.
Des enjeux doctrinaux, personnels, matériels — et des conséquences cosmiques
Les arguments échangés ont été de nature largement doctrinale : un différend survenu au sein d'un mouvement religieux prend presque nécessairement une dimension théologique, même si ce n'est pas le seul aspect. Sans pouvoir lire les pensées des figures dirigeantes de chacun des groupes, il est difficile d'évaluer dans quelle mesure des rivalités de pouvoir et de contrôle de l'organisation ont joué un rôle. Cependant, quelle que soit la part d’autres facteurs, les oppositions se retrouvent profondément théologisées, et les divergences s’expriment à travers une grille doctrinale.
Plus s'affirment des lignes de faille théologiques, plus le fossé devient difficile à combler, arrivant à un point où l’on ne voit guère comment les trois branches pourraient trouver la voie d'une réconciliation, ainsi que le reconnaissait en privé le représentant d'un des trois groupes : en peu de temps, les divergences ont été développées et explicitées à un tel point qu'une réunion entre deux ou plusieurs de ces trois branches exigerait des révisions doctrinales. Il est vrai aussi que l'évolution de chacune d'entre elles n'est pas achevée.
Les membres de chacun des groupes ont adhéré à ce qui s'appelait — selon les périodes — Association pour l'unification du christianisme mondial (AUCM), Église de l'unification ou Fédération des familles pour la paix mondiale et l’unité (FFPMU) de façon très intense, dévouant au départ leur existence entière à l'organisation, épousant un conjoint choisi pour eux par le Rév. Moon, et convaincus du rôle joué par le mouvement non seulement pour le cheminement spirituel de ses membres, mais pour le salut de l'humanité. À l'instar de fondateurs d'autres mouvements religieux, le Rév. Moon s'était placé lui-même et avait placé la mission unificationniste au centre de l'histoire et d'un véritable drame cosmique. D’un point de vue croyant, ce qui se passe actuellement, avec les réorientations prises et les divisions, entraîne des conséquences non seulement pour le groupe, mais pour l’univers entier. Il ne s’agit pas de simples querelles théoriques. Durant les discussions animées qui ont suivi certains exposés, on a ainsi pu entendre un membre d'une des branches s'exclamer que, par la faute des choix de la veuve du Rév. Moon, le monde risquait même de subir une guerre nucléaire. « Une tragédie cosmique s’est produite », a affirmé pour sa part une théologienne de la Sanctuary Church dans sa critique de la voie suivie par Mme Moon.
Pour ceux qui ont consacré une bonne partie de leur vie à cette cause, ce qui se passe est douloureux. Une personne présente confessait, en conversation privée, sentir un ébranlement de ses convictions et commencer à douter du fond même du message. Il ne faut pas négliger cet aspect personnel important que la crise entraîne pour certains membres.
Un aspect que la réunion n'a pas abordé, mais qui n'est pas négligeable : les enjeux économiques, c'est-à-dire le contrôle des biens et entreprises liées au mouvement et permettant de financer une partie des activités. Selon les informations disponibles, principalement la FFWPU/FFP et la FPA détiendraient ces avoirs, et les actions légales à ce sujet ne sont pas terminées. Faute de données précises permettant de brosser un tableau des enjeux économiques, ce compte rendu se concentrera sur les questions abordées à Anvers, c'est-à-dire les différends doctrinaux.
Quant aux effectifs des différents groupes, selon des estimations la branche la plus importante (FFWPU/FFPMU), qui suit la veuve du Rév. Moon, compterait aujourd'hui plus de 50.000 membres. La Sanctuary Church déclare rassembler 10.000 personnes et la FPA en regrouperait 2.000. Comme on le constate, le nombre total est inférieur à celui qui était estimé pour l'Église de l'unification au sommet de son expansion.
Quels désaccords ?
L'affirmation de son autorité ainsi que de son message par la veuve du Rév. Moon, Hak Ja Han (née en 1943, appelée True Mother dans le vocabulaire du mouvement), a surpris plus d'un observateur et plus d'un membre du mouvement. L'un des enjeux doctrinaux cruciaux est sa rupture avec une approche patriarcale. Michael Mickler (Unification Theological Seminary) n’hésite pas à affirmer que le mouvement unificationniste se trouverait aujourd’hui plongé dans une « bataille des sexes » : alors que les fils du Rév. Moon continuent d’insister sur un modèle d’autorité patriarcale, Mme Moon estime qu’il revient désormais aux femmes d’assumer le rôle dirigeant dans la conduite du développement humain. Des doctrines unificationnistes centrales se trouvent réinterprétées dans une perspective matriarcale.
Andrew Wilson (Unification Theological Seminary) salue la démarche de Mme Moon, tournant le dos à l’ère patriarcale pour inaugurer celle des femmes. Ce discours s’appuierait notamment sur des références parsemant des discours du Rév. Moon dès les années 1990.
Hak Ja Han a décidé qu’il faudrait désormais s’adresser à Dieu non plus comme Heavenly Father (Père céleste), ainsi que le faisaient jusqu’à maintenant les fidèles, mais comme Heavenly Parent (Parent céleste) — même si cette pratique est loin d’avoir été unanimement adoptée au quotidien, en raison de la longue habitude de prier différemment. En outre, il reste à réviser différents textes, par exemple certains chants. Même si la piété du mouvement n’a pas encore complètement intégré les dernières évolutions, admet Wilson, un certain nombre de femmes, notamment, les auraient adoptées avec enthousiasme. Dieu est également approché comme Mère.
Andrew Wilson refuse de considérer la two-gender theology comme une innovation déviante : dans le texte original coréen de 1951 dans lequel Moon avait exposé sa doctrine (Wolli Wonbon), texte en cours de traduction en anglais, Wilson affirme que le fondateur parlait de Dieu à la fois comme Heavenly Father et Heavenly Mother.
Mickler déclare que la bonne issue à la controverse serait de se mettre d’accord sur une compréhension sexuellement neutre de la nature divine (gender neutral model), pour dépasser les limitations tant du modèle patriarcal que du modèle matriarcal, mettant par la même de côté les revendications fondées sur le genre. Les autres groupes réfutent cependant cette idée. Ainsi, commente Youngjun Kim :
« Le Principe est très clair [sur le fait] que Dieu a créé l’homme et la femme à Son image avec des caractéristiques différentes. Les attentes de Dieu envers Adam étaient différentes de celles envers Ève. Dieu ne les a pas créés de genre neutre, mais il les a créés pour se compléter mutuellement sans qu’il soit nécessaire que l’un soit supérieur à l’autre. »
La critique de la Sanctuary Church va plus loin que le refus d’une inflexion féminine. Kerry Williams soutient même que l’insistance sur les Parents célestes aboutira inéluctablement au dithéisme, à la croyance en deux dieux séparés, avec des volontés et désirs différents. En choisissant ce chemin, Hak Ja Han et ses fidèles dévieraient de l’héritage judéo-chrétien, tandis que la Sanctuary Church tient la Bible pour Parole inspirée de Dieu et texte fondamental étudié par Sun Myung Moon pour aboutir à son exposition du Principe divin. Andrew Wilson rétorque que la compréhension de Dieu ayant des caractéristiques duales de masculinité et de féminité n’a rien à voir avec le dithéisme.
Ce n’est pas la seule ligne de faille. Un autre point de friction est le statut revendiqué par la veuve du Rév. Moon. Pour ses partisans, remarque Mickler, Mme Moon n’est pas le successeur du Rév. Moon, mais elle poursuit seule une tâche jusqu’alors partagée avec son mari. Cela s’accompagne d’une critique de la place dévolue aux femmes dans la culture unificationniste et de certains aspects du style de direction de son défunt mari.
Ses critiques estiment qu'elle en est arrivée à se placer au-dessus du Rév. Moon. Ce point de vue est contesté par les théologiens de la FFWPU, comme Andrew Wilson, qui explique que beaucoup de membres n'avaient pas totalement intégré le principe des « Vrais Parents » (c'est-à-dire Sun Myung Moon et son épouse) : concentrés sur la figure du Rév. Moon, ils s'attendaient à voir sa veuve rester à l'arrière-plan et l'autorité passer à un héritier mâle.
Mais il y a plus en jeu que le choix du successeur. Hak Ja Han déclare qu’elle est née exempte du péché originel, ce qui n’aurait en revanche pas été le cas du Rév. Moon ; elle aurait été l’égale de son mari, et non formée par ses soins, comprenant le Principe Divin (les fondements de la doctrine unificationniste) de façon innée. « Une nouvelle théologie ! », s’indignent les partisans de la Sanctuary Church, qui l’accusent de mettre son mari à l’écart et de se placer au-dessus de lui, finissant — selon leur interprétation — par se considérer comme celle qui aurait sauvé le Rév. Moon. Si elle est née sans péché, c’est alors elle qui devient le Messie ! Certes, Sun Myung Moon a souvent fait l’éloge de son épouse — mais il l’a souvent critiquée aussi, remarquent-ils, citant différents discours à l’appui de leur position. Une épreuve ultime se présentait à Mother, et elle aurait échoué.
De la part des deux autres groupes, l’affirmation de Mme Moon selon laquelle elle serait la « Seule Fille Engendrée » de Dieu (Only Begotten Daughter) lui attire de vives critiques, que Mark Bramwell (FPA), également présent à la réunion d’Anvers, résume en ces termes dans un document accessible en ligne :
« En adoptant une nouvelle identité en tant que “la seule fille engendrée”, dans le sens d’être indépendante de son mari quant au lignage, elle s’est mise en contradiction par rapport à ce que Père a enseigné à propos du lignage. Il a clairement enseigné que Dieu envoie un être mâle, le vrai Adam, qui rétablit Ève à partir du monde déchu. Le premier vrai père est porteur du lignage de Dieu de Dieu et le transmet à son épouse, à ses enfants et à toute l’humanité. Mère prétend même être d’un lignage supérieur à celui de Père, annonçant que, tandis que Père est issu d’un lignage déchu — recevant le lignage divin de Jésus lui-même à l’âge de 15 ans, [tandis qu’]elle serait elle-même née dans le lignage de Dieu. » (« End of the Cosmic Conflict: Today’s Movement in Light of the Immutable Providence of God », 2016, pp. 8-9, téléchargeable au format PDF)
Ce n’est bien entendu pas en ces termes que les représentants de la FFWPU comprennent la situation : ils expliquent que Mme Moon affirme ainsi son autorité, sans devoir la dériver de celle de son défunt époux.
Comme le note Mickler, les stratégies de légitimation des fils du Rév. Moon passent nécessairement par la délégitimation de leur mère, accusée de déviation doctrinale, voire démonisée (Hak Ja Han est présentée comme la « prostituée de Babylone » du livre biblique de l’Apocalypse dans la Sanctuary Church, tandis que la FPA, tout en partageant nombre de critiques contre Mme Moon, prend ses distances par rapport à ces propos).
Un autre point épineux est le statut des textes sacrés du mouvement. Moon avait institué un ensemble assez disparate de huit textes comme base scripturaire pour définir les croyances unificationnistes. Dans l'optique de Hak Ja Han, ces textes représentaient en fait un projet non achevé. Elle a donc lancé une entreprise de sélection et de révision, retirant les éditions originales et incluant également certains de ses propres discours auxquels elle confère ainsi une valeur canonique. Les deux autres groupes, à l’inverse, estiment que l’ensemble des textes choisis par le Rév. Moon ont un statut intangible et accusent sa veuve de modifier la doctrine sous prétexte de les réviser.
C’est ainsi que — comme la FPA — la Sanctuary Church affirme son attachement aux Eight Textbooks tandis que la FFWPU/FFP définit depuis 2014 trois volumes (Cheon Seong Gyeong, Pyeong Hwa Gyeong et Cham Bumo Gyeong) comme ses Écritures saintes. Si l’Exposition du Principe Divin, qui a introduit nombre de convertis à l’unificationnisme, continue d’être diffusée, ce volume ne fait en revanche pas partie du corps scripturaire proprement dit — ce que reprochent les groupes qui ne suivent pas Mme Moon.
La question du principe de succession constitue un autre sujet débattu. Il s’agit non seulement de savoir qui est aujourd’hui le véritable successeur du Rév. Moon, mais aussi comment la succession à la tête du mouvement doit être réglée de façon générale. Hak Ja Han a constitué en 2014 un Conseil suprême pour l’assister, dans lequel figurent tant des membres de la famille Moon que d’autres unificationnistes, qui pourrait assumer la direction du mouvement si elle n’en était plus capable un jour. Cela semble annoncer pour l’avenir une succession sur un modèle administratif plutôt qu’autour du charisme d’un dirigeant. Mme Moon chercherait à substituer au lignage direct de Father « la hiérarchie ecclésiastique d’une organisation religieuse », accusent ses opposants (Bramwell, art. cité, p. 12). En revanche, les deux autres groupes tiennent à un modèle de succession masculin dans la lignée du Rév. Moon.
La question de la succession n’est pas un point secondaire, insiste Richard Panzer au nom de la Sanctuary Church, dont il préside la branche américaine. En juin 1983, Father (le Rév. Moon) affirma qu’il aurait toujours un représentant physique sur terre, insistant sur la nécessité de l’accepter unanimement. Hyung Jin (Sean) fut établi comme successeur le 16 avril 2008 (à la place de Hyun Jin [Preston], jusqu'alors successeur désigné), et l’autorité lui fut transmise — ainsi qu’à son épouse — le 31 janvier 2009. Mais dans les semaines suivant le décès du fondateur, Mother (Mme Moon) le destitua de ses fonctions. Il ne s’est pas séparé de sa mère : celle-ci l’a écarté parce qu’il représentait un obstacle à ses projets, affirme Panzer.
Dans les actuelles rivalités transparaît aussi l’attachement à différentes représentations de l’identité du mouvement. Avec la fondation de la FFWPU/FFP en 1996, certains membres avaient eu le sentiment que le modèle de l’Église laissait place à une autre réalité : c’est cette approche qu’avait embrassée Preston Moon, qui a eu le sentiment que la « bureaucratie cléricale » de la FFWPU/FFP restait trop attachée à un modèle Église, note Dan Fefferman (Board of Trustees of the Unification Theological Seminary). Tout en conservant les pratiques de l’Église de l’unification, la FPA ne se présente pas comme une religion, puisque le Rév. Moon aurait proclamé la fin de celles-ci en 1996, relève Massimo Introvigne (CESNUR). Notons que la FPA n’utilise pas l’adjectif unificationniste, « parce que nous ne sommes pas une religion, mais une association d’individus et de familles bénies », précise son vice-président international Youngjun Kim ; cela n’empêche pas ce groupe de maintenir les différentes pratiques instituées par le Rév. Moon, ce qui donne l’impression que le refus d’être une « religion » relève plutôt d’une question de vocabulaire, outre l'attachement à la déclaration du Rév. Moon sur la fin de l'âge des religions. Du côté de Sean Moon, c’est au contraire clairement un modèle d’Église qui est privilégié.
Fefferman relativise pour sa part les conséquences des nouvelles orientations introduites par la création de la FFWPU/FFP : dans la vie de ses membres, le mouvement est toujours resté une Église, estime-t-il.
Des durcissements et des perspectives encore fluides
Comme tout mouvement de naissance récente, l’unificationnisme avait connu des évolutions sous la direction de son fondateur. Cela continue après sa disparition physique, mais avec des embranchements. À l’instar de la FPA, qui déclare « rester fidèle à l’inspiration et à la vision originelles » du Rév. Moon, chaque groupe affirme s’inscrire dans la ligne du fondateur. En fait, chacune des branches privilégie certaines dimensions déjà présentes dans le message hérité du Rév. Moon, avec des trajectoires qui peuvent entraîner de notables innovations. Ainsi que l’ont noté certains orateurs, chacun peut trouver dans les propos du Rév. Moon des arguments à l’appui de son point de vue. À partir de ces accents différents, les groupes connaissent ensuite des évolutions discordantes.
En peu d’années, les changements sont importants, même si le fonds commun reste considérable, sans parler d’une histoire partagée jusqu’aux années 2000. Non seulement les groupes ne considèrent-ils plus exactement les mêmes textes comme Écritures saintes, mais ils articulent un discours qui met l’accent sur leurs différences dans la compréhension de Dieu et du rôle messianique des « Vrais Parents ». Sur une racine commune, ils construisent des récits divergents, allant jusqu’à considérer les groupes rivaux comme hérétiques. Si les deux groupes « dissidents » de l’organisation principale se rejoignent dans la critique de la veuve du Rév. Moon, ils cultivent des utilisations différentes de l’héritage spirituel du fondateur et se critiquent mutuellement : la FPA considère ainsi que Hyung Jin (Sean) aurait lui aussi mené un jeu politique contre son frère aîné avant d’être écarté par sa mère. Il semble difficilement imaginable de les voir se retrouver sur un front commun, d’autant plus qu’ils n’ont pour l’instant aucun véritable intérêt matériel à le faire. Quant à une réconciliation entre la FFWPU et les deux autres groupes, il faudrait un retournement spectaculaire pour que celle-ci puisse se produire avec la Sanctuary Church, après les violentes critiques émises à l’encontre de Hak Ja Han ; quand à la FPA, Mme Moon affirme qu’elle acceptera Hyun Jin (Preston)… s’il se repent et retourne les biens dont il a conservé le contrôle (Weekly Chosun, 25 mai 2015).
Comme le note Donald Westbrook (FVG et Université de Californie à Los Angeles), l’un des chercheurs non unificationnistes présents, le contrôle des branches du mouvement reste de fait largement au sein de la famille Moon et est indissociable de divisions au sein de celles-ci. Quant à l’avenir, Westbrook n’exclut pas une crise de succession au sein de la FFWPU quand Mme Moon (née en 1943, et donc nettement plus jeune que son défunt mari) ne sera plus de ce monde : malgré l’existence du Conseil suprême, il n’est pas impossible que de nouvelles divisions surgissent alors.
Ce qui se passe relève à la fois de disputes de famille, de rivalités de pouvoir, de divergences sur les orientations du mouvement et d’évolutions doctrinales antagonistes. Même s’il est possible d’en faire une lecture sous l’angle d’une lutte pour le contrôle du mouvement, les questions théologiques n’en sont pas moins l’étendard des débats et divisent les fidèles du Mouvement de l’unification. Il est vrai qu’ils avaient adhéré, parfois depuis des décennies, à un mouvement encore fluide, autour d’une figure charismatique qui était la seule source d’autorité et donnait régulièrement de nouvelles impulsions. Sa veuve a montré sa détermination, avec une touche différente, à agir sur le même mode : elle est en train à la fois d’infléchir la doctrine du mouvement et de jeter les bases de son institutionnalisation. Quant aux deux fils rivaux, tout en affirmant défendre l’héritage de leur père, ils sont conduits eux aussi à créer de nouvelles réalités marquées par leur vision de l’unificationnisme et leurs propres inclinations.
Jean-François Mayer
Sur le site du World Religions and Spirituality Project (WRSP), Massimo Introvigne a publié en avril 2017 une bonne synthèse :
« Unification Movement Schismatic Groups (2012-Present) »
https://wrldrels.org/2017/04/23/unification-movement-schisms-2/
La publication des actes de la réunion d’Anvers est prévue dans le cadre de la série Acta Comparanda – Subsidia, publiée par la FVG.