En Indonésie, Basuki Tjahaja Purnama, dit Ahok, gouverneur sortant de Djakarta (il vient d'être battu par un adversaire alors qu'il tentait d'obtenir sa réélection), a été condamné le 9 mai 2017 à deux années de prison ferme pour blasphème. D'origine chinoise, l'homme politique appartient à la minorité chrétienne, qui forme environ 10 % de la population (85 % de musulmans). L'accusation de blasphème avait été émise par des groupes activistes musulmans. En septembre 2016, durant sa campagne électorale, Ahok avait cité ce verset du Coran, utilisé par ses adversaires pour dissuader les électeurs de voter pour un non musulman : « Ô les croyants ! Ne prenez pas pour amis les juifs et les chrétiens ; ils sont les amis les uns des autres. Et celui d’entre vous qui les prend pour amis devient un des leurs. Allah ne guide certes pas les gens injustes. » (Sourate 5, verset 51) Il avait été accusé de critiquer ce verset, et donc d'insulter le Coran, alors qu'il affirme s'en être pris uniquement aux usages tirés de ce verset pour appeler les musulmans à ne pas lui donner leurs voix. L'agence de presse Églises d'Asie rappelle d'ailleurs que le ministère public avait modifié la qualification des faits en « insulte envers les oulémas », ce qui aurait valu le sursis à l'accusé, mais les cinq juges en ont décidé autrement (« Ahok, le gouverneur sortant de Djakarta, a été condamné à deux ans de prison pour blasphème », EDA, 9 mai 2017).
Al Jazeera souligne que la loi sur le blasphème est de plus en plus souvent utilisée en Indonésie pour s'en prendre aux minorités religieuses. Elle a été appliquée en 2012 pour emprisonner durant deux ans et demi un fonctionnaire de Sumatra qui s'était déclaré athée sur Facebook. Un musulman a été condamné à deux ans de prison pour avoir prêché des croyances chiites. Ahok et ses partisans estiment que la loi sur le blasphème a été instrumentalisée contre lui à des fins politiques (« Ahok: Indonesia's religious tolerance on trial ? », Al Jazeera, 9 mai 2017). Dans une récente analyse, James M. Dorsey (S. Rajaratnam School of International Studies) remarque que, à l'instar de l'accusation de terrorisme, le blasphème est devenu un fourre-tout commode « pour intimider, incarcérer et tuer des critiques et des opposants politiques ainsi que pour étouffer un débat libre et régler des comptes ». L'accusation de blasphème n'est pas simplement utilisée par des gouvernements, relève Dorsey, mais aussi par des groupes extrémistes et des individus pour s'en prendre à des adversaires ou à des opposants. La diffusion d'un modèle d'islam de provenance saoudienne depuis quatre décennies a créé un environnement dans lequel plusieurs « blasphémateurs » supposés ont été assassinés ces dernières années dans des pays tels que le Pakistan ou le Bangladesh. Dans plusieurs cas, l'accusation de blasphème a été un simple outil pour s'en prendre à des personnes jugées gênantes en excitant les sentiments contre elles.
James M. Dorsey, « Blasphemy and Terrorism : Catchall Phrases to Repress Dissent », 3 mai 2017.
URL : https://mideastsoccer.blogspot.com/2017/05/blasphemy-and-terrorism-catchall.html