Depuis quelques années est apparue, dans le milieu catholique français, l'étiquette de « tradismatique », utilisée par les intéressés eux-mêmes. Il y a deux ans, un message publié sur le site catholique Gloria.tv dressait un portrait robot des tradismatiques : souvent des convertis au catholicisme, ou enfants de convertis de la « génération Jean-Paul II » et des Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) ; attachés à la foi catholique et à la solennité liturgique, souvent à la messe traditionnelle tridentine (« forme extraordinaire du rite romain »), mais pas attirés par la Fraternité Saint-Pie X fondée par Mgr Marcel Lefebvre ; tout en fréquentant volontiers certaines communautés nouvelles et des réunions charismatiques, auxquelles ils reprennent la forte aspiration évangélisatrice ; à cela s'ajouterait une conscience politique affirmée, mais ne passant pas nécessairement par l'engagement dans des partis.
Si le mot n'est pas encore entré dans le vocabulaire courant, il a attiré l'attention du politologue Gaël Brustier, membre de l'Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean Jaurès. C'est à l'enseigne de ce « think tank progressiste » proche du Parti socialiste qu'il vient de publier une note de 7 pages, intitulée « Les tradismatiques à l'assaut du pouvoir ». Sous un titre qui peut sembler un peu accrocheur au premier abord (mais l'auteur se dit certain que leur influence va monter), le lecteur découvre une analyse sobre de cette nouvelle réalité qui illustre les transformations — et hybridations — du paysage catholique français. « Empreints d'un conservatisme philosophique sans complexe », écrit Brustier, les tradismatiques, « inspirés autant par les communautés postconciliaires charismatiques que par les fraternités traditionalistes, participent d’un même état d’esprit qui a vraiment coagulé au tournant des années 2000 et déferlé dans les rues à l’occasion de La Manif pour tous. Cette génération de catholiques investis dans la cité monte en puissance avec la force de ceux qui ne doutent pas ou qui doutent très peu… » Produits décomplexés de deux courants, les tradismatiques n'ont pas de direction ou d'organisation : « C’est un état d’esprit qui apparaît et s’empare de segments de plus en plus larges des jeunes catholiques. » Brustier estime que le diocèse de Fréjus-Toulon, avec son évêque Mgr Dominique Rey, est un laboratoire représentatif de cet état d'esprit à certains égards. À juste titre, l'auteur conclut en évoquant « la tectonique des plaques idéologiques qui se déroule « dans le contexte d'une crise qui « défait des certitudes anciennes, réarticule des éléments présents dans la société ». Dans le catholicisme aussi, les frontières et lignes de division ne sont plus celles des années post-Vatican II, même si elles ont laissé leurs traces également dans ces nouveaux phénomènes : la note de Gaël Brustier vient apporter un éclairage bienvenu sur ces évolutions et les réalités auxquelles elles donnent naissance. (JFM)
Gaël Brustier, « Les tradismatiques à l’assaut du pouvoir », Fondation Jean Jaurès, 13 janvier 2017, 7 p.
https://jean-jaures.org/nos-productions/les-tradismatiques-a-l-assaut-du-pouvoir
Gaël Brustier est notamment l’auteur d’un ouvrage intitulé Le Mai 68 conservateur. Que restera-t-il de la Manif pour tous ? (Cerf, 2014), dans lequel il évoquait déjà les tradismatiques.