La multiplication d'actes terroristes et autres actions violentes commis par des groupes se réclamant de causes islamiques a conduit à une fréquente utilisation du concept de « violence religieuse ». Dans le dernier numéro de la revue Terrorism and Political Violence (nov.-déc. 2016), un article de Matthew D.M. Francis (Université de Lancaster) conteste la pertinence explicative de cette expression, qui laisse croire qu'il suffirait — par exemple — de lire un texte sacré pour comprendre comment surgit la violence, en oubliant que d'autres lecteurs du même texte n'en tirent pas les mêmes conséquences. De plus, la frontière entre religieux et séculier n'est pas nette : derrière une « guerre de religion » apparaissent une variété de causes, pas seulement religieuses. Le chercheur suggère de parler plutôt de « sacré » ou de « croyances et valeurs non négociables » (c'est-à-dire celles que nous tenons pour « sacrées »). La notion de « sacré » n'est pas entendu ici dans un sens uniquement religieux, mais peut aussi s'appliquer à des convictions séculières (par exemple un nationalisme ou une idéologie) : il s'agit d'idées et valeurs spéciales, mises à part, absolutisées, parce que considérées comme essentielles pour notre identité ou notre système de croyances (même si elles peuvent évoluer et changer au fil du temps). Ce qui est sacré pour un groupe ne l'est pas pour un autre. Selon Francis, son approche permet aussi de mettre l'accent sur ce que le groupe considère comme essentiel, et pas sur ce que l'observateur extérieur voit comme important.
Une croyance peut être importante sans être tenue pour non négociable. Et le fait de considérer une croyance comme non négociable n'entraîne pas nécessairement la violence.Comme l'avait remarqué Durkheim, le sacré est protégé par des tabous. La différence tient à la façon dont des groupes envisagent la transgression potentielle de ce qu'ils définissent comme sacré. La réponse qu'ils y donnent peut varier également selon les contextes. Francis souligne qu'il ne s'agit pas d'ignorer les différences qui existent entre groupes religieux et non religieux, ne serait-ce que parce que les groupes religieux font plus souvent référence à des sources d'autorité supérieure et parce que les bénéfices supposés découler des actes commis y prennent une autre dimension (vie éternelle, etc.). Néanmoins, selon Francis, le concept de religion serait moins utile que celui de sacré (ou croyances non négociables) comme outil d'analyse et d'interprétation pour comprendre le passage d'un groupe à la violence. Plutôt que d'appliquer à un groupe des étiquettes (extrémisme, salafisme, etc.), l'approche consisterait donc à s'intéresser aux valeurs du groupe et à ce qu'elles révèlent sur la trajectoire vers la violence. Pouvant être appliquées à des idéologies religieuses ou non religieuses, les notions de sacré et de valeurs non négociables permettraient aussi de mieux analyser les similitudes entre le recours à la violence au nom de croyances religieuses ou non.
Matthew D.M. Francis, « Why the “sacred” is a better resource than “religion” for understanding terrorism », Terrorism and Political Violence, 28/5, nov.-déc. 2016, pp. 912-927.
L’article se trouve en libre accès sur le site de l’édiateur :
http://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/09546553.2014.976625