Il y aurait aujourd'hui entre 60.000 et 70.000 mandéens dans le monde, rappelle Inga Rogg dans un long article qu'a publié la Neue Zürcher Zeitung (2 décembre 2016). Comme beaucoup d'autres habitants de l'Irak, les mandéens ne s'y sentent plus en sécurité : non parce qu'ils comptent un nombre plus élevé de victimes, mais parce que chaque incident « provoque un onde de choc » dans ce groupe qui se sait minoritaire. La pression pour l'assimilation est allée, dans des cas extrêmes, jusqu'à des conversions forcées (accompagnées de circoncisions forcées). Depuis la chute de Saddam Hussein, les mandéens n'ont pas seulement subi des persécutions de la part de groupes radicaux sunnites, mais aussi de certaines milices chiites. En Iran même, leur religion ne fut d'abord pas reconnue après la Révolution islamique de 1979, mais une fatwa de l'Ayatollah Ali Khamenei déclara en 2009 qu'ils devaient être reconnus comme des « gens du livre » (ahl-il-kitāb) (Mehrdad Arabestani, « The Mandaeans’ Religious System: From Mythos to Logos », Iran and the Caucasus, vol. 20, 2016, pp. 179-194 [p. 183]). Au début de la domination musulmane, les mandéens étaient parvenus à convaincre le nouveau pouvoir qu'ils étaient identiques aux sabéens (subba), mentionnés dans le Coran, mais cette interprétation n'a pas toujours été acceptée.
Selon les données fournies par le Mandaean Human Rights Group (MHRG), citées par Rogg, il n'existerait plus de communauté mandéenne à l'ouest de Bagdad. Il faut dire que la communauté mandéenne avait déjà connu une crise interne au cours des cinquantes dernières années, avec les destructions causées dans leurs zones d'habitation par la guerre entre l'Iran et l'Irak dans les années 1980, une migration vers les zones urbaines, l'éloignement des traditions pour certains d'entre eux et des aspirations réformatrices qui conduisirent à une division de la communauté dans les années 1970, signale Friedmann Eissler (Materialdienst der EZW, novembre 2013).
Alors qu'il y avait encore jusqu'à 30.000 mandéens en Irak dans les années 1990, il n'en resterait que 5.000 au plus — et autant en Iran (où la communauté était plus petite), principalement dans les villes d'Ahwaz et Abadan. Si certains mandéens sont restés en Irak en se réfugiant dans la ville kurde d'Erbil, la plupart de ceux qui ont quitté leurs demeures ont choisi la voie de l'exil, notamment en Australie et en Suède, où ils ont aménagé leurs propres lieux de culte, mais aussi aux États-Unis, au Canada, en Angleterre, aux Pays-Bas, au Danemark et en Allemagne. Quelques prêtres mandéens sont établis en Europe.Selon Eissler, les mandéens qui résident en Australie proviennent principalement de l'Iran. En Allemagne, des sources internes évoquaient en 2013 le chiffre de 2.200 mandéens, avec les concentrations les plus importantes à Munich et à Nuremberg. Ils ont organisé une association (Gesamtverein der Mandäer - Deutschland). Parmi les mandéens résidant en Allemagne se trouve le professeur Sabih Al-Sohairy, qui avait soutenu une thèse sur la situation des mandéeens en Irak en 1975, a enseigné à l'Université de Bagdad et est l'un des rares universitaires mandéens à être spécialiste du mandéisme.
Cette communauté endogame (et monogame), à laquelle on appartient uniquement par la naissance, se trouve confrontée au défi de transmettre ses croyances et traditions à de nouvelles générations qui grandissent dans la diaspora. Si la communauté a certes une longue expérience de la survie comme minorité, cette nouvelle situation dans l'exil est porteuse à la fois de périls et de promesses. Dans son article de 2016 (cité plus haut), Arabestani rapporte ces propos inquiets d'un vieux mandéen iranien : « S'ils partent, ils se disperseront à travers le monde et notre tradition disparaîtra, comme un morceau de sucre dans une tasse de thé. » (p. 184)
Croyances et pratiques des mandéens
Ayant leur propre langue d'origine araméenne orientale et considérés généralement comme une ultime survivance de formes religieuses gnostiques de l'Antiquité (le mot manda signifie connaissance, gnose), les mandéens sont associés à la figure de Jean Baptiste. Ils accordent une grande importance à l'eau et à la pratique du baptême (maṣbuta), célébré par les prêtres lors des fêtes et chaque dimanche (les mandéens partagent le choix de ce jour avec les chrétiens, à la différence des juifs et des musulmans), ainsi qu'à d'autres pratiques mineures d'ablution (dont la simple triple immersion que peut accomplir tout mandéen à n'importe quel moment pour se purifier). Les rites de purification sont donc élaborés, et particulièrement exigeants pour les prêtres. Les lieux de culte sont construits au bord de rivières ou de fleuves.
Les cérémonies pour les défunts constituent une autre pratique importante : on comprendra pourquoi en lisant la suite de cet article.
Outre ces rituels baptismaux et rites de purification élaborés (particulièrement exigeants pour les prêtres), les mandéens se présentent comme une religion monothéiste, dont Adam aurait été le premier enseignant (prophète), suivi de Seth, de Sem et enfin de Jean Baptiste. Leurs traditions relatent qu'ils seraient venus de Jérusalem pour trouver refuge en Mésopotamie. Ils n'adressent pas de prière à des idoles ou images. Il leur est strictement interdit de prendre la vie d'autrui, ce qui en fait un groupe aux inclinations pacifistes.
Les croyances mandéennes sont marquées par une vision dualiste : au Royaume de la Lumière s'oppose un Royaume des Ténèbres, au bien le mal. Chacun de ces deux mondes est dominé par une puissance supérieure, avec un Principe originel au-dessus de tout (qui est notamment appelé « la Vie » ou « la Grande Vie »). Un prêtre mandéen explique :
« Les mandéens croient qu'il y a toujours un conflit ou une lutte entre le bien et le mal, et que le bien est représenté par la lumière (Nhora) et l'eau vivante qui coule (Maia Haii), tandis que le mal est représenté par les ténèbres (Hshokh) et l'eau morte et salée (Maia Tahmi). Les mandéens croient que les deux eaux sont mélangées en toutes choses sur la terre pour ateindre un équilibre. Ils croient à une vie future ou un ciel, que nous appelons les Mondes de la Lumière. »
Selon un scénario typiquement gnostique, le démiurge déchu a créé les corps des hommes, mais leurs âmes viennent du Royaume de la Lumière, auquel l'homme est ainsi relié également.
« Les mandéens dérivent du couple primitif Adam et Ève ; ils forment la ‘race de la Vie’ (šurbtā dhaiyê), car leurs âmes proviennent du Monde de la Lumière et doivent séjourner depuis lors dans le Monde des Ténèbres corporel et terrestre. La plus grande partie du texte traite alors du sauvetage de ces parties lumineuses [...]. » (Kurt Rudolph, « La religion mandéenne », in Henri-Charles Puech, Histoire des Religions [Encyclopédie de la Pléiade], vol. 2, Paris, Gallimard, 1972, pp. 498-522 [pp. 512-513])
« Ce net dualisme, opposant le corps et l'âme, auprès desquels l'esprit (rūhā) vient comme un troisième élément qui a besoin de la rédemption de l'âme, détermine le grand intérêt qu'on porte à la libération de l'âme. La mort est le ‘jour de la délivrance’ (yōm purqānā). L'âme, après s'être séparée du corps, a devant elle un chemin difficile à parcourir [...]. C'est pourquoi chaque âme doit pouvoir faire preuve de garaties adéquates, comme le baptême, le signe de la Vie et des bonnes œuvres qui tiennent ainsi lieu de passeport. » (Ibid., p. 514)
Plus que des réflexions théologiques, des rituels marquent la vie quotidienne des mandéens. Dans un document non daté intitulé Die Mandäer - Angehöriger des Täufers Johannes (document dont on trouvera l'intégralité à la fin de cet article), préparé par Qais Saidi, président de l'association allemande Gesamtverein der Mandäer - Deutschland, les pratiques contemporaines des mandéens sont brièvement présentées. Pour leurs prières et toutes leurs cérémonies, ils se tournent vers le Nord. Pendant 36 jours de jeûne répartis tout au long de l'année, les croyants ne mangent ni viande, ni poisson, ni œufs. Le mariage est tenu en haute estime : tout mandéen doit se marier, y compris les membres du clergé. Un baptême des deux époux fait partie de la célébration du mariage. Comme nous l'avonsa vu, le baptême (pour le pardon des péchés) est la plus importante cérémonie mandéenne et requiert la pureté corporelle et spirituelle. Il ne s'agit pas d'un baptême unique, mais répété. Des vêtements de cérémonie sont revêtus à cette occasion. Pratiqué dans l'eau courante et requérant la présence d'un prêtre, le baptême se fait par triple immersion.
« Le but principal et le sens du baptême sont, d'une part, que le catéchumène, par son immersion dans le ‘Jourdain’ [yardna], entre en étroit contact avec le Monde de Lumière et participe ainsi au salut et, d'autre part, obtienne la purification (intérieure et extérieure) de ses fautes et de ses péchés. » (Kurt Rudolph, art. cit., p. 506)
Comme les autres rituels mandéens, le baptême recrée et reconfirme le lien entre les deux mondes, entre les mandéens terrestres et leurs ancêtres venus d'en haut : il joue un rôle de réintégration (Jorunn Jacobsen Buckley, « Why Once Is Not Enough: Mandaean Baptism (Maṣbuta) as an Example of a Repeated Ritual », History of Religions, 29/1, août 1989, pp. 23-34 [p. 29]). Présidente du Synode mandéen d'Australie, Yassmen Yahya explique à un journaliste allemand :
« Avant de pouvoir pratiquer le rituel, nous devons avoir la permission du fleuve. Seulement alors les prêtres commencent la cérémonie, célébrée en langue araméenne. On se tient dans l'eau avec le prêtre, en lui tendant la main droite, et on promet d'accomplir dès maintenant des actes bons. Cela signifie par exemple aider des nécessiteux et ne pas causer de tort à d'autres êtres humains. Ensuite le prêtre plonge trois fois le baptisé dans l'eau. Sur la rive, les baptisés mangent un pain [pitha] cuit par le prêtre et boivent un mélange d'eau et de jus de raisin. » (Horst Blümel, « Die Mandäer. Das religiöse Erbe von Johannes dem Täufer », Deutschlandfunk, 24 novembre 2015)
Aspirations réformistes et perspectives
Dans un article de 2013, Charles G. Häberl (Rutgers University), spécialiste du mandéisme (en particulier de la langue mandéenne), expliquait que les mandéens dispersés à travers le monde commençaient à développer une nouvelle approche exégétique dans leurs langues vernaculaires, « un pas important en vue de la préservation de leur tradition religieuse ». Alors que le texe sacré le plus important, le Ginza Raba, n'existait qu'en langue liturgique (incompréhensible pour la majorité des mandéens) ou dans une traduction universitaire allemande, il a été traduit et publié en arabe en l'an 2000 (« Dissimulation or Assimilation? The Case of the Mandæans », Numen, vol. 60, 2013, pp. 586-615 [pp. 610-611]). Une traduction en anglais a été publiée en 2012 par les soins de la communauté mandéenne. D'autres textes sacrés mandéens suivront sans doute.
De même que d'autres communautés quittant leur territoire d'origine, les mandéens vont sans doute se trouver amenés à systématiser leur théologie, afin de pouvoir dialoguer adéquatement avec leurs interlocuteurs non mandéens dans des pays occidentaux et de pouvoir transmettre leurs croyances aux jeunes générations d'une façon adéquate par rapport à leur nouvel environnement. Mais ce sont aussi des adaptations rituelles qui peuvent être requises. Par exemple, comment pratiquer les rituels mandéens dans des rivières aujourd'hui ? Même en Iran, explique Arabestani, les jeunes mandéens font pression pour des modifications et, près de la ville d'Ahvaz, ils ont construit un bassin couvert dans lequel l'eau entre d'un côté et ressort dans la rivière de l'autre. En Suède, relate Arabestani, le climat n'étant guère favorable à des ablutions et rituels dans des rivières, une piscine a été installée dans un bâtiment, même si les fidèles divergent entre la légitimité d'utiliser l'eau courante ou le besoin de la faire venir d'une rivière (p. 185). Comme on le voit, ce n'est pas seulement dans la situation de diaspora que les mandéens se trouvent confrontés à de nouveaux défis : l'environnement moderne soulève également des questions en Irak et en Iran, où nombre de mandéens n'observent pas les interdits alimentaires de leur religion.
Avec la dispersion des mandéens, il sera de plus en plus difficile de maintenir l'obligation de n'épouser que des conjoints mandéens : comme d'autres communautés endogames, les mandéens vont sans doute connaître des tensions et divisions entre ceux qui admettront des adaptations (mariages mixtes et/ou conversions au mandéisme pour éviter de perdre les jeunes épousant un conjoint non mandéen) et ceux qui voudront s'en tenir aux règles traditionnelles (les prêtres mandéens en Iran ont déjà rappelé l'obligation de s'en tenir au mariage uniquement avec des mandéens).
Comme toute religion, le mandéisme n'est pas figé dans un statut immobile. Et à l'instar des autres religions, la question qui se pose aux mandéens est de savoir comment s'adapter à des changements rapides et à de nouvelles circonstances sans perdre leur tradition et sans compromettre l'essentiel. De jeunes prêtres et des fidèles mandéens penchent déjà pour une approche spiritualisée des rites, note Arabestani (pp. 190-191). Au cours, des siècles, d'ailleurs, les mandéens ont constamment fait preuve de capacités d'adaptation dans des environnements pas toujours bienveillants.
On voit s'affirmer des aspirations réformistes. Dans une allocution de 2004 (en anglais), un prêtre mandéen, Tarmida Yuhana Nashmi, explique qu'il n'est pas issu lui-même d'une lignée sacerdotale, mais qu'il y a aujourd'hui plusieurs prêtres mandéens qui ont accédé aux fonctions sacerdotales malgré l'absence de lignée. Son discours évoque plusieurs points sur lesquels les mandéens doivent s'interroger pour envisager des adaptations à de nouvelles réalités, et il appelle notamment à « un retour aux vraies pratiques mandéennes » :
« À travers l'histoire, les rites et pratiques mandéens ont été influencés par les pressions d'une vie sous domination arabe et musulmane, et par conséquent ces pratiques ont hérité de rites d'autres fois. Maintenant que les communautés mandéennes se trouvent éloignées de cet environnement, nous avons une occasion de réexaminer nos rites et enseignements afin de retourner au véritable aspect spirituel de la pratique. »
En effet, vivant toujours en tant que minorité, les mandéens, comme l'a noté Häberl, ont souvent présenté leur religion aux personnes extérieures en mettant l'accent sur les croyances partagées et les pratiques communes — une stratégie défensive pour la survie du groupe. L'approche de Tarmida Yuhana Nashmi et d'autres mandéens aujourd'hui ouvre un espace permettant de légitimer des adaptations. Si la dispersion de la majorité des mandéens à travers le monde représente en effet le risque d'une dissolution du mandéisme, la possibilité de pratiquer leur religion dans des environnements où leur liberté religieuse est assurée ainsi que la nécessité d'adaptations engendrent aussi une réflexion sur la nature du mandéisme — au-delà d'une identité devenue quasiment « ethnique » — et ouvrent peut-être de nouvelles perspectives pour la pérennité de cette religion.
À titre documentaire, nous insérons ci-dessous le document préparé par un responsable des mandéens allemands pour présenter les croyances et activités de cette communauté.
Il existe plusieurs associations mandéennes et sites mandéens dans la diaspora (certains de ces sites n’ont pas fait l’objet de mises à jour récentes, cependant, et certaines associations mandéennes n’ont pas encore de présence sur Internet) :
- Mandaean Association Union – www.mandaeanunion.org
- Mandaean Synod of Australia – www.mandaeansynod.org.au
- The Mandaean Association (U.K.) – www.mandaean.org.uk
- Society for Mandaean Charity in Scandinavia – www.mandaean.dk
- Mandaean Association of Californnia – www.mandaeanca.com
- Mandaean Network – The Eyes Encyclopedia Of The Knowledge – www.mandaeannetwork.com
- Mandaean Ziva – www.mandaeanziva.org
Présentation de la traduction anglaise du Ginza Raba :
https://www.youtube.com/watch?v=IOXWHyvSm8U