La diversité des quêtes spirituelles depuis les années 1960, avec l'arrivée de nombreux mouvements d'origine non chrétienne dans le paysage religieux occidental contemporain, a attiré l'attention de chercheurs universitaires et d'autres observateurs du champ religieux. À la fois pour éviter l'étiquette péjorative de « sectes » dans le débat public et pour essayer de rendre compte de nouveaux types de groupes religieux, l'expression de « nouveaux mouvements religieux » (NMR) s'est progressivement imposée dans les publications de chercheurs consacrées à ces groupes, même si elle reste le plus souvent sommairement définie et si elle est loin d'être entièrement satisfaisante, comme nous avons eu l'occasion de le faire remarquer plus d'une fois. Elle paraît adaptée pour décrire un contexte de créativité religieuse, mais est problématique dans la longue durée. Cependant, nombre d'auteurs l'appliquent également à des mouvements plus anciens, apparus dès le XIXe siècle, y compris des mouvements issus de la tradition chrétienne, désignés comme « sectes chrétiennes » également dans les publications universitaires jusque dans les années 1970. (Certains chercheurs, notamment anglophones, parlent indistinctement de « nouveaux mouvements religieux » et de « nouvelles religions », mais nous avons expliqué ailleurs pourquoi il nous semble préférable de réserver cette seconde expression à des phénomènes spécifiques liés à la naissance de traditions religieuses « indépendantes ».)
Il s'agit donc d'un champ d'une grande diversité, incluant des mouvements très variés et qui n'ont souvent en commun que le contexte temporel de leur émergence, mouvements issus de différentes traditions tout en puisant parfois à plusieurs d'entre elles : une mise en perspective adéquate exige également de pouvoir éclaircir la relation qu'ils entretiennent avec ces traditions, ce qu'ils en reprennent et sur quels points ils innovent. Face à cette variété (et à un éclatement des croyances et pratiques), il sera de plus en plus illusoire pour un chercheur seul d'avoir une vue d'ensemble, même si certains « vétérans » de ce terrain sont parvenus à cultiver des connaissances véritablement encyclopédiques, à l'instar de J. Gordon Melton (né en 1942), auteur de nombreux travaux et d'une monumentale Encyclopedia of American Religions, dont la 9e édition est parue à la fin de l'année 2016 et couvre plus de 2.300 groupes.
Melton a une formation d'historien, mais ce sont souvent des chercheurs d'autres disciplines — notamment des sociologues — qui ont étudié les NMR. Participant aux activités scientifiques des associations universitaires spécialisées dans la recherche sociologique ou dans l'étude des religions, les chercheurs menant des recherches sur des NMR ont d'abord présenté dans ces congrès les fruits de leurs observations et continuent de le faire. Mais des colloques spécialisés furent aussi organisés dès les années 1970, dans le cadre d'initiatives partant de la spirituellement prolifique Californie : parmi les premiers, un Symposium on New Religions à l'Université d'Åbo (Finlande) du 1er au 3 septembre 1974, aux perspectives larges, dont les actes furent imprimés l'année sous la suivante, sous la direction de Haralds Biezais (New Religions, Almqvist & Wiksell, 1975); un colloque qui se tint à l'Université de Hawaii en septembre 1974, New Religious Consciousness in Changing Society, déboucha sur un livre dirigé par Charles Y. Glock et Robert N. Bellah, The New Religious Consciousness (University of California Press, 1976) ; une National Conference on the Study of New Religious Movements in America se réunit à Berkeley en juin 1977, pour inaugurer le Program for the Study of New Religious Movements in America à la Graduate Theological Union (puis Center for the Study of New Religious Movements de 1980 à sa fermeture en 1983), qui eut pour fruit un volume dirigé par Jacob Needleman et George Baker, Understanding the New Religions (Seabury Press, 1981).
Par la suite, depuis la fin des années 1980, des colloques réguliers eurent lieu et continuent de se tenir chaque année sous l'égide du CESNUR (Centre d'études sur les nouvelles religions), sous la forme de réunions d'abord de taille modeste, puis attirant plus de participants. Plus récemment, en collaboration avec la Faculté d'étude des religions et de l'humanisme d'Anvers, le CESNUR, dirigé par l'actif et érudit chercheur italien Massimo Introvigne, a commencé d'organiser des colloques spécialisés consacrés au partage de recherches sur un seul mouvement : le prochain de ces colloques, en mai 2016, sera consacré à la postérité de Sun Myung Moon et de l'Église de l'unification. (En 2008, Massimo Introvigne a publié un article rétrospectif sur les vingt premières années d'activité du CESNUR.)
Des séminaires publics d'une journée sont aussi organisés périodiquement à Londres par Inform, structure d'information indépendante sur les mouvements religieux lancée en 1988 à l'initiative d'Eileen Barker, aujourd'hui professeur émérite de la London School of Economics (LSE).
L'International Cultic Studies Association (ICSA) organise également des colloques annuel qui accueillent certains chercheurs (le prochain aura lieu en Bordeaux au début de l'été 2017), mais il ne s'agit pas de colloques universitaires au sens habituel, car l'ICSA a pour but premier l'aide à des personnes ou proches éprouvant des problèmes par suite de l'adhésion à des groupes, ou des personnes préoccupées par les questions de manipulation psychologique et d'abus. Une attention particulière est donc accordée aux dimensions psychologiques.
Trois principales revues généralistes, toutes en langue anglaise
À l'heure où les revues spécialisées se multiplient sur les sujets les plus variés, en raison de la diminution des coûts de production par suite du développement de technologies modernes et par suite de l'explosion des thèmes de recherche dans les domaines les plus variés, il n'est pas étonnant que plusieurs périodiques consacrés aux NMR et à des phénomènes connexes aient vu le jour. Certains n'ont eu qu'une existence passagère, par exemple Syzygy: Journal of Alternative Religion and Culture (publié de 1992 à 1997, dont on trouve encore en ligne l'index des articles). Nous considérerons ici uniquement les revues paraissant dans des langues courantes de l'Europe occidentale : pour d'évidentes raisons linguistiques, nous n'avons pas accès à des revues qui seraient publiées en coréen ou en japonais, par exemple.
La plus ancienne revue universitaire consacrée aux NMR fête cette année ses vingt ans, à raison de quatre numéros publiés par an, ce qui en fait une précieuse collection pour qui travaille sur ces sujets. Il s'agit de Nova Religio : The Journal of Alternative and Emergent Religions. Le premier numéro de ce trimestriel aujourd'hui publié par University of California Press était paru en octobre 1997, « en réponse au nombre croissant de chercheurs à travers le monde aujourd'hui actifs dans l'étude des alternative religious communities and movements, mais qui ne disposent d'aucune publication établie destinée exclusivement à ce champ de recherche ». Par la suite, une Association for the Academic Study of New Religions a été fondée pour soutenir Nova Religio et des initiatives liées à cette revue.
Nombre de chercheurs connus dans ce domaine ont eu l'occasion de publier des articles dans Nova Religio. D'emblée, renonçant à choisir une définition close de termes tels que « nouveaux » ou « émergents », la revue se déclarait ouverte à des thèmes allant de mouvements religieux chrétiens non conformistes aux groupes orientaux ou aux nouveaux courants de l'islam, de l'ésotérisme aux nouveaux groupes religieux africains et aux apparitions mariales. Et Nova Religio a effectivement ouvert ses pages à un tel éventail de sujets au cours de ses vingt années d'existence. La consultation des tables des matières permet vite de prendre conscience de la variété et de l'originalité des sujets. Ainsi, dans le dernier numéro (novembre 2016), on trouve des articles sur la Scientologie et le sexe, sur l'analogie de la construction de l'autorité religieuse à l'aide de la science chez Maurice Bucaille (La Bible, le Coran et la science) et Claude Vorilhon (plus connu sous le nom de Raël), sur le reconstructionnisme cananéen chez les néo-païens israéliens et sur des perspectives pour repenser les nouveaux mouvements religieux au-delà d'un paradigme de problèmes sociaux. Des numéros thématiques ont été publiés sur des sujets variés : le plus récent, en mai 2016, était consacré aux NMR et aux arts visuels.
L'autre revue imprimée consacrée aux NMR a sa base en Europe (et est publiée par Equinox au Royaume-Uni). Paraissant deux fois par an depuis 2010, l'International Journal for the Study of New Religions est une initiative de l'International Society for the Study of New Religions (ISSNR), fondée en 2009 principalement à l'initiative de chercheurs scandinaves. Ceux-ci étaient engagés dans l'initiative de coopération FINYAR (Association pour l'information et la recherche sur les nouveaux mouvements religieux et les spiritualités alternatives), fondée en 1997, qui organise des colloques régionaux réguliers et publie depuis 2009 la revue annuelle Aura : Tidskrift för akademiska studier av nyreligiositet en suédois, norvégien et danois. Ces chercheurs ont souhaité étendre ces efforts, également avec le souci d'élargir la circulation de l'information au-delà du cadre américano-européen. Dans la pratique, les assemblées générales de l'ISSNR se tiennent à l'occasion des colloques internationaux du CESNUR.
Une troisième revue existe uniquement en ligne, également sous forme de volumes, avec des articles au format PDF se présentant exactement comme la version électronique de revues imprimées. Paraissant depuis 2010, elle s'intitule Alternative Spirituality and Religion Review et est dirigée par James R. Lewis (Université de Tromsø, Norvège). Elle est diffusée par le Philosophy and Documentation Center. Notons que les membres de l'ISSNR bénéficient d'un abonnement à moitié prix. Le dernier numéro (7/2, 2016), placé sous la responsabilité du chercheur australien Bernard Doherty, porte sur un thème original : les nouveaux mouvements religieux catholiques. On y trouve notamment des articles sur le mouvement d'origine brésilienne Tradition, Famille, Propriété (TFP), sur la Mission de l'Esprit-Saint au Québec, sur William Kamm et l'Ordre de Saint Charbel en Australie.
D'autres ressources périodiques
Outre ces trois revues généralistes, il existe aussi des périodiques spécialisés dans un secteur du champ des NMR. Ainsi, dans le domaine académiquement florissant du néo-paganisme (souvent abordé par des chercheurs adhérant eux-mêmes à ces courants), la revue The Pomegranate : The International Journal of Pagan Studies (publiée par Equinox), qui paraît depuis 1997, joue un rôle important. À l'origine, c'était un magazine de réflexion païenne, qui s'est transformé en revue académique à partir de 1999.
Un autre exemple est le Journal of Alternative Spiritualities and New Age Studies, une revue annuelle publiée irrégulièrement depuis 2005 (le plus récent numéro paru est le volume 5 pour les années 2009-2011, mais les volumes 6 et 7 sont en préparation). Cette revue est issue d'un groupe de discussion privé de chercheurs sur le New Age fondé en 2002, ScholarsOfNewAge (SONA).
Nous laissons de côté les revues universitaires sur l'ésotérisme, comme Aries : Journal for the Study of Western Esotericism (Brill), même si cette revue contient aussi des articles pertinents pour les chercheurs travaillant sur les NMR — mais nous entrons ici sur un autre terrain, bien que voisin à plusieurs égards. Ce champ de recherche se structure d'ailleurs autour de ses propres associations, ateliers de recherche et colloques, par exemple la European Society for the Study of Western Esotericism (ESSWE), fondée en 2005.
Un panorama complet ne saurait omettre de mentionner aussi l'existence de publications inspirées par des préoccupations théologiques, mais fournissant une information de qualité à côté de la démarche apologétique plus ou moins fortement affirmée dans les articles. Sans essayer de dresser un inventaire complet des publications de ce type, mentionnons un mensuel en langue allemande qui s'impose par la richesse de son information et sa durée exceptionnelle : le Materialdienst der Evangelischen Zentralstelle für Weltanschauungsfragen (EZW). Ce mensuel protestant entame sa 80e année de publication en 2017. Comme son titre l'indique, il n'y est pas seulement question de NMR et de sectes chrétiennes, même si des articles relatifs à ces thèmes trouvent place dans chaque numéro. L'islam ou des visions du monde mettant le christianisme au défi sont également traités. Même si l'approche théologique est assumée dans cette publication de l'Église protestante, les auteurs sont compétents et documentés. Outre le mensuel, des dossiers sont publiés plusieurs fois par an. Parmi les plus récents, l'un porte sur l'ésotérisme dans l'Église et un autre sur l'approche de Dieu dans le mormonisme.
Dans la même ligne, mais à une échelle de production bien plus modeste que les 40 pages mensuelles de Materialdienst, on peut citer la série de cahiers Weltanschauungen - Texte zur religiösen Vielfalt, publiés par le Referat für Weltanschauungsfragen de l'Église catholique en Autriche. Plus de cent numéros sont parus à ce jour. Chaque cahier est thématique. Les sujets les plus récents ont été la spiritualité, les théories du complot et les mouvements chrétiens de réveil (de l'anabaptisme au christianisme charismatique). En Suisse, le petit bulletin Informationsblatt (Evangelische Informationsstelle Kirchen - Sekten - Religionen) paraît sur 12 pages quatre fois par an et contient souvent des informations intéressantes sur différents mouvements.
Dans un tout autre genre, citons aussi une initiative originale et persévérante en langue française : le bulletin Mouvements religieux, publié depuis 1980 par l'Association d'étude et d'information sur les mouvements religieux (AEIMR. B.P. 70733, 57207 Sarreguemines, France). De présentation simple, ce bulletin a pour infatigable rédacteur l'historien Bernard Blandre. Il ne s'agit pas d'un périodique de type universitaire, même si certains articles représentent le fruit de recherches de type classique, notamment des analyses de documents par Bernard Blandre et d'autres auteurs occasionnels. Mouvements religieux résume par ailleurs les informations glanées dans des articles de presse. Un apport précieux pour les observateurs du champ religieux français est le dépouillement systématique et régulier des déclarations d'associations à connotation religieuse ou spirituelle dans le Journal officiel de la République française. Les listes ainsi établies sont publiées dans des suppléments.
Enfin, n'ignorons pas les informations fournies par des périodiques d'associations critiques envers les NMR, périodiques dont la qualité est certes variable. En langue anglaise, l'ICSA (déjà mentionnée dans la première partie de cet article) publie depuis 2010, à côté de son magasine triannuel ICSA Today, une revue intitulée International Journal of Cultic Studies, qui propose des articles de chercheurs et affiche un comité de rédaction largement composé de professeurs d'université, marquant ainsi clairement l'aspiration de cette revue annuelle.
Il n'existe pas d'équivalent francophone, à notre connaissance, parmi les associations se donnant pour mission la vigilance face à ce que le discours public qualifie aujourd'hui de « dérives sectaires ». Cependant, à côté d'autres périodiques du même type, c'est en particulier – en langue française — le bulletin BulleS (Bulletin de liaison pour l'étude des sectes), publié trimestriellement par l'Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu victimes de sectes (UNADFI), qui permet de s'informer sur ces controverses et leurs nouveaux accents, et parfois d'apprendre l'existence de petits cercles ou mouvements peu connus dans le foisonnement actuel, mais qui ont retenu l'attention de ces associations dont l'approche est explicitement critique. Le ton et le propos de ces publications sont très différents de ceux de revues universitaires, mais elles nous rendent attentives à des regards que la recherche ne peut négliger pour analyser les discours et débats autour des NMR.
Le développement d'un champ de recherche
Aujourd'hui, les revues se multiplient dans chaque domaine et sous-domaine. Nul ne peut s'abonner à tout : les tirages des versions imprimées de Nova Religio ou de l'International Journal for the Study of New Religions restent donc modestes, mais le nombre d'exemplaires d'une revue ne revêt plus la même signification, à l'heure où les articles se trouvent largement partagés en PDF, sur des sites académiques (Academia, Research Gate...) et sur des bases de données accessibles depuis des bibliothèques universitaires.
En outre, comme nous le faisions remarquer dans un court article publié il y a une quinzaine d'années et accessible en ligne (« L'étude des nouveaux mouvements religieux doit-elle devenir une discipline autonome? », 2001), si la constitution de réseaux spécialisés de chercheurs avec leurs publications spécifiques est bienvenue, il n'y aurait pas de sens à transformer l'étude des NMR en une discipline spécifique : elle doit développer son identité tout en restant intégrée dans la sphère plus large des recherches menées — avec différents outils disciplinaires — sur les religions dans le monde contemporain. À côté de revues consacrées aux NMR, les chercheurs travaillant sur ces sujets continuent de publier dans des périodiques universitaires consacrées à l'étude des religions en général, ou à un domaine ou une aire géographique en particulier. Le lecteur des Archives de Sciences sociales des Religions ou du Journal of Contemporary Religion y trouvera des articles sur les NMR ; de même, un chercheur intéressé par les nouvelles religions du Japon découvrira régulièrement des articles à ce sujet dans le Japanese Journal of Religious Studies ou dans Japanese Religions. Les revues sur les NMR sont loin d'être l'unique cadre de publication sur ces sujets, et c'est bien ainsi
Cependant, les revues spécialisées témoignent du développement notable de ce champ de recherche, tant en quantité qu'en qualité, ainsi que de sa variété. L'une des conséquences positives des interrogations académiques et sociales autour de nouveaux groupes religieux, en lien avec l'évolution du paysage religieux dans les années 1970, a été la possibilité, pour les chercheurs intéressés par les expressions religieuses minoritaires, de se retrouver dans un champ partagé avec une communauté académique cultivant les mêmes curiosités, au lieu de rester isolés. Outre les colloques, les revues spécialisées auxquelles cet article a prêté attention représentent l'une des manifestations les plus tangibles de cette réalité.
Jean-François Mayer
Modification mineure le 4 janvier 2017 à 19h25. Ajout d’une référence le 5 janvier 2017 à 11h25.
L’auteur remercie (dans l’ordre alphabétique) William Ashcraft, Eileen Barker, Connie Jones, Mikael Rothstein et Ben Zeller pour leur aide afin de déterminer quelles furent les premiers colloques académiques exclusivement consacrés aux nouveaux mouvements religieux.