Être païen en Israël revient à cultiver une contre-identité, tandis qu'une orientation New Age peut plus aisément être harmonisée avec l'identité juive, par l'intégration de références juives à côté du discours global. Comme le faisait remarquer une païenne israélienne lors d'un rassemblement en 2012, être païenne d'origine juive et ainsi affirmer une identité religieuse non juive n'a pas de place dans le discours religieux de la société israélienne. Il n'est cependant pas étonnant que le champ des nouvelles religiosités en Israël, poreux par rapport aux offres du marché spirituel occidental, accueille également des adeptes de voies païennes, même si le phénomène est relativement récent. Auteur de plusieurs articles à ce sujet, Shai Feraro (Université de Tel Aviv) prépare ce qui devrait être le premier livre sur le paganisme contemporain en Israël. Jusqu'à la fin des années 1990, il n'y avait qu'une poignée de (néo-)païens en Israël, sans contacts les uns avec les autres. Comme ailleurs, le développement d'Internet a ouvert une nouvelle étape, avec le groupe de discussion Israwicca dès 1999, suivi par un forum, puis par un groupe Facebook. En 2014, il existait une communauté païenne israélienne de 150 à 200 personnes en communication les unes avec les autres et d'occasionnels rassemblements, précise Feraro.
Alors que nombre de païens se réfèrent volontiers à un passé local ou ethnique de type celtique, nordique, baltique, etc. (s'ils n'embrassent pas une référence de type plus générique à la Wicca), cette voie est moins praticable pour des juifs israéliens. L'établissement des juifs sur la « Terre promise » fut lié à l'extermination des Cananéens païens, célébrée aujourd'hui encore dans la formation scolaire israélienne comme « un triomphe du monothéisme juif sur l'idolâtrie, la sorcellerie et le paganisme ». Il y eut bien des tentatives de références culturelles à l'héritage cananéen de la part de juifs non religieux avant la naissance de l'État d'Israël, dans le sens d'une identité israélite rompant avec la religion juive et le poids de son histoire, mais cette approche (marginale) fut considérée comme inconciliable avec celle du sionisme. Cependant, certains néo-païens israéliens en sont quand même arrivés à vouloir renouer individuellement avec le passé cananéen, malgré le caractère disparate des données disponibles pour réimaginer un paganisme cananéen. Feraro y a consacré son plus récent article, joliment intitulé « Le retour de Baal en Terre sainte ». Des divinités cananéennes (et également mésopotamiennes) commencent à trouver leur place lors des célébrations rassemblant les différents membres de la communauté païenne israélienne. Les néo-païens israéliens cananéens se relient ainsi aux dieux « qui ont résidé ici depuis des temps immémoriaux » : Baal, Asherah, Anat, mettant ainsi l'accent sur la géographie sacrée, mais en rappelant (comme la Bible le rapporte) que des Israélites des temps anciens se tournaient parfois eux aussi vers ces dieux. Notant la présence de plus en plus importante de ces dieux et déesses lors des célébrations païennes en Israël, Feraro estime qu'on pourrait assister ces prochaines années à la naissance de groupes païens structurés autour des références cananéennes. (JFM)
Les informations ci-dessus se fondent entièrement sur deux articles de Shai Feraro, qui méritent d’être lus intégralement pour une bonne introduction à la situation du néo-paganisme dans le paysage religieux israélien contemporain :
- « Modern Paganism in the Holy Land : Maintaining a Community-Building Discourse among Israeli Pagans, 2011-2013 », International Journal for the Study of New Religions, 5/1, mai 2014, pp. 3-26.
- « The Return of Baal to the Holy Land : Canaanite Reconstructionism among Contemporary Israeli Pagans », Nova Religio : The Journal of Alternative and Emergent Religions, 20/2, novembre 2016, pp. 59-81.
Shai Feraro a également codirigé avec James R. Lewis un ouvrage collectif qui vient tout juste de paraître et mérite de retenir l’attention de toutes les personnes intéressées par l’étude des quêtes spirituelles contemporaines et des nouveaux mouvements religieux : Contemporary Alternative Spiritualities in Israel, New York, Palgrave Macmillan, 2017, XVIII+250 p.
L’un des quatorze chapitre de ce livre porte sur un aspect du néo-paganisme israélien : Orly Salinas Mizrahi, « Ritual Adaptations and Celebrations of the Mabon Sabbat (Autumn Equinox) by Israeli Neopagans » (pp. 199-219). L’article évoque également la progression de l’intérêt pour la référence cananéenne.