La première édition d'Orthodoxia était parue en 1982, à l'initiative de l'Ostkirchliches Institut (Regensburg), avec le P. Nikolaus Wyrwoll (un prêtre catholique romain allemand, aujourd'hui installé à Istanbul) comme cheville ouvrière. La nouvelle édition, Orthodoxia 2016-2017, est publiée par l'Institut d'Études Œcuméniques de la Faculté de théologie (catholique romaine) de l'Université de Fribourg: notamment à l'initiative de la Prof. Barbara Hallensleben, membre (entre autres) de la Commission internationale de dialogue orthodoxe-catholique, un fort accent a été placé depuis des années par l'Institut sur les questions relatives à l'Église orthodoxe.
C'est une situation peu commune: depuis plus de quarante ans, le seul répertoire mondial des évêques orthodoxes est publié non par une Église orthodoxe ou une association orthodoxe, mais par des personnes et instituts appartenant à l'Église catholique romaine. Un tel cas est sans doute unique en son genre pour une grande confession chrétienne: il est l'illustration des difficultés d'organisation de cette confession à l'échelle panorthodoxe, difficultés dont témoigne également l'absence de certaines Églises — y compris la plus importante, celle de Russie — au concile qui s'achève en Crète. Si des éditeurs catholiques romains n'en assumaient pas la responsabilité, un tel répertoire n'existerait probablement pas.
Sa présentation extérieure ressemble d'ailleurs à un clin d'œil: jusqu'en 2006, Orthodoxia se présentait sous la forme d'un volume broché à la couverture violette. Depuis 2007, c'est un volume relié, avec une couverture rouge, qui évoque irrésistiblement l'Annuaire pontifical publié à Rome. Cette parenté dans la présentation est voulue, ainsi que l'explique Barbara Hallensleben dans sa préface:
«Par son format et sa couleur, le livre correspond à l'Annuario Pontificio, le répertoire mondial des Églises et institutions catholiques, pour nous rappeler que les Églises orthodoxes sont des Églises sœurs des Églises catholiques.»
À la différence de l'Annuaire pontifical, le répertoire Orthodoxia offre uniquement la liste des évêques orthodoxes. Mais cela représente déjà une masse considérable d'informations, et un patient labeur documentaire dont les auteurs méritent d'être remerciés et félicités. Le répertoire ne se borne pas à indiquer les fonctions occupées par chaque évêque, son siège épiscopal et son adresse: c'est un véritable résumé de sa biographie ecclésiastique que propose aussi chaque notice, de la date de naissance aux ordinations en passant par les titres académiques, comme on peut le voir sur la page témoin qui accompagne le présent article, extraite de la section sur le Patriarcat de Roumanie. Quiconque a eu la tâche de réaliser un travail de cette nature, même bien plus modeste, mesure le travail considérable qu'implique non seulement l'établissement, mais aussi la mise à jour régulière.
Pour les personnes qui ne souhaitent pas acheter ce volume, mais désirent accéder occasionnellement à ces informations, signalons que les responsables d'Orthodoxia, conscients du rôle central d'Internet, ont pris l'initiative bienvenue de rendre tout le contenu accessible en ligne. Il peut être consulté à l'adresse: www.orthodoxia.ch. Le système de consultation est efficace et rapide. Cela permettra également des mises à jour régulières, au fur et à mesure que des changements interviendront dans le parcours des évêques. Ddans un répertoire de ce genre, un certain nombre d'erreurs sont inévitables: l'existence d'une version en ligne permettra aussi une correction continue.
Une suggestion aux éditeurs: grâce à cette base de données en ligne, il serait aisé de produire des statistiques épiscopales pour chaque Église orthodoxe. En effet, curieusement, de telles données ne sont accessibles en ligne que de façon fragmentaire, sur les sites de certaines Églises. Ce serait un utile complément si le site pouvait indiquer, pour chaque Église orthodoxe, le nombre d'évêques (éventuellement avec un sous-total pour les évêques en fonction et un autre pour les évêques retraités). Souhaitons que ces informations soient prochainement ajoutées au site.
Le répertoire ne couvre pas seulement les Églises orthodoxes de tradition byzantine, même si elles forment le plus gros du contenu. Il correspond plutôt à la catégorie générale des «Églises orientales» (mais sans les groupes uniates). En effet, à côté des Églises de tradition byzantine, le répertoire contient également la liste des évêques des Églises préchalcédoniennes (arménienne, copte, éthiopienne, érythréenne, syriaque — y compris les deux branches malankares au Kerala, l'une indépendante, l'autre dans la juridiction de l'Église syrienne d'Antioche) et des deux Églises assyriennes (autrefois souvent dénommées «nestoriennes»). Comme on le sait, pour des raisons historiques et théologiques, ces Églises ne sont pas en communion avec les Églises byzantines.
Depuis qu'il existe, le répertoire Orthodoxia s'est trouvé confronté à la délicate question du traitement des Églises non reconnues par les autres Églises orthodoxes ainsi que des groupes jugés «non canoniques», même si la notice introductive précise que le manuel n'est pas un répertoire ecclésiologique et ne se prononce pas sur la canonicité des évêques qui y figurent.
- Pour ceux des episcopi vagantes (groupes indépendants à structure épiscopale, dont les évêques insistent sur la «validité» de leur consécration, à défaut de sa licéité) qui se réclament d'une étiquette orthodoxe, mais sans être en communion avec une Église orthodoxe, la question est facilement réglée: la version en ligne du répertoire souligne d'ailleurs que l'une de ses raisons d'être est de permettre de distinguer qui est vraiment évêque orthodoxe canonique et qui ne l'est pas.
- Pour les groupes orthodoxes issus du milieu orthodoxe et constitués sous une forme de protestation qui se veut conservatrice ou traditionaliste (par exemple les groupes de «vieux-calendaristes» grecs ou roumains, avec leurs missions dans le monde, ou les de «vrais orthodoxes» de Russie et d'ailleurs, notamment ceux qui se sont séparés de l'Église orthodoxe russe hors-frontières à la suite de sa réconciliation avec le Patriarcat de Moscou), ils sont également absents du répertoire, puisqu'ils ne sont pas en communion avec les Églises orthodoxes «officielles».
- Potentiellement plus délicate est la question de l'Église orthodoxe macédonienne, séparée du Patriarcat serbe depuis 1967, qui rassemble une très forte majorité de la population macédonienne (même si une communauté unie au Patriarche serbe s'est constituée dans les années 2000, dont les évêques figurent dans la liste des hiérarques serbes — mais seule une petit minorité de la population macédonienne les suit). Tenant compte sans doute de la réalité sociologique de l'Église macédonienne, et du caractère particulier de cet état de schisme, elle a son chapitre dans le répertoire. Il est vrai qu'une réconciliation avec l'Église serbe, sous une forme ou une autre, transformerait aussitôt le statut de ces évêques. Mais si ce volume était produit par des éditeurs orthodoxes, l'Église macédonienne en serait probablement absente.
- Encore plus délicate et sujette à de virulents débats, la situation de l'Ukraine: à côté de l'Église autonome en communion avec le Patriarcat de Moscou, il y existe un groupe (numériquement important) qui s'intitule "Patriarcat de Kyiv" et une Eglise orthodoxe ukrainienne autocéphale, notamment liée à des courants de la diaspora ukrainienne. les évêques ukrainiens du Patriarcat de Moscou figurent logiquement dans une section de la partie contenant la liste des évêques dudit Patriarcat, au même titre que les évêques de Biélorussie. Quant aux évêques des deux Églises se disant autocéphales, ils figurent en fin de volume dans une section simplement intitulée «Ukraine», avec cette précision un peu rapide, mais reflétant sans doute l'inconfort des rédacteur face à cette situation complexe: «Plus d'évêques ci-dessous, qui changent souvent de juridiction et de titre.» Suivent les notices de 62 évêques... Les évêques ukrainiens à l'étranger dépendant du Patriarcat de Constantinople sont, quant à eux, bien entendu intégrés dans la section consacrée à celui-ci.
- Enfin, l'Église des vieux-croyants russes «avec prêtres» (popovtsy) a également sa place dans le répertoire, avec une liste de 18 noms.
On ne lit pas un répertoire: on le consulte pour y trouver des informations sur certaines personnes. Mais le feuilleter peut stimuler la réflexion de l'observateur des Églises orthodoxes et du champ religieux contemporain en général.
D'une part, il permet de constater comment ces Églises s'organisent également pour le service pastoral de leur «diaspora» nationale: ainsi, l'Église de Géorgie a maintenant quatre évêques responsables de diocèses à l'étranger, dont trois en Europe. S'il s'agit d'un développement naturel, accompagnant les mouvements de population, il contrecarre aussi les aspirations et efforts de ceux qui souhaiteraient voir, en dehors des zones traditionnellement orthodoxes, l'émergence d'une Église locale, plutôt qu'une superposition de juridictions liées à de multiples origines nationales. Cela rend d'autant plus urgentes les tentatives d'organiser la présence orthodoxe dans ces pays d'une façon qui évite ce qui ressemble aujourd'hui à un désordre, sans parler des questions ecclésiologiques soulevées par cette situation.
D'autre part, le répertoire fait découvrir, au détour de certaines pages, la réalité de l'activité missionnaire orthodoxe dans certaines régions du monde, un aspect souvent ignoré. Cela est particulièrement frappant dans la section du Patriarcat d'Alexandrie: plus de vingt évêques en Afrique subsaharienne (évêques d'origine ethnique grecque, mais on peut s'attendre à voir se multiplier bientôt aussi des prélats venant des pays africains). Une comparaison entre éditions successives d'Orthodoxia pourrait sans doute déboucher sur des observations intéressantes en relation avec l'évolution de la carte mondiale de l'Orthodoxie, par suite de migrations et d'activités missionnaires.
D'autres remarques pourraient être faites à partir de la consultation de ce répertoire. Mais le propos de ces lignes était avant tout d'attirer l'attention du public intéressé sur l'existence et l'évolution d'un précieux outil de référence.
Jean-François Mayer
Orthodoxia 2016-2017, Münster, Aschendorff Verlag, 2016, 404 p. (prix: 20€ + frais de port, commande possible par la page www.orthodoxia.ch).