Les groupes religieux n'accordent pas tous la même importance aux statistiques. Certains sont beaucoup plus minutieux que d'autres: ainsi les Témoins de Jéhovah tiennent des comptes précis du nombre de membres, des participants aux réunions, etc. Dans d'autres cas, les statistiques méritent analyse pour distinguer entre membres actifs et ceux qui ont pris leurs distances par rapport au mouvement: en 2011, Religioscope avait publié une étude de Carter Charles, Des mormons et des chiffres, qui analysait les statistiques de l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours sous l'angle des conversions. Parfois, les statistiques officielles d'un mouvement et les données issues du recensement (dans les pays où est posée la question de l'appartenance religieuse) présentent des écarts. Tout mouvement religieux est satisfait de pouvoir faire état d'une croissance du nombre de fidèles: cela crée un sentiment motivant pour soutenir l'action missionnaire.
Cependant, il arrive que le nombre de membres d'un mouvement soit surévalué: soit parce qu'un groupe ne veut pas admettre un déclin, soit parce que les données statistiques n'ont pas été recueillies de façon systématique et précise. Apparemment, c'est à cette situation que s'est trouvée confrontée l'Église néo-apostolique, qui a publié le 22 octobre 2015 une évaluation du nombre de ses membres révisée à la baisse, en précisant que «ce nombre diminué ne renvoie pas à une baisse du nombre des membres, mais à la correction de valeurs autrefois visiblement trop élevées» («Neuf millions de membres dans environ 190 pays», NAC Today, 22 octobre 2015).
En l'an 2000, Helmut Obst, historien et théologien protestant, et grand connaisseur du mouvement néo-apostolique, évoquait la rapide croissance de celui-ci: doublement des effectifs entre 1988 et 1998, pour atteindre 10 millions de membres, dont plus de la moitié en Afrique, avec une croissance notable également en Asie (notamment en Inde) et dans l'Europe de l'Est postcommuniste — tandis que la tendance en Europe occidentale était à la stagnation ou au recul (Helmut Obst, Apostel un Propheten der Neuzeit, 4e éd., Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2000, p. 56). En 2006, un article de Religioscope sur des réorientations doctrinales de l'Église néo-apostolique citait des chiffres officiels néo-apostoliques revendiquant 10,8 millions de fidèles, dont 8,3 millions en Afrique et 1,4 en Europe.
Face à une croissance pareille, la question de la réalité des chiffres se posait inévitablement. Quelques corrections étaient déjà intervenues. En 2010, l'Église néo-apostolique déclarait compter 10,5 millions de membres, soit 400 000 de moins que l'année précédente, bien que 270 000 nouveaux membres aient été accueillis en 2009. La direction de l'Église expliquait que de nombreux décès n'avaient pas été pris en compte, surtout en Afrique. Elle disait alors compter 8,2 millions de membres en Afrique, 366 000 en Amérique, 1,4 million en Asie, 472 000 membres en Europe et 108 000 en Océanie (Australie comprise).
En 2011, des responsables de l'Église néo-apostolique reconnaissaient que les activités missionnaires ne rencontraient pas toujours autant de succès qu'escompté: stagnation partielle dans quelques pays d'Europe de l'Est, nouvelles révisions à la baisse pour l'Inde en dépit du développement dans de grands centres urbains («pendant de longues années [...] les effectifs des fidèles ont été mal pris en compte, en raison du taux de mortalité trop faible qui avait été retenu»), et concurrence grandissante du pentecôtisme au Brésil.
Les statistiques présentées en octobre 2015 montrent que l'effort de révision a maintenant été mené à l'échelle mondiale; cela s'inscrit certainement aussi dans les processus de transformation en cours depuis des années au sein de l'Église néo-apostolique. Selon ces nouveaux chiffres, qui découleraient d'une «vérification méticuleuse», les effectifs de l'Église néo-apostolique sont aujourd'hui estimés 8.8 millions de membres dans le monde, «ce qui représente un nombre bien plus réaliste». Outre l'absence d'enregistrement des décès, à nouveau évoquée, « les systèmes administratifs utilisés pour actualiser le nombre des membres n'ont souvent pas pu suivre la rapide croissance des membres. Cela a conduit à des écarts entre le nombre des membres défini par la gestion informatique des membres et le nombre réel des membres de l'Église», expliquent les responsables du mouvement.
Les nouvelles statistiques se répartiraient ainsi par continent (état au 1er janvier 2015):
Afrique:
7 391 328 membres
50 647 communautés
213 585 frères du ministère
Amérique:
225 852 membres
1 590 communautés
9 639 frères du ministère
Asie:
627 210 membres
4 534 communautés
8 861 frères du ministère
Australie et Océanie:
121 567 membres
832 communautés
5 500 frères du ministère
Europe:
451 033 membres
2 740 communautés
21 511 frères du ministère
Total dans le monde:
8 816 990 membres
60 343 communautés
259 096 frères du ministère
La diminution des effectifs estimés en Asie est particulièrement frappante: moins de la moitié des chiffres estimés cinq ans plus tôt. Même situation sur le continent américain: baisse de 366 000 225 852. Il ne s'agit pas seulement, pour l'Asie, d'une diminution spectaculaire du nombre de fidèles estimés, mais aussi du nombre de communautés (de 6 200 en 2009 à 4 534 aujourd'hui): dans ce cas, il s'agit certainement de fermetures de communautés ayant disparu après une croissance en «feu de paille» ou ayant fusionné avec d'autres communautés voisines. En Occident, au cours de la décennie écoulée, l'Église néo-apostolique ferme les lieux de culte de communautés devenues trop petites pour procéder à des réunions avec d'autres communautés de la région.
Le site d'information néo-apostolique indépendant Glaubenskultur (accès payant), dans un article mis en ligne le 23 octobre 2015, suggère d'autres pistes explicatives, à partir de l'exemple de l'Inde: l'enthousiasme d'un apôtre allemand pour l'action missionnaire dans ce pays avait conduit à une «véritable bataille chiffrée des superlatifs», peut-être stimulée par des responsables locaux peu soucieux d'exactitude statistique dans les pays concernés. Ces échos de succès missionnaires étaient réconfortants par rapport aux critiques rencontrées en Allemagne de la part d'anciens membres ou de fidèles demandant des réformes, ainsi qu'à une stagnation ou à un recul des effectifs dans les pays où l'Église connaissait depuis longtemps une forte implantation.
L'article de Glaubenskultur rappelle également que le nombre réel de fidèles assistant au culte est — comme pour bien des Églises chrétiennes, d'ailleurs — très inférieur aux effectifs: en 2012, au plus 3,7 millions d'hosties étaient livrées chaque semaine aux communautés locales néo-apostoliques pour la communion, ce qui donne sans doute une indication assez réaliste sur le taux de pratique régulière. Sur ce point d'ailleurs, les données officiellement publiées par l'Église néo-apostolique concordent avec ces estimations privées; la brochure officielle publiée à l'occasion du 150e anniversaire de l'Église néo-apostolique en 2013 donne en effet ces informations sur la fréquentation des cultes:
«En Europe et en Afrique, un chrétien néo-apostolique sur trois fréquente régulièrement les services divins; on en compte un sur cinq en Amérique et un sur dix en Asie.» (Une même foi, un même but, p. 47)
Ces révisions statistiques à la baisse ne doivent pas faire oublier une chose: même si la progression a été moins forte que celle qui avait été indiquée jusqu'à maintenant, l'Église néo-apostolique a connu une très forte croissance et internationalisation au cours du dernier quart du 20e siècle. Cela aura des conséquences à long terme sur une Église dont la majorité des membres ne sont plus des Occidentaux. Dans le contexte des importantes mutations internes qu'elle connaît depuis plusieurs années, il reste à voir comment ses courbes statistiques continueront de se modifier, et de connaître peut-être de nouvelles révisions. Il est probable que l'évolution continuera de présenter des contrastes continentaux et régionaux.
Jean-François Mayer
En complément de cet article, son auteur publie simultanément sur le site Orbis.info une analyse sur l’évolution de l’Église néo-apostolique au cours des trois dernières décennies.