Un magazine suisse, L'Illustré, a demandé au rédacteur en chef de Religioscope de partager ses évaluations sur l'évolution future des religions, dans le cadre d'un dossier sur la Suisse et le monde en 2050. L'entretien, qui sera prochainement publié, a permis de retenir seulement quelques observations, en raison des contraintes d'espace. C'est pour Religioscope une occasion d'aller plus loin et de réfléchir à la démarche prospective dans le domaine des religions.
Quelques principes d'une démarche prospective
Il y a plusieurs façons d'approcher l'avenir. La première est la fiction — parfois brillante et visionnaire. Cela permet d'imaginer même des futurs peu probables, qui sont parfois des moyens d'imaginer le monde tel qu'il pourrait être, selon les préférences de son auteur et en contraste avec le monde présent, mais aussi d'élaborer de pessimistes dystopies. C'est à cette catégorie qu'appartient par exemple l'exercice de religion-fiction du Spiegel en 2007, qui imaginait, 60 ans plus tard, une papesse (chinoise) Jeanne II allant rendre visite à ses 300 millions de fidèles en Chine en 2067 pour leur déclarer: "Je ne suis pas infaillible." Ou, dans la catégorie dystopique, des romans décrivant la France ou les États-Unis devenus, avant le milieu de ce siècle, des républiques islamiques. S'il est toujours possible qu'un scénario improbable, ou l'un ou l'autre élément de celui-ci, devienne un jour réalité, ces exercices de fiction ne reposent pas sur une démarche prospective et font avant tout appel à l'imagination ou aux craintes de leurs auteurs.
Comme l'explique la revue Futuribles, importante ressource francophone en matière d'analyse et de prospective, "l'avenir n'est pas prédéterminé et ne peut être prévu de manière certaine: ainsi disons-nous qu'il est ouvert à plusieurs évolutions possibles (les futur-ibles) qui, toutefois, n'émergent pas du néant mais s'enracinent dans le passé et le présent."
Imaginer des scénarios possibles n'est pas identique à des prédictions: plus la perspective temporelles est longue, moins la réalisation intégrale d'un scénario est probable; mais chaque scénario, fondé sur des données solides, fournit des outils pour penser l'avenir.
Ces scénarios doivent prendre en compte la projection des tendances actuellement observées, mais se pencher aussi sur l'évolution de situations passées: celles-ci fournissaient-elles des signaux indicateurs (faibles ou forts) permettant de prévoir l'évolution? sur quels points les projections faites alors se sont-elles révélées inexactes? Si l'on nous invite à imaginer des perspectives pour l'année 2050 (dans trente-cinq ans), il est utile de jeter un regard en arrière et de retourner à l'année 1980 (il y a trente-cinq ans). Souvent, les visions futuristes de l'avenir, revisitées des décennies plus tard, exhalent un parfum délicieusement... désuet, à l'image de la photographie de la parfaite secrétaire ultramoderne imaginée au début des années 1970. Qui pouvait imaginer alors l'ordinateur portable accessible à tous?...
En outre, des événements majeurs ont un impact sur le monde, également dans le domaine religieux. En 1980, la division entre bloc occidental et bloc communiste marquait la politique mondiale, et il était difficile de penser que les "pays de l'Est" rejoindraient quelques décennies plus tard la construction européenne qui était alors incarnée par la Communauté économique européenne. En revanche, si nous reculons de vingt ans et nous reportons à l'année 1995, il devient déjà plus aisé de discerner certaines lignes d'évolution — bien que des événements imprévus, par exemple le 11 septembre 2001, puissent aussi survenir et modifier en partie la donne. Sur le plan religieux, en 1980, après la Révolution islamique d'Iran et l'émergence de la "droite chrétienne" aux États-Unis, le rôle possible des facteurs religieux dans les sociétés contemporaines commençait à nouveau à être pris en compte par les analystes, mais il aurait été difficile de prédire sur ces bases la suite des événements que nous avons observés depuis.
Il existe des facteurs inscrits dans le temps long et permettant des projections avec un certain degré de certitude: par exemple la démographie, bien que de grandes guerres ou des épidémies majeures puissent en modifier les courbes. Cependant, les démographes aussi révisent et affinent périodiquement leurs projections, sur la base de nouvelles données recueillies, avec parfois des écarts non négligeables. En outre, dans un monde très mobile, des courants migratoires majeurs peuvent aussi, sur un temps plus ou moins long, induire des transformations par rapport à ce que nous pouvions imaginer: quiconque a voyagé dans certaines zones du monde sait que l'intérêt pour la migration est bien réel dans différentes populations (ou plutôt dans des secteurs de celles-ci), si la possibilité s'en offre. Les démographes sont ainsi amenés à élaborer différents scénarios prenant en compte ces variations.
En évoquant les perspectives d'avenir pour les religions, il importe de garder à l'esprit ces inconnues et de reconnaître les limites de l'exercice.
Retour sur un essai de prospective en 2007
En 2007, à la demande de Futuribles, nous avions esquissé quelques perspectives et scénarios pour les trente années suivantes (J.-F. Mayer, "Les courants religieux à l'horizon 2037: les religions entre mondialisation et individualisation", Futuribles, N° 332, juillet-août 2007, pp. 55-69; les restrictions de copyright ne permettent malheureusement pas de le mettre en ligne en libre accès). Les grandes lignes étaient résumées en un paragraphe:
"[... ] nous serons sans doute témoins d'une vivacité religieuse persistante, mais accompagnée d'attitudes d'individualisation et d'une conscience plus aiguisée de l'existence d'autres univers: en Occident, la pluralité sera devenue normalité. Cela n'ira pas sans conflits et concurrences, notamment dans des zones de missions où l'expansion ne peut se faire qu'en mordant sur les adeptes d'autres religions prosélytes. Cette individualisation pourra conduire sur certains plans à un affaiblissement des institutions, mais ceux qui y adhéreront le feront de façon volontaire, et ce ne sont pas nécessairement les formes religieuses les plus libérales qui en bénéficieront. Les évolutions ne seront pas uniformes sur l'ensemble du globe – pas plus qu'elles ne l'ont été jusqu'à maintenant." (p. 68)
Plusieurs facteurs exerçant un impact sur les religions étaient évoqués dans l'article: la mondialisation, parfois perçue comme menaçante à plusieurs égards, mais offrant des possibilités nouvelles aux religions, habituées à traverser les frontières; les évolutions technologiques et les moyens de communication moderne, susceptibles de favoriser tant l'éclatement des sources d'autorité que l'homogénéisation; les glissements démographiques.
Un petit tour d'horizon des différentes régions du monde permettait d'évoquer les ressources présentées par des religions ou idéologies d'inspiration en partie religieuse pour inspirer des projets collectifs, mais aussi leurs limites. Trois scénarios étaient proposés comme "outils à penser": un scénario "antimondialisation" (religions comme réaction), un scénario "pluralisme" (prise de conscience accrue des interdéeacute;pendances, religions avant tout attrayantes pour les réponses individuelles qu'elles offrent), un scénario "guerre des civilisations" (les croyances comme étendards identitaires).
L'émergence de nouveaux acteurs religieux était tenue pour certaine, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des grandes traditions religieuses, mais autre était la question de leur influence. L'éclatement de l'offre religieuse semblait peu favorable à l'émergence d'un nouvel acteur religieux majeur — nous y reviendrons plus loin, car un tel scénario serait justement l'un de ceux de nature à bouleverser toutes les prévisions.
En relisant cet article de 2007, nous pourrions y ajouter quelques précisions sur le plan démographique (il en sera question dans la section suivante), mais sans rien y corriger fondamentalement. Il nous révèle cependant aussi les limites des scénarios: dans trois scénarios sur l'évolution de l'islam en 2037, nous avions certes envisagé, à côté d'un scénario d'apaisement et de celui de régimes islamistes établis durablement, un scénario "instabilité", avec de nouvelles générations et formes de jihadisme venant remplacer les précédentes et gagner en puissance: cependant, nous avions imaginé des groupes jihadistes veillant à ménager les populations pour gagner leurs faveurs et pratiquant l'attentat ciblé; nous n'avions pas prévu l'émergence d'un nouveau jihadisme beaucoup plus brutal que les précédents et établissant son pouvoir par la terreur, comme le fait l'État islamique.
Les scénarios ne sont qu'une sélection de possibilités (pouvant aller du best case au worst case avec des situations intermédiaires). Mais cet exemple montre la difficulté à prévoir certains développements, dont les effets — encore imprévisibles — se feront sentir à long terme (pas nécessairement d'ailleurs au bénéfice des idéologies islamistes).
Perspectives démographiques: le rapport Pew
Les données démographiques offrent toujours un outil attrayant: elles permettent de suggérer des évolutions avec un certain degré de probabilité, et surtout en les quantifiant. Après les précieux travaux pionniers de David Barrett et de ses collaborateurs, que citait notre article de 2007, les outils dans le domaine de la démographie religieuse mondiale se multiplient: en 2014, sous la direction de Brian J. Grim, Todd M. Johnson, Vegard Skirbekk et Gina A. Zurlo, les Éd. Brill ont publié un premier Yearbook of International Religious Demography, contenant des données générales par religion et par région ainsi que des études de cas. Une seconde édition a été publiée en 2015.
Dans un chapitre de ce nouveau volume ("Global Population Projections by Religion: 2010-2050", pp. 101-116), six chercheurs s'expliquent sur les données et méthodes utilisées pour établir de telles projections. Il s'agit d'abord de recueillir, à partir de multiples sources, les données les plus précises disponibles sur la population de chaque pays et les appartenances religieuses: dans plusieurs dizaines de pays, les recensements offrent des informations très utiles. Les taux de fertilité et de mortalité doivent être également pris en compte, en considérant leur évolution au cours des périodes récentes. Il faut ajouter l'évaluation des probabilités en matière de migrations et de changements d'appartenance religieuse: ce qui n'est pas simple, car des facteurs non prévisibles (conflits, crises économiques) peuvent exercer un impact. Même en dehors de tels événements, il est très difficile d'évaluer — par exemple — l'évolution des conversions au christianisme (ou à d'autres religions) en Chine au cours des prochaines décennies: certains chercheurs pronostiquent une progression très forte, mais rien ne permet de la prévoir avec un degré élevé certitude.
Parmi les études récentes de démographie religieuse, celle du respecté et impartial Pew Research Center, intitulée The Future of World Religions: Population Growth Projections, 2010-2050, publiée en avril 2015, a particulièrement retenu l'attention. Les personnes intéressées sont invitées à lire (en anglais) la version intégrale de ce rapport (245 pages), ou les synthèses qu'en propose Pew sur son site. Bornons-nous à relever quelques points.
Globalement, le nombre de musulmans deviendra presque égal à celui des chrétiens dans le monde d'ici 2050. En 2010, la planète comptait 1,6 milliard de musulmans et 2,17 milliards de chrétiens: en 2050, les projections de Pew prévoient 2,92 milliards de chrétiens et 2,76 milliards de musulmans. En pourcentage, la part des chrétiens restera stable: 31,4 % de la population mondiale aujourd'hui et à peu près la même chose en 2050; en revanche, le pourcentage des musulmans devrait progresser de 23,2 % à 29,7 % en 2050. En Europe, les musulmans devraient former environ 10 % de la population en 2050; dans des pays balkaniques tels que la Bosnie-Herzégovine ou la Macédoine, qui comptent encore une majorité de chrétiens, les musulmans devraient devenir la majorité d'ici 2050. Si la progression des musulmans se poursuit sur sa lancée, ils deviendront la première religion mondiale d'ici 2100.
Les musulmans seront la seule religion avec un taux de croissance plus fort que celui de la population mondiale durant les prochaines décennies. Actuellement, parmi les grandes catégories religieuses, les musulmans connaissent en effet le taux de fertilité le plus élevé: même s'il descend et devrait devenir semblable à celui des chrétiens d'ici 2050, cela aura des conséquences sur le plan démographique. Notons qu'une analyse plus fine par région du monde montre que le taux de fertilité n'est pas simplement une conséquence de croyances religieuses, mais aussi un fait culturel: en Afrique, toutes les religions ont un taux de fertilité nettement plus élevé qu'ailleurs.
Un autre résultat du rapport Pew sur l'avenir des religions n'a donc rien de surprenant: en 2050, quatre chrétiens sur dix vivront en Afrique. Après les États-Unis et le Brésil, le Nigeria devrait être le troisième pays du monde avec le plus grand nombre de chrétiens.
La population bouddhiste devrait rester à peu près stable, tandis que les juifs et les hindous connaîtront une progression numérique. Il en va de même pour les chrétiens, dont le taux de croissance devrait suivre celui de l'ensemble de la population mondiale.
La progression de la non-appartenance religieuse frappe tous les observateurs de la situation dans les pays occidentaux. Selon la prospective démographique de Pew, ils augmenteront en chiffres absolus (de 1,1 milliard en 2010 à 1,2 milliard en 2050), mais resteront ainsi en dessous du taux de croissance moyen et diminueront en pourcentage: de 16 % de la population mondiale à 13 %. Il faudra bien entendu tenir compte de variations régionales: le pourcentage des athées, agnostiques et autres personnes sans appartenance religieuse augmentera dans des pays comme les États-Unis ou la France.
Que réserve l'avenir aux religions?
Comme nous l'avons vu, les perspectives s'accompagnent d'incertitudes: migrations et conversions peuvent partiellement changer la donne. Dans les scénarios démographiques actuels, les conversions n'affectent que marginalement la croissance ou le déclin des groupes religieux:avant de contribuer à la croissance, les conversions doivent d'abord compenser les pertes.
Les scénarios démographiques sont une base indispensable pour une réflexion prospective sur les religions. Mais il faut affiner: par exemple, quand on voit les très fortes tensions entre sunnites et chiites dans certaines régions, il faudrait savoir quelle sera l'évolution démographique prévisible de ces deux branches principales de l'islam: or, les démographes de Pew expliquent que les données disponibles ne leur permettent pas d'esquisser de telles projections.
Les chiffres ne peuvent pas tout dire: ils ne nous disent pas quelles seront les orientations futures des religions. Quelle sera par exemple la part des différentes tendances au sein d'une tradition religieuse? Les lignes de faille interne peuvent être fortement marquées. Ou encore, que recouvre concrètement une appartenance? Une appartenance religieuse ne s'accompagne pas toujours d'une croyance forte ou d'un engagement religieux réel: un mouvement politique peut aujourd'hui se dire attaché à "l'identité chrétienne de l'Europe" sans que la majorité de ses membres soient pieux ou même pratiquants. Parmi les musulmans de 2050, il y aura des croyants militants et des musulmans détachés de toute pratique: quelles seront leurs parts respectives? Et les communautés religieuses de migrants en Europe connaîtront-elles un fort processus de sécularisation? La référence religieuse peut recouvrir des pratiques et usages variés.
La coexistence de multiples religions associée aux tendances vers l'individualisation pourrait entraîner de plus en plus de recompositions avec influences mutuelles — à l'échelle individuelle, voire aussi dans des institutions religieuses. Les interactions toujours plus courantes entre religions seront porteuses de transformations: pas nécessairement dans les positions dogmatiques de ces religions, mais dans les attitudes individuelles des croyants. L'alimentation à de multiples sources spirituelles pourrait devenir de plus en plus fréquente, avec une probable croissance (mais jusqu'à quel point?) de gens se sentant "spirituels sans religion", sans adhésion au message spécifique promulgué par une institution religieuse.
Les mouvements de population se poursuivront, ce qui s'accompagnera de migrations religieuses également. Cela ne signifie pas que la diversité religieuse s'accroîtra partout: des régions peuvent connaître un déclin de cette diversité, comme nous le montrent en ce moment même les actions menées par le groupe s'intitulant État Islamique, qui veut effacer jusqu'à la mémoire même de la présence historique d'autres religions dans les territoires qu'il contrôle.
Par rapport aux éventualités de scénarios du type "guerre des civilisations", il ne fait guère de doute que, dans plusieurs traditions religieuses, des mouvements à l'activisme plus ou moins prononcé continueront d'apparaître et d'agir. La question de leur essoufflement à long terme se pose cependant et rend difficile tout pronostic pour leur place en 2050. Cela dépendra aussi de l'émergence d'autres courants et idéologies capables de les concurrencer (sans oublier les contextes politiques, sociaux et économiques).
Il n'est pas impossible que le caractère extrême de tels mouvements (à l'image de ce que nous observons actuellement en Irak et en Syrie) entraîne un effet de balancier dans une étape future: par exemple, si la pression sociale pour l'exercice de la religion devait notablement diminuer dans des pays à forte dominante musulmane, une montée plus ou moins forte de l'incroyance se manifesterait, en partie par réaction. Mais cela relève de développements qu'il est difficile de prévoir à ce stade, encore plus s'il s'agit de définir un horizon temporel pour cela.
Un autre facteur imprévisible, bien que peu probable, serait l'apparition d'une importante nouvelle religion: un peu comme l'islam, au VIIe siècle, a fait irruption sur la scène religieuse en s'étendant en quelques décennies au-delà de la péninsule Arabique qui avait été son berceau. Le contexte du XXIe siècle offrirait à un tel phénomène des possibilités de diffusion et de communication sans précédent. Mais il pose aussi des obstacles, à commencer par un éclatement religieux peu favorable à l'affirmation d'un groupe spécifique alors que la concurrence est foisonnante. De nouveaux mouvements religieux naissent constamment, certains durent, mais ils restent des acteurs numériquement mineurs, sauf parfois régionalement.
Nous avons assisté au XXe siècle à l'émergence d'un phénomène de ce genre, mais clairement ancré dans la tradition chrétienne, et non pas une religion indépendante: il s'agit du pentecôtisme, dont l'essor a été l'un des faits religieux marquants du siècle dernier. Ce courant ne représente pas une organisation unitaire, mais s'exprime à travers des Églises et groupes variés, qui se reconnaissent tous dans l'impulsion pentecôtiste. Les observateurs s'attendent à voir les Églises de type charismatique (ainsi que certains autres courants évangéliques) poursuivre leur progression, sans pouvoir déterminer jusqu'à quel point (et sans même parler des variations selon les pays).
Si une nouvelle religion indépendante de grande taille émergeait, elle devrait offrir des formes adaptées (ou adaptables) à plusieurs contextes culturels: il est vrai que la diffusion globale de références partagées faciliterait ce processus. Tout en préservant suffisamment d'éléments de continuité par rapport à des traditions religieuses antérieures, elle devrait combiner un enseignement de caractère universel, au dogmatisme pas trop affirmé, tout en affichant certains principes clairs et assez largement acceptables. Une offre de salut crédible (à la fois pour un mieux-être dans le monde et pour la vie future) devrait en être une composante. Enfin, une telle religion devrait proposer à ses fidèles une dimension communautaire (réunion de culte hebdomadaire et offre optionnelle d'activités sociales autour de la communauté), et surtout des rituels convaincants pour marquer les grands moments de l'existence.
Cela dit, même si quelqu'un prêchait un message religieux incluant toutes ces caractéristiques, rien ne garantit qu'un grand mouvement naîtrait: c'est le mystère du succès ou non de chaque message religieux; il n'est pas certain que le meilleur des marketings puisse radicalement changer la donne.
Dans un article au titre provocateur ("Why Religion Will Dominate the 21st Century", The Week, 18 mai 2015), Pascal-Emmanuel Gobry suggère que le 20e siècle a probablement représenté "le sommet de la sécularisation, tandis que le 21e siècle sera vraisemblablement dominé par la religion": celle-ci deviendrait "l'une des plus importantes forces forgeant le destin de la plupart des pays du monde". Nos prévisions ne sont pas aussi affirmatives: trop de facteurs sont à l'œuvre, et les religions peuvent aussi jouer un rôle subordonné même quand elles se trouvent mises en avant comme référence identitaire. Les observations de Gobry sont à prendre surtout comme une réaction aux perspectives également simplificatrices voyant la place des religions se résorber inéluctablement.
À la fois des courants de revitalisation ou d'innovation religieuses et des tendances sécularisantes sont à l'œuvre; de même, l'individualisation et l'éclatement des croyances (religieuses ou non) resteront des réalités avec lesquelles les religions devront composer ou qu'il leur faudra affronter, selon les choix qu'elles feront. Au sein d'une même tradition religieuse (y compris chaque courant spécifique issu du même tronc religieux), des groupes embrasseront des choix parfois aux antipodes les uns des autres — car une religion, dès qu'elle atteint une certaine taille ou extension, ne peut guère demeurer monolithique.
Ce qui est certain — et nous pouvons rejoindre Gobry sur ce point — est que les religions continueront de fleurir en réponse aux aspirations transcendantes de l'être humain (et aussi pour la définition de sa place dans le monde): leur influence a des conséquences potentielles également pour les sociétés dans lesquelles elles agissent.
Jean-François Mayer
P.S.: le texte ci-dessus évoque des trajectoires prospectives globales. À côté de ces considérations générales, il est utile d'élaborer des prospectives pour un pays ou une région: la limitation territoriale permet en effet d'être plus précis.