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Le cadre du catholicisme fribourgeois
Resté catholique au moment de la Réforme protestante au XVIe siècle, alors que les cantons voisins adhéraient à la foi réformée, le canton de Fribourg conserve l’image d’un canton à forte empreinte catholique (à l’exception de la région protestante de Morat). Cependant, la situation est aujourd’hui beaucoup moins uniforme, en raison de la montée du pourcentage des personnes sans confession ainsi que de l’établissement d’autres communautés religieuses, chrétiennes (fondation de plusieurs Eglises évangéliques depuis les années 1980) ou issues d’autres traditions (notamment musulmane).
En 1960, plus de 99 % de la population du canton se répartissait entre l’Eglise catholique romaine (86,3 %) et l’Eglise évangélique réformée (13,3 %). En 2012, alors que le canton comptait 291.395 habitants, les catholiques étaient au nombre de 192.080 (65,9 %) et les réformés atteignaient celui de 20.802 (14,2 %). 19,9 % de la population appartenait à d’autres confessions ou n’avait aucune affiliation religieuse (Katholische Kirche in der Schweiz. Kirchenstatistik 2013. Zahlen, Fakten, Entwicklungen, Saint-Gall, SPI, p. 24).
Avec les cantons de Genève, de Neuchâtel et de Vaud, le canton de Fribourg appartient au Diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg. L’évêque (actuellement Mgr Charles Morerod, né en 1961) a son siège à Fribourg. Le diocèse rassemblerait quelque 700.000 catholiques au total.
Les cinquante dernières années — qui coïncident avec des transformations sociales plus larges ainsi qu’avec les suites du concile Vatican II pour l’Eglise catholique — ont aussi été marquées par le vieillissement du clergé (et peu de nouvelles ordinations sacerdotales) ainsi qu’une diminution marquée de la pratique religieuse parmi les fidèles des Eglises chrétiennes historiques du pays. Cependant, aucune enquête d’ensemble récente n’avait été menée à ce sujet. Pour en savoir plus, le décanat catholique de Fribourg, qui regroupe les paroisses de la ville ainsi que des communes voisines de Villars-sur-Glâne, Givisiez et Granges-Paccot, a commandité en 2013 une enquête pastorale, dont les résultats ont été présentés publiquement hier soir.
Soulignons le contexte: il s’agit d’un environnement largement urbanisé, dont le cœur est la capitale cantonale. Autre spécificité: Fribourg abrite depuis 125 ans une université, avec la première (et plus importante) Faculté de théologie catholique de la Suisse. En outre, sur le territoire du décanat sont présents quelques dizaines de couvents et autres communautés religieuses: plusieurs sont vieillissantes, mais leur existence crée une situation très différente de celle de la vie paroissiale dans d’autres territoires urbains de taille comparable (le décanat de Fribourg comptait près de 35.000 fidèles en 2008).
Les résultats de l’enquête sur la pratique religieuse catholique
L’enquête sur la pratique religieuse a été menée dans tous les lieux de culte catholiques du décanat de Fribourg les 15 et 16 juin 2013. Les résultats ont été analysés par le professeur Christophe Monnot, sociologue à l’Université de Lausanne, et par l’abbé François-Xavier Amherdt, professeur de théologie pastorale à l’Université de Fribourg.
Les personnes présentes à 54 des 69 messes célébrées ces jours-là ont répondu. 21 messes étaient célébrées dans des paroisses, 3 dans des monastères, 8 dans des institutions (par exemple des établissements médico-sociaux) et 22 dans d’autres lieux de culte (liés à des communautés religieuses). 3.430 réponses ont été reçues: une extrapolation permet d’estimer que 4.800 fidèles environ ont assisté à des messes ce jour-là. Ce chiffre correspond environ au nombre de pratiquants d’un dimanche ordinaire dans le décanat de Fribourg; 60 % de ces pratiquants sont des femmes, 40 % des hommes, selon une répartition assez classique. Bien entendu, lors de grandes fêtes, le nombre de fidèles augmente.
Des enquêtes plus anciennes permettent, comparativement, de prendre la mesure du déclin de la pratique religieuse: alors que la population n’a cessé d’augmenter (le canton de Fribourg connaît actuellement la progression la plus dynamique du pays, grâce aux arrivées de personnes provenant d’autres cantons ou d’autres pays), la pratique n’a cessé de diminuer. En 1956, avec une population moindre, une enquête avait identifié plus de 14.000 pratiquants; en 1965, une autre enquête en dénombrait un peu moins de 13.000; aujourd’hui, avec une population plus importante, moins de 5.000.
Ce nombre pourrait encore décroître. En effet, la pyramide des âges est inversée. 56 % des pratiquants ont plus de 60 ans (si l’on ne retient que les personnes âgées de plus de 70 ans, elles représentent 36 % des pratiquants...). A l’autre extrême, 13 % seulement des pratiquants ont entre 13 et 30 ans. En outre, plus l’âge est élevé, plus la pratique est fréquente.
Cette baisse quantitative globale n’empêche pas François-Xavier Amherdt de souligner un aspect positif: environ 10 % de pratiquants réguliers (même si la ville draine aussi des fidèles venus d’autres localités). Et il faut y ajouter, observe Christophe Monnot, ceux qui viennent occasionnellement à une célébration (les estimations à l’échelle suisse sont d’environ 25 % pour cette catégorie). Sur le plan pastoral, souligne François-Xavier Amherdt, le fait qu’une majorité des catholiques soient en dehors des pratiquants réguliers appelle «à passer d’une pastorale d’entretien, d’encadrement, à une pastorale d’évangélisation».
Un aspect positif est que le noyau des pratiquants réguliers est très fidèle, souligne Christophe Monnot: parmi les pratiquants présents les 15 et 16 juin 2013, 70 % participent chaque dimanche à la messe.
Un quart environ des fidèles choisissent de se rendre à une messe le samedi soir. Quant à ceux qui se rendent à l’église le dimanche, ce sont surtout les messes débutant entre 9h30 et 10h15 qui sont préférées.
Les églises paroissiales accueillent 49 % des pratiquants. 35 % se retrouvent dans les chapelles de communautés religieuses ou couvents (le pourcentage inclut bien sûr les membres de ces communautés eux-mêmes), 10 % participent aux célébrations dans des missions linguistiques (en particulier la mission portugaise et la mission croate) et 5 % dans des chapelles d’institutions (hôpitaux et foyers pour personnes âgées). Cette importante part des communautés religieuses retient l’attention. Elle reflète bien sûr leur forte présence en ville de Fribourg. Elles répondent sans doute aussi à la tendance croissante de fidèles à se rendre là où ils se sentent le mieux, sans privilégier automatiquement le cadre paroissial.
Il est vrai que, avec 69 messes célébrées en fin de semaine dans la ville de Fribourg et à ses abords immédiats, les fidèles ont le choix. Bien que déclarant attachés à leur église habituelle, ils se montrent aussi prêts à se déplacer si nécessaire. La situation dans les paroisses rurales est différente, comme l’a rappelé Mgr Rémy Berchier, vicaire épiscopal: dans les villages du canton, quand il n’y a pas de messe célébrée un dimanche à l’église paroissiale, la plupart des fidèles ne se déplacent pas et attendent la prochaine célébration sur place.
A la question sur les types de messes («Comment appréciez-vous les différents types de célébration?»: beaucoup, assez, peu, pas, ne sais pas), il apparaît que les messes avec chœur mixte, les messes avec orgue et les messes avec usage du latin se trouvent plébiscitées, indépendamment des classes d’âge.
En ce qui concerne le troisième point, le questionnaire indiquait «Messe en latin (forme extraordinaire)», c’est-à-dire les messes célébrées dans le rite tridentin (pré-Vatican II). 1561 répondants (45,2 %) déclaraient les apprécier «beaucoup» et 745 (21,6 %) «assez», avec seulement une petite minorité d’avis négatifs, puisque 20,3 % ne donnaient pas de réponse à cette question. Les auteurs de l’analyse ont été intrigués par ces résultat et ont conclu que les fidèles avaient voulu exprimer un goût pour la présence d’éléments en latin, et non pour la «forme extraordinaire» proprement dite (une expression sans doute loin d’être comprise par tous les fidèles). Quoi qu’il en soit du rite, l’usage liturgique du latin est apprécié par un important pourcentage des pratiquants, y compris les plus jeunes. De façon générale, une messe «classique» semble être le modèle qui recueille le plus large agrément.
Cela n’empêche pas une partie substantielle des fidèles d’apprécier également d’autres modèles: il semble de fait y avoir une ouverture de nombre de pratiquants envers plusieurs modèles possibles de célébration, avec l’expression de préférences plus que de choix exclusifs. Derrière le trio de tête viennent les messes avec chorale de jeunes (1.391 / 40,2 % «beaucoup», 934 / 27 % «assez») et les messes des familles avec enfants (1.144 / 33,1 % «beaucoup», 801 / 23,2 % «assez»). Les «messes avec musique d’aujourd’hui (guitare)» recueillent un écho moindre, tout en rencontrant plus de succès parmi les fidèles plus jeunes (1.666 / 30.8 % «beaucoup», 804 / 23,3 % «assez»).Tout au bas de la liste, en revanche, viennent les célébrations en l’absence (ou «en attente») de prêtre (140 / 4 % «beaucoup», 348 / 10,1 % «assez»).
Lors de la réunion de présentation des résultats le 26 février, présidée par l’abbé André Vienny (doyen), les intervenants n’ont pas simplement posé le constat, mais ils ont essayé d’esquisser des pistes pastorales pour tirer certaines conséquences. Des aménagements mineurs seront introduits dès l’automne (par exemple la suppression de quelques messes moins fréquentées ou la réunion en une seule de messes célébrés dans deux lieux de culte). Pour la suite, un «processus synodal» de consultation se déroulera de 2014 à 2017. Il s’agit d’envisager l’avenir en tenant compte des perspectives, alors que les forces pastorales vont décliner: comme l’a rappelé Mgr Berchier, plus d’un tiers des prêtres du diocèse ont plus de 75 ans, et il n’y a guère plus d’une ordination par an. La situation n’est pas encore ressentie de façon aiguë en ville de Fribourg, en raison de la présence d’un nombre important de prêtres (par exemple venus étudier à l’Université). Mais des manques vont s’y faire sentir aussi. L’un des soucis est donc de ne pas compter uniquement sur les prêtres, mais aussi sur l’apport des fidèles eux-mêmes.
Parmi les propositions esquissées figure assez logiquement celle de favoriser des rassemblements plus nombreux, avec des «communautés centres», plutôt que de multiplier les messes. Un autre souci sera l’harmonisation entre les horaires des messes paroissiales et celles des communautés religieuses et chapelles d’institutions sur chaque territoire paroissial. Il semble aussi judicieux de continuer à prévoir une «offre» de messes variées: tant des messes «ordinaires» que des messes «spéciales» (pour familles, pour jeunes, etc.).
Une attention particulière devra être donnée à l’apport des communautés linguistiques, a souligné François-Xavier Amherdt. Et Mgr Berchier de renchérir, en soulignant que ces catholiques d’origine étrangère représentent jusqu’à 40 % des fidèles à l’échelle du diocèse: ces forces jeunes peuvent représenter une chance pour revivifier le catholicisme fribourgeois, pense-t-il.
Réflexions finales
Dans un canton tel que celui de Fribourg, et dans sa capitale du même nom, le catholicisme reste une institution respectée et associée à l’héritage local. Même parmi les non pratiquants, il ne manque pas de personnes qui vont prier dans une église ou une chapelle et y placer un cierge à certaines occasions. Mais il est vrai que nous connaissons moins bien cette population de personnes persistant dans une appartenance catholique bien que non ou peu pratiquante (de surcroît dans un canton où l’appartenance catholique entraîne le paiement d’un impôt ecclésiastique). Les motivations et convictions de ces catholiques non pratiquants mériteraient une étude particulière.
De même, il conviendrait d’avoir des indications statistiques précises sur les «sorties d’Eglise»: combien de fidèles tournent-ils annuellement le dos à l’Eglise catholique? Pour l’instant, on ne dispose d’aucune vue d’ensemble, contrairement aux données précises existant dans d’autres cantons ainsi que dans les Eglises réformées; mais cela devrait bientôt être clarifié, car le Diocèse a récemment adressé à toutes les paroisses un questionnaire statistique pour l’année 2013 incluant cette question.
L’enquête dont les résultats viennent d’être présentés s’est donc concentrée sur les pratiquants. L’un des premiers apports est d’avoir ainsi une idée plus précise du pourcentage de pratiquants: même en tenant compte d’une légère distorsion due à la présence de fidèles venus d’autres localités des environs, ce taux de pratique régulière est supérieur à 10 % des catholiques enregistrés (et plus élevé que certaines estimations entendues ces dernières années). Un cercle plus vaste fréquente en outre les lieux de culte sur une base moins fréquente.
Le revers de la médaille est la pyramide des âges, pertinemment qualifiée d’inquiétante par Christophe Monnot. Elle annonce une nouvelle chute de la pratique, inévitable au vu de la part très importante de personnes âgées parmi les fidèles pratiquants. Les projets de regroupement de messes en un lieu ou de «communautés centres» vont accompagner cette évolution. A long terme, c’est tout le modèle paroissial classique qui se retrouvera mis en question: ces réaménagements renforceront probablement encore la tendance à choisir un lieu de culte par goût et affinité (pour le type de célébration, pour le prêtre, pour la qualité des prédications) plus que par appartenance à une entité paroissiale.
En ce qui concerne les communautés linguistiques d’origine étrangère, il est déjà possible de constater, ici et là, des effets de leur présence: par exemple, des reprises par la communauté catholique portugaise de pèlerinages locaux déclinants, auxquels elle donne à la fois une nouvelle impulsion et une nouvelle forme. Reste à voir combien de temps et comment ce dynamisme se maintiendra.
Tout naturellement, la réponse à la situation actuelle de la part de prêtres et croyants catholiques engagés est un appel à l’évangélisation. Il est moins aisé de savoir concrètement comment inciter des fidèles formellement toujours membres de l’Eglise catholique de reprendre le chemin des célébrations liturgiques. Le Diocèse dispose de certains atouts dans le canton de Fribourg, puisque les élèves catholiques (de même que leurs camarades réformés) bénéficient toujours de cours de catéchisme dans le cadre scolaire: si les responsables de la catéchèse parviennent à offrir aux enfants, puis aux adolescents, un enseignement et un encadrement de qualité, dans le cadre scolaire et extra-scolaire, certains fondements pourraient être posés pour l’avenir.
L’enquête pastorale menée à Fribourg le montre une fois de plus: les analyses de la situation religieuse et études statistiques ne disent pas tout, mais les groupes religieux sont toujours bien inspirés de recourir aux apports de recherches sociologiques (ou autres), afin de pouvoir réfléchir aux options à prendre sur une base aussi réaliste que possible.
Jean-François Mayer
En complément de cet article, on peut lire les observations de Jean-François Mayer sur les préférences liturgiques qui ressortent de l’enquête: “Messe en latin et autres préférences liturgiques: à propos de l’enquête pastorale sur la pratique religieuse catholique à Fribourg” (1er mars 2014).