EDA, 11 octobre 2013 -- C’est un fait établi : les temples en Inde regorgent d’or, que ce soit sur les statues des dieux, les bijoux ou ex-votos qui s’exposent dans les salles du culte, ou encore sur des éléments d’architecture comme le célèbre temple d’or d’Amritsar, recouvert entièrement de feuilles et de plaques du métal précieux.
Le World Gold Council estime qu’il y a environ 2 000 tonnes d’or dans les temples indiens, parmi lesquels beaucoup de bijoux et d’objets offerts aux divinités par les fidèles. Le temple de Tirupati en Andhra Pradesh, par exemple, qui compte parmi les sanctuaires les plus riches de l’Inde, posséderait des réserves qui dépasseraient les 1000 tonnes d’or pur, soit près du double des importations d’or en Inde pour 2013.
Après avoir en vain mis en place des limitations pour freiner les importations d’or – lesquelles ont atteint l’année dernière 53,6 milliards de dollars et sont en grande partie responsables de la dévaluation de la monnaie indienne (depuis le début de l’année, la roupie a perdu près d’un quart de sa valeur) –, le ministre des Finances et la banque centrale envisagent aujourd’hui un «plan de sauvetage» qui est loin de faire l’unanimité chez les dévots hindous et sikhs.
Il s’agirait en effet de débloquer les importantes réserves d’or des temples en proposant aux sociétés gérant les actifs des sanctuaires de convertir leur or en lingots, que la Reserve Bank of India rachèterait en échange de roupies. Selon le gouvernement indien, cette proposition réduirait le déficit de la balance des paiements (61 % de celui-ci est imputable aux importations d’or en 2013) et pourrait enrayer la dépréciation de la monnaie indienne. Elle permettrait également aux temples les plus riches de récupérer rapidement des fonds.
La proposition du gouvernement se heurte cependant à l’opposition des temples, mais aussi à celle de la population qui ne comprend pas l’intérêt de se séparer de ce qui constitue pour elle une valeur-refuge pour les temps difficiles, mais aussi un capital sacré, signe de la bénédiction des dieux.
L’Inde est aujourd’hui le plus gros importateur d’or du monde, avec des achats d’environ 1 000 tonnes par an, soit le tiers du marché mondial du métal jaune. «L’or fait partie de l’ADN de l’Inde», ironise l’un des membres de la Fédération indienne des pierres précieuses et des bijoux (The All India Gems and Jewelry Trade Federation) [1].
Face à la crise qui menace l’Etat indien, la Fédération s’est «imposé une interdiction volontaire» de vente aux particuliers de lingots et de pièces de monnaie afin de « contribuer à l’effort national ». Pour aider le gouvernement à restaurer la confiance des Indiens réticents, elle a également lancé une campagne intitulée Swarna Bachao Abhiyan (‘Protégeons l’or’), dénonçant les conséquences de la thésaurisation du métal précieux dans le pays. La Fédération propose aux particuliers d’apporter leur or à des bijoutiers habilités, qui le déposeraient à la banque, laquelle émettrait en contrepartie un billet de dépôt sur un à trois ans. Le déposant récupèrerait ensuite son bien avec les intérêts.
«Nous envisageons de désigner une banque qui pourrait acheter l’or des temples. La banque centrale pourrait ensuite l’acheter contre des roupies», explique à The Economic Times l’un des experts de la banque centrale. Cette dernière a déjà envoyé des courriers à la plupart des temples importants du pays, leur demandant de communiquer, «à des fins statistiques», le détail de leurs possessions en or.
Plusieurs groupes hindous ont déjà fait part de leur indignation, rapporte le 29 septembre l’agence Reuters. «L’or présent dans les temples est donné par les fidèles depuis des milliers d’années et nous n’autoriserons personne à se l’approprier», a déclaré dans un communiqué, fin septembre, V. Mohanan, secrétaire de l’organisation nationaliste hindoue Vishwa Hindu Parishad (VHP) pour l’Etat du Kerala.
C’est au Kerala en effet que se trouvent les temples hindous les plus riches de l’Inde, lesquels sont soutenus par un important réseau hindouiste qui a réagi fortement aux demandes du gouvernement. Les trois principaux trusts des temples du Kerala (qui administrent plus de 2 800 sanctuaires) ont refusé de déclarer leurs ressources à la Reserve Bank of India (RBI).
«L’or que nous possédons est principalement offert par les dévots qui n’aimeraient pas que les détails de leurs dons soient communiqués à qui que ce soit», a déclaré V. M Gopala Menon, à la tête du conseil administratif du temple Guruvayur Sri Krishna, édifice qui arbore un mât en or de 33 mètres visible de loin par les pèlerins.
Quant au leader du Bharatiya Janata Party (Parti du peuple indien, BJP) au Kerala, V. Muralidharan, il a affirmé aux médias que la RBI voulait «s’approprier l’or» des temples pour le revendre contre des dollars. Malgré le démenti immédiat de la banque centrale, les réactions de la population hindoue ne se sont pas fait attendre. «Nous avons donné [cet or] au dieu pour une raison; personne ne doit le retirer du temple», s’est indigné auprès de Reuters Subha Unnikrishnan, vendeur de vêtements près du grand temple de Sree Padmanabhaswamy à Thiruvananthapuram. Le sanctuaire est considéré comme le centre de pèlerinage le plus riche de l’Inde, et le plus visité, recevant près de 100 000 pèlerins par jour, chargés d’offrandes.
Cependant, certains temples ont accepté la proposition du gouvernement, comme celui de Shree Siddhivinayak Ganpati à Bombay (Mumbai), bien connu des célébrités de Bollywood qui viennent y faire leurs dévotions et y déposer des dons conséquents. «Cet or est la propriété de la nation», explique Subhash Vitthal Mayekar, directeur «de comité administratif du temple, qui a déjà déposé dix kilogrammes du précieux m&eeacute;tal à la banque. Nous sommes fiers qu’il puisse être utile à la nation»
Le très fortuné temple de Tirupati aurait quant à lui déposé 2,250 kg d’or à la State Bank of India. «Nous utilisons une partie de cet or pour faire des médaillons en or que nous vendons au profit du temple. Pour ce faire, nous envoyons l’or à Bombay pour le faire transformer en monnaie, par l’intermédiaire de la State Bank of India, qui est l’une de nos banques», explique l’un des membres du comité d’administration du sanctuaire.
Note
(1) Voir l’article de Frédéric Bobin, «L’Inde et l’or, le coût d’une passion», Le Monde, 10 octobre 2013.
Cet a été publié par Eglises d’Asie, Agence d’Information des Missions Etrangères de Paris (128 rue du Bac, 75341 Paris Cedex 07).
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