Révélé le 18 décembre dernier par l'ONG China Aid, basée aux Etats-Unis, et relayé le jour-même par le Washington Post, le document a pour titre «Propositions pour se préparer à contrer l'utilisation par les étrangers de la religion pour infiltrer l'enseignement supérieur et diffuser le christianisme sur le campus». Long d'une dizaine de pages, présenté comme le «Document 18» (cliquer ici pour l'original chinois), il a été préparé par les instances supervisant les affaires religieuses, la sécurité publique et l'éducation supérieure du gouvernement chinois. China Aid précise que 8 330 copies seulement en ont été imprimées pour être distribuées à un niveau relativement élevé du Parti et des administrations provinciales.
A la lecture de ce document, on comprend que les autorités chinoises estiment que «les étrangers» utilisent les échanges universitaires, les études hors de Chine d'étudiants chinois ainsi que l'enseignement en Chine des langues étrangères ou encore les actions caritatives comme autant d'occasion de «répandre la religion» au sein de la jeunesse chinoise. «L'intensité de l'infiltration va croissant», peut-on lire dans le document qui dénonce l'origine majoritairement «américaine» de cette infiltration. «Vous ne devez pas sous-estimer l'ampleur des dégâts et les effets à long terme d'un tel phénomène et vous devez prendre des mesures coercitives pour y mettre fin», est-il spécifié.
Parmi ces mesures figure un renforcement de l'étude des dossiers de demande de visas pour les étrangers soupçonnés de pénétrer en Chine à des fins religieuses, de même qu'il est demandé de vérifier les éventuels liens que les organisations caritatives ou les ONG entretiennent avec des institutions à caractère religieux. Il est aussi demandé au ministère de l'Education de mettre à la disposition des universités une base de données recensant les organisations religieuses actives sur les campus chinois. Au sein des universités, l'administration doit veiller à contrer l'influence que les étrangers peuvent avoir sur les étudiants, en menant «des entretiens approfondis en tête-à-tête» avec ces derniers. Quant aux enseignants et aux étudiants étrangers qui s'entêteraient dans leur prosélytisme, leur expulsion hors de Chine doit intervenir sans délai.
Selon le Washington Post, depuis la diffusion de ce «Document 18», plusieurs universités, telles l'Université agricole du Nord-Est dans la province du Heilongjiang ou l'Université de Chongqing, ont renforcé leur arsenal réglementaire visant à prévenir les «infiltrations religieuses». Mais comme l'écrit le quotidien américain, il est difficile de savoir si ces universités ne font que se conformer superficiellement à une directive venue d'en-haut ou si elles ont réellement renforcé leur contrôle sur les étrangers présents sur leurs campus.
Selon des statistiques chinoises, 290 000 étudiants étrangers étudient actuellement en Chine (dont 23 000 Américains). Les chiffres manquent quant au nombre de professeurs étrangers mais celui-ci se monte à plusieurs milliers, voire dizaines de milliers. Les universités chinoises ont en effet très largement recours à ce qu'elles appellent des «experts étrangers» qui ont pour mission principale d'enseigner leur langue maternelle aux étudiants. Il est de notoriété publique que ces dernières décennies, à la faveur de l'ouverture de la Chine, des Eglises chrétiennes, notamment de la mouvance évangélique et pentecôtiste américaine, ont saisi cette occasion pour envoyer certains de leurs membres sur les campus chinois.
Dans ce «Document 18», si c'est bien l'expression jidujiao qui est utilisée (laquelle désigne le christianisme en général), la référence aux Etats-Unis laisse à penser qu'il s'agit essentiellement du protestantisme évangélique ou pentecôtiste, lequel, de fait, se montre particulièrement actif sur les campus universitaires. La présence catholique sur les campus, remarque un ancien «expert étranger», existe bel et bien, mais s'exerce de manière «plus discrète».
Ce même «expert étranger» estime que le «Document 18» ne comporte pas en soi d'éléments nouveaux. Depuis bien des années, tout enseignant étranger engagé sur un campus chinois doit signer un contrat par lequel il s'engage à ne pas faire preuve de «prosélytisme ou de toute activité nuisible au peuple chinois». S'agissant du contenu des enseignements dispensés, cet expert signale que les enseignants étrangers sont amenés à présenter leur culture d'origine, «ce qui, dans le cas des Occidentaux, rend difficile le fait de ne pas expliciter les fondements chrétiens ou judéo-chrétiens de la culture européenne». Face à des étudiants qui n'ont pour s'informer sur le christianisme, pas d'autres ouvrages dans les bibliothèques universitaires que ceux de la critique marxiste des religions, les enseignants étrangers doivent faire preuve de «créativité pédagogique».
Interrogé par l'agence Ucanews, des prêtres et des étudiants catholiques chinois relativisent la portée du «Document 18». Responsable de la pastorale des jeunes dans un diocèse de Hebei, un preêtre estime que l'on ne peut attendre autre chose du gouvernement que ce genre de texte. «Mais les autorités devraient réaliser que de nos jours, il est impossible de contrôler les pensées des gens, sauf à revenir à une époque sans télévision ni Internet.» L'écho est le même chez cet étudiant du Zhejiang qui hausse les épaules: «Le régime communiste n'a-t-il pas toujours agi ainsi? Nous y sommes habitués.» Dans le Shandong, un autre étudiant doute de voir les directives du Comité central appliquées réellement sur le terrain ; un tel document «ne fait que refléter l'immaturité de la politique religieuse du gouvernement», analyse-t-il. Dans le Gansu, un jeune responsable d'un groupe d'étudiants catholiques interroge les véritables intentions du gouvernement : «Selon la loi, tout citoyen âgé de plus de 18 ans est libre de choisir sa religion. Pourquoi alors s'en prendre de manière spécifique aux chrétiens? C'est de la discrimination antireligieuse dirigée contre les Eglises [chrétiennes]. Le gouvernement devrait plutôt produire des documents s'intéressant aux problèmes psychologiques des étudiants et ouvrir les yeux sur les avortements que subissent les étudiantes ou bien sur la fréquence des suicides sur les campus.»
Cet article a été publié le 27 décembre 2012 par Eglises d’Asie, Agence d’Information des Missions Etrangères de Paris (128 rue du Bac, 75341 Paris Cedex 07).
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