À la veille de l’an 2000, des craintes d’événements catastrophiques étaient déjà apparues. Mais elles étaient projetaient sur des groupes religieux les clichés sur les supposées "Terreurs de l’An Mil" (d'ailleurs mises en question par plusieurs historiens) ou exprimaient des inquiétudes technologiques (le "bug de l'an 2000" qui aurait menacé le fonctionnement des ordinateurs et de tous les systèmes informatiques).
Au cours des trois dernières années, nous avons été témoins d’un épisode encore plus étonnant. Nées dans des milieux New Age qui ne touchent – numériquement – qu’une modeste fraction de la population des pays occidentaux, des spéculations liées au calendrier maya et à des attentes d’événements importants en décembre 2012 se sont répandues, sous des formes variées, dans la culture populaire et trouvent un fort écho médiatique, même si c’est la plupart du temps sur un ton ironique. À l’approche de la date fatidique, émissions de télévision ou de radio, articles dans des journaux et dossiers dans des magazines abordent ce sujet. Des personnes nullement liées aux courants de la "religiosité parallèle" avouent une vague inquiétude, liée plus à la présence publique du thème qu'à une information précise sur le sujet.
Comment expliquer une telle diffusion? Nous pouvons identifier plusieurs facteurs. En 2009, le film catastrophe de Roland Emmerich, 2012, a associé cette année à un tournant catastrophique pour la planète (suivi d'un salut pour une petite partie de l'humanité); il s'agissait bien sûr d'une fiction (même si Emmerich lui-même n'est pas insensible à certaines théories non conventionnelles, par exemple la thèse des "anciens astronautes" d'Erich von Däniken), mais le battage publicitaire autour du film et les images spectaculaires de dévastation ont contribué à populariser le thème. Les médias ont senti qu'un public toujours sensible au petit frisson et aux événements spectaculaires ne pouvait manquer d'être intéressé par le thème récurrent de la "fin du monde": la démarche médiatique a joué un rôle ambigu, offrant une incomparable caisse de résonance au sujet tout en disant vouloir "éclairer" le public en contestant la validité d'attentes apocalyptiques – le résultat final étant de créer le sentiment qu'il y a une discussion et qu'il pourrait éventuellement se passer quelque chose. Internet, enfin, a certainement contribué notablement à la popularisation de 2012: pas seulement sous la forme de textes, mais aussi de vidéos, diffusées sur YouTube et d'autres canaux semblables.
Parmi les personnes ou groupes qui attribuent une signification à 2012, nous observons une cacophonie interprétative: les scénarios les plus variés circulent. Avant de les résumer très brièvement, il convient d'abord de rappeler la généalogie des croyances à 2012.
Les Mayas, leur calendrier – et les autres
Les Mayas avaient élaboré plusieurs calendriers. L'un, le calendrier dit du "Compte long", commencerait en l’année 3114 av. J.-C. et se terminerait autour du 21 décembre 2012, selon la plupart des calculs d'équivalence en calendrier grégorien, mais cela ne semble pas impliquer une "fin du monde": simplement le début d'un nouveau cycle calendaire. De toute façon, c'est improprement que l'on parle de "prophétie maya": il faudrait plutôt parler d'interprétations d'un calendrier maya, et se souvenir aussi que nos connaissances de la civilisation maya ancienne restent fragmentaires.
Comme l'ont fait remarquer des mayanistes, ces lacunes ouvrent un champ d'interprétation favorable aux spéculations sur 2012: ce que l'on sait sur les Mayas fascine un public, tandis que tout ce que nous n'en savons crée le sentiment d'un "mystère maya" et favorise la mise en circulation de théories parfois très surprenantes. Quant à la base des croyances sur 2012, l'existence d'un calendrier donne à toute la construction un apparent surcroît de crédibilité:
"La description de la connaissance maya comme fondée sur l'astronomie et des calculs mathématiques complexes lui donne une allure scientifique et ainsi, d'une certaine manière, moderne. Dans un monde où la science est souvent mise en opposition avec le christianisme [...], l'absence d'un contexte chrétien pour des textes anciens comme [ceux du] monument de Tortuguero ajoute à l'aura paradoxalement moderne de la connaissance maya. [...] L'impression donnée par de tels calculs [trouvés sur des monuments mayas] est que les anciens Mayas étaient des scientifiques de talent un ou deux millénaires avant le début de la révolution scientifique occidentale." (Matthew Restall et Amara Solari, 2012 and the End of the World: The Western Roots of the Maya Apocalypse, Lanham, Rowman & Littlefield, 2011, p. 125)
Les auteurs qui ont diffusé les croyances autour de 2012 ne se bornent cependant pas à la référence maya. Celle-ci est un point de départ, mais des références éparpillées dans les cultures les plus variées (en particulier des civilisations anciennes ou des peuples indigènes) se voient appelées à la rescousse: le résultat, par une accumulation d'indices, est le sentiment que de nombreuses traditions auraient attendu quelque chose autour de l'année 2012. Viennent ensuite s'y ajouter l'évocation de phénomènes astronomiques et, chez certains auteurs, des révélations qui auraient été reçues par voie spirituelle.
Ce qui frappe surtout l'observateur est le grand éclectisme des références et la réception souvent acritique d'éléments glanés aux sources les plus diverses. Notons aussi la valorisation de peuples indigènes, détenteurs supposés d'une sagesse perdue par l'Occident moderne: l'intérêt pour 2012 a notamment permis aussi à des groupes indiens d'Amérique centrale à la fois de prendre leur place dans des réseaux de religiosité globalisée et de donner par la même occasion une résonance à leurs messages indigénistes.
Au commencement était Argüelles...
À travers des ouvrages de spécialistes américains de la civilisation maya, la connaissance du calendrier du "Compte long" atteignit certains Américains actifs dans des milieux de quête spirituelle. De premières références à 2012 apparaissent ainsi chez quelques auteurs des années 1970, sans susciter encore une forte attention.
La principale impulsion initiale pour la diffusion actuelle du thème remonte à un livre d'un auteur américano-mexicain, José Argüelles (1939-2011). Argüelles était un historien de l’art, qui enseigna dans plusieurs universités américaines, mais s’immergea aussi dans le monde de la contre-culture des années 1950 à 1970. Sa biographie en deux volumes, rédigée par Stephanie South, qui fut sa compagne dans la dernière partie de sa vie, le montre en interaction avec un nombre considérable de figures de la "religiosité parallèle".
Rendu attentif à la date de 2012, Argüelles en fit un élément central de son message. Mais la question du calendrier l'intéressait plus largement. Argüelles invitait à abandonner le calendrier grégorien pour adopter le calendrier maya des Treize Lunes; en effet, selon Argüelles, le calendrier grégorien nous place dans une fréquence temporelle erronée, celle d’un temps mécanique et du matérialisme: c’est la technosphère. Il existe selon lui un lien entre le temps artificiel et la destruction de la biosphère?: seul un retour collectif au temps naturel permettra de changer d’orientation.
En 1987, Argüelles publia un livre intitulé Le Facteur maya (tardivement traduit en français, en 2010 seulement) et fut la même année la cheville ouvrière d'une grande méditation collective simultanée en différents endroits de la planète: la Convergence Harmonique (16-17 août 1987). Il s'agissait ainsi de coopérer à l'entrée dans la période préparatoire à l'harmonisation de 2012. Probablement des dizaines de milliers de personnes sur le globe y participèrent-elles d'une manière ou d'une autre.
Aux yeux d’Argüelles et de ses disciples, la Convergence Harmonique représentait l’accomplissement de la prophétie précolombienne des Treize Cieux et Neuf Enfers, selon laquelle la réponse de 144.000 personnes à l’appel à méditer en août 1987 permettrait au monde d’être renouvelé et d’entrer dans un "nouvel âge" (même si Argüelles était réticent à assumer l'étiquette de New Age et préférait celle de Now Age). En bons millénaristes, Argüelles et ses disciples regardaient dans l’actualité pour y trouver des "signes des temps": il fait ainsi remarquer que les marchés financiers de New York auraient connu leur plus forte chute 65 jours après la Convergence Harmonique et que la Guerre froide était terminée 3 ans plus tard.
Plus immédiatement, après la Convergence Harmonique, l'intérêt pour 2012 ne se manifesta plus guère sur le devant de la scène: cela ne signifia pas que le thème disparut, mais, en dehors d'Argüelles, il n'y avait pas beaucoup d'auteurs qui y accordaient une forte importance. En revanche, l'espérance d'un Nouvel Age et d'une transformation de la situation actuelle de la planète était toujours présente et pouvait venir se greffer sur tout support adéquat. Dans ce sens, nous pouvons considérer les attentes croyantes autour de 2012 comme une revitalisation des attentes de mutation planétaire couramment associées au New Age.
La vague de 2012: Nouvel age ou "fin du monde"?
Si Argüelles a donné une impulsion cruciale, ce serait une erreur de lui attribuer un rôle central dans la suite des événements. Progressivement, en effet, surtout à partir des années 2000, nous voyons apparaître un nombre toujours croissant d'auteurs, de conférenciers et de cercles intéressés par 2012. La plupart d'entre eux n'ont pas lu Argüelles. Le thème de 2012 s'est autonomisé et fait son chemin de façon indépendante. Chaque auteur le traite à sa façon. Beaucoup intègrent les attentes autour de 2012 à un message préexistant. Cela est donc très différent d'attentes datées autour d'un prophète, avec une référence unique et dogmatique: dans le cas de 2012, il s'agit d'appropriations souples, à la carte, permettant à chacun de retenir ce qu'il veut. Il est donc impossible d'identifier un message sur 2012: le seul point commun est le sentiment qu'il va ou pourrait se passer quelque chose à cette date ou autour de cette date – sans parler des auteurs qui l'utilisent comme accroche pour attirer l'attention, tout en disant qu'il ne se passera rien.
Qu'attendent donc ceux qui attribuent une signification au calendrier maya et à la date de 2012? L'observation de réunions organisées ces deux dernières années dans des cercles de la "religiosité parallèle" montre que la plupart des intervenants, sans exclure des catastrophes (ne serait-ce que comme passage purificatoire du monde ancien au monde nouveau), mettent avant tout l'accent sur le caractère positif et évolutif de ce tournant: ils attendent un monde plus lumineux, plus juste, plus paisible. Pas nécessairement tout de suite: même beaucoup de ceux qui pensent que la date précise du 21 décembre 2012 est importante tendent à l'inscrire dans un processus de durée plus longue. En outre, l'accent n'est généralement pas mis sur des conséquences extérieures immédiatement perceptibles, mais plutôt sur des transformations à un niveau plus subtil, bien qu'elles soient supposées au fil du temps exercer des effets perceptibles.
Le sentiment que le monde tel qu'il est ne peut continuer sur la même voie confère un attrait à ces discours: 2012 devient ainsi un message d'espérance.
Comment expliquer alors que les grands titres des médias, quand ils parlent de 2012, mettent beaucoup plus l'accent sur des désastres ou cataclysmes, résumant tout cela à travers l'expression de "fin du monde"? Outre une fréquente difficulté à comprendre la nature d'espérances millénaristes et la tendance des médias à mettre en évidence avant tout les aspects les plus sensationnels, la présence d'une face catastrophique dans les discours sur 2012, au moins sous forme conditionnelle ou comme risque (si l'humanité ou une partie de celle-ci ne s'efforce pas de se transformer) est une première explication. En outre, il y a des auteurs qui approchent 2012 sur un nettement catastrophiste, par exemple les ouvrages du Néerlandais Patrick Geryl: The World Cataclysm in 2012: The Maya Coundown to the End of the World (2005) ou How to Survive 2012: Tactics and Survival Places for the Coming Pole Shift (2007).
Enfin, en dehors des cercles "croyants", proches de thèses du type New Age, les informations les plus immédiatement accessibles au sujet de 2012 sur Internet, notamment des vidéos spectaculaires de destruction de la planète que l'on peut voir sur YouTube, privilégient les scénarios de catastrophes. C'est ce type de matériel, beaucoup plus que les perspectives d'avenir harmonieux circulant dans la religiosité parallèle, auquel ont par exemple accès des adolescents, qui retiennent donc surtout l'idée de cataclysmes.
Il ne faut pas négliger ici l'aspect mi-inquiet mi-amusé, voire ludique, que peuvent prendre ces anxiétés à propos de 2012: nombreux sont ceux qui y croient sans y croire vraiment et jouent à se faire peur. Il est difficile d'estimer combien de personnes se sont concrètement préparées à l'éventualité d'un cataclysme autour du 21 décembre 2012, en constituant par exemple des réserves ou en prévoyant de se rendre dans un lieu éventuellement plus sûr. Ce n'est certainement pas le cas de la majorité de ceux qui confessent un peu d'inquiétude.
Le mot d'apocalypse est lié à la tradition chrétienne, même s'il est utilisé aujourd'hui génériquement. Il n'est pas sans intérêt, à ce propos, de noter que les attentes autour de 2012 ne relèvent pas de la tradition apocalyptique chrétienne, comme l'illustre déjà la référence centrale à la civilisation maya. Les groupes millénaristes chrétiens n'accordent généralement aucun crédit à la date du 21 décembre 2012 et, s'ils évoquent ce thème dans une publication, le font uniquement pour attirer l'attention et expliquer ensuite leur message en disant que cette date n'a aucune signification pour eux. 2012 est un exemple de scénario millénariste ou apocalyptique post-chrétien, même si des fragments d'images apocalyptiques de la tradition chrétienne peuvent y circuler: la croyance à 2012 s'alimente à des sources éclectiques, empruntant sélectivement des éléments à une variété de traditions culturelles et religieuses, et sur un fond d'images ayant plus à voir avec les films de Hollywood qu'avec la Bible pour les versions catastrophistes.
Et après?
Les uns méditeront pour se trouver en accord avec l'évolution planétaire le 21 décembre 2012, d'autres y trouveront une occasion de faire la fête, et certains se réveilleront le 22 décembre soulagés de voir que rien ne s'est produit (sauf imprévu...). Sans exclure, bien sûr, l'éventualité d'initiatives inattendues de petits groupes. Pour les personnes aux inclinations millénaristes, au fil des jours et semaines qui viennent, le flux continu des événements survenant à travers la planète que diffusent jour après jour les médias ne manquera pas d'apporter son lot de "signes des temps" venant confirmer les transformations en cours.
Pour la plupart des cercles "croyants" qui ont prêté attention à 2012, l'absence d'une transformation extérieure n'apparaîtrait nullement comme un échec: il ne manquera pas de se trouver des personnes pour confirmer percevoir des transformations en cours à d'autres niveaux, moins immédiatement perceptibles. Sur la page Facebook d'un groupe de méditation intéressé par 2012, une participante écrivait ce matin même: "Le 21 décembre 2012 pourrait être un jour comme un autre... le même, mais différent." C'est un changement de conscience plus que celui du monde matériel qui se trouve au cœur de l'attente. En outre, il s'agit de milieux de chercheurs spirituels, naviguant dans un univers avec des références de base communes, mais habitués à une variété interprétative et à des réagencements individualisés en fonction des nouveaux messages et des nouvelles pratiques qui irriguent constamment la "religiosité parallèle".
Comme nous l'avons vu, le thème de 2012 s'est prêté à une revitalisation des attentes du Nouvel Age. C'est donc l'idée d'une période de transition qui domine. Plusieurs groupes entendent conserver cet élan et faire de 2012 un point de départ, afin d'"accélérer la prochaine évolution": la crise comme occasion de transformation. Ainsi en va-t-il des appels optimistes de Barbara Marx Hubbard (née en 1929), de sa Foundation for Conscious Evolution et du Shift Network, qui ont lancé l'initiative Birth 2012, afin de "célébrer la naissance d'une nouvelle ère" et de "cocréer une évolution consciente": C'est l'appel renouvelé du New Age à un "changement de paradigme". "Notre crise est une naissance", si nous choisissons l'évolution au lieu de l'extinction pour l'espèce humaine. 2012 joue un rôle d'appel mobilisateur, débouchant sur le 22 décembre comme jour de naissance d'une nouvelle humanité et le premier jour d'une nouvelle ère, début d'une nouvelle étape plus que fin. Nul doute que cet élan continuera de trouver de nouveaux thèmes pour s'exprimer, car il répond à des attentes et espoirs de changement.
Jean-François Mayer
Quelques enquêtes ou recherches pour en savoir plus
Joseph Gelfer (dir.), 2012: Decoding the Countercultural Apocalypse, Sheffield, Equinox, 2011.
Laure Gratias, La Grande Peur de 2012, Paris, Albin Michel, 2011.
Jean-François Mayer, “Le phénomène 2012: entre attentes apocalyptiques et Nouvel age”, in Philippe Bornet et al. (dir.), La Fin du Monde: analyses plurielles d’un motif religieux, scientifique et culturel, Genève, Labor et Fides, 2012, pp. 117-130.