Ce rapport, qui peut être téléchargé sur ce site (voir les liens en fin d'article), a été établi par Jean-François Mayer, directeur de l'Institut Religioscope, avec l'assistance de Pierre Köstinger, assistant de recherche. Cette recherche a été préparée à la demande du Conseil d'Etat du canton de Fribourg (c'est-à-dire le gouvernement cantonal), à la suite d'un postulat adopté en 2010 par le Grand Conseil (parlement cantonal), qui demandait des éclaircissements sur l'évolution des groupes religieux dans le canton. Cette demande s'inscrivait dans le sillage du débat suscité en Suisse par le vote de novembre 2009 sur l'interdiction de la construction de nouveaux minarets. Pour répondre à certaines de ces interrogations, le rapport a donc prêté une attention particulière aux nouvelles composantes du paysage religieux local, mais en examinant également les transformations intervenues au sein des Eglises établies.
En effet, le canton de Fribourg est traditionnellement considéré comme l'un des bastions du catholicisme en Suisse. L'Eglise catholique romaine conserve une place importante, d'autant plus que Fribourg abrite de nombreuses institutions catholiques ainsi qu'une faculté de théologie réputée, mais les trente dernières années ont été marquées par une diversification religieuse. Plus récemment, comme dans le reste de la Suisse, le pourcentage des personnes se déclarant sans confession a fortement augmenté.
Lors de la conférence de presse de ce 24 septembre, présidée par Madame Marie Garnier, conseillère d'Etat, en charge de la Direction des institutions, de l’agriculture et des forêts (DIAF), Jean-François Mayer a rappelé que, ces dernières années, des ouvrages proposant un inventaire des communautés religieuses ont été publiés dans plusieurs cantons ou villes de la Suisse. "Ces initiatives témoignent d’une curiosité pour le paysage religieux local, parce que nous avons conscience qu’il s’est diversifié au cours des trente ou quarante dernières années. En outre, d’importants projets de recherche sur les religions en Suisse ont été menés ces dernières années, notamment dans le cadre du PNR 58 du Fonds national de la recherche scientifique: un programme qui avait été lancé parce que l’évolution de la situation paraît requérir aussi l’attention du monde politique", a souligné Jean-François Mayer.
Si le rapport de l'Institut Religioscope s'inscrit dans ce contexte, son propos est différent. Un premier chapitre offre un aperçu d’ensemble de la plupart des communautés religieuses présentes dans le canton, c’est-à-dire ayant des réunions régulières sur territoire fribourgeois. Mais cet inventaire n’est pas le cœur de l’étude: il pose plutôt le fondement pour les chapitres suivants. Ceux-ci tentent d’éclairer les changements en cours, les relations entre communautés religieuses et l’inscription de celles-ci dans la société fribourgeoise, pour terminer par une conclusion prospective.
Pour poser le décor, Jean-François a présenté à ses auditeurs quelques données statistiques, tout en déplorant l'abandon du recensement fédéral décennal dans sa forme classique. "Il y a dix ans, l’opération aurait été bien plus simple, car le recensement annuel offrait des informations très précises sur toutes les religions. Malheureusement, avec la nouvelle méthode de sondage portant sur 3% de la population, et excluant d’emblée 17% de la population, à commencer par toutes les personnes âgées de moins de 15 ans, nous sommes privés d’un précieux outil d’information. Les registres officiels ne nous informent en effet que sur les appartenances aux religions reconnues de droit public." Dans le canton, trois groupes religieux bénéficient du statut de droit public: l'Eglise catholique romaine, l'Eglise évangéliquer réformée et la communauté israélite.
En procédant à une corrélation entre les différentes données disponibles ainsi que les observations de terrain et discussions avec les représentants des différentes communautés, Jean-François a livré les chiffres et estimations suivants pour l’année 2011 (la population du canton comptait près de 285'000 habitants à la fin de l'année 2011):
185’000 catholiques romains (recensement 2000: 170’069)
40’000 réformés (recensement 2000: 34’401)
Moins de 60 juifs (recensement 2000: 138)
Plus de 10’000 musulmans (?) (recensement 2000: 7'389)
Environ 1'000 à 1'500 alévis (?)
Environ 2’500 à 3’000 orthodoxes (préchalcédoniens inclus, notamment érythréens) (?)
Au moins 2'000 évangéliques (Eglises de migrants inclues) (recensement 2000: 1'584)
Près de 1'000 Témoins de Jéhovah, sympathisants et enfants inclus (recensement 2000: 510)
Environ 300 néo-apostoliques (recensement 2000: 297)
Quelques centaines de bouddhistes (recensement 2000: 481)
Moins de 300 hindous (recensement 2000: 241)
Plus de 35'000 sans appartenance et sans indication (recensement 2000: 25'000)
Les quelques milliers restants pour aboutir au total se répartissent entre d'autres communautés plus petites et — probablement — les personnes sans appartenance ou sans indication.
En chiffres absolus, à l’exception de la communauté juive, le nombre des fidèles des communautés religieuses de droit public augmente. En même temps, cependant, leur pourcentage par rapport à la population totale du canton diminue, ce qui est dû à la fois à la diversification religieuse et à la montée du nombre de gens qui renoncent à toute affiliation religieuse.
L’attachement aux Églises chrétiennes reconnues demeure une réalité. Nous sommes donc loin d’une situation comme celle des cantons de Bâle-Ville ou Neuchâtel, où les personnes sans appartenance religieuse viennent en tête des statistiques. Dans le canton de Fribourg, les églises ne sont pas vides, mais moins pleines que par le passé, malgré l’augmentation de la population. Tous nos interlocuteurs, toutes tendances confondues, s’accordent pour constater une chute importante de la pratique religieuse régulière et pour estimer que le fond n’est pas encore atteint. Dans bien des paroisses, la génération des moins de 40 ans brille assez largement par son absence, malgré l’existence de noyaux de convaincus. Pourtant, la plupart des gens qui ne fréquentent plus vraiment leur paroisse continuent d’y appartenir — et de manifester cette appartenance en payant un impôt ecclésiastique: en effet, toute personne annoncée comme catholique romaine, réformée ou juive paie un impôt supplémentaire destiné à sa confession, impôt collecté par les soins des services fiscaux, puis reversé aux communautés.
"Les Églises historiques comme ressources pour la société conservent leur importance. Nombre de ceux qui ne fréquentent plus les églises attendent que celle-ci soit toujours là, notamment à l’occasion de grands événements personnels ou collectifs." Mais, prévient Jean-François Mayer, "nous ne pouvons exclure, dans dix ou vingt ans, une accélération d’un mouvement de détachement, sans avoir à ce sujet de certitude ou d'indice clair." Si cela ne se produit pas, "il n’est pas impossible qu’une situation semblable à celle que nous voyons aujourd’hui se poursuivre, bien qu’avec un changement majeur: la nécessité pour l'Eglise catholique romaine d’organiser la vie liturgique avec un clergé encore moins nombreux."
Depuis les années 1980 s’est amorcée une rapide diversification du paysage religieux dans le canton de Fribourg. Il y a trente ans n’y existait aucune communauté évangélique indépendante francophone (mais deux germanophones) et aucun lieu de prière musulman. Aujourd’hui, nous y trouvons sept lieux de culte musulmans publics, quatre églises africaines et plusieurs autres communautés évangéliques.
"La diversification à laquelle nous avons assisté surtout à partir des années 1980 va se poursuivre, mais probablement pas de façon exponentielle. Les données statistiques révèlent qu’il n’y a pas eu, au cours des dernières années, une aussi forte augmentation de la pluralisation religieuse qu’on ne s’y attendait. Par exemple, certaines personnes pensaient que le nombre de musulmans doublerait à nouveau en Suisse, comme il l’avait fait au cours de chacun des deux précédentes décennies, mais cela n’a pas été le cas entre 2000 et 2010: il n’y pas eu de nouveau conflit dans les Balkans. Cela n’empêche pas que la population musulmane continuera d’augmenter, mais vraisemblablement pas au même rythme." Le rapport cite les prévisions démographiques les plus sérieuses, à l’échelle de la Suisse, envisageant 10% de musulmans vers 2050 (entre 8,5% et 11,5% en 2050, en fonction de différents scénarios). Jean-François Mayer souligne qu'il s'agira alors d'une communauté beaucoup moins marquée qu'aujourd'hui par la dimension migrante, formée majoritairement de citoyens suisses et nés en Suisse, par suite des démarches de naturalisation.
La diversité religieuse du canton est d’abord le résultat de migrations internationales et intercantonales, a également remarqué Jean-François Mayer. "Il y a des convertis fribourgeois à des confessions religieuse autres que le catholicisme ou le protestantisme, mais pas de vague: la population musulmane est en grande majorité de nationalité étrangère. Même la croissance des Églises dites évangéliques dans le canton aurait été plus modeste sans l’apport intercantonal et international."
La migration profite à toutes les communautés, y compris l’Église catholique romaine: cela lui a permis de continuer de croître en chiffres absolus (quelque 10% des catholiques du canton sont aujourd'hui d’origine portugaise).
Aucune communauté minoritaire n’a le projet de demander un statut de droit public dans une proche avenir. D'ailleurs, a rappelé Jean-François Mayer, les communautés ne sont pas toutes intéressées par un tel statut: certaines préfèrent la complète indépendance assurée par le statut de droit privé. La possibilité d'introduire la demande d'une reconnaissance de droit public existe légalement, sur la base d'une loi de 1990, confirmée par la Constitution cantonale actuellement en vigueur. L'une des conditions est notamment un enracinement stable de trente années dans le canton.
"Ce n’est pas un thème prioritaire pour l’avenir immédiat", d'autant plus que cela demanderait, notamment chez les musulmans de la région, un degré d'organisation plus élevé. "En revanche, dans plusieurs communautés minoritaires, en particulier chez les musulmans, nous avons constaté une aspiration à une reconnaissance morale, à être considérés comme des partenaires dans la société."
Une demande concrète qui s’exprimera certainement dans les vingt prochaines années sera celle d’un carré musulman dans un ou des cimetières fribourgeois, au fur et à mesure que grandiront et vieilliront des musulmans enracinés localement et n’envisageant plus le rapatriement des corps vers des pays d’origine, comme cela reste largement pratiqué pour l'instant. L'existence historique, dans le canton, d'un carré réservé aux juifs dans le cimetière de la ville de Fribourg et de cimetières protestants (peu utilisés aujourd'hui) dans le district de la Singine, crée des précédents sur la base desquels des solutions pourront sans doute être trouvées le moment venu. Pour l'instant, "ce n’est pas encore un thème abordé par les responsables associatifs musulmans, mais on entend des fidèles commencer à l’évoquer, et la question viendra donc tôt ou tard sur le tapis."
Même si les remous provoqués par des débats, notamment autour de l'islam, se font sentir dans le canton de Fribourg comme ailleurs en Suisse et en Europe, le canton n’est pas traversé par de fortes tensions entre communautés religieuses ou entre certaines de celles-ci et la société. Il est vrai que des initiatives préventives, notamment des directives apaisantes et tolérantes sur la gestion de la diversité religieuse et culturelle à l'école (édictées en 2010 par la Direction de l'instruction publique), ont permis de désamorcer de potentiels sujets de friction. "Des préoccupations se font entendre ici et là, mais, à de rares exceptions près, les minorités religieuses s’adaptent de fait au contexte d’une école pluraliste."
Comme on pouvait le prévoir, ce rapport confirme, sur bien des points, les grandes lignes d’études plus générales réalisées ces dernières années en Suisse. Sa contribution est de préciser ce que signifient concrètement l'évolution et la diversification religieuses locales, pour tracer ainsi les contours de la situation religieuse du canton. au début de la seconde décennie du XXIème siècle.
Veuillez cliquer ici pour télécharger le rapport Les communautés religieuses dans le canton de Fribourg en français (100 pages, 2.2 Mo) ou le lire en ligne ci-dessous.
Si vous préférez, il est également possible de télécharger le rapport en allemand (104 p., 2,3 Mo).