En mars 2012, la Chambre basse du Parlement suisse, suite à une série de polémiques concernant la présence de crucifix dans les salles de classe d'écoles publiques, a donné son soutien à l'ajout d'un article à la Constitution fédérale suisse, qui devrait déclarer que «les symboles de l'Occident chrétien sont autorisés dans l'espace public.» Cette décision parlementaire montre l'importance d'un sujet qui s'inscrit dans un débat plus large traversant l'Europe. En effet, l'arrêt de mars 2011 de la Cour européenne des droits de l'homme, dans l'affaire Lautsi, autorisant l'Italie à conserver ses crucifix dans les salles de classe de ses écoles publiques, n'a pas clos la controverse. L'affaire Lautsi a révélé, au niveau politique, une fracture entre l'Est et l'Ouest de l'Europe sur la question de la légitimité sociale du christianisme. Le nœud du conflit porte sur les concepts de neutralité confessionnelle de l'enseignement public et de neutralité confessionnelle de l'Etat, qui sont contestés au nom de la culture et de l'histoire chrétienne de l'Europe. Sur le plan juridique, le principe de neutralité est contesté en vertu du principe de marge d'appréciation locale, qui seul accorderait aux Etats une liberté garantissant la préservation de la traditionnelle diversité juridique de l'Europe.
L'affaire suisse est particulièrement intéressante (même si sa portée est bien moindre que celle de l'affaire Lautsi) parce qu'elle rend visible la complexité juridique des argumentations discordantes et la difficulté de savoir quelles instances (exécutives, juridiques ou législatives) doivent décider du sort des symboles religieux dans les écoles. En Suisse, la répartition de l'autorité politique à trois étages (Confédération, Etats cantonaux et communes) a donné lieu à des tensions similaires à celles de l'affaire Lautsi, opposant des autorités locales et celles d'un échelon supérieur. La polémique se cristallise autour de la présence de symboles religieux assumés par des autorités politiques et porte, en définitive, sur des options fondamentales quant à la nature de l'Etat et à sa relation avec les éléments chrétiens de la culture et de l'histoire nationale ou locale.
I. La polémique suisse
L'affaire du canton du Valais
Valentin Abgottspon, président de la section locale de l'Association suisse des libres penseurs (ASLP), enseignant à l'école publique de la commune à forte dominante traditionnelle catholique de Stalden en Haut-Valais dans les Alpes suisses, a été licencié en octobre 2010 pour avoir refusé d'accrocher au mur d'une salle de classe un crucifix qu'il avait ôté lui-même au nom de la séparation entre l'Eglise et l'Etat (un reportage vidéo présente en 2 minutes un résumé des débuts de l'affaire).
Suite à la confirmation du licenciement par l'exécutif du canton du Valais, le chef du Service de l'instruction publique déclare que «l'école valaisanne n'est pas laïque» étant donné que la loi cantonale (les cantons sont des Etats possédant chacun sa propre constitution et sa propre législation, soumises pourtant à la Constitution et aux lois fédérales) mentionne que l'école doit chercher à collaborer avec celles des Eglises qui sont reconnues comme institutions de droit public. L'école a également pour mission selon la loi de préparer l'élève «à sa tâche de personne humaine et de chrétien.» Pour sa part, l'enseignant avait invoqué un arrêt du Tribunal fédéral de 1990 (valable sur tout le territoire suisse), qui avait condamné la présence de crucifix dans les salles de classe d'une école publique d'une commune tessinoise (le Tessin est un canton italophone au sud de la Suisse) pour raison d'incompatibilité avec le principe de neutralité de l'enseignement public.
Suite à cette polémique, l'UDC (Union démocratique du centre, parti de droite conservatrice) essaie de rendre les crucifix obligatoires dans tout le canton, postulat politique qui est sèchement refusé.
L'affaire du canton de Lucerne
Durant la même période, une affaire similaire se déroule à Triengen, une commune du canton de Lucerne, en Suisse centrale. Un citoyen allemand, David Jan Schlesinger, également libre penseur et membre de la FVS (Freidenker Vereinigung der Schweiz, version alémanique de l'ASLP), demande le retrait des crucifix dans les salles de classe de l'école de ses enfants en se fondant sur le même arrêt du Tribunal fédéral de 1990. La commune opte pour une solution de compromis, remplaçant les crucifix par de simples croix, dont l'on peut dire que l'intensité symbolique est moindre.
L'affaire monte devant le gouvernement cantonal lucernois, qui soutient que les crucifix ont une place légitime dans les salles de classe, étant donné qu'ils sont des symboles de la culture chrétienne du canton. De nombreuses personnes non pratiquantes approuvent la présence symbolique du christianisme dans les lieux publics et sont capables de se mobiliser dans le cas où une menace semble peser sur leur identité culturelle, comme en témoigne une pétition nommée «Le crucifix reste!» avec presque 12'000 signatures. La presse relate que plusieurs personnes disent être choquées qu'une seule personne veuille imposer son point de vue à la majorité. Suite au conflit et à des menaces de mort, M. Schlesinger a quitté la commune, outré par la décision de remplacer les crucifix par des croix.
(Une page du site de la Radio Télévision Suisse offre de multiples liens d'archives sur ces affaires. Voir aussi une série de notices sur de nombreux détails de l'affaire sur le site de l'ASLP.)
L'Association suisse des libres penseurs
Dans les deux affaires, la polémique a éclaté suite à des actions menées par des membres de l'Association suisse des libres penseurs dans des contextes villageois où leur propre position politique, celle d'un laïcisme militant, était très minoritaire. Les sites de l'ASLP et de la FVS déclarent militer «pour la séparation de l'Eglise et de l'Etat». L'ASLP s'oppose en particulier à tout privilège ou préférence que l'Etat pourrait accorder à une ou plusieurs religions particulières. De tels privilèges sont contraires, dans cette perspective, à l'égalité de traitement des communautés religieuses. L'ASLP promeut un processus de séparation de l'Eglise et de l'Etat «qui consiste à supprimer progressivement les liens existants entre l'Etat et les Eglises».
Les autorités communales et cantonales impliquées dans ces deux affaires se sont manifestement surtout souciées de préserver la paix sociale, partant du principe politique (perçu comme démocratique) selon lequel il n'est pas souhaitable (et sans doute pas possible) de maintenir la sérénité dans un village en imposant les convictions politiques laïques d'une minorité à une majorité qui veut conserver les crucifix et qui ne perçoit pas leur présence comme un symbole de prosélytisme chrétien, mais comme un symbole de la culture communale, cantonale et suisse.
Dans ce contexte, il n'est certainement pas possible de parler, comme certains articles de presse le font, de nouvelles guerres de religions, puisque ce ne sont pas diverses confessions religieuses qui s'opposent, mais, d'une part, une minorité qui milite pour une laïcité stricte s'inscrivant dans la tradition athéiste de la libre pensée et, d'autre part, des autorités exécutives locales s'appuyant sur la culture, la tradition et le sentiment de la majorité de la population concernée.
L'arrêt Cadro et le cadre légal en Suisse
Dans les deux affaires que nous avons mentionnées, les libres penseurs ont légitimé leur action en faisant référence à l'arrêt du Tribunal fédéral du 26 septembre 1990, qui s'appelle Comune di Cadro c. Guido Bernasconi e Tribunale amministrativo del Cantono Ticino (Commune de Cadro contre Guido Bernasconi et le Tribunal administratif du Canton du Tessin). L'arrêt ayant été rédigé en italien et n'ayant pas été traduit (sauf récemment, dans une revue juridique spécialisée non disponible gratuitement sur l'internet), il est difficile d'estimer dans quelle mesure les différentes personnes qui s'y réfèrent l'ont lu ou en connaissent le raisonnement juridique.
(Lien vers l'arrêt: http://www.bger.ch/fr/index/juridiction/jurisdiction-inherit-template/jurisdiction-recht/jurisdiction-recht-leitentscheide1954.htm/ Choisir «ATF dès 1954», puis faire une recherche avec le mot-clef «Cadro» en limitant à l'année 1990, le numéro de l'arrêt étant «116 la 252»)
Bien que l'arrêt condamne la présence des crucifix dans les salles de classe de l'école publique en vertu d'une incompatibilité avec le principe jurisprudentiel de la neutralité confessionnelle de l'enseignement public, le raisonnement de l'arrêt est extrêmement nuancé et semble même hésitant dans sa partie conclusive. La chronologie et les rebondissements de la procédure reflètent la diversité d'opinion qui existe et la confusion sur la question de savoir quelle est l'autorité qui doit trancher. En effet, après un désaccord au niveau du canton du Tessin (le tribunal administratif ayant désavoué l'exécutif cantonal), l'affaire monte devant le Tribunal fédéral qui déclare que selon la loi l'autorité compétente est le Conseil fédéral (exécutif national). Ce dernier tranche en faveur du maintien des crucifix. Un ultime recours porte l'affaire devant l'Assemblée fédérale (autorité représentative suprême en Suisse, composée des deux chambres du Parlement), qui annule la décision du Conseil fédéral et renvoie l'affaire au Tribunal fédéral, contre l'avis de ce dernier...
La décision du Tribunal fédéral de condamner la présence des crucifix est fondée, dans le raisonnement de l'arrêt, sur le principe de la neutralité confessionnelle de l'enseignement public. Le Tribunal fédéral a considéré que le principe de la liberté de conscience et de croyance, ainsi que celui de l'égalité de traitement, qui avait également été invoqué, n'étaient pas violés. Or, contrairement à la liberté de conscience et au principe d'égalité de traitement, qui sont inscrits dans la Constitution fédérale, le principe de neutralité confessionnelle de l'enseignement public (comme celui de la neutralité confessionnelle de l'État ou de la laïcité de l'Etat) n'est pas inscrit dans le texte de la Constitution fédérale suisse (ni dans la Constitution de 1874, valable au moment de l'arrêt de 1990, ni dans l'actuelle Constitution qui date de 1999). La neutralité confessionnelle de l'enseignement public est un principe développé par la jurisprudence du Tribunal fédéral suisse afin de garantir la liberté de conscience et de croyance (art. 15 de la constitution actuelle) dans le contexte d'un enseignement public qui doit être accessible à tous les élèves (quelle que soit leur confession), comme le stipule l'article 62 alinéa 2 de l'actuelle Constitution fédérale (téléchargeable au format PDF): «Les cantons pourvoient à un enseignement de base suffisant ouvert à tous les enfants.» Le principe de neutralité n'a donc pas le même degré de force que les principes énoncés dans le texte même de la Constitution. Pour cette raison, l'arrêt Cadro détaille la nature et les limites du principe de neutralité confessionnelle de l'enseignement public dans l'ordre juridique helvétique, en particulier en disant que cette neutralité n'est pas absolue et que les nombreux avantages qui sont octroyés aux Eglises traditionnelles par nombre de cantons (reconnaissance du statut de droit public, avantages fiscaux, etc.), ainsi que la présence d'éléments chrétiens au niveau national (le statut du dimanche, l'usage du serment, etc.) sont légitimes.
L'arrêt précise que la neutralité confessionnelle est renforcée dans le contexte de l'école publique étant donné que l'enseignement est obligatoire pour tous et que les crucifix n'ont pas un caractère optionnel.
Le Tribunal fédéral conclut en disant qu'il faut admettre que l'exposition du crucifix dans les salles de classe des écoles primaires ne respecte pas l'exigence de neutralité de l'enseignement, en particulier en regard du fait que la doctrine (il s'agit de commentaires juridiques sur le droit suisse par des spécialistes) accepte (en 1990) l'interdiction d'identifier l'enseignement avec des confessions religieuses spécifiques.
Changements récents
La question de la validité actuelle de l'arrêt Cadro doit être posée en regard des différents changements qui sont intervenus sur le plan juridique depuis 1990, en particulier la récente décision, en mars 2011, de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) dans l'affaire Lautsi contre Italie, dans laquelle l'Italie a (après un retournement de situation) été autorisée à conserver des crucifix dans les salles de classe des écoles publiques. L'analyse du contexte juridique et socio-politique de l'arrêt Lautsi, dont la portée transversale en Europe et dont l'importance juridique et politique majeure ne font aucun doute, fait l'objet de la deuxième partie du présent article.
En Suisse, un nouvel article constitutionnel interdisant la construction de minarets sur le sol helvétique a été accepté en votation populaire le 29 novembre 2009 (cf. article 72 alinéa 3 dans la Constitution fédérale, téléchargeable au format PDF). Cet article manifeste bien la relativité du principe de neutralité confessionnelle de l'Etat et participe sans doute à l'affaiblir puisqu'il entérine constitutionnellement une différence de traitement (au niveau de la construction d'édifices religieux) entre l'islam et les autres religions.
Dans ce nouveau contexte, il est difficile de savoir de quelle manière le Tribunal fédéral trancherait aujourd'hui une nouvelle affaire de crucifix dans les écoles qui remonterait jusques à lui. D'une part, l'arrêt Lautsi n'annule pas l'arrêt Cadro du Tribunal fédéral, puisque la CEDH s'est appuyée sur le principe de la marge d'appréciation, qui garantit aux Etats la liberté de trancher ce type de questions pour eux-mêmes. D'autre part, l'arrêt Lautsi fait un raisonnement qui essaie de marier neutralité confessionnelle de l'Etat et marge d'appréciation locale, qui pourrait tendre, s'il était accepté par le Tribunal fédéral, à un léger affaiblissement du principe de neutralité de l'enseignement public, qui pourrait réorienter les conclusions déjà hésitantes de l'arrêt Cadro, si ce n'est en faveur des communes, au moins en faveur de la liberté religieuse des cantons.
L'initiative d'Ida Glanzmann-Hunkeler
Réagissant en particulier à l'affaire des crucifix dans le canton de Lucerne, la conseillère nationale (députée pour son canton à la Chambre basse du Parlement) lucernoise PDC (Parti démocrate chrétien, dont l'origine historique est liée au catholicisme romain) Ida Glanzmann-Hunkeler dépose, en décembre 2010, une initiative parlementaire proposant d'introduire dans la Constitution fédérale l'article suivant: «Les symboles de l'Occident chrétien sont autorisés dans l'espace public.» Le texte original en allemand parle des «symboles de la culture occidentale chrétienne» («Die Symbole der christlich-abendländischen Kultur»).
Mme Glanzmann-Hunkeler explique que l'intention de cet article constitutionnel est d'empêcher que la présence, dans les lieux publics, des symboles de l'Occident chrétien qui sont ancrés dans l'histoire (comme la croix, la crèche, la représentation de la Cène, etc.), puisse être contestée par des particuliers ou des groupes d'intérêt qui prennent prétexte des droits fondamentaux pour remettre en cause la culture suisse.
Dans le développement de son initiative, Mme Glanzmann-Hunkeler déclare que la croix « est non seulement un témoignage de foi, mais aussi l'emblème protecteur du pays (référence au drapeau national, qui comporte une croix blanche sur fond rouge), et symbolise à la fois la paix, l'idée sociale du sermon sur la montagne, la vision occidentale des droits fondamentaux, enfin la culture suisse dans son entier.»
Ce sont le même type d'hésitations et les mêmes divergences d'opinion apparus dans la procédure de l'arrêt de 1990 qui accueillent l'initiative de Mme Glanzmann-Hunkeler, avec un aller et retour discordant entre les commissions des institutions politiques des deux chambres parlementaires. Les opposants à l'initiative estiment «que la tolérance envers les symboles chrétiens n'est nullement menacée dans les lieux publics et qu'il serait disproportionné de modifier la Constitution» et que la neutralité religieuse, qui serait affaiblie par le nouvel article, est nécessaire à la paix religieuse.
Pour leur part, ceux qui approuvent l'initiative estiment que les conflits survenus récemment indiquent qu'une nouvelle base constitutionnelle accordant un statut spécial aux symboles de la culture chrétienne, en vertu de leur place dans la culture suisse, est devenue nécessaire pour les préserver. Une telle modification de la Constitution permettrait en outre de revenir sur l'arrêt Cadro et de clarifier la situation.
Le 5 mars 2012, l'initiative passe devant le Conseil national. Mme Glanzmann-Hunkeler présente son argumentation, insistant sur le fait que la croix fait référence à une culture profonde et vécue et qu'elle est également un symbole de sécurité et de paix.
Ada Marra (Parti socialiste), qui prend la parole en opposition à l'initiative (au nom la Commission des institutions politiques rattachée à la Chambre basse), déclare que cette initiative reporte à tort au niveau suisse une situation qui a été vécue au niveau local et précise que la Constitution n'interdit les symboles chrétiens dans aucun lieu, étant donné que les cantons sont libres de régler ce type de question. Cette ligne d'argumentation montre que même des personnes qui s'opposent à cette initiative ne considèrent pas l'arrêt Cadro comme une norme univoque et valable sur tout le territoire national.
Le 5 mars 2012, le Conseil national (Chambre basse du Parlement) a accepté l'initiative à 87 voix contre 75. Cette décision souligne l'importance du sujet. La répartition des votes montre des tendances politiques nettes: l'UDC et le PDC votent massivement en faveur de l'initiative (sans aucun vote contraire), alors que le Parti socialiste et les Verts votent massivement contre l'initiative (seulement deux voix en faveur). D'autres partis sont plus partagés.
L'avenir de l'initiative dépend de la décision à venir du Conseil des Etats (Chambre haute du Parlement) et, en cas d'acceptation, d'un éventuel referendum populaire. (Voir cet article d'analyse, en défaveur de l'initiative, publié en début de procédure, qui traite en particulier des conséquences juridiques qu'aurait l'acceptation de l'initiative.)
II. L'affaire Lautsi
Nous nous tournons maintenant vers l'affaire Lautsi qui fut tranchée par la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) en mars 2011. Pour les questions relatives à l'exposition des symboles religieux par les Etats en Europe (en particulier dans le contexte de l'éducation publique), l'importance de la jurisprudence établie par la CEDH suite à l'affaire Lautsi ne saurait être sous-estimée.
La Cour européenne des droits de l'homme, qui a son siège à Strasbourg, en France, dépend du Conseil de l'Europe, dont 47 Etats d'Europe sont membres (y compris la Suisse et l'Italie). Le Conseil de l'Europe est plus ancien et distinct de l'Union européenne, qui compte 27 Etats membres (dont l'Italie, mais pas la Suisse). La CEDH est une cour internationale qui a pour tâche de juger de cas où une personne privée (ou morale) fait valoir ses droits contre une violation (supposée) de la Convention européenne des droits de l'homme par un Etat contractant. Concrètement, cela veut dire que, si la requête est favorablement reçue par la Cour, un Etat peut être condamné pour violation des Droits de l'homme suite à une requête émanant d'une personne individuelle.
Historique du cas
Durant l'année scolaire 2001-2002, les deux fils de Mme Soile Lautsi (une libre-penseuse, citoyenne italienne d'origine finlandaise), alors âgés de 13 et 11 ans, sont scolarisés dans l'école publique d'Abano Terme, près de la ville de Padoue, au nord-est de l'Italie. Un crucifix est accroché aux murs des salles de classe. En avril 2002, le mari de Mme Lautsi demande le retrait des crucifix. Après débat, le Conseil de l'école refuse cette requête à une large majorité.
S'engage alors, pour Mme Lausti, une longue décennie de lutte juridique pour essayer de prouver que le principe de laïcité de l'Etat, qui est reconnu par la jurisprudence constitutionnelle italienne, a été violé. Après avoir perdu une série d'appels auprès des cours italiennes, Mme Lautsi présente finalement sa plainte devant la Cour européenne des droits de l'homme en juillet 2006, alléguant que la présence des crucifix dans les salles de classe de l'école publique constitue «une ingérence incompatible avec la liberté de conviction et de religion ainsi qu'avec le droit à une éducation et un enseignement conformes à ses convictions religieuses et philosophiques.»
(L'arrêt de la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l'homme du 18 mars 2011 donne un compte rendu détaillé et équilibré de l'historique du cas. Voir en particulier les § 10-16 [et aussi § 1ss.])
L'arrêt en première instance
L'historique, le contexte et l'argumentation de l'arrêt en première instance (Deuxième section de la Cour européenne des droits de l'homme) peuvent être consulté dans l'arrêt du 3 novembre 2009 (téléchargeable au format PDF). L'argumentation de la Cour, dont il est question en particulier ici, se trouve aux § 47-58.
La requête de Mme Lautsi fut fondée sur l'article 2 du Protocole n°1 de la Convention européenne des droits de l'homme qui protège le droit à l'instruction, combiné avec l'article 9 de la Convention qui protège la liberté religieuse (texte de la Convention au format PDF).
Dans son raisonnement, la Cour fonde son argumentation sur le principe de pluralisme éducatif, qui est fortement ancré dans sa jurisprudence. De ce principe de pluralisme, elle induit un deuxième principe qui est novateur (au moins dans sa formulation), celui d'un devoir de neutralité confessionnelle de l'Etat dans le contexte de l'éducation publique, qu'elle décrit comme «incompatible avec un quelconque pouvoir d'appréciation de la part de celui-ci quant à la légitimité des convictions religieuses ou des modalités d'expression de celles-ci. Dans le contexte de l'enseignement, la neutralité devrait garantir le pluralisme.» (§47 de l'arrêt). La Cour interprète le choix de l'Etat italien d'exposer des crucifix dans les salles de l'école publique comme une préférence donnée au catholicisme. Ce choix préférentiel de l'Etat pour une religion particulière peut conduire à une pression sur les élèves appartenant à des minorités religieuses ou n'ayant pas de conviction religieuse. Considérant que le principe de neutralité de l'Etat était de toute évidence violé, la Cour a donné raison à Mme Lautsi, condamnant l'Italie à une amende de 5000 euros pour dommage moral fondé sur un risque de perturbation émotionnelle pour ses enfants (qui sont non-croyants).
Réactions
Lorsqu'il est rendu public en novembre 2009, l'arrêt provoque d'intenses réactions, non seulement en Italie mais à travers l'Europe. Le débat dépasse alors rapidement le cadre juridique et prend une ampleur sociale et politique très importante. Au cœur de la polémique se trouve la question de la présence visible de la religion chrétienne, par ses symboles, dans l'espace public, ainsi que la question du rapport entre Eglise et Etat.
Le Gouvernement italien fait appel contre la décision de la Chambre (première instance de la CEDH) et demande le renvoi, qui est accepté, devant la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l'homme. Au centre de son argumentation, le Gouvernement italien déclare:
«La République italienne, bien que laïque, a décidé librement de garder une tradition qui remonte désormais à il y a presque un siècle [...] et cela elle l'a fait à cause de sa particularité nationale, représentée par plusieurs facteurs tels que les rapports étroits entre Etat et peuple, d'une part, et catholicisme, de l'autre, sous l'angle historique, traditionnel, culturel, territorial ainsi que par le fait que les valeurs de la religion catholique sont, depuis toujours, profondément enracinées dans les sentiments de la grande majorité de la population.»
(Cf. Saisine de la Grande Chambre § 16, téléchargeable au format PDF. Voir aussi Mémoire du Gouvernement italien §30, téléchargeable au format PDF.)
La décision de la CEDH est non seulement contestée par de nombreuses institutions chrétiennes, notamment le Vatican ou le Patriarcat de Moscou, mais aussi, de manière plus inattendue, par le Dalaï-lama.
La réaction la plus spectaculaire vient d'une série impressionnante de prises de position officielles dénonçant la décision de la Cour, provenant de gouvernements et de parlements de 20 Etats européens membres du Conseil de l'Europe, dont 10 se sont constitués juridiquement comme tiers intervenants dans la procédure formelle devant la Grande Chambre. Une telle intervention d'Etats dans les affaires de la Cour européenne est une chose totalement nouvelle (résumé des interventions écrites des Etats en tierce-intervention, en anglais, téléchargeable au format PDF).
Juridiquement, l'argumentation des Etats fait constamment référence au principe, clairement ancré dans la jurisprudence de la CEDH, de marge d'appréciation qui octroie aux Etats une large liberté de définir et de réguler les rapports entre l'Etat et les confessions religieuses historiquement et culturellement dominantes sur leur territoire. Cette liberté est le fondement juridique sur lequel repose la diversité des modes de relation entre Eglise et Etat en Europe, allant d'Etats complètement laïcs au niveau juridique (Albanie, France et Turquie, par exemple), en passant par des systèmes politiques reconnaissant un statut particulier à certaines Eglises historiques et traditionnelles (Bulgarie, Allemagne), jusqu'aux Etats qui sont clairement confessionnels (Grèce, Finlande et Danemark) (synthèse très complète pour les Etats membres du Conseil de l'Europe - en anglais - dans les annexes d'un document téléchargeable au format PDF) Cette limite de la juridiction de la Cour, que lui ont rappelé les Etats qui sont intervenus, est fondée sur le statut subsidiaire de la Cour, qui ne peut pas émettre de jugement sur une éventuelle violation de principes (comme la laïcité et la neutralité de l'Etat) qui ne sont pas garantis par la Convention européenne des droits de l'homme et qui ne font pas l'objet d'un consensus parmi les Etats du Conseil de l'Europe. Juridiquement, le principe de la neutralité confessionnelle de l'Etat dans le contexte de l'éducation publique, affirmé dans l'arrêt en première instance, est donc dans une situation semblable à celle dans laquelle le place le droit suisse: il s'agit d'un principe jurisprudentiel dérivatif, dont la nécessité est conçue comme découlant de la protection d'autres droits inscrits dans la Convention (liberté religieuse et droit à l'éducation dans le cas d'espèce). Il faut toutefois noter qu'il est plus ancien et plus fortement établi dans l'ordre juridique suisse.
Les réactions face à l'arrêt de la CEDH ont révélé une fracture entre l'Est et l'Ouest de l'Europe sur la question de la légitimité sociale du christianisme. Le principe de sécularisation, qui est fortement ancré en Europe occidentale, se trouve contesté, essentiellement par des pays de l'Est de l'Europe qui semblent avoir découvert au travers de l'affaire Lautsi qu'ils avaient une volonté politique commune de préserver l'héritage chrétien de l'Europe. Il n'est donc pas surprenant de constater que le soutien le plus déterminé donné à l'Italie vient des pays de l'Est qui ont connu durant plusieurs décennies, durant la période communiste, une éradication très forte des symboles religieux dans l'espace public. De nombreux pays de tradition orthodoxe (par exemple la Russie et la Roumanie) sont en train de vivre un printemps chrétien (pour utiliser une expression à la mode) et une réaffirmation forte de l'importance du christianisme pour leur identité nationale et pour l'identité de l'Europe.
Arrêt de la Grande Chambre
Le 18 mars 2011, la Grande Chambre de la CEDH rend public son arrêt définitif. Le retournement de situation semble complet. La Chambre (première instance) avait condamné l'Italie à l'unanimité des 7 juges, alors que la Grande Chambre déclare que l'Italie n'a pas violé la Convention à 15 voix contre 2.
L'élément décisif dans la décision fut la prise en compte du principe de la marge d'appréciation, étant donné, par ailleurs, qu'il n'y avait pas de violation directe de la Convention, l'exposition des crucifix ne pouvant pas s'analyser en endoctrinement. Le malaise ressenti par la requérante face aux crucifix est «compréhensible» dit la Cour, mais sa nature subjective ne lui permet pas de constituer une violation de son droit ou de celui de ses enfants.
Pourtant, une lecture attentive du texte de l'arrêt montre que la victoire des opposants à la suppression des crucifix est loin d'être décisive sur le plan fondamental des concepts et des principes juridiques. En effet, la Grande Chambre maintient le « devoir de neutralité et d'impartialité» des Etats face aux religions, sur lequel reposait l'arrêt en première instance et dont l'on peut dire qu'il est au moins partiellement novateur dans le cadre de la jurisprudence de la Cour. Au niveau du cadre conceptuel, il y a donc une «avancée théorique », dans l'arrêt final Lautsi, qui va clairement dans le sens d'une acceptation du sécularisme comme norme en Europe pour ce qui est de la régulation des relations entre Etats et religions.
La présence de ces deux éléments crée une tension conceptuelle dans l'arrêt, puisque la marge d'appréciation œuvre dans le sens d'une diversité juridique fondée sur les différentes situations nationales et la légitime prise en compte par l'Etat de la tradition religieuse dominante, alors que le principe de neutralité confessionnelle de l'Etat opère dans la perspective d'une norme laïque unique pour toute l'Europe.
Il semble que cette tension puisse être analysée comme une tentative de la Cour de maintenir la ligne de pensée qui a dominée dans le premier arrêt - laïcité stricte - tout en tenant compte de l'argument de la marge d'appréciation, qui fait partie de sa propre jurisprudence et qui a pris un poids politique que la Cour ne pouvait pas ignorer, suite à l'intervention de 20 Etats européens pour soutenir l'Italie.
La ressource la plus complète (avec tous les textes officiels et des textes d'argumentation provenant des deux camps) sur le cas Lautsi se trouve sur le site de l'ECLJ (European Center for Law and Justice, qui est une ONG qui défend les droits des chrétiens).
III. Conclusions
Les affaires de crucifix en Suisse ainsi que l'affaire Lautsi sont le théâtre d'un débat européen plus large dans lequel s'opposent deux interprétations des Droits de l'homme (ou des droits fondamentaux, comme c'est le cas au niveau suisse). L'un des mérites les plus significatifs du cas Lautsi est précisément qu'il a rendu manifeste le fait qu'il existe un conflit juridique et politique majeur en Europe, portant sur la façon dont l'Etat doit se comporter face à la dimension religieuse de sa propre identité nationale.
L'interprétation qui a prévalu dans l'arrêt de la Grande Chambre est, peut-on dire, plus ancienne et traditionnelle, dans le contexte européen. Elle cherche à maintenir un équilibre entre des droits individuels, qui sont explicitement garantis par la Convention, et les droits collectifs des nations, permettant à ces dernières d'exprimer publiquement, par des symboles, leur attachement préférentiel pour la (ou les) religion(s) dominante(s) dans leur histoire et leur culture, dans la mesure où cela ne conduit pas à un endoctrinement. Cette interprétation de la Convention européenne des droits de l'homme donne un rôle important à l'identité historique locale dans l'élaboration de la législation touchant aux questions religieuses. C'est l'idée d'une diversité ou d'une pluralité de systèmes juridiques nationaux en Europe, qui, d'une part, se soumettent tous aux principes qui sont contenus explicitement dans la Convention européenne des droits de l'homme, mais, d'autre part, jouissent d'une marge d'appréciation qui permet de tenir compte de la réalité socio-culturelle locale dans la manière de traiter la relation entre Eglise et Etat. Cette interprétation rappelle que le principe de neutralité confessionnelle de l'Etat ne figure pas dans la Convention et insiste sur le rôle subsidiaire de la Cour de Strasbourg, rappelant que ce sont bien les Etats signataires qui lui ont librement délégué le pouvoir de se prononcer sur les violations des Droits de l'homme. Cette ligne d'interprétation insiste sur la nécessité et la légitimité démocratique de donner une préférence au choix de la majorité et considère qu'une telle préférence est naturelle et n'est pas une discrimination coupable dans la mesure où elle ne viole pas les droits garantis par la Convention. Dans ses conclusions concrètes, l'arrêt de la Grande Chambre a largement suivi cette ligne d'argumentation.
La deuxième ligne d'interpréation des Droits de l'homme insiste davantage sur la nécessité d'une garantie identique des Droits de l'homme pour tous et sur tout l'espace européen (territoires des 47 Etats membres du Conseil de l'Europe). L'une des idées maîtresses de cette interprétation est qu'une diversité des modes d'application des Droits de l'homme, en particulier dans le domaine religieux, qui nous intéresse ici, conduit inévitablement au traitement préférentiel d'une partie de la population constituant (en général) une majorité qui ne saurait être considérée comme menacée. Ce traitement préférentiel constitue une injuste inégalité, puisque les défenseurs des crucifix pensent que le principe de liberté religieuse peut être interprété différemment selon le régime politique («laïcité souple», comme en Italie, ou même non-laïcité) de l'Etat en question. Ces différentes interprétations nationales du principe de liberté religieuse influent sur les droits réels des personnes dans les différents Etats. Cette ligne d'argumentation trouve son point de départ dans l'idée que les Droits de l'homme posent non seulement une série de principes universellement valables (ce que reconnaissent également les tenants de la première interprétation), mais également qu'ils doivent être appliqués de manière uniforme, sans quoi le droit devient arbitraire et se retrouve à la merci d'arguments historiques et contingents dont la majorité peut abuser pour imposer son point de vue aux minorités. Pour cette raison, l'idée que l'on puisse donner un poids décisif à la culture dominante d'un pays ou à des traditions religieuses enracinées dans plusieurs siècles d'histoire est perçue comme dépourvue de justification. Pour cette raison de principe, le poids que peuvent avoir l'histoire ou la culture dans la perspective des défenseurs de la première interprétation est systématiquement ignoré par les protagonistes de cette deuxième interprétation.
Un schéma semblable, avec le même type de distinctions et d'oppositions, se retrouve en Suisse dans la relation entre un principe de neutralité qui découle de la Constitution fédérale (pour tout le pays) face aux particularités religieuses locales des diverses communes et Etats cantonaux.
L'absence de cohérence du droit suisse et de la jurisprudence de la CEDH est le reflet d'une tension et d'une polémique très ancienne concernant la relation entre l'Eglise et l'Etat. Les récentes affaires concernant le port de croix sur les lieux de travail au Royaume-Uni, qui sont en train de remonter à la CEDH, ne font que confirmer que la question des symboles religieux n'a pas encore été réglée de manière satisfaisante en Europe (pour autant qu'elle puisse l'être, étant donné la constante évolution des choses et la réelle divergence de vue entre des groupes d'opinion très importants).
L'acceptation de l'initiative de Mme Ida Glanzmann-Hunkeler donnerait une solution plus définitive et globale, au niveau suisse, à ce conflit (mais dans un sens, bien entendu, inacceptable aux yeux des défenseurs d'une laïcité stricte), dans la mesure où elle cherche à établir une norme constitutionnelle qui garantisse la liberté religieuse des différentes autorités dont dépend l'aménagement des lieux et des espaces publics, sans pour autant imposer la présence des symboles religieux, comme l'aurait voulu l'UDC valaisanne.
Comme le relève Grégor Puppinck (directeur de l'ECLJ), le problème essentiel est l'absence d'instruments légaux qui puissent tenir compte de la dimension sociale de la religion et de la dimension religieuse de la société.
Du point de vue de ceux qui perçoivent le christianisme et ses symboles comme une force constructive et positive dans la société (ou du moins comme inoffensive), le refus de reconnaître le droit à un Etat de donner une préférence à sa propre religion traditionnelle est inacceptable. Car cela impliquerait que l'identité culturelle même de cet Etat, dans la mesure où elle est au moins partiellement déterminée par une religion traditionnelle, doive être éradiquée, afin de ne pas offenser les sentiments religieux, ou non-religieux, de minorités qui font constamment recours aux tribunaux. Cela impliquerait le refus du principe démocratique d'un gouvernement par la majorité (dans le respect des libertés fondamentales des minorités).
De leur côté, les défenseurs d'une laïcité complète perçoivent la religion comme un facteur social négatif, ou du moins comme impropre à influer légitimement sur la nature et l'identité de l'Etat. Pour cette raison, ils ne peuvent pas, par principe, accepter l'idée que l'Etat doive promouvoir ou se compromettre avec des éléments religieux sous prétexte qu'ils appartiennent à l'histoire et à la tradition nationale ou locale. Ce qui leur paraît le plus inacceptable est qu'une culture religieusement marquée par l'histoire influe sur le comportement de l'Etat. Cela est particulièrement vrai pour les libres penseurs, qui sont à l'origine des affaires traitées dans cet article et dont le nom vient précisément de l'idée qu'il faut se libérer de l'influence traditionnelle autoritaire et irrationnelle de la religion dans la vie publique (et individuelle).
Ces affaires et les débats qu'elles ont engendrés montrent que le cœur du conflit porte sur la relation entre l'Etat et les éléments religieux de la culture nationale ou locale. En définitive, la question est de savoir s'il est possible, ou souhaitable, de séparer l'Etat de sa propre culture nationale (forcément marquée par le christianisme en Europe), afin de garantir la neutralité confessionnelle de l'enseignement public et de l'Etat, qui à son tour permet de garantir le pluralisme. Pour formuler la question autrement, est-il légitime que l'Etat s'identifie (même partiellement), au travers de l'exposition de symboles de nature religieuse, à la religion traditionnelle ancrée dans la culture et l'histoire de son peuple?
Ces questions font ressortir une tension. D'une part, se présente une résolution essentiellement politique de la question des symboles religieux dans l'espace public, fondée sur le principe démocratique de la volonté et de l'intérêt de la majorité, qui permet aux autorités exécutives locales de tenir compte de l'histoire, de la culture et du sentiment de la population tout en garantissant aux minorités la liberté de croyance et de conscience. D'autre part, une résolution essentiellement juridique du problème est proposée, permettant à un individu de faire prévaloir le principe de neutralité de l'enseignement public et de l'Etat face à une majorité locale qui s'appuierait abusivement sur un consensus traditionnel lui permettant d'imposer la prédominance de sa religion au mépris d'une véritable liberté de conscience et de religion.
Cette tension apparaît donc être, en partie, celle qui oppose la démocratie, comme système politique fondé sur la représentativité, et les Droits de l'homme, comme principe juridique universel.
Comme le démontre l'identité des acteurs du débat, sur un plan encore plus fondamental, ce sont deux perspectives sur le rôle social du christianisme qui s'opposent. L'une voit dans le christianisme un facteur bénéfique pour la société et fondateur pour l'identité européenne (et suisse). L'autre a une vision négative du rôle social de la religion et cherche à l'exclure de la sphère publique en faisant référence au principe de neutralité.
Pascal Hämmerli
Cet article est fondé sur le travail de recherche que Pascal Hämmerli poursuit dans le cadre de l’élaboration d’une thèse de doctorat, inscrite à l’Université de Fribourg et soutenue par le Fonds national suisse de la recherche scientifique, portant sur le concept de non-discrimination et ses implications pour la liberté religieuse. Il est actuellement en séjour de recherche à New York au bénéfice d’une bourse de chercheur débutant du Fond national suisse.
© 2012 Pascal Hämmerli