«J'ai vu, dans ma pensée, une image du globe. Je pouvais sentir le fardeau de Dieu pour son Église et les réformes dont elle avait besoin pour être prête pour la dernière moisson. Cette vision m'a fait comprendre que Dieu n'est pas satisfait de l'Église aujourd'hui.»
Sunday Abelaja, Transformer l'Église, Éditions Sénevé, Thoune, 2009
Après les supermarchés et les derniers parkings des faubourgs de Kiev, une petite route descend en serpentant vers les rives du Dniepr, entre des terrains vagues et des bicoques terreuses. Au détour d'un virage, quelques préfabriqués et un imposant chapiteau de toile. Bienvenue au siège de l'Ambassade de Dieu, la plus grande église évangéliste d'Europe. Créée en 1994 par Sunday Abelaja, un pasteur improvisé originaire du Nigéria, la congrégation revendique aujourd'hui 1.000 églises dans 45 pays.
«God bless you!». Sunday Abelaja a la poigne de main franche et le sourire engageant. «J'ai rencontré Dieu quand j'avais 19 ans, et j'ai rapidement compris que j'avais une mission». Arrivé à Minsk en 1986, comme de nombreux étudiants africains invités en URSS, l'homme s'essaye un temps au journalisme dans une chaîne de télévision ukrainienne. L'expérience fait long feu. «Les esprits des gens que je rencontrais étaient envahis par la peur et les ténèbres, ils avaient plus besoin de Dieu que de journalistes». Grâce aux dons de certains groupes pentecôtistes américains, Sunday Abelaja rassemble autour de lui la minuscule communauté africaine de Kiev, puis les toxicomanes et les déshérités de la capitale ukrainienne. Deux décennies plus tard, l'Ambassade de Dieu compte 300 églises et 100.000 fidèles dans le pays.
Depuis la chute de l'Union soviétique, nombreux sont les missionnaires à s'être implantés en Europe de l'Est, à la recherche de terres vierges à évangéliser. Baptistes, adventistes, pentecôtistes, mais aussi témoins de Jéhovah et mormons, ont aujourd'hui pignon sur rue en Ukraine. Dans un des États les plus pauvres d'Europe, miné par une corruption endémique et déchiré par les dissensions entre trois églises orthodoxes concurrentes, les prêches enflammés du pasteur Abelaja, qui appellent à l'abstinence sexuelle avant le mariage et mettent en garde contre les méfaits de l'alcool, attirent chaque dimanche plusieurs milliers de personnes.
Et en ce dimanche matin d'hiver, une foule compacte se presse malgré la neige et le vent. À l'intérieur de la grande tente, les retardataires cherchent du regard les dernières chaises encore disponibles. Comme toutes les semaines, Sunday Abelaja prêche à guichet fermé. Enfants, vieillards, mères de famille, tous les âges et toutes les classes sociales sont représentés. Les intervenants se relaient à la tribune. Vania et Sacha étaient des junkies, mais depuis qu'ils ont rencontré Dieu et Sunday, ils sont devenus «des hommes nouveaux, sains et responsables». Émotion dans l'assistance, on verse quelques larmes, on applaudit avec entrain. Dans un pays où le salaire moyen plafonne autour de 200 euros par mois, pour les Ukrainiens les plus démunis, pour ceux que 20 ans de transition économique ont brisés, l'église du Pasteur Sunday est une communauté où l'on vient se rassurer et s'entraider.
Sur le parking, devant le chapiteau, Viktor, la quarantaine, distribue des prospectus aux passants. L'homme, qui affirme fréquenter l'église «depuis plusieurs années», veut adresser une lettre ouverte au Président Ianoukovitch, afin de créer en Ukraine un «territoire autonome» pour l'Église du Pasteur Sunday. «Les catholiques ont bien le Vatican, alors pourquoi pas nous?». Un peu plus loin, Sacha et Oleg, deux enfants de 13 et 8 ans aident les fidèles à trouver une place où se garer. «Mon père est en prison et ma mère prenait beaucoup de drogues», raconte Sacha, mais «depuis que ma soeur nous a amenés ici, les choses vont beaucoup mieux à la maison».
Considéré comme un des hommes les plus influents d'Ukraine par le journal Kiev Post, Sunday Abelaja a su appuyer le développement de son église sur des amitiés au sein des plus hautes sphères politiques et économiques du pays. Aux présidentielles de 2004, lors de la «révolution orange», il appelle ses fidèegrave;les à prier pour la victoire du principal candidat de l’opposition, Viktor Iouchtchenko. Il assure aujourd'hui dans ses mémoires, que l'Ambassade de Dieu fut à l'origine de la mobilisation qui suivit l'élection frauduleuse de Viktor Ianoukovitch le 21 novembre 2004.
«La révolution en Ukraine n'a pas commencé dans les couloirs du pouvoir, ou dans les cercles politiques. Elle a vu le jour dans la chambre de prière. C'est lorsque notre église a découvert qu'en tant que corps de croyants, elle pouvait changer la société et les individus que les choses ont commencé à bouger. En regardant la foule remplir la place de l'Indépendance pendant la révolution, je savais que Dieu avait utilisé notre église comme brise-glace» (Transformer l'Église, Sunday Abelaja, page 12)
Une interprétation qui ne manquerait pas de surprendre les centaines de milliers de personnes qui manifestèrent durant des jours pour exiger l'organisation de nouvelles élections transparentes.
À Kiev, Sunday Abelaja est depuis longtemps le compagnon de route de l'excentrique Léonid Tchernovetski, un ancien banquier devenu maire de la capitale ukrainienne en 2006. Surnommé «Liona Cosmos» et accusé d'être fou par ses détracteurs, Léonid Tchernovetski multiplie les sorties extravagantes depuis qu'il est au pouvoir. Le maire s'est ainsi illustré par le passé en organisant une conférence de presse en maillot de bain, afin de prouver sa bonne forme physique et mentale. Il avait également offert de vendre ses baisers pour renflouer les caisses municipales. Léonid Tchernovetski est aussi soupçonné d'avoir largement distribué les biens fonciers de la municipalité à ses amis.
En novembre 2009, le pasteur Abelaja est à son tour rattrapé par la justice, qui le soupçonne d'avoir participé la création de King's Capital, une société financière dirigée par un membre de son église dans laquelle se seraient évaporés 100 millions de dollars, en grande majorité l'argent des disciples de l'Ambassade de Dieu. Sunday Adelaja rejette l'accusation d'un grand rire provocateur. «Comment puis-je contrôler tout ce que font les membres de mon église, il y a bien des voleurs et des meurtriers chez les orthodoxes aussi, non?»
Loin de se laisser abattre par ses problèmes judiciaires, le pasteur a encore beaucoup d'idées. Son prochain rêve? «Porter le message du Christ en terre musulmane et apporter protection, respect et liberté aux femmes de ces régions». La voix se fait prophétique pour annoncer le retour d'un christianisme agressif et entreprenant. «En Europe occidentale, la relève démographique est assurée par les musulmans. Si les chrétiens ne réagissent pas, si les églises refusent de se moderniser, l'Islam sera majoritaire dans 30 ans».
Pour l'heure, Sunday Abelaja privilégie les projets immobiliers. Sur les murs de son bureau sont affichés les plans d'une future église de 15.000 places qui devrait bientôt sortir de terre sur les rives du Dniepr. «Le bâtiment comprendra aussi des terrains de sport, une salle de concert et plusieurs centaines de chambres», conclut dans un sourire Sunday Abelaja. «Le monde change, la religion doit s'y adapter».
Jean-Arnault Dérens et Laurent Geslin