Tous les chercheurs de langue française qui s'intéressent aux groupes religieux constitués autour d'évêques indépendants des Eglises historiques, connaissent le nom de Bernard Vignot. Et les responsables de ces communautés aussi! Depuis plusieurs dizaines d'années, Bernard Vignot prête attention aux évolutions (en France) de ce petit milieu dont il a acquis une connaissance encyclopédique. Dès les années 1970, il a publié, sous forme polycopiée et à compte d'auteur, plusieurs répertoires de «petites Eglises catholiques non romaines», puis également orthodoxes, bien utiles pour les curieux en quête de renseignements sur ces groupes.
En 1991, Bernard Vignot avait publié un petit volume introductif sur Les Eglises parallèles aux Editions du Cerf. C'est chez le même éditeur qu’est paru un nouvel ouvrage de même nature, Le phénomène des Eglises parallèles. Celui-ci s'inscrit dans la ligne de ses publications antérieures. Il s'ouvre par quelques anecdotes pour faire entrer le lecteur dans le petit monde des évêques indépendants qui sont au coeur de ces initiatives — puisque le principe de la succession apostolique est fortement mis en avant dans ces groupes: seul un évêque consacré par d'autres évêques et pouvant ainsi, en théorie, faire remonter leur ligné jusqu'aux apôtre du 1er siècle de l'ère chrétienne peut validement ordonner des prêtres, et seuls des prêtres validement ordonnés peuvent ensuite, selon la compréhension traditionnelle des Eglises catholiques et orthodoxes, célébrer l'Eucharistie.
Evêques indépendants et succession apostolique
Ce qui frappe souvent, dans ces communautés épiscopales indépendantes, est une compréhension de la succession apostolique et des consécrations épiscopales dans un sens que des observateurs qualifient de «mécanique»: du moment que la lignée existe et que la consécration de l'évêque a été effectuée en respectant toutes les formes rituelles, elle est «valide»; tous les actes qui en découleront (ordinations de prêtres, etc.) seront donc également valides. Ce qui devient crucial, dans cette perspective, est la solidité «formelle» de la succession apostolique: cela a conduit certains évêques indépendants à se faire reconsacrer plusieurs fois, sub conditione, afin de cumuler des successions et de créer ainsi une succession incontestable (il explique même des cas d'ordinations sub conditione réciproques). Illustration pittoresque: l’évêque indépendant américain Lewis Keizer, évêque président du Home Temple et promoteur d’approches assez originales, a excommunié Benoît XVI en 2010 (en raison des condamnations de ce dernier contre les ordinations de femmes) et, procédant à cet acte dans sa chapelle, souligne: «Je suis un évêque indépendant avec vingt-deux lignages de succession apostolique valides, même plus de lignages de succession que le Pape, car les miens incluent des lignages dit hérétiques.»
A l'opposé, dans les Eglises historiques, les critiques de cette approche de la succession apostolique estiment qu'elle réduit celle-ci à une automaticité liée uniquement aux formes, voire en font une opération "magique": ils soutiennent que la succession apostolique n'a de sens que dans la communion de l'Eglise et au service de celle-ci, un épiscopat à l'usage d'un individu et "propriété" de celui-ci se trouvant dénué de toute valeur. L’approche de bien des évêques indépendants est liée à une notion de l’épiscopat et du sacerdoce comme conférant des «pouvoirs» (cf. pp. 74-75), un aspect important pour des évêques et prêtres indépendants exerçant des activités d’exorcistes et guérisseurs.
Quoi qu'il en soit, par suite de diverses circonstances dans le détail desquelles nous ne pouvons entrer ici, des évêques ont, à différents moments de l’histoire, pris l’initiative de consacrer à l'épiscopat des personnages qui, par la suite, ont entamé des carrières indépendantes et ont, dans certains cas, eu une abondante progéniture épiscopale, chacun de ces évêques en créant d'autres à leur tour. L'un des cas les plus connus a été celui, de Mgr Joseph-René Vilatte (1854-1929), auquel Bernard Vignot consacre légitimement une section (pp. 49-60), à côté de la biographie de deux autres figures importantes de l'histoire de ces courants. Il émigre au Canada, se rapproche du protestantisme, puis adhère au courant vieux-catholique (né en opposition aux orientations dominantes du catholicisme romain de l'époque et à la proclamation de l'infaillibilité pontificale à l'époque du concile Vatican I), y est ordonné prêtre, puis est sacré évêque en 1892 à Ceylan par un évêque syro-jacobite, avant de se lancer dans des tentatives de création de mouvements catholiques indépendants et de procéder à la consécration de plusieurs évêques.
Il arrive que des évêques catholiques romains procèdent à des consécrations indépendantes: un cas connu a été celui de Mgr Pierre Martin Ngo Dinh Thuc (1897-1984), ancien archevêque de Hué (Vietnam), qui a sacré plusieurs personnages appartenant à des mouvances traditionalistes, ceux-ci ayant à leur tour une postérité épiscopale.
Quelques traits caractéristiques des «Eglises parallèles»
Pour en venir à l'ouvrage de Vignot, certaines parties sont écrites dans un style plus fluide que d'autres (par exemple le chapitre IV). Dans les premières pages, les divisions des paragraphes ne semblent pas toujours des plus logiques. La construction aurait probablement pu être pensée plus rigoureusement. La bibliographie est abondante (pp. 117-127), mais aurait pu être organisée plus clairement. Quant à la liste non exhaustive des Eglises parallèles (pp. 99-105), elle offre un joli florilège de dénominations, mais il aurait été judicieux de préciser que certains des groupes cités n’existent plus.
Cela n’ôte rien à l’intérêt des anecdotes et réflexions que Bernard Vignot partage avec nous, car elles reposent sur une expérience sans équivalent dans le monde francophone. Le ton de l’ouvrage montre qu’il est notamment pensé par rapport à des préoccupations pastorales: c’est d’ailleurs un évêque catholique qui en donne la préface (Bernard Vignot, pour sa part, est prêtre de l’Eglise vieille-catholique - Union d’Utrecht). Les observations partagées par Vignot sont cependant utiles également pour une approche plus sociologique.
Bernard Vignot souligne l’insistance de beaucoup de ces groupes sur le fait que leurs ordinations sont valides, à défaut d’être licites (pp. 68-73). Mais licites ou illicites par rapport à qui? Par rapport à l’Eglise catholique romaine, prise comme référence. Il ne manque pas, en effet, d’évêques indépendants qui rêvent d’être intégrés par Rome, avec reconnaissance de leur épiscopat et sacerdoce. Rêve difficilement réalisable — mais il existe des cas de figures du monde des évêques indépendants qui ont réussi à être intégrés dans des Eglises historiques: l’on se souvient par exemple du cas de Mgr Johannes Van Assendelft (1923-2008), qui se rallia, après une longue carrière dans le milieu des «Eglises parallèles» (y devenant évêque dans les années 1950), à l’Eglise copte, dans laquelle il fut consacré évêque en 1974. Mais de tels cas sont rares.
La dépendance psychologique par rapport à une référence romaine à l’aune de laquelle l’on juge de la validité de son propre épiscopat semble étrange — même s’il est vrai qu’il existe aussi quelques cas d’Eglises épiscopales indépendantes qui s’engagent délibérément dans un chemin propre, sans rêve d’union avec Rome. Mais dans nombre d’entre elles, en France notamment, le visiteur peut même trouver une photographie du Pape bien en évidence: autant dire qu’une personne peu informée ne se rendra pas vraiment compte du statut du groupe (p. 85). Vignot y voit une manière de «calmer les inquiétudes de leurs fidèles» (p. 69): la plupart de ceux-ci ne viennent pas dans de telles chapelles, en effet, parce qu’ils voudraient rompre avec l’Eglise romaine, mais parce qu’ils sont en quête d’un lieu où ils seront écoutés, où ils pourront recevoir des bénédictions, éventuellement un exorcisme, ou encore en quête d’un prêtre disposé à célébrer le remariage de personnes divorcées.
Il s’agit donc rarement de groupes avec une doctrine originale, ni d’ailleurs un clergé bien formé: Vignot souligne qu’il ne manque pas, dans ces milieux, d’hommes qui avaient aspiré à devenir prêtres, mais, pour différentes raisons, n’ont pu réaliser cette aspiration, et ayant plus d’une fois exercé des professions sans qualifications élevées. Là encore, bien sûr, il y a des exceptions.
En outre, le milieu des évêques indépendants est loin d’être homogène. Il convient de veiller à ne pas les réduire à un modèle unique. Il en est qui souhaitent avant tout cultiver un type de piété populaire. D’autres groupes se forment autour de visions ou messages (c’est le cas de l’Eglise catholique palmarienne, en Espagne, autour d’un pape espagnol, et maintenant de son successeur, pour ne citer que cet exemple). Certains «prélats» indépendants manifestent un goût prononcé pour l’occultisme et autres doctrines secrètes (ainsi, à l’enseigne de «spécialiste et conseil en exorcisme», l’un — très actif — donne des cours sur la Kabbale, le magnétisme personnel, la bio-respiration, et même la création d’un élémental servant ou «esprit familier»...).
Un autre point à noter: il existe des groupes qui attirent un nombre de fidèles substantiels, comme l’Eglise Sainte-Marie du Mont-Saint-Aignan, près de Rouen, dirigée par Mgr Maurice Cantor, un ancien bénédictin et prêtre de paroisse catholique romain, dont la communauté se veut «une Eglise autocéphale de tradition catholique au service d'un accueil pastoral pour tous»; bien d’autres, en revanche, restent très petits (ce qui n’empêche pas de multiplier les ordinations), et ont parfois plutôt un public de «clients», en quête de bénédictions et exorcismes.
La question que l’on peut poser, en refermant le livre de Bernard Vignot et en réfléchissant à ce monde dans lequel il nous fait entrer, est de savoir s’il y a d’autres angles d’approche possibles? Et aussi dans quelle mesure le terrain français est semblable, ou se distingue au contraire, du milieu des évêques indépendants dans d’autres pays?
Evêques indépendants... Eglises parallèles... quelle étiquette?
Avant d’aller plus loin, quelques remarques rapides sur le vocabulaire. Dans les cercles francophones spécialistes des minorités religieuses, l’on avait d’abord parlé d’Eglises et évêque catholiques non romains, selon le titre d’un ouvrage publié en 1962 par Ivan Drouet de la Thibauderie, lui-même évêque indépendant. Quant au P. Chéry, un dominicain qui mena dans les années 1950 une remarquable et vaste enquête sur les mouvements religieux minoritaires en France, il parlait semblablement, mais avec un adjectif, de «petites Eglises françaises ‘catholiques non romaines’» (L’Offensive des Sectes, 3e éd., Paris, Ed. du Cerf, 1961, p. 471). L’expression de «petites Eglises catholiques non romaines» fut consacrée par la publication de l’érudit article de Jean-Michel Hornus utilisant cette expression comme titre de son article en deux parties dans la Revue d’histoire et de philosophie religieuse (50/2 et 3, 1970).
Dans ses répertoires polycopiés des années 1980, Vignot parlait de «petites Eglises catholiques non romaines et orthodoxes non canoniques», tenant compte d’un nombre croissant de groupes se référant à l’héritage orthodoxe. Son livre de 1991 introduit dans le discours sur le sujet le terme d’Eglises parallèles, qui présente l’avantage de la concision. Il ne l’utilise cependant pas comme titre de ses fascicules, Dans les années 1990, une nouvelle série de répertoires utilise l’expression neutre d’«Eglises et communautés indépendantes d’origine catholique». Puis les répertoires des années 2000, préparés en coopération avec Marc Béret-Allemand, parlent d’Eglises et de communautés sans liens canoniques avec les Eglises catholiques et orthodoxes.
Chacune de ces expressions met l’accent sur une facette du sujet, tout en soulignant le rapport généalogique de ces groupes (ou plus exactement de leur épiscopat, à l’origine) avec les grandes Eglises historiques à structure épiscopale. Chacune révèle aussi des efforts pour essayer d’adopter une désignation si possible «neutre». Bien entendu, chaque étiquette pourrait aussi être soumise à discussion.
Dans le présent compte rendu, l’expression «évêques indépendants» a été utilisée à plusieurs reprises, comme une tentative de plus de cerner le sujet de façon adéquate et n’impliquant pas d’emblée un jugement de valeur; dans la même ligne, l’on pourrait parler de communautés (ou Eglises) épiscopales indépendantes. Il n’est pas sûr que ce soit la meilleure solution. Mais elle a été inspirée par les travaux de John P. Plummer, un évêque indépendant américain, qui a produit quelques intéressants ouvrages pour essayer d’analyser les mouvements qui retiennent ici notre attention — à partir d’un contexte américain, religieusement pluraliste au départ, ce qui permet de proposer un angle un peu différent d’une approche française. Plummer a également parlé de «mouvement sacramentel indépendant»: un indice de plus d’une étiquette adéquate qui se cherche.
Regard comparatif sur le monde anglophone
Dans un petit volume intitulé Who Are the Independent Catholics? An Introduction to the Independent and Old Catholic Churches (Berkeley, Apocryphile Press, 2006), John Plummer et un co-auteur, John R. Mabry, ont voulu répondre au besoin d’une introduction simple et pour un large public, à un moment où, selon eux, le mouvement catholique indépendant se développe aux Etats-Unis. Ils distinguent quatre types de catholiques indépendants: les libéraux, les traditionalistes, les ésotéristes et les syncrétistes. Ce qui fait une Eglise catholique, selon eux, est l’adhésion aux confessions de foi historiques (bien qu’ils reconnaissent qu’il peut en exister des interprétations variées), la pratique des sept sacrements, un clergé avec des diacres, des prêtres et des évêques, et enfin une succession apostolique ininterrompue. Les groupes catholiques indépendants répondraient à ceux qui se sentent éloignés des grandes Eglises ou rejetés par elles. Selon sa sensibilité, un public souhaitant des formes liturgiques d’inspiration catholique pourrait donc trouver chez tel ou tel prêtre indépendant la réponse à ses besoins ou la célébration d’une cérémonie. Les auteurs soulignent qu’il faut aussi savoir exercer discernement et prudence en s’adressant à des membres de clergés «catholiques indépendants», mais comme on le ferait dans n’importe quel autre cadre: l’image qui ressort est avant tout celle de personnes désireuses de servir les fidèles. L’impression donnée paraît donc différente de celle transmise par Bernard Vignot, tout en laissant le lecteur désireux d’en savoir un peu plus. Mais voyons cela de plus près.
Plummer avait écrit précédemment un autre ouvrage, The Many Paths of the Independent Sacramental Movement. A National Study of Its Liturgy, Docrtine and Leadership (Berkely, Apocryphile Press, 2005). Etude plus volumineuse et de type universitaire, elle permet, avec le récit de nombreuses visites dans des communautés indépendantes américaines, de pénétrer dans leur atmosphère, avec des développements qui mènent à vrai dire parfois assez loin du catholicisme classique. Il reconnaît que le milieu indépendant n’a pas encore beaucoup développé une réflexion théologique propre, mais, en mettant l’accent sur les groupes les plus innovateurs, notamment dans un sens gnostique ou ésotérique, il soutient qu’il contient des éléments potentiellement originaux. Comme Vignot, Plummer reconnaît que beaucoup de membres du clergé indépendant n’ont pas eu de véritable formation et ont acquis leurs connaissances aux côtés d’un mentor, prêtre ou évêque, qu’ils ont assisté. Mais cela n’a pas empêché certains d’entre eux d’avoir une action pastorale de valeur, estime-t-il. L’impression qui se dégage de son étude est celle d’une «diversité anarchique», selon sa propre expression, mais en même temps d’un espace créatif: il resterait à voir si cette évaluation est liée aux différences du contexte américain, ou au regard plutôt sympathique que Plummer porte sur la mouvance à laquelle il appartient lui-même.
Il existe un autre livre fascinant sur le milieu des évêques indépendants américains: celui d’Alistair Bate, A Strange Vocation. Independent Bishops Tell Their Stories (Berkeley, Apocryphile Press, 2009). Comme l’indique le titre, Alistair Bate, lui-même «évêque indépendant», a pris l’initiative de donner la parole à dix-sept évêques indépendants (la plupart aux Etats-Unis) pour leur permettre de raconter leur histoire. Le recueil n'a pas de prétention représentative: les personnages aux inclinations ésotériques y sont probablement surreprésentés, mais il est éclairant par la richesse de ces itinéraires.
L'éclectisme ressort de beaucoup de témoignages, à commencer par celui de Bate lui-même: il est élevé dans un milieu anglican irlandais, a ensuite des aspirations monastiques, fréquente une variété peu commune des groupes religieux; tout en étant évêque de l’Eglise catholique apostolique libérale, il lui arrive d’exercer un ministère dans une communauté unitarienne (des chrétiens qui n’acceptent pas le dogme de la Trinité et se signalent par des orientations très libérales) ou de donner des cours sur la spiritualité druidique et celtique. Mais il accorde à titre personnel une forte importance à la dimension sacramentelle. Il explique vivre — modestement — de son ministère en Grande-Bretagne, surtout de la célébration de funérailles. Il est peu probable que beaucoup d’évêques indépendants en France puissent dire la même chose. Quoi qu’il en soit, avec Bate et nombre de ses collègues, nous nous trouvons face à de typiques itinéraires de seekers, de chercheurs spirituels — itinéraires qui ne sont d’ailleurs probablement pas encore terminés.
Dans la même ligne de réflexion, plusieurs de ces évêques s'étaient doctrinalement éloignés des interprétations du christianisme telles qu'on les trouve dans le catholicisme romain, les Eglises orthodoxes ou l'anglicanisme traditionnel, mais ressentaient en même temps la nostalgie ou le besoin d'un cadre liturgique ou sacramentel: la voie choisie leur permet de combiner ce qui resterait sinon inconciliable. L’épiscopat indépendant permet de choisir une voie «sur une mesure», en quelque sorte.
Un autre aspect qui frappe est le nombre de ces évêques qui admettent être homosexuels et pour lesquels l'orientation sexuelle a quelques liens avec la voie choisie. L'on sait depuis longtemps que les cas d'homosexuels ne sont pas rares dans le milieu des évêques indépendants, mais aujourd'hui, surtout en contexte nord-américain, l'admettre n'est plus un obstacle dans certains milieux. Dans le contexte français, il est bien connu qu’il en existe plusieurs cas aussi, mais ils semblent généralement plus enclins à cultiver une certaine discrétion sur leurs «préférences sexuelles». Au fur et à mesure de l'évolution du statut public des homosexuels, cependant, cela va probablement changer: dans le dernier Annuaire d'Eglises et de communautés sans liens canoniques avec les Eglises orthodoxes (2009) de Bernard Vignot et Marc Béret-Allemand, on trouve une annexe de Jean Vilbas à ce sujet, sous le titre "En quête d'une pleine catholicité: catholiques indépendants et inclusivité" (texte dans lequel il admet d'ailleurs que ce thème occupe encore peu de place ouvertement dans les «petites Eglises» en France).
L'on observe à travers les témoignages recueillis par Bate une grande fluidité dans les appartenances: nombre de ces évêques passent successivement par plusieurs Eglises indépendantes, voire participent à plusieurs d’entre elles. Assez naturel dans des milieux de petits groupes, et des phénomènes semblables s’observent en Europe: chacun tend finalement à avoir «son» groupe, mais les collaborations avec d’autres évêques sont de rigueur, ne serait-ce que pour procéder à des consécrations épiscopales.
L’intérêt du livre de Bate est de permettre de suivre, à travers leurs propres descriptions, les itinéraires d’une variété d’évêques indépendants (également quelques femmes évêques, et au moins l’un d’eux né dans une Eglise épiscopale indépendante): des itinéraires parfois assez compliquées, dans lesquels transparaissent aussi hésitations et aspirations spirituelles.
A bien des égards, avec d’inévitables différences dans les accents en fonction des contextes culturels, le phénomène des «Eglises parallèles» ou «évêques indépendants» présente des ressemblances quel que soit l’angle d’approche choisi: les observations de Plummer ou des interlocuteurs de Bate confirment — bien que sur un ton différent — nombre d’observations de Vignot, à commencer par le fait que ces groupes trouvent des fidèles ou «clients» en bonne partie auprès d’un public qui n’a pas le sentiment de recevoir dans les paroisses de «grandes Eglises» les réponses à certaines demandes, d’ailleurs souvent plus pratiques (sacrements, bénédictions...) que théologiques. Même si, une fois de plus, il y a des exceptions.
Tout cela n’est pas vraiment nouveau, malgré des changements liés à des époques différentes: il suffit de relire ce qu’écrivait Henry R.T. Brandreth, Episcopi Vagantes and the Anglican Church (Londres. SPCK, 1961) ou Peter F. Anson, Bishops at Large (Londres, Faber and Faber, 1964), tous deux réédités récemment par Apocryphile Press et qui demeurent des lectures pleines d’intérêt sur des figures parfois pittoresques.
Les approches de Vignot, d’une part, et des auteurs-acteurs du milieu «sacramentel indépendant» anglophone que nous venons de citer, d’autre part, aboutissent cependant à des évaluations divergentes du potentiel de cette petite mouvance très fragmentée. Sans doute n’y a-t-il d’ailleurs aucun sens à vouloir donner une réponse d’ensemble. Entre une chapelle indépendante où l’on offre avant tout des services en parallèle à ceux des paroisses classiques, mais en s’efforçant de rappeler autant que possible ceux-ci, d’une part, et des groupes — plus rares — théologiquement ou liturgiquement novateurs, d’autre part, les perspectives ne sont pas les mêmes. Pour les uns et pour les autres, cependant, et pour leur perpétuation au delà de l’initiative d’un homme, pour ancrer des fidèles, se pose tôt ou tard la question soit de réussir à grandir suffisamment pour atteindre une masse critique garantissant leur pérennité, soit de trouver d’autres moyens de briser l’isolement: les tentatives occasionnelles d’organiser des ententes entre plusieurs «petites Eglises» en témoignent.
Jean-François Mayer
Bernard Vignot, Le phénomène des Eglises parallèles, Paris, Ed. du Cerf, 2010, 128 p.
Les répertoires et annuaires d’Eglises et communautés établis par Bernard Vignot et Marc Béret-Allemand peuvent être commandés chez l’auteur: 206 rue Léonard de Vinci, F-76960 Notre Dame de Bondeville.