Les Assises internationales sur l'islamisation de nos pays, première manifestation du genre en France, ont eu lieu le 18 décembre 2010, dans une ambiance tendue, à la suite des réclamations d'interdiction de la mairie de Paris, des mises en garde «solennelles» de la préfecture et d'une manifestation d'opposition menée par quelques élus de gauche et organisations de droits de l'homme.
Avec un public de près d'un millier de personnes et un rejet quasi unanime de la classe politique et d'intellectuels (y compris d'intellectuels militant sur des positions laïques, comme Caroline Fourest, connue notamment pour ses critiques de Tariq Ramadan), ces assises sont pourtant loin d'être une bizarrerie. Elles témoignent de la structuration, à l'échelon européen, d'un courant d'hostilité idéologique à l'islam qui ne se résume pas, ou pas seulement, à des réactions anti-immigration.
L'importance de ce courant est moins numérique que sémantique: un nouveau vocabulaire identitaire s'alimente à une hostilité à l'islam qui se répand bien au-delà de ses cercles d'origine. Il articule tout ou partie de la vision sur l'islam (et l'immigration) d'élus appartenant à des courants politiques dominants de droite et parfois de gauche. La star de la journée, Oskar Freysinger, est d'ailleurs membre de l'UDC, le parti politique le plus important en Suisse, une des deux formations à l'origine de l'initiative interdisant la construction de nouveaux minarets dans ce pays.
La lente maturation d'une mouvance d'hostilité idéologique à l'islam
Les assises s'inscrivent dans un processus de maturation progressive d'une mouvance éclatée se structurant autour de rencontres anti-islamisation. Celles-ci ont émergé à partir du début des années 2000 à travers des réseaux «virtuels».
Les 18 et 19 octobre 2007 s'était ainsi tenu, dans les bâtiments du Parlement européen et de son homologue flamand, un rassemblement intitulé CounterJihad Brussels 2007 Conference, patronné par The Center for Vigilant Freedom Inc. Cette organisation est affiliée au 910 Group, une plateforme fédérant divers réseaux, locaux et transnationaux, autour d'un objectif commun: le combat contre l'islamisation et «l'islamo-fascisme», afin de «protéger la liberté, contrer les lois de la shari'a qui s'opposent aux droits de l'homme, et défaire les idéologies terroristes et extrémistes».
D'autres rencontres orientées sur la même thématique avaient déjà eu lieu précédemment probablement à partir de 2002, réunissant des activistes à un niveau local, régional, voire international, comme à l'occasion de la rencontre entre les sections britannique, nord-américaine, suédoise, norvégienne et danoise du S.I.O.E. (Stop Islamisation Of Europe), intitulée UK and Scandinavia Counterjihad Summit, organisée le 14 avril 2007 à Copenhague et coordonné par le blogueur britannique «Exil», expatrié au Danemark.
Depuis mars 2007, un certain nombre de ces groupes, situés aux Etats-Unis (Maryland, Floride, New York, Californie, Virginie, Ohio et Texas) ainsi qu'en Angleterre et au Danemark, se sont engagés dans des campagnes de sensibilisation, en collaboration avec d'autres structures: par exemple The Center for Security Policy (think tank, fondé en 1998 par un ancien officiel du Département de la défense, Frank Gaffney Jr., installé à Washington et focalisé sur les questions de sécurité nationale), The Victory Caucus (plateforme conservatrice dont les objectifs étaient de soutenir la politique de lutte anti-islamiste de l'administration Bush (2001-2009), ou encore Christian Action Network (association fondée en 1990 par Martin Mawyer afin de protéger «America's religious and moral heritage through intensive lobbying efforts - both in the nation's capital and at the grassroots level»).
Les discours anti-islamisation, aux Etats-Unis, en Europe, voire en Inde s'appuient sur un pochoir argumentatif étonnamment homogène. On peut y discerner les traits structurels suivants:
- Tout d'abord, la critique s'appuie sur les écrits d'auteurs comme Bat Ye'Or (un message de soutien de sa part a été lu aux assises), Anne-Marie Delcambre (présente aux assises) ou, pour les anglophones, Robert Spencer ou Daniel Pipes. Elle est ensuite détachée de ses fonds polémiques locaux (comme l'immigration et racisme) par la référence légitimante à une défense de la démocratie et de la «civilisation européenne» (souvent posée comme étant de nature judéo-chrétienne).
- La critique s'appuie ensuite sur le développement d'un corpus implicitement ou explicitement parallèle au discours universitaire. Il propose un discours de substitution à celui des chercheurs sociologues ou politologues, en créant des communautés virtuelles, en adoubant des «spécialistes» sur les marges du système universitaire et introduisant simultanément l'idée d'un nouveau samizdat imposé par «l'islamiquement correct», et donc par l'introduction de la figure du dissident, reproduisant le discours anti-soviétique de la Guerre Froide (Anne-Marie Delcambre en est l'illustration).
- La critique réunit diverses formes d'activismes, à vocation nationale ou transnationale, qui peuvent se compléter ou s'associer. Nous y retrouvons des milieux chrétiens islamo-critiques, des cercles pro-israéliens, des politiciens des droites nationalistes et identitaires, des essayistes américains positionnés comme experts se substituant aux canaux académiques établis.
- La critique s'appuie enfin sur un jeu de miroirs inversés par rapport à l'islam: renouvellement du discours féministe (ce n'est plus la sexualisation de la publicité qui fait problème, mais le voilement du corps féminin); réintroduction d'un discours identitaire ou nationaliste dans le débat public par le biais d'une critique de l'islam s'appuyant sur la défense des valeurs démocratiques; discours pro-israélien qui associe le rejet de l'immigration (perçue en termes de «jihad»démographique musulman) à une posture de défense de la civilisation occidentale face au totalitarisme islamique; défense conjuguée (et quelque peu paradoxale) du christianisme et de la laïcité comme fondements de l'Occident.
Les assises de décembre représentaient la version francophone de ces précédentes initiatives.
Qui sont les auteurs de cette initiative?
Ces premières assises sur l'islamisation étaient organisées à l'initiative de deux groupes - le Bloc Identitaire et Riposte Laïque - dont l'alliance s'était déjà manifestée à l'occasion de l'organisation de «l'apéro saucisson-pinard»du 18 juin 2010. Réunis autour du thème de la lutte contre l'islamisation, ces deux groupes ont pourtant des origines politiques différentes.
Le Bloc Identitaire est né peu après la dissolution du groupe Unité Radicale, dont l'un des membres, Maxime Brunerie, avait tenté, lors du défilé du 14 juillet 2002, d'assassiner le Président Jacques Chirac. Le mouvement Unité Radicale ayant été dissout en août 2002, deux de ses cadres, Fabrice Robert et Guillaume Luyt, participèrent à la reformation d'un site internet («Les Identitaires») et fondèrent, au printemps 2003, le Bloc Identitaire. Au cours de la Convention Identitaire européenne, organisée en octobre 2009 avec des représentants européens d'organisations similaires, le Bloc Identitaire annonça sa transformation en parti politique. Ses représentants se présentent depuis à nombre d'élections locales dans le Sud-Est de la France ainsi qu'en Alsace. Dans les discours de ses dirigeants, le Bloc Identitaire cherche à se démarquer des discours de l'extrême-droite: son agenda politique est centré autour de la lutte anti-islamique. Ce thème lui permet de tisser des alliances diverses, tant politiquement (traditionalistes catholiques, certains milieux féministes, les pro-serbes, certains milieux pro-israéliens) que géographiquement (liens avec les mouvements identitaires suisses, catalans, belges, néerlandais, anglais, italiens, espagnols et portugais).
Le groupe Riposte Laïque, quant à lui, est composé de gens qui se veulent «de gauche» et laïcs. Fondé par Pierre Cassen et animé par Christine Tasin, le groupe s'est donné pour mission de «combattre le projet politico-religieux de l'islam». Apparu en septembre 2007, avec la création d'un site internet, le groupe s'est rapidement concentré sur le phénomène des prières organisées sur la voie publique, ce qui l'a conduit à se rapprocher du mouvement des identitaires. Mais alors que le Bloc Identitaire flirte avec la droite radicale par ses alliances et sa rhétorique, les cadres de Riposte Laïque sont hostiles aux idées de mouvements comme le Front National, en raison de la proximité idéologique entre une aile de celui-ci et les milieux catholiques intégristes.
Unis sur des thèmes communs, les deux groupes ont multiplié les manifestations et événements pour alimenter une stratégie de communication centrée sur des actions de choc, propres à capturer l'attention des médias, tout en entretenant un certain buzz sur le web via la multiplication de déclarations et d'appels à la réplique d'actions déjà menées. Après avoir agité les médias et établi leur capacité de faire parler d'eux, ces deux groupes avaient décidé d'organiser un événement plus large leur permettant de manifester leurs liens avec d'autres groupes européens engagés sur des causes communes.
Réveiller les foules
Il fait froid et gris ce matin du 18 décembre 2010. A mesure que l'on se rapproche du lieu de réunion, les cars de gendarmes mobiles se font plus nombreux. En l'espace de quelques centaines de mètres, ce ne sont pas moins de dix fourgons qui s'alignent en range serrés alors que les fonctionnaires de la gendarmerie, en tenues anti-émeute filtrent les passants.
Peu à peu la foule commence à s'engouffrer dans la salle. Les journalistes aux premières loges, aux autres le reste de la salle. Aux murs des drapeaux français, des affiches de la manifestation, quelques tracts d'organisations partenaires et des croix de Lorraine. En attendant le début des débats, les auditeurs nouent des conversations.
Pierre Cassen, l'homme à l'origine de la réunion, qui évoque volontiers son passé de typographe syndicaliste, héritier d'une lignée de laïcs convaincus, est le premier à monter sur le podium et lance un clip vidéo «pour réveiller un peu la salle». Sur fond de musique électronique aux accents inquiétant, un titre s'affiche: «Défendre la laïcité, défendre nos civilisations». La suite est une succession d'images montrant pêle-mêle des scènes de prières publiques, des prêcheurs musulmans, Daniel Cohn-Bendit s'exprimant sur la campagne suisse contre les minarets, une manifestation d'opposants à la décision de la chaine de fast-food Quick de mettre en place des menus hallal. Des images montrent l'appel à la prière lancé par un muezzin dans le petit matin bordelais alors que des fidèles se prosternent dans la rue. La foule s'anime et témoigne bruyamment de son indignation. Le clip continue et montre des individus décris comme des «patriotes»anglais descendant dans la rue pour protester contre l'islamisation. La vidéo prend fin sous des applaudissements nourris.
«Vous êtes déjà bien réveillés», reprend Pierre Cassen, qui enchaîne immédiatement en identifiant le premier adversaire de la journée: Bertrand Delanoë qui a tenté de faire interdire l'événement. La salle hurle «collabo».
Se définissant comme des «patriotes», de «véritables républicains» «ni de droite ni de gauche», les orateurs vont avant tout se dépeindre comme des résistants, s'appeler mutuellement «camarades», parler d'un front commun, d'une grande cause, d'un combat civilisationnel. L'autre, c'est l'islam conquérant, qui s'implante et prospère, qui force le droit à s'adapter à ses pratiques religieuses, qui veut attenter à la République. L'autre, c'est aussi celui qui accepte ces pressions et qui y cède. En traçant les contours de cette menace qui pèse sur la civilisation européenne, chacun des intervenants va contribuer à préciser les formes de l'alliance européenne sensée émerger au cours de cette journée; mais cela va aussi en faire apparaître les limites, comme nous le verrons plus loin. En même temps, ces discours sont révélateurs de tendances plus profondes qui traversent aujourd'hui les pays européens et s'expriment publiquement à cette occasion.
Cinq thèmes dominent la journée: l'islam présenté comme une religion/civilisation de conquête menaçant les bases de la civilisation européenne; la passivité des élites européennes et l'échec du multiculturalisme; la mise en évidence de groupes spécifiques, plus immédiatement menacés et qu'il s'agirait de protéger; l'islamisation et l'échec des politiques migratoires européennes; et enfin la nécessité d'agir collectivement et de manière résolue contre ce «nouveau fascisme».
Mettre en lumière la nature violente de l'islam pour expliquer la conquête annoncée de l'Europe
Pour établir la légitimité d'un combat, il s'agit de définir un ennemi, une menace, mais aussi un objet référent, quelque chose, tangible ou non, dont l'existence même est mise en péril. Dans le cas de ces assises, si la menace est clairement énoncée, la définition de l'objet se révèle plus floue.
La matinée va permettre aux participants d'entendre plusieurs interventions sur les «intentions» supposées de l'islam vis-à-vis de l'Europe. Les intervenants sont présentés comme des «experts», des personnes qualifiées pour émettre un avis autorisé. Le premier à s'adresser à la salle est Pascal Hilout, que Pierre Cassen présente comme étant «né Mohammed au Maroc (...) mais beaucoup plus français que nombre de nos concitoyens». La France reste donc une communauté de valeurs à laquelle on fait le choix d'adhérer en souscrivant aux principes républicains. Pascal Hilout entend dire la «vérité sur l'islam», qu'il commence par définir comme «imposant la soumission», «un fascisme, un diktat». Pour Hilout, «l'islam n'a pas sa place en France, ni en Europe ni dans aucune société qui aspire à la démocratie, la fraternité et la solidarité». Cet islam, perçu comme unique et sans demi-teinte possible, a des traits totalitaires. Hilout insiste aussi sur la nature guerrière et violente de cette religion, puisque c'est «sabre en main que Mahomet a conquis La Mecque et presque toute la péninsule arabique», avant d'ajouter que l'islam a pour but de contrôler tous les aspects de la vie des croyants, de convertir tout le monde.
Le thème sera repris par d'autres. René Marchand, présenté comme écrivain et journaliste, commence son intervention par ces mots: «L'islam dès sa création, génétiquement, c'est la guerre. (...) La deuxième civilisation que les troupes ont attaquée ce sont nous, les Grecs, les Romains, les Byzantins, c'est nous. (...) L'islam est en train de reconstituer son identité après les colonialismes. L'islam qui se sent fort, reprend la guerre contre l'Europe non pas par le cimeterre, mais par la substitution de population. (...) Ces pratiques sont complètement licites.»
Halim Akli (laïc kabyle, dont un texte est lu) explique que «la religion mahométane est incompatible avec les valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité» et que «l'islamisme sape la base des valeurs des pays d'accueil». Chaque parole trace les contours de ce que l'on entend protéger en présentant des lignes de fractures: le «nous» et le «eux», l'Européen et l'envahisseur. Quand Akli finit son intervention en citant Kadhafi qui prédit l'islamisation totale de Bruxelles pour 2020, la foule se lève pour hurler son mécontentement alors que certains entonnent le chant des partisans.
Après ces éclairages fournis par des témoins de première main, Pierre Cassen fait monter à la tribune Marie-Josée LeTailleur, infirmière de profession et «militante républicaine». Elle raconte par le menu comment la ville de la banlieue parisienne où elle vit a vu l'implantation d'une mosquée clandestine dans un local loué sous prétexte de l'implantation de bureaux commerciaux. Ceux qu'elle appelle des salafistes ou des barbus sont accusés de causer des troubles dans le quartier et de faire du prosélytisme, c'est-à-dire de ne pas seulement chercher à embrigader la jeunesse «musulmane». Son intervention jette une autre lumière sur le thème de la manifestation: ce qui inquiète, c'est l'inconnu, ce qu'on ne voit pas directement mais qu'on devine, qu'on perçoit comme avançant par le biais de pratiques détournées. Dès lors, la figure même de l'ennemi est celui a qui l'on prête des intentions sournoises et qui avance masqué. Ainsi, René Marchand évoque cet islam «qui avance derrière un leurre, celui de l'islam modéré». Or, pour l'orateur, cet islam modéré n'a jamais existé.
Ce sont ces intentions masquées qui créent le plus de ressentiment parmi ceux qui se pensent en «front républicain»et qui invoquent la laïcité. Carl Pincemin, du syndicat Force Ouvrière, explique que, de plus en plus, les entreprises françaises sont confrontées à des demandes d'aménagement des conditions de travail au nom du respect des pratiques religieuses de certains employés. Lorsqu'il dresse une liste de ces demandes (horaires aménagés en fonction des heures de prières, fin de la mixité dans les salles de travail, menus spéciaux, tenues vestimentaires...) la foule hurle de plus belle.
Mais c'est Anders Gravers, Hollandais représentant le S.I.O.E. (Stop Islamisation of Europe), qui va fournir l'image la plus symbolique, puisqu'il reprend la métaphore du salami (cette expression décrivait à l'origine la technique employée par le Parti communiste soviétique pour conquérir toutes les strates du pouvoir en démantelant, un par un, les contre-pouvoirs qu'ils soient institutionnels ou personnels). La conquête islamique de l'Europe se fait, selon la métaphore de Gravers, «tranche par tranche», de manière légale, «avec notre argent de contribuables».
D'autres intervenants seront plus succincts sur ce thème, se bornant à des déclarations chocs: «l'islam et les valeurs européennes sont incompatibles» (Mario Borghesio, député européen de la Ligue du Nord), «la néo-barbarie est maintenant synonyme d'islam radical» (Timo Vermeulen, Hollandais, responsable de la Dutch Defence League», «l'islam réel est expansionniste et guerrier. Plus il y a d'islam et plus il y a d'apartheid» (René Marchand, écrivain), «la guerre sainte est dirigée contre nous» (Rene Sadtkevict, ancien député allemand de la CDU devenu président du Parti de la Liberté), «sharia Islam is a plague on mankind. No question asked» (Tom Trento, directeur du Florida Security Council). Oskar Freysinger, quant à lui, commencera son discours par ces mots: «Le propre de la communauté islamique, c'est de ne pas avoir de géographie et donc elle doit imposer sa loi partout.»
Défendre une civilisation européenne qu'on peine pourtant à définir positivement
Cependant, si ces interventions évoquent toutes des demandes ou pratiques énoncées comme contraires à la «civilisation européenne», pas une seule ne propose une définition de cette civilisation. Objet même de ces assises, l'idée d'Europe, ou de civilisation est donc à trouver en creux. Au gré des interventions, un portrait en ombre chinoise apparaît, dont chaque élément tient plutôt de l'anecdote: le droit de manger du cochon ou de faire lire des histoires de petits cochons aux enfants (Anders Gravers); la possibilité pour tous les enfants de prendre leurs douches ensemble à l'école (Anders Gravers); la laïcité (Hilout, Akli, Cassen); la liberté d'expression (Elizabeth Wolfe, Rene Sadtkevict, Elena Tchoudinova); ou encore une religion chrétienne commune (Elena Tchoudinova).
Souvent mentionnée, l'idée de tolérance, au cœur même de l'idéologie de l'Europe des Lumières à laquelle l'idée de civilisation européenne pourrait se référer, se retrouve bien critiquée. Assimilée, comme nous allons le voir, à l'acceptation de toutes les demandes communautaristes, et donc mère de ces concessions que la foule conspue, la tolérance des responsables politiques européens est loin d'être perçue comme une valeur civilisationnelle, mais comme une faiblesse.
Du rejet de la dhimmitude au spectre de la montée du nazisme: variations sur la complaisance des élites en général et de la gauche en particulier
En effet, après avoir dénoncé de manière virulente la «nature» supposément violente de l'islam en tant que religion/civilisation/mode de vie, les intervenants sont prompts à mettre en avant la responsabilité des élites européennes.
Jacques Philarchein, professeur de philosophie et marxiste déclaré, se montre le plus virulent contre cette «gauche qui relaie l'offensive islamiste». Il relie le Lumpenproletariat de Marx à la «racaille urbaine», puisque tous deux s'associeraient à l'Etat bourgeois pour servir les buts des patrons qui asservissent les travailleurs salariés. Philarchein dénonce donc cette «gauche fascinée par l'islam et l'ultraviolence», qu'il requalifie de «bohême misérabiliste». La droite, à ses yeux, «n'a pas ce problème puisque la droite se réclame d'une culture du chiffre d'affaire».
Chacun des intervenants viendra ajouter au flot de critiques sur une gauche accusée de tous les maux. Elena Tchoudinova dénonce ainsi «cette gauche libérale, adepte du tout est permis et de la religion du respect». Halim Akli sera le seul à rendre responsable ces gouvernements européens, et en particulier français, dont le soutien au régime algérien encourage les flux migratoires qui permettent l'islamisation.
Aldo Mungo, animateur du Collectif des Résistants, explique que la situation dans la capitale belge est devenue intenable depuis que les pressions de la communauté arabo-musulmane auraient trouvé un écho favorable parmi les milieux politiques prompts à accepter les concessions. Pour Mungo, «les politiques ont tourné le dos à la laïcité». Quand il explique que «lors du dernier ramadan, un maire d'arrondissement de Bruxelles a donné des instructions aux fonctionnaires leur interdisant de boire ou de manger pendant la journée» pour ne pas heurter leurs collègues musulmans pratiquants, la foule se lève en huant, alors que dans la salle se r&eacueacute;pand l'odeur de pâté de porc que la buvette sert en sandwich pour le repas de midi. Mungo poursuit en annonçant que cette attitude d'apaisement s'est répandue dans tous les services de l'Etat et notamment les prisons et les écoles où les repas sont désormais hallal même si les «musulmans ne représentent qu'une minorité de 10%», mais aussi dans les hôpitaux où seules des médecins femmes prennent en charge les patientes musulmanes pour éviter les conflits. A cette litanie certains dans la salle répondent en scandant: «Bruxelles Paris même combat». «Les politiciens sont devenus apathiques et aveugles. Ils se sont accommodés et ne réalisent pas que nos démocraties sont menacées», clame Rene Sadtkevict à la tribune.
Bien logiquement, Freysinger en arrive à dénoncer l'hypocrisie de ces élites européennes: «la religion du multiculturalisme, prônée par les institutions internationales, n'existe qu'en Europe. Dans le reste du monde, la complaisance n'est qu'un signe de faiblesse.»
Elena Tchoudinova, quant à elle, trouvera dans un discours de l'archevêque de Canterbury de 2009 l'incarnation de la passivité complice de ces élites européennes accusées de faciliter ou de permettre cette islamisation. Celui-ci aurait en effet suggéré qu'il fallait trouver des accommodements à la loi anglaise pour permettre de prendre en compte certaines règles et coutumes des populations musulmanes.
Deux pays reviennent comme portant les marques de ces renonciations, de ces accommodements: l'Angleterre et l'Allemagne. Les politiques du multiculturalisme qui y sont menées sont considérées par les intervenants présents comme de «véritables pièges pour la civilisation européenne» (Tchoudinova). Pour René Marchand, l'attitude complaisante des élites européennes dure depuis plus de vingt ans. Vingt années pendant lesquelles, «les batailles étaient perdues sans même savoir qu'elles nous étaient livrées». Pour lui, il s'agit d'un «génocide culturel». L'idée de l'aveuglement coupable revient chez Sadtkevict, pour qui «les combattants musulmans sont déjà dans nos villes et ils utilisent nos écoles, nos universités, notre système social et notre tolérance pour nous combattre».
Elizabeth Wolfe, quant à elle, perçoit les conséquences néfastes du multiculturalisme dans la décision cadre de l'Union Européenne du 28 novembre 2010 sur la lutte contre certaines formes et manifestation de racisme et de xénophobie (2008/9138/JAI), selon laquelle les Etats membres doivent mettre en place les procédures visant à réprimer pénalement toute expression hostile à une religion ou une croyance.
Le Conseil a publié, en novembre 2008, la décision-cadre 2008/913/JAI sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal, qui oblige tous les Etats membres à rendre punissable l'incitation publique à la violence ou à la haine visant un groupe de personnes ou un membre d'un tel groupe, défini par référence à la race, la couleur, la religion, l'ascendance, l'origine nationale ou ethnique. La Commission se charge de vérifier, aussi rigoureusement que possible, que la directive-cadre a été correctement transposée, ce que tous les États membres doivent avoir fait au plus tard le 28 novembre 2010.
Selon l'auteure autrichienne, il s'agit ni plus ni moins que d'une restriction imposée à la liberté d'expression, qui va empêcher toute pensée critique vis-à-vis de l'islam: «les oligarques qui gouvernent l'Europe, essayant d'imposer un Etat totalitaire où la liberté d'expression n'est plus possible».
Chez nombre d'intervenants, un terme revient qui symbolise les conséquences de cette stratégie d'apaisement de l'islam: celui de dhimmis. Historiquement, le droit musulman définit le statut de dhimmi comme étant celui d'un individu non-musulman ayant passé un pacte de reddition qui fixe un taux d'imposition payable en échange de la liberté de culte et d'une protection de la part des autorités musulmanes. Pour Anders Gravers, «the dhimmis are marching for islam». Oskar Freysinger, quant à lui, parle de «dhimmitude inversée» puisque, dans les démocraties européennes, «c'est la majorité qui rase les murs»: cette même majorité, pour éviter les conflits, «se soumet préalablement à la contrainte». Et Freysinger de déclarer: «il ne coûte rien de plier le dos quand on n'a pas d'échine».
René Marchand, en associant ces dhimmis aux Untermenschen du nazisme, met en évidence une comparaison qui traverse ces discours: l'islamisation de l'Europe doit être considérée comme analogue à la montée du nazisme dans les années 1930.
Pour les participants aux Assises, la passivité des élites européennes, et des partis de gauche en particulier, a conduit à réduire le pouvoir de l'Etat sur son propre territoire. Ceux des intervenants qui font partie de defence leagues parlent le plus ouvertement de ces territoires où les services de l'Etat auraient laissé le champ libre aux «racailles urbaines» (Philarchein), à la «trouble causing youth» (Vermeulen) ou encore aux «Muslim criminal gangs» (Gravers).
La désignation de groupes spécifiques menacés par l'islamisation
Après avoir présenté la menace et réparti les responsabilités, tout discours de combat doit chercher sa légitimation dans la défense de victimes dont le sort doit placer les «défenseurs» dans le camp du bien et du juste. Si la mise en évidence de victimes potentielles particulièrement visées par l'islamisation est donc attendue, l'identité de certaines de ces victimes paraît plus inattendue.
L'on pouvait en effet s'attendre à la mise en avant du sort que les islamistes réservent, selon les orateurs, aux femmes - viol et prostitution (Vermeulen et Gravers), forcées de se voiler (Mungo), «stérilisées intellectuellement» (Vianes). Mais c'est aussi le destin des homosexuels et des juifs dans une société dominée par l'islam qui se retrouve mis en avant. Pourtant, tour à tour, ces deux groupes ont eux aussi été présentés, par différents courants à l'époque contemporaine, comme attachés à des modes de vie et pratiques contraires à la perception de ce que devrait être une «civilisation européenne».
Ces deux populations sont évoquées pour montrer à quel point l'islamisation menace. Selon Gravers et Vermeulen, ces minorités sont déjà prises à partie, en Angleterre, aux Pays-Bas et au Danemark, par les islamistes qui s'y sont installés. Pour Vermeulen, Amsterdam, qui «était la capitale des gays d'Europe», n'est plus une ville accueillante incarnant une longue tradition de tolérance. Gravers affirme que le Danemark, «qui accueillit de nombreux juifs pendant la Seconde Guerre Mondiale», est devenu un pays dangereux pour eux.
L'échec des politiques migratoires ou l'extériorité de la menace islamique
L'échec des politiques migratoires est un thème repris par nombre d'intervenants comme l'illustration de l'aveuglement des élites face au «coût réel de l'immigration» (Gourevitch). Les images se succèdent: invasion, vague inéluctable, débordement... Hilout, en parlant de l'islam en Europe, explique que «la loi du nombre leur est favorable. Ce n'est qu'une question de générations». Gourevitch cite des chiffres selon lesquels le taux de fécondité des femmes «d'Afrique sub-saharienne» serait près de trois fois supérieur à celui des femmes françaises. Historiquement, l'on se souvient que le thème de la fécondité est au cœur des préoccupations des groupes populistes et nationalistes, dont la peur première est celle de la disparition au sein d'une population étrangère.
Jean-Paul Gourevitch poursuit en parlant du coût réel de l'immigration qu'il estime à 38 milliards d'euros. Coïncidence: le coût de la politique migratoire correspond exactement au déficit de la sécurité sociale française. Philarchein va dans le même sens et aboutit à la formule suivante: «Tous les immigrés sont issus des pays pauvres mais rien ne prouve qu'ils soient encore pauvres puisqu'ils bénéficient des prestations de l'état et des résultats du crime. Nos racailles sont passées maîtres dans l'art de faire semblant d'être pauvres.»
Aldo Mungo évoque lui aussi des chiffres sensés inquiéter sur l'immigration à Bruxelles: «Bruxelles est une ville qui n'a pas maîtrisé ses flux migratoires. 40% des Bruxellois sont musulmans. Deux tiers des enfants de moins de 15 ans sont musulmans et les flux migratoires continuent de grossir cette population. Dans moins de vingt ans, Bruxelles sera une ville musulmane.» Mungo explique que, puisque les femmes musulmanes se voient le plus souvent interdire par leurs maris de travailler, elles ne peuvent s'intégrer à la société et bénéficient ainsi, toute leur vie, des prestations sociales minimales. Et de conclure: «la Belgique n'est donc plus qu'un vaste guichet social condamnée à distribuer l'aide sociale». Halim Akli, au cours d'une des premières interventions de la matinée, avait expliqué que le soutien du gouvernement français au régime algérien avait conduit de plus en plus d’Algériens à émigrer vers la France où ces populations constituaient ensuite des recrues potentielles jeunes et nombreuses pour les islamistes. Cette tendance est renforcée par l'attitude de non-intégration qui serait choisie par ces populations allant de plus, chercher des épouses et des époux dans leurs pays d'origines. L'immigration est donc la source de la progression de l'islamisation des pays d'Europe selon les intervenants, mais aussi la cause de la faillite des systèmes sociaux.
Pour nombre d'orateurs, ces assises constituent l'espoir d'un changement à venir. Philarchein veut y voir «l'aurore» qui annonce les révolutions, Tom Trento croit y déceler «the end of Arabia in France» alors que Freysinger explique plutôt calmement à la fin de son intervention, et alors que la foule scande son nom, qu'«il faut changer les règles pour changer de société ce qui est en jeu, c'est plus qu'un pays, c'est l'âme immortelle d'une civilisation». Reste aux orateurs à définir les moyens de la défense de l'âme immortelle: cela ne sera pas fait ce jour là.
Florent Blanc
Correction, 5 janvier 2011: pour corriger l'auteur d'une citation, attribuée par erreur à un autre intervenant.
Florent Blanc est docteur en sciences politiques et relations internationales de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et de Northwestern University.
L’auteur remercie Patrick Haenni, Olivier Moos et Jean-François Mayer pour leurs éclairages, commentaires et suggestions.