Le grand mot était régulièrement lâché depuis quelques mois par plusieurs évêques: l'Eglise orthodoxe serbe serait «au bord du schisme». De fait, le Saint-Synode réuni à Belgrade les 18 et 19 novembre a révoqué au rang de moine l'ancien évêque Artemije, démis de ses fonctions épiscopales à la tête de l'éparchie de Prizren et Raska en mai dernier.
Contrairement aux attentes des plus optimistes, l'évêque déchu ne s'est pas présenté à la réunion du Synode. Bien au contraire, le 19 novembre au matin, il a pénétré de force dans le monastère de Duboki Potok, dans le nord du Kosovo, avec une cinquantaine de fidèles, principalement des moines de son ancien diocèse; il y a célébré la liturgie, ce qui lui est désormais canoniquement interdit. L'higoumène de ce monastère, le père Romilo, assure qu'il aurait été physiquement menacé par un moine proche d'Artemije, qui lui aurait arraché les clefs du monastère, celle de sa voiture ainsi que deux téléphones portables. L'Eglise a fait appel au Service de police du Kosovo (KPS) - pourtant fidèle aux autorités de Pristina, que l'Eglise ne reconnaît pas - pour déloger les intrus, qui se sont «repliés» samedi sur un hôtel de la ville voisine de Kraljevo, en Serbie hors Kosovo, où ils se trouvent toujours [1].
Le nouveau patriarche Irinej, élu en janvier dernier et solennellement intronisé sur le trône de Pec le 3 octobre, est la cible ouverte des courants radicaux, qui dénoncent son penchant trop affirmé pour l'œcuménisme. Le patriarche n'a sûrement pas le charisme de son prédécesseur Pavle, qui permettait de masquer ou de relativiser les dissensions internes à l'Église.
«L'affaire Artemije»
La suspension de l'évêque Artemije de Prizren et Raska, en février dernier, a été l'événement qui a mis le feu aux poudres. L'évêque est accusé de malversations financières dans la gestion de son diocèse, qui couvre l'essentiel du Kosovo, et la police serbe a ouvert le 16 février une enquête sur les fraudes présumées, sur la base des accusations portées par l'Église. Le Sabor [assemblée, NDLR] de l'Eglise a définitivement démis de ses fonctions l'évêque Artemije en mai 2010.
Il s'est alors installé au monastère de Sisatovac, dans le massif de la Fruska Gora, en Voïvodine. Ses partisans sont toutefois restés très actifs, dans l'Eglise et au sein d'une véritable «Église virtuelle» qui s'est développée sur Internet. Quelques jours avant la réunion du Sabor de l'Eglise, Artemije avait adressé une lettre au patriarche exigeant s'être replacé à la tête du diocèse de Prizren et Raska. Sans illusions sur l'issue de cette requête, l'évêque et ses partisans étaient déjà certainement décidés à prendre le risque d'entrer dans une logique schismatique. Le sociologue des religions Mirko Djordjevic estime que les partisans d'Artemije sont en train, depuis plusieurs mois, de former une «nouvelle Eglise» [2].
L'évêque Artemije avait été nommé en 1991 à la tête du diocèse Prizren et Raska, chargé d'une signification symbolique et historique très lourde pour l'Eglise serbe, succédant à Pavle, qui venait d'être élu patriarche. Depuis la guerre de 1998-1999, l'évêque Artemije était l'une des figures les plus fortes, mais aussi les plus controversées, du Kosovo, symbolisant le maintien de la présence serbe sur ce territoire. L'évêque Artemije a été durant plusieurs années un interlocuteur privilégié de la communauté internationale, et un partisan de la coopération des Serbes avec les autorités provisoires du Kosovo.
Selon le rapport publié par une commission mandatée par l'Eglise orthodoxe serbe de l'argent donné au diocèse aurait alimenté le train de vie fastueux de plusieurs associés proches de l'évêque. Les bénéficiaires présumés, le moine Simeon Viloski et Rade Suboticki, un laïc, étaient à la tête d'une entreprise de construction liée à l'Église qui était engagée dans la reconstruction des monastères détruits pendant les émeutes de mars 2004.
Le 17 février, la police serbe a arrêté Rade Suboticki qu'elle soupçonne d'avoir détourné 300.000 euros destinés à la reconstruction des monastères entre 2004 et 2009. Simeon Vilovski a été arrêté en Grèce le 11 mars, mais, au mois d'août, la Cour suprême de ce pays a refuséde faire suite à la demande d'extradition déposée par la Serbie. On reproche notamment au moine Vilovski d'avoir bénéficié d'une «pension» mensuelle de plus de 7000 euros, tandis que le loyer de l'appartement où il résidait à Thessalonique, d'un montant de plus de 2000 euros, était également pris en charge par le diocèse.
Le conflit entre la direction de l'Eglise et Artemije remonte à plusieurs années. Après les émeutes de mars 2004 au Kosovo, il s'était opposé à toute coopération avec la communauté internationale pour la reconstruction des églises et des monastères détruits, notamment avec l'UNESCO, qui avait alors débloqué des fonds spéciaux. Un de ses arguments était «qu'il ne servait à rien» de reconstruire des églises sans garantir les conditions de retour et de vie normale au Kosovo aux fidèles serbes [3]. L'évêque a même pris l'initiative de porter plainte devant la Cour européenne des droits de la personne contre les pays de l'OTAN dont les forces armées étaient précisément chargées de protéger les sanctuaires serbes. Ce positionnement radical avait beaucoup déplu aux autorités politiques de Belgrade qui ne cherchaient pas, alors, à durcir leur confrontation avec les pays occidentaux sur la question du Kosovo.
Par ailleurs, il semble bien que l'évêque voulait aussi conserver le monopole des travaux de reconstruction au bénéfice d'entreprises dirigées par ses proches. Le chantier de reconstruction du monastère de Zociste, près de Prizren, a ainsi été mené à bien sans aucune aide internationale. De même, l'évêque a entrepris des agrandissements très contestés du logis du monastère de Gracanica, aux portes de Pristina, qui lui servait de résidence habituelle au Kosovo.
La situation s'est encore détériorée quand l'higoumène du monastère de Visoki Decani a été élevé au rang d'évêque de Ljipljan. La petite ville de Ljipljan, au Kosovo, a eu un évêque au Moyen ge, mais cette éparchie n'existe plus dans l'organisation de l'Eglise serbe. Avec le titre de Ljipljan, l'évêque Teodosije devait «assister» l'évêque Artemije, mais surtout contrecarrer ses initiatives intempestives. Bénéficiant du soutien de la hiérarchie religieuse et politique de Belgrade, le nouvel évêque Teodosije prônait une approche beaucoup plus modérée dans les relations avec la communauté internationale. Formé au monastère de Crna Reka, quand Artemije en était l'higoumène, Teodosije a longtemps été un proche de l'évêque, qui n'a pourtant jamais accepté ce «coadjuteur» imposé. En août 2008, les moines de Visoki Decani en sont venus aux mains avec le secrétaire d'Artemije [4].
Après la suspension puis la destitution d'Artemije, le métropolite Amfilohije du Monténégro et du Littoral avait été nommé administrateur de l'éparchie de Prizren et Raska; le Saint-Synode a officiellement nommé Teodosije à la tête de cette éparchie le 18 novembre, ce qu'Artemije et ses partisans considèrent comme un geste de rupture définitive.
L'évêque Artemije, connu pour son caractère rugueux, est souvent présenté comme un «radical», voire un «extrémiste», notamment par la presse internationale. La réalité est un peu plus complexe. Dans les années 1990, il fut l'un des rares responsables religieux serbes à plaider en faveur d'un dialogue direct avec les Albanais. Durant les premières années du protectorat international sur le Kosovo (1999-2003), il s'engagea aussi en faveur du dialogue et de la coopération. Son évident «raidissement» est la conséquence du constat d'échec de ces efforts de dialogue, dramatiquement confirmé par les émeutes de mars 2004.
De même, l'évêque Artemije a toujours été un opposant sans faille au régime de Milosevic, après avoir été un anticommuniste convaincu et déclaré - ce qui n'est pas, pour le moins, le cas de l'ensemble de l'épiscopat serbe. Face aux gouvernements «démocratiques» qui se sont succédés à Belgrade depuis 2000, il incarne la même ligne d'indépendance d'une Église insoumise aux pressions politiques. Si l'évêque déchu irrite donc beaucoup depuis la classe politique serbe, son positionnement lui vaut un prestige certain auprès de larges cercles de fidèles.
Artemije, combien de divisions?
Le centre des réseaux de soutien à l'évêque Artimije se situe au monastère de Crna Reka, près de Novi Pazar, dans le sud de la Serbie, dont il a été le rénovateur et l'higoumène de 1978 à 1991, avant d'être nommé évêque de Prizren et de Raska. En 2009, ce monastère avait défrayé la chronique, car il abrite un centre de «soins» pour toxicomanes, où ceux-ci subissaient d'épouvantables sévices [5]. Le centre de «soins» a été fermé par les autorités et une enquête est toujours en cours, les moines du monastère expliquant qu'ils n'étaient pas directement en charge de la gestion du centre et des techniques «thérapeutiques» qui y étaient appliquées. Crna Reka a joué un rôle majeur dans la renaissance du monachisme en Serbie. Beaucoup de moines y ont été formés dans les années 1970-1980, avant de partir relever des monastères du Sandjak de Novi Pazar et du Kosovo où la vie monastique avait été interrompue ou était tombée en déchéance. Artemije a été l'artisan de ce renouveau, son charisme a attiré de nombreux jeunes intellectuels tentés par la vie monastique.
L'évêque déchu est donc considéré comme un «saint vivant» par nombre de ses disciples et les bons connaisseurs de l'Église estiment qu'il peut compter sur la fidélité absolue d'«au moins 80 moines» de son ancien diocèse de Prizren et Raska. Après sa destitution, certains de ces moines avaient même quitté leurs monastères, avant qu'Artemije ne les appelle à revenir prendre part à la vie monastique.
Lors de «l'investissement» du monastère de Duboki Potok, Artemije a effectivement rassemblé, selon les sources, entre 50 et 80 fidèles. Les moines qui le suivent dans son «exil» à Kraljevo seraient une cinquantaine. Il s'agit là d'un «noyau dur» de moines principalement originaires du Kosovo, prêts à rompre les obligations normales de la vie monastique et probablement disposés à entrer dans un conflit de longue durée avec la hiérarchie de l'Eglise. Interrogé sur ses perspectives par le quotidien Politika, l'évêque est resté très évasif, évoquant la possibilité de son arrestation par la police, mais estimant «qu'il existe toujours une issue dans les situations qui semblent sans issue» [6].
L'influence d'Artemije dans les autres éparchies de l'Église serbe est beaucoup plus difficile à évaluer. L'évêque Vasilije de Sremska Mitrovica, dont dépend le monastère de Sisatovac, est considéré comme un allié potentiel d'Artemije, qui jouit aussi de nombreux soutiens dans les monastères de la Fruska Gora, cette «sainte colline» de Voïvodine. A l'issue de la réunion du Saint-Synode, le métropolite Grigorije de Zahumlije et d'Herzégovine estimait néanmoins que «le pire avait été évité». En faisant le choix d'une rupture radicale, l'Eglise estime avoir circonscrit la dissidence, limitant le risque d'une contagion. De fait, aucun soutien à l'évêque déchu ne s'est publiquement manifesté durant la réunion du Synode.
Les réseaux de soutien à l'évêque Artemije demeurent toutefois particulièrement actifs sur Internet. Le principal site de ces courants, Borba za Veru («Combat pour la foi»), s'emploie à réfuter toutes les accusations portées contre l'évêque. Ce site multiplie les références au défunt patriarche Pavle, dont la réputation de sainteté est grande parmi les fidèles, tandis que son successeur Irinej n'est presque jamais évoqué.
De nombreux forums sont plus agressifs, répandant des accusations calomnieuses contre les autres membres de l'épiscopat et le patriarche Irinej, dont les moindres velléités réformatrices sont taxées d'hérésie. Les partisans d'Artemije, notamment certains moines du Kosovo, sont de longue date des professionnels aguerris d'Internet. Ils ont compris depuis la fin des années 1990 l'importance de ce méacute;dia pour alerter l'opinion serbe et internationale sur la situation au Kosovo, à une époque où peu d'hommes d'Église s'étaient encore familiarisés avec l'informatique. Aujourd'hui, ils utilisent tous les outils possibles, notamment les sites communautaires comme Facebook, où plusieurs pages dédiés à l'évêque Artemije rassemblent des milliers de «fans» [7]. C'est une véritable «Église virtuelle» que les partisans de l'évêque révoqué ont donc réussi à mettre sur pied.
En face, la contre-offensive est menée par quelques sites, comme Verujem.org ou Zive reci utehe , placé sous la bénédiction du patriarcat et la responsabilité effective du métropolite Jovan de Sumadija, rival malheureux du métropolite Irinej pour l'élection au siège patriarcal et, lui aussi, «cyber-évêque» très efficace.
Parallèlement à ce réseau virtuel, il est très difficile d'évaluer le nombre de moines et de fidèles qui pourraient se ranger dans le camp d'Artemije, maintenant que le Saint-Synode a pris l'initiative d'une rupture, menaçant même le dissident d'une excommunication. En effet, celui-ci a déjà violé l'interdiction qui lui a été faite de célébrer la liturgie, ce qui constitue un cas d'excommunication. Si Artemije parvient à maintenir la cohésion de son petit groupe de partisans et à constituer une Eglise parallèle, celle-ci manquera pas de conserver un fort pouvoir d'attraction sur une frange non négligeable des fidèles.
Conservateurs et modernistes
L'évêque Artemije occupe en effet une place singulière dans la galaxie complexe de l'Eglise serbe. La longue maladie du patriarche Pavle - resté presque deux ans alité à l'Hôpital militaire de Belgrade, dans l'incapacité de remplir ses fonctions - a révélé les rivalités entre les différents courants que l'élection relativement rapide d'un «patriarche de compromis» en la personne du métropolite Irinej de Nis n'a fait que masquer provisoirement.
Les lignes de clivage sont en effet multiples: «jeunes» évêques n'ayant pas connu le communisme contre plus anciens, conservateurs contre «rénovateurs», évêques de Serbie contre évêques de Bosnie-Herzégovine, évêques formés en Grèce contre ceux plus liés à l'Église russe, etc. [8]
Dans ce paysage confus, Artemije fait figure de dernier porte-parole du courant des disciples du théologien Justin Popovic et du saint évêque Nikolaj Velimirovic. Ces deux figures sont considérés comme les rénovateurs de la théologique serbe au XXe siècle. L'accent qu'ils mettent sur la vocation spécifique du peuple serbe et sa place particulière dans l'économie du Salut, leur insistance sur le martyre enduré au Kosovo depuis 1389, ont valu à ses deux théologiens d'inspirer les nationalistes de la fin des années 1990, mais leur vision dessine surtout les contours d'une Eglise qui «reviendrait aux sources» et se dégagerait de tout lien trop pressant avec les autorités politiques.
Dans la Yougoslavie socialiste, les partisans déclarés de Justin Popovic - qui reçut Artemije comme moine - prirent la tête du renouveau de l'Eglise et de l'opposition résolue aux autorités encore communistes. On parlait du groupe des «trois A»: l'évêque Artemije et les métropolites Atanasije de Zahumlije et d'Herzégovine et Amfilohije du Monténégro. Tandis qu'Atanasije s'est retiré de toute fonction épiscopale en 1999, la rupture est depuis longtemps consommée entre Amfilohije et Artemije, qui fait donc figure de dernier représentant de ce courant, qui conserve toujours une grande aura spirituelle et intellectuelle dans l'Eglise.
Gay Pride, hooligans et ouverture œcuménique
Depuis son élection, le patriarche Irinej a fait preuve d'une grande prudence. Ses rares initiatives fortes ont concerné le dialogue œcuménique, traditionnellement assez négligé par l'Eglise serbe. Le patriarche ne s'oppose pas à la perspective d'une prochaine visite du pape Benoît XVI en Serbie, qui a été officiellement invité par le Président de la République Boris Tadic, il multiplie les prises de position communes avec l'archevêque catholique de Belgrade, Mgr Hocevar, et s'est clairement prononcé en faveur de l'intensification du dialogue lors d'un déplacement en Autriche à l'automne. Ces ouvertures ont profondément déplu au courant conservateur, qui reste très hostile à toute forme d'œcuménisme. Les sites favorables à Mgr Artemije sont restés relativement discrets sur le sujet, mais ce dernier espère bien profiter des retombées de ces désaccords.
L'Eglise a, par ailleurs, été soumise à un nouveau défi, à l'occasion de la Gay Pride, finalement organisée à Belgrade le 10 octobre. Après deux tentatives infructeuses, en 2001 et en 2009, le cortège a pu défiler dans les rues de la capitale serbe, sous très forte protection policière, mais des éléments considérés comme des «hooligans», en réalité très liés à différents groupuscules d'extrême droite, ont pris prétexte de cette parade pour mettre la ville à feu et à sang.
La hiérarchie de l'Eglise, traditionnellement très hostile à l'initiative d'une Gay Pride, était restée relativement discrète, laissant l'initiative à des associations laïques, comme Srpski Dveri («Les Espaces serbes»), qui avait organisé, la veille de la Gay pride, une «marche des familles orthodoxes», qui a réuni 1000 à 2000 participants. Le métropolite Amfilohije du Monténégro est cependant sorti du bois, en condamnant en termes très vifs la Gay Pride, qualifiée de «marche de Sodome et Gomorrhe». Ces déclarations radicales ont créé un évident malaise, le caractère pacifique de la Gay Pride paraissant évident, tandis que l'extrême droite à provoqué de très violentes émeutes. L'Église a refusé de condamner explicitement ces agissements, le patriarche appelant seulement à une «veillée de prière» au lendemain des violences.
Les liens entre Srpski Dveri et l'Eglise sont parfaitement attestés, plusieurs cadres de l'association étant employés au siège du patriarcat. Le métropolite Amfilohije participe régulièrement à des colloques ou des tables rondes organisées par l'association, qui bénéficierait même d'un financement direct de la part de l'Eglise. Dans une émission de la télévision B92, le 14 novembre, le père Aleksandar Djakovac a tenu un discours assez alambiqué, expliquant que l'Eglise n'avait aucun lien avec les groupes d'extrême droite - y compris avec Srpski Dveri - mais que, par ailleurs, il ne fallait pas assimiler cette organisation pacifique avec des groupes violents comme Obraz [9]. Toutes les enquêtes démontrent pourtant que les cadres passent d'un mouvement à l'autre, et que Srpski Dveri sert de «référent idéologique» aux groupes qui pratiquent la batte de base-ball dans les rues de Belgrade.
Quand les dirigeants de mouvements radicaux et violents comme Obraz ou Nasi-SNP 1389 ont été arrêtés et doivent désormais répondre de lourdes accusations criminelles, ce «compagnonnage» de l'Eglise ne manque pas d'être gênant. Seul le jeune métropolite Grigorije d'Herzégovine, qui prend de plus en plus la posture d'un candidat à la relève et à la rénovation de l'Eglise, s'est fendu d'un communiqué sur le fond de l'affaire, déclarant que l'Église devait considérer comme des «frères» et les policiers blessés, et les émeutiers, et les participants à la Gay Pride... Cette ouverture est plus que ne peuvent supporter d'entendre les oreilles les plus conservatrices de l'Eglise. L'affaire de la Gay Pride, révélant les connexions de certains secteurs avec cette extrême droite radicale, elle-même liée à la mafia et aux réseaux de l'ancien régime toujours présents au sein de l'appareil d'État serbe, risque donc d'avoir des conséquences de très long terme, aggravant les divisions de l'Église.
Sur le sujet, les partisans d'Artemije ont observé une prudente réserve. Leur condamnation de l'homosexualité est sans équivoque, mais ils se gardent bien d'entretenir des relations avec des groupes comme Obraz, et nul ne saurait les accuser de relations suspectes avec les milieux criminels ou les services de sécurité. Ils peuvent donc se présenter comme des «conservateurs au-dessus de tout soupçon», une position qui pourrait se révéler très stratégique.
Un jeu toujours dangereux avec le pouvoir politique
Dans ce contexte délétère, les autorités politiques auront du mal à rester neutres. On sait que le Président Tadic soutenait l'élection du métropolite Irinej, et ses prières ont probablement été entendues par le Saint Esprit, chargé de désigner le nouveau patriarche par tirage au sort entre les trois prétendants au titre ayant obtenu le plus de voix lors du vote des membres du Synode. En réalité, le Parti démocratique au pouvoir veut une Eglise «au centre»: suffisamment conservatrice pour ne pas laisser d'espace vacant à sa droite, mais favorable à l'intégration européenne. Le pouvoir redoutait fort l'élection du métropolite Amfilohije du Monténégro, connu pour ses diatribes anti-européennes autant que pour ses liens avec l'extrême droite. Il ne voulait pas non plus d'un nouveau patriarche trop ouvertement lié aux structures de l'ancien régime.
De ce point de vue, les ouvertures œcuméniques du patriarche Irinej plaisent fort au pouvoir: une éventuelle visite du pape est fondamentalement appréhendée par les autorités civiles comme une initiative qui prouverait que la Serbie a pour de bon rompu avec son passé noir et constitue un candidat respectable à l'intégration européenne.
Face à ce réformisme prudent, largement téléguidé par le pouvoir politique, l'évêque Artemije aurait beaucoup plus de légitimité auprès des fidèles pour unifier un «front conservateur du refus». Reste à savoir combien de prêtres, de moines et de fidèles seront prêts à franchir le pas d'un schisme consommé. Dans l'immédiat, l'aventure d'Artemije et de ses fidèles risque fort de fragiliser encore plus la position de l'Eglise et des civils serbes au Kosovo.
Jean-Arnault Dérens
Notes
[1] Lire «Orthodoxie: Artemije et ses fidèles entrent en rébellion ouverte contre le Saint Synode», Le Courrier des Balkans, 20 novembre 2010, http://balkans.courriers.info/article16345.html.
[2] Lire «Artemije osniva novu crkvu?» B92, 12 novembre 2010, http://www.b92.net/info/vesti/index.php?yyyy=2010&mm=11&dd=12&nav_id=471765.
[3] Entretien avec l'auteur, juin 2005.
[4] http://balkans.courriers.info/article11049.html
[5] Lire «Serbie : l'Église réservait des « thérapies de choc » aux toxicomanes du Centre de 'réhabilitation' de Crna Reka», Le Courrier des Balkans, 26 mai 2009, http://balkans.courriers.info/article12991.html.
[6] Lire «Artemije: Postoji izlaz iz svih bezizlaza», Politika, 22 novembre 2010, http://www.politika.rs/rubrike/tema-dana/Artemije-Postoji-izlaz-iz-svih-bezizlaza.lt.html.
[7] Par exemple: http://www.facebook.com/reqs.php#!/pages/ISTINA-JE-SAMO-JEDNA-VLADIKA-ARTEMIJE/93589526605.
[8] Lire «Serbie: un patriarche de compromis et de transition à la tête de l'Église orthodoxe», Religioscope, 25 janvier 2010, https://www.religion.info/2010/01/25/serbie-patriarche-de-compromis-et-de-transition-a-la-tete-eglise-orthodoxe/.
[9] http://www.b92.net/info/vesti/index.php?yyyy=2010&mm=11&dd=14&nav_id=472295
Jean-Arnault Dérens, qui collabore régulièrement à Religioscope, est le rédacteur en chef du Courrier des Balkans.
© 2010 Jean-Arnault Dérens