Aujourd'hui peuplée d'à peine 250.000 habitants, sur un territoire de 8.600 kilomètres carrés, l'Abkhazie possède une des plus belles côtes de la Mer Noire, le littoral au climat subtropical étant surplombé par de hautes montagnes. Ce petit paradis terrestres était autrefois un haut lieu de villégiature soviétique.
L'Abkhazie possède une longue histoire. Principauté indépendante, elle disposait au Moyen ge d'une Eglise métropolitaine qui rayonnait jusqu'à Sotchi, aujourd'hui en Russie, et Koutaissi, en Géorgie. L'Abkhazie a été conquise par l'Empire ottoman dès le XVIe siècle, ce qui a entraîné la conversion à l'islam d'une partie de ses habitants. Dès 1810, la Géorgie passe sous le contrôle de la Russie, mais les montagnes d'Abkhazie ne sont vraiment contrôlées par Moscou qu'à partir de 1864 et la grande défaite des peuples caucasiens musulmans (Adyghéens, Abkhazes, etc) à Kbaada/Krasnaïa Polïana, le futur site des Jeux Olympiques d'hiver de 2014. Après cette défaite, de nombreux Abkhazes musulmans ont fui vers la Russie.
La situation démographique de la République sécessionniste est complexe et contestée. En 1991, les Abkhazes, qui parlent une langue caucasienne, ne représentaient que 17% de la population totale. Aujourd'hui, ils seraient plus de 45%, car près de 250.000 Géorgiens ont fui l'Abkhazie depuis la guerre de 1992-1993. Ces Abkhazes sont majoritairement orthodoxes, même s'il existe aussi une communauté musulmane, et doivent cohabiter avec des Arméniens, des Russes, des Grecs pontiques et les Géorgiens qui n'ont pas quitté l'entité sécessionniste.
Les autorités abkhazes, très dépendantes de la Russie, reconnaissent formellement les droits des différentes minorités, tout en excluant catégoriquement tout retour des réfugiés géorgiens et en voulant construire un Etat-nation abkhazes, ce qui passe par des politiques volontaristes, visant notamment à convaincre les Abkhazes partis en Turquie au XIXe siècle de revenir dans leur «mère-patrie».
Totalement dévastée par la guerre et l'embargo total appliqué par la Géorgie, la communauté internationale, et même la Russie de 1996 à 1999, l'Abkhazie essaie désormais de se reconstruire. Elle mise notamment sur l'arrivée des touristes russes, de plus en plus nombreux à revenir dans la République. Malgré son indépendance proclamée, l'Abkhazie fait de plus en plus figure de protectorat russe.
Dans ce contexte délicat, l'Eglise orthodoxe essaie également de se reconstruire, valorisant ses origines anciennes et prestigieuses, et la présence du grand monastère de Novi Afon, le «Nouvel Athos», édifié par des moines russes au XIXe siècle sur un emplacement supposé du martyr de l'apôtre saint André (la tradition veut plutôt que l'apôtre ait été crucifié en Achaïe, mais les traditions locales sont fortement attachées à son passage et à son martyre en Abkhazie). Chaque année, le monastère attirerait près d'un million de touristes et de pèlerins qui viennent en visite d'une journée depuis la ville russe voisine de Sotchi.
L'Eglise d'Abkhazie a disposé d'un patriarche-catholicos jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, qui reconnaissait néanmoins l'autorité du patriarche de Géorgie. Cette Eglise fut ensuite intégrée dans l'Eglise synodale de Russie puis replacée sous l'autorité de l'Eglise géorgienne à partir de 1917. Aujourd'hui, l'Eglise russe ne reconnaît officiellement pas l'indépendance de l'Abkhazie et considère que l'Eglise abkhaze dépend toujours de Tbilissi. Toutefois, l'évêque géorgien de Soukhoum, la capitale abkhaze, est exilé en Géorgie depuis 1993, et l'évêque russe de Maykop (République autonome des Adyguées) assure théoriquement l'administration des paroisses abkhazes.
L'Eglise abkhaze, soutenue par les autorités sécessionnistes, revendique néanmoins l'autonomie. Selon German Marshanya, le principal théologien local, des négociations discrètes seraient en cours entre Moscou et Tbilissi au sujet de l'Eglise abkhaze. Celle-ci ambitionne un statut d'autonomie au sein du patriarcat de Moscou.
Le grand monastère de Novi Afon est en pleine reconstruction, grâce à des fonds généreusement attribués par Moscou. Au XIXe siècle, le monastère aurait hébergé plus de 1000 moines: c'était en vérité une petite cité monastique descendant jusqu'à la mer. La vie monastique a été interrompue en 1917, et elle a repris dès 1994, à la fin de la guerre, mais le statut du monastère reste vivement contesté. Le patriarche Elie II de Géorgie avait alors écrit à Bartholomée Ier, patriarche de Constantinople, malgré les relations tendues entre l'Eglise géorgienne et le Patriarcat œcuménique. En effet, avant 1917, Novi Afon dépendait de l'administration du Mont Athos, placé sous l'autorité du patriarche œcuménique. Bartolomée a néanmoins refusé de s'engager dans la querelle.
Aujourd'hui, sept moines vivent à Novi Afon, quelques autres achèvent leurs études de théologie en Russie. Le père Andreï, higoumène du monastère, fait figure de candidat sérieux à la direction de l'Eglise abkhaze, aujourd'hui de facto dirigée par le hiéromoine Vissarion, un personnage à la biographie sulfureuse, qui aurait effectué plusieurs années de prison pour des motifs de droit commun. Seuls quatre de ces moines, dont le père Andreï, sont de nationalité abkhaze. Or, les autorités sécessionnistes souhaitent renforcer le caractère national de l'Eglise. L'actuel président de la République, Sergeï Bagaptch, lui-même de confession orthodoxe, a toutefois rejeté les demandes de l'Eglise, qui aurait voulu bénéficier d'un statut d'Eglise d'Etat.
Si la sécession de l'Abkhazie semble devoir s'inscrire dans la durée, le statut de l'Eglise sera difficile à résoudre, car il est peu probable que Tbilissi accepte d'entériner un détachement du diocèse abkhaze.
Jean-Arnault Dérens
Jean-Arnault Dérens, qui collabore régulièrement à Religioscope, est le rédacteur en chef du Courrier des Balkans. Il sillonne actuellement à bord d’un voilier la mer Adriatique, la mer Egée et la mer Noire, périple relaté sur le blogue Venise – Mer Noire.
© 2010 Jean-Arnault Dérens