IslamOnline, qui vient de fêter ses 10 ans d’existence s'était rapidement imposé comme l’une des références incontournables sur le web pour qui s’intéresse — comme croyant ou comme observateur — à la question de l’islam.
Le site a été pionnier dans la promotion d’une offre multidirectionnelle, allant de la banque de fatwa (avis de droit) aux conseils psychologiques en passant par une section de journalisme parfois orienté, parfois de qualité, couvrant la politique régionale autant que l’islam en dehors des pays musulmans. Le site avait également ouvert une section anglaise. Il avait même développé une forte présence dans le monde virtuel de Second Life.
La crise couvait depuis plusieurs mois déjà. Elle semble s'être amorcée il y a un an environ, avec l'élection d'un nouveau conseil d'administration et des projets de réorganisation. Mais elle a pris un tournant radical à la mi-mars, avec l'annonce par la nouvelle direction que plus de 250 des 350 collaborateurs d'IslamOnline seraient licenciés à la fin du mois.
Les mots de passe d’accès au serveur pour la gestion du site ont été modifiés par la direction qatarie, privant rédacteurs et journalistes égyptiens de toute maîtrise sur le site. Ils ont déclaré publiquement ne porter aucune responsabilité pour tout contenu mis en ligne après le 15 mars.
Les journalistes ont réagi en organisant un sit-in dans les locaux de leur nouveau siège, un bâtiment de verre flambant neuf installé au fond de la ville nouvelle du 6 Octobre. S'ils ne peuvent reprendre leur travail, ils exigent des compensations appropriées.
Les propriétaires du site pourraient vouloir déplacer la rédaction au Qatar. Ils auraient commencé à mettre en ligne de nouveaux articles dans la section arabophone d'IslamOnline depuis le 19 mars.
Tuteur moral d'IslamOnline, le célèbre shaykh Youssouf al-Qaradawi (d'origine égyptienne, mais émigré de longue date au Qatar) a révoqué certaines décisions prises par la Fondation al-Balagh et nommé une directrice intérimaire. Mais ce sont des mesures provisoires, et il faudra attendre une réunion de la Fondation dans deux semaines environ pour y voir plus clair. Le mouvement de grève des employés licenciés/démissionnaires se poursuit, car ils réclament l'accès aux serveurs, explique Bibi-Aisha Wadvalla dans un commentaire sur le site du Guardian (18 mars 2010).
Dans la presse arabe les spéculations sur les raisons de la crise vont bon train. Malaisé d'y voir clair: comme le souligne Jack Shenker dans The Guardian (16 mars 2010), les interprétations les plus variées circulent actuellement, évoquant tantôt des rivalités politiques, tantôt des divergence culturelles et de sensibilité religieuse. Une irritation des financiers qataris par rapport à la relative ouverture du site est souvent mentionnée.
Parmi les rédacteurs, les interprétations hésitent entre une l’évocation d’une possible volonté de contrôle plus étroit du Qatar sur le site et une volonté d’en faire un instrument de politique étrangère (sur le mode de sa relation avec la chaîne al-Jazeera), et celle d’un effet d’influence de l’establishment salafi qatari face à un site connu pour son éclectisme doctrinal. L'avocat qatari représentant les propriétaires du site rétorque en laissant entendre qu'existeraient des "soupçons de corruption", accusations énergiquement rejetées par les employés d'IslamOnline (Asharq Al-Awsat, 18 mars 2010).
Le site a été qualifié de façon récurrente par la presse arabe comme internationale de site incarnant la «modération» ou, pour reprendre le terme arabe, la wasatiyya. Ce qualificatif n’est pas tout à fait exact, même si ce terme sert de positionnement au tuteur moral d'IslamOnline, le shaykh Youssouf al-Qaradawi. Le site est moins le porte-parole d’une ligne idéologique déterminée qu’un portail brassant relativement large, intégrant dans sa banque de fatwas également celles de shaykhs salafistes non jihadistes, mais peu porté à se faire l’écho des penseurs modernistes sécularisants.
La mise sur pied du site affilié Islamyoon, premier site purement analytique portant sur l’étude des organisations oeuvrant dans le champ islamique contemporain, a été également une innovation récente attestant du souci croissant de professionnalisation recherché par la direction éditoriale du site. Ce portail a été d’emblée retiré du web par les nouveaux responsables d'IslamOnline. Il semble avoir été l'une des principales cibles d'une épuration visant à un recentrage "sur un site de nature purement religieuse" (The Times, 17 mars 2010).
Récemment, le site avait multiplié les collaborations avec le monde académique, y compris occidental, alors qu’il n’hésite pas à donner une place à l’expertise de chercheurs étrangers et non musulmans.
A l’occasion de son dixième anniversaire, le site avait opté pour une réorientation vers plus de professionnalisme, et menait une réflexion sur un positionnement oscillant entre un souci d’impartialité et la volonté de parler à partir d’une plate-forme idéologique musulmane.
Avec une fréquentation très importante, IslamOnline avait adopté une ligne qui, bien que souvent conservatrice, s’est toujours clairement démarquée à la fois de la violence et du sectarisme.
Patrick Haenni