Religioscope a rencontré à Damas Ali Barakeh, représentant palestinien du Hamas en Syrie. L'entretien s'est concentré sur les changements entrepris par le mouvement de résistance depuis sa participation électorale en 2006 et sur l'importance qu'il convient de leur conférer. Les principaux points développés par notre interlocuteur ont été intégrés au présent article.
Naissance d'une résistance
Harakat al-Muqâwamat al-Islâmiyyah, le Mouvement de résistance islamique, a été formellement fondé au tournant des années 1987-1988, dans le contexte de la première Intifada (1987-1993). Ses origines intellectuelles et idéologiques remontent au courant des Frères Musulmans égyptiens, fondé en 1928 par Hassan al-Banna (1906-1949), dont la branche palestinienne a été créée en 1946 à Jérusalem. Entre 1949 et 1967, le mouvement se développa à Gaza dans la clandestinité, le territoire étant sous le contrôle de l'Egypte de Nasser, alors qu'il trouvait dans la Cisjordanie sous tutelle jordanienne un environnement plus favorable. Lorsqu'Israël envahit ces deux territoires à l'occasion de la guerre des Six Jours en juin 1967, les Ikhwan ne prennent pas part à la résistance, ni même ne soutiennent le combat contre Tsahal, puis contre l'occupant, préférant bâtir progressivement une base institutionnelle à Gaza et investir dans des activités sociales et religieuses.
Les premières fondations sur lesquelles allait émerger Hamas proprement dit furent posées en 1973, avec la bénédiction - formulée officiellement en 1978 - des autorités israéliennes qui y voyaient alors un concurrent au nationalisme séculier de l'Organisation de Libération de la Palestine (1964, Munazzamat al-Tahrir al-Filastiniyyat réunit le Fatah, le FPLP et le FDLP). C'est autour du Centre Islamique (al-Mujamma' al-Islami) de Jawrat al-Shams, une localité située au sud de la ville de Gaza, et dirigé par Abd al-Aziz Rantissi (1947-2004), que se structura l'activité des Frères Musulmans gazaouis. Articulé d'abord autour d'une mosquée, d'un centre sportif, d'une clinique et d'un centre de formation pour les femmes, le rayonnement du Centre Islamique progressa rapidement, gérant bientôt la presque totalité des organisations et institutions religieuses de Gaza. Parmi les acteurs principaux de ce centre, se distinguait plus particulièrement la figure de Sheikh Yassin (1930-2004), titre honorifique acquis par Ahmed Ismail Hassan Yassin, membre des Ikhwan depuis 1966-1967. Enseignant quadriplégique dont le style de vie spartiate et le charisme lui valurent le respect de beaucoup de Palestiniens, il devait devenir le personnage clef du Hamas jusqu'à son assassinat par l'armée israélienne.
La paternité discutée de l'Intifada
En décembre 1987, suite à un incident, la «révolte des pierres» emporte Gaza, avant de s'étendre à la Cisjordanie: manifestations, appels à la désobéissance civile et attaques contre des positions de Tsahal, auxquels Israël répond avec une violence qui ne fait qu'alimenter la colère de la population. L'Intifada a été à certains égards un tournant dans la trajectoire des Frères Musulmans palestiniens. Dans ce contexte de rébellion populaire, les leaders du Centre Islamique choisissent stratégiquement de ne pas s'associer directement au soulèvement, ni de faire un appel au jihad en contradiction avec la politique sociale, religieuse et éducatrice affichée par leur institution. Primat de l'islamisation progressive sur la lutte nationaliste et les coups de force, sans pour autant que l'idée de la lutte armée soit ignorée ou rejetée per se au sein des Frères palestiniens. C'est ce cadre qui dicte la création du Hamas, un mouvement destiné à la fois à participer à l'Intifada, et à se positionner par rapport à l'OLP. Sur la scène palestinienne, la résistance armée était en effet l'apanage des mouvements nationalistes séculiers et du Jihad Islamique, organisation constituée dans les années 1970 sous le nom d'al-Tal'i' al-Islamiyah, «l'avant-garde islamique», par le Palestinien Fathi Shaqaqi (1951-1995), un ancien membre exclu de la Confrérie. L'un des objectifs des Ikhwan était également de prévenir les retombées d'un échec du soulèvement sur le Centre islamique et les élites fréristes.
Cependant, si l'Intifada a encouragé les Frères Musulmans palestiniens, à travers la création d'une organisation complémentaire, à intégrer pleinement la notion de nationalisme afin d'éviter de se retrouver marginalisé, l'Anglo-Palestinien Azzam Tamimi souligne qu'il ne faut pas exagérer ce tournant. Dans son essai Hamas: A History from Within (Olive Branch Press, 2007), cet auteur - dont la sensibilité et la biographie croisent celles de nombreux acteurs du Hamas - rapporte que la décision de transformer l'organisation des Ikhwan avait été prise dix ans avant l'Intifada, en coordination avec différentes branches des Frères Musulmans dans les territoires palestiniens et dans les diasporas. Selon le directeur de l'Institute of Islamic Political Thought, cette concurrence avec le Jihad Islamique existait déjà depuis la fin des années 1970, mais l'entourage de Sheikh Yassin, aurait, pour des raisons de prudence stratégique, retardé l'émergence d'une résistance armée au sein de leur groupe. En 1992, en choisissant le nom de Kata'ib Al-Shahid Izzedin Al-Qassam, c'est-à-dire les brigades du martyr Izzeddin Al-Qassam (1882-1935), l'aile militaire créée par une génération plus jeune d'activistes du Hamas allait choisir de se placer sous le patronyme d'une figure religieuse sunnite qui s'était distinguée dans la lutte armée en Syrie et dans la Palestine mandataire. Les Frères entendaient ainsi inscrire l'itinéraire de leur entrée «tardive» en résistance dans un temps plus long, associant leur combat contre Israël aux luttes anticoloniales des années 1920-1930.
C'est entre 1987 et la période initiée par les accords d'Oslo que le mouvement de résistance développe une double identité islamique et nationale, donnant forme à un mouvement de plus en plus impliqué dans la vie sociale et politique palestinienne. Cet islamo-nationalisme se conjugue avec une dualité entre un discours social, éducatif et religieux, et un autre de combat et de résistance armée. Cette double identité est à la source à la fois de la difficulté que rencontrent les opposants et critiques de ce mouvement à rendre compte de l'identité du Hamas, et de sa popularité auprès de la population palestinienne. Paul Sham (Institute for Israel Studies Institut Gildenhorn) et Osama Abu-Irshaid (Université de Loughborough) soulignent dans un récent rapport de l'United States Institute of Peace intitulé Hamas: Ideological Rigidity and Political Flexibility, qu'en dépit de son intransigeance idéologique, le Hamas s'est retrouvé dès sa conception poussé à adopter une certaine souplesse politique. Cet étrange équilibre a été rendu possible par deux facteurs: le premier est la nature expansive de la jurisprudence islamique traditionnelle, qui confère au Mouvement de résistance islamique sa légitimité à s'adapter et louvoyer quand il évolue dans un environnement difficile ; le second provient des expériences d'adaptation idéologique et de flexibilité acquise depuis longtemps par une Confrérie des Frères Musulmans confrontée aux pressions et répressions politiques.
Une Charte controversée
En août 1988, la Charte du Hamas fut rédigée dans un langage marqué par un nationalisme religieux et un antisémitisme (voir inter alia, l'article 32) inspiré notamment par la mythologie des Protocoles des sages de Sion. Parmi ses aspects les plus controversés, elle définit la Palestine historique, c'est-à-dire le territoire recouvrant celui du mandat britannique et incluant donc géographiquement l'Etat d'Israël, comme une exclusive propriété islamique (wafq), (chap. 3, art.11). «Abandonner une partie de la Palestine, affirme le treizième article de la Charte, est comme abandonner une partie de sa religion», et seul le jihad, considéré par l'article quinze comme une obligation religieuse, peut libérer ce territoire et restaurer une souveraineté légitime, sous la forme d'un Etat islamique et par le biais d'une (ré)islamisation de la société.
Il est intéressant de noter ici deux points. En premier lieu, c'est au cours de cette même année que l'OLP renonçait à sa charte fondatrice, laquelle contenait une littérature à bien des égards aussi martiale que celle du Hamas. Alors que ce dernier annonçait son entrée en résistance et ses objectifs de victoire sur l'ennemi sioniste, Munazzamat al-Tahrir al-Filastiniyyat reconnaissait Israël, acceptait de participer à une conférence de paix et exprimait son rejet du terrorisme. Cette symétrie n'échappera pas aux observateurs palestiniens lorsqu'émergera plus clairement la question d'une normalisation politique du Hamas à partir de 2004 et de sa participation aux élections municipales. Ensuite, ainsi que le rappellent Paul Sham et Osama Abu-Irshaid, un fort contraste existait déjà, avant et après sa publication, entre la radicalité de la Charte et les déclarations de nombreux cadres du Hamas. Le mouvement de Sheikh Yassin n'a jamais complètement fermé les portes du compromis et la trajectoire du Hamas ne se réduit pas une ligne évolutive allant d'une irréductible radicalité à une relative modération.
D'un groupe de résistance à un parti politique?
La Charte du Hamas demeure au cœur des débats relatifs à la nature et aux objectifs du Mouvement de résistance islamique, sensiblement depuis sa victoire surprise aux élections parlementaires du 25 janvier 2006. Cette question n'est pas seulement théorique: après le succès électoral d'un Hamas qu'ils définissent comme un groupe «terroriste», Israël, l'Union Européenne, les Etats-Unis et le Canada se retrouvèrent devant le dilemme de devoir rejeter toute relation avec un gouvernement démocratiquement et légitimement élu. Aux yeux des critiques et des opposants au Hamas, la Charte dévoile la véritable essence d'un mouvement radical et inchangé depuis 21 ans, dédié à la destruction d'Israël, dont l'acceptation du jeu démocratique serait purement une façade stratégique. Un nombre croissant d'observateurs estiment en revanche que, si ce texte a effectivement été le socle idéologique du mouvement, la Charte ne dicte plus le comportement d'un Hamas devenu politiquement plus pragmatique, c'est-à-dire un acteur avec lequel la négociation et un certain niveau de compromis sont choses possibles.
C'est sur ce dernier point que nous nous sommes entretenus avec Ali Barakeh, représentant du Hamas en Syrie. Ce dernier nous a expliqué pourquoi et dans quelles circonstances, le Hamas avait décidé de participer au processus politique palestinien et aux élections législatives de janvier 2006, alors qu'il s'y était opposé lors des premières élections tenues dans les Territoires Occupés, en 1996. Après d'intenses débats internes et dans un climat de suspicion quant à la probité du système électoral, le Mouvement de résistance islamique avait alors conclu que cela reviendrait à légitimer le processus de paix d'Oslo sans conférer de pouvoir supplémentaire au Hamas:
"En 1994, Hamas a refusé de se rapprocher de l'Autorité Palestinienne, résultat, à nos yeux, des accords d'Oslo. Ceux-ci abandonnaient les droits les plus élémentaires des Palestiniens. A cette époque, devenir membre du Parlement aurait signifié reconnaître ces accords. Nous avons par conséquent boycotté les élections parlementaires en 1996. En 2006, la situation et l'environnement politique étaient devenus différents. Après l'Intifada al-Aqsa en 2000 et le refus d'Israël de respecter les accords signés [interprété par le Hamas comme l'échec définitif d'Oslo et justifiant leur participation au processus électoral palestinien], nous avons vu la multiplication des actes de résistance, conséquence directe de l'absence de réciprocité des israéliens. La sécurité palestinienne a arrêté de nombreux membres du Hamas et d'autres groupes résistants durant cette période. C'est pourquoi nous avons décidé de nous impliquer dans les élections municipales et parlementaires. Cette participation avait deux objectifs: le premier est d'essayer d'extirper la corruption et redresser l'Autorité Palestinienne de l'intérieur; le second est de protéger la résistance en empêchant le gouvernement de faire pression ou d'emprisonner les combattants.
"Il y a eu de nombreux débats au sein du Hamas pour déterminer si le mouvement avait intérêt à s'engager dans le processus politique. Après la mort de Yasser Arafat et la prise de pouvoir d'Abu Mazen, Hamas a ouvert un dialogue entre les cadres du mouvement, dans la bande de Gaza, en Cisjordanie et dans la diaspora, afin de déterminer si la participation à des élections était une bonne chose. De nombreuses personnalités religieuses ont été consultées, dont Yusuf al-Qaradawi, Faysal Mawlawi au Liban, ou encore Abdul-Majid al-Zandani au Yémen. Notre premier souci fut donc d'observer la question selon un point de vue religieux - si la majorité des sheikh consultés avaient déclaré la chose haram [interdite du point de vue du droit religieux], nous n'aurions même pas ouvert le débat au sein du Hamas. Le blanc-seing de ces autorités a permis l'ouverture des débats, depuis la base et ce, dans les différents pays où des réfugiés palestiniens se trouvent, jusque parmi les cadres du Hamas. Ce processus de débat interne au mouvement prend du temps et s'efforce d'exprimer le consensus parmi les membres du mouvement. Un vote a donc été tenu et la majorité à soutenu l'idée d'une participation du Hamas. Une minorité a voté contre cette motion, arguant qu'une participation à ces élections revenait, encore une fois, à reconnaître le cadre posé par les accords d'Oslo.
"Une fois la décision prise, même ceux qui s'y opposaient ont dû la soutenir. Cela révèle une pratique nettement plus démocratique que ne le fut la gestion du Fatah par Yasser Arafat, où les décisions venaient d'en haut, sans shura [processus de consultation] et réelle démocratie interne."
Un des aspects qui ressort de notre entretien avec Ali Barakeh est que le refus du processus d'Oslo et des accords qui en découleront ne signifie pas le rejet de la négociation comme mécanisme pour parvenir à un compromis politique, mais bien une dénonciation des termes d'un contrat et de leurs conséquences pour les Palestiniens et le Hamas.
De la Charte de 1988 à la plateforme électorale de 2006
Dans son essai intitulé « A “New Hamas” through Its New Documents», publié dans le Journal of Palestine Studies (n°4, vol.35, été 2006), le chercheur Khaled Hroub, directeur du Cambridge Arab Media Project et auteur de Hamas: Political Thought and Practice (Institute for Palestine Studies, 2000), souligne que la plateforme électorale intitulée «Changement et réforme» (2005), le «Programme de gouvernement d'union national» (2006) et la plateforme électorale présentée par le Premier Ministre Ismaïl Haniyeh (mars 2006) devant le Parlement palestinien, représentent trois jalons témoignant de l'évolution du Hamas depuis sa fondation.
Le discours s'est largement délesté de ses références religieuses pour s'investir dans des préoccupations de bonne gouvernance, de réforme et de lutte contre la corruption, mettant plus l'accent sur la légalité internationale que sur le Coran pour assoir la légitimité de leurs revendications.
Si, pour une part, cette modération du discours du Hamas est probablement le fruit d'une stratégie électorale visant à séduire des électeurs hors de leur vivier traditionnel de partisans, et si cette évolution a surtout été formulée par des cadres intermédiaires éduqués ou ayant étudié en Occident, il apparaît de plus en plus clairement que ce mouvement est devenu un animal politique pragmatique, sachant au besoin modérer ses actions et son discours, et ouvert à la négociation.
Un horizon est dessiné par ces trois documents où apparaissent l'acceptation de la solution dite des deux Etats, la reconnaissance implicite d'Israël à travers la référence aux territoires occupés en 1967 et l'absence, dans le «Programme de gouvernement d'union nationale», d'appel à la libération de la Palestine historique. La situation, reconnaît Ali Barakeh, est difficile: la guerre à Gaza (décembre 2008-janvier 2009) et la perpétuation du blocus économique, la mise en quarantaine du Hamas et les diverses formes de soutien apporté au Fatah par les principaux acteurs occidentaux, la perpétuation de la colonisation, etc. Cependant, tout en reconnaissant que l'évolution entamée par le Mouvement de résistance islamique n'a pas été du goût de toutes les franges du mouvement, Ali Barakeh souligne que cela n'a pas entraîné de fracture au sein du Hamas. Plusieurs observateurs suggèrent en effet que les débats ont été vifs, mais qu'un consensus s'est dégagé.
Le pouvoir de ce mouvement provient d'abord du soutien populaire dont il jouit et, en tant qu'acteur politique et social, il doit nécessairement en tenir compte. En d'autres termes, ainsi que le souligne justement Jeroen Gunning, directeur adjoint du Centre for the Study of Radicalisation and Contemporary Political Violence à l'Université de Wales et auteur de Hamas in Politics: Democracy, Religion, Violence (Columbia University Press, 2008), l'itinéraire des décisions prises par le Hamas montre que l'opinion publique palestinienne importe beaucoup à ses yeux. Et c'est bien l'accroissement du soutien populaire au Hamas, couplé à un affaiblissement du Fatah suite au décès de Yasser Arafat (1929-2004), des querelles intestines et des mesures punitives israéliennes, qui ont donné aux pragmatiques au sein du Hamas les arguments pour convaincre la ligne dure du mouvement de la nécessité d'une pleine inclusion au jeu politique. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les tenants d'une ligne plus dure se comptent plutôt au sein des cadres exilés à Damas, moins proche de leurs électeurs, plus sujets aux pressions syriennes ou iraniennes, et moins sensibles à la nécessité de maintenir sa popularité parmi la population. Les leaders du Hamas ont embrassé la lutte armée à l'occasion de la révolte populaire de 1987 en partie pour prévenir une marginalisation de leur mouvement; cependant, si un modus vivendi est trouvé avec Israël, le soutien populaire à la résistance armée déclinera et de même la motivation des cadres du Hamas à recourir à la violence. Une des bases de soutien du Hamas se trouvant au sein de la classe moyenne commerçante qui a besoin de stabilité pour prospérer, le mouvement sera probablement conduit, pour assurer sa survie politique, à suivre la tendance dominante au sein de la population.
Il existe de nombreux exemples d'un Hamas sacrifiant son objectif de libération de la Palestine historique au profit de gains politiques: sa participation aux élections de 2006 prenant place avec en implicite toile de fond la solution des deux Etats, et le sérieux qu'il investit dans les cessez-le-feu, même lorsqu'Israël cible ses militants ou n'en respecte pas les termes (2003, 2005 et 2008). Ces déclarations de cessation des combats montrent qu'il existe, au sein du Hamas, un nombre non négligeable d'acteurs prêts à faire un compromis sur l'objectif de libération de la Palestine historique, si cette concession fortifie les autres buts du mouvement, tels que la stratégie d'islamisation de la société palestinienne, la lutte contre la corruption et l'engagement social. Le calcul politique n'est aucunement étranger à cette formation politico-religieuse. En 1993 déjà, Sheikh Yassin fut le premier cadre du Hamas à proposer à Israël une trêve de longue durée (hudna) si ce dernier se retirait des Territoires Occupés et de Jérusalem Est, et laissait émerger un Etat palestinien indépendant. Cette offre est demeurée la position officielle du Hamas.
Il existerait donc un consensus sur la nécessité d'ouvrir le mouvement sur un comportement de parti politique traditionnel, avec les compromis que cela nécessairement implique. Bien qu'idéologiquement uni, le Hamas, explique Ali Barakeh, n'est pas l'élément politiquement monolithique que de nombreux médias occidentaux décrivent, mais un mouvement capable de reconnaître les règles du jeu démocratique et dont le «premier but est de libérer la Palestine», non de l'islamiser de force:
"La nature de l'Etat dépendra du choix des Palestiniens, non du Hamas qui n'est pas le seul parti sur la scène politique palestinienne. Si le Parlement et la population veulent appliquer la loi islamique, il en sera ainsi, mais le Hamas n'impose pas - par exemple - le hijab à Gaza et accepte des chrétiens dans ses rangs.
"Notre mouvement a fourni la plateforme politique avec le plus haut pourcentage de femmes de toutes les formations palestiniennes, y compris l'OLP ou le FPLP. Les femmes peuvent être nommées et élues à des postes politiques. Ismaïl Haniyeh insiste pour avoir des femmes dans son gouvernement."
Si un certain nombre d'ambiguïtés invitent à la prudence quant au degré de mutation politique et démocratique effectivement mis en œuvre par le Hamas, il est certain que la victoire électorale de janvier 2006 aura provoqué au sein de ce mouvement un large débat sur la manière de réconcilier les responsabilités pratiques qui incombe à un acteur politique et les aspects radicaux de son idéologie. Ce débat, nous apprend le journaliste palestinien Khalid Amayreh, dans son texte Hamas Debates the Future: Palestine's Islamic Resistance Movement Attempts to Reconcile Ideological Purity and Political Realism (Conflictsforum.org, novembre 2007) se déroula majoritairement de façon informelle, rassemblant des acteurs de plusieurs tendances et générations, abordant d'une manière détaillée une large gamme de sujets.
La Charte, obstacle réel ou utile?
Le fait que le Hamas n'ait pas reconnu explicitement et officiellement l'Etat d'Israël ne traduit pas un déni de son existence, mais un refus de sa reconnaissance de jure. Il y a là un jeu d'ambiguïtés et de nuances encouragé à la fois par le fait que reconnaître l'Etat hébreu selon les termes du Quartet et d'Israël serait interprété comme une reddition, et par deux manières d'approcher le problème israélo-palestinien: d'un côté, la ferme croyance - partagée par la majorité des autorités religieuses sunnites - que la Palestine est une terre islamique qui ne doit pas demeurer sous une tutelle non-musulmane; de l'autre, un réalisme politique qui se traduit par un calcul stratégique: conserver l'atout de la reconnaissance d'Israël pour le mettre sur la table lorsque ce geste se traduira en véritables gains politiques. Analyser le Hamas en se focalisant sur le contenu d'une Charte devenue à bien des égards anachronique, ou en ignorant son langage, c'est-à-dire la manière non explicite ou détournée par laquelle le mouvement va signifier des transformations en son sein, conduit à fossiliser un mouvement qui a montré ses capacités d'évolution vers un réel pragmatisme politique. La reconnaissance par l'OLP de l'Etat d'Israël, commente Ali Barakeh, n'a abouti sur aucune réelle concession ou réciprocité de la part des gouvernements israéliens successifs, et cet accent mis sur une Charte dont la pertinence politique est devenue, de son propre aveu, très relative, servirait d'abord à négliger les vraies questions:
"La Charte n'est pas un programme politique détaillé; elle donnait les lignes directrices principales et se caractérisait par sa forte connotation religieuse. Avec le temps, le Hamas a acquis progressivement de plus en plus d'expérience politique. Par exemple, l'objet du combat est passé d'une lutte contre l'ennemi juif à une lutte contre le sionisme [un aspect également mis en évidence par les auteurs du rapport de l'United States Institute for Peace cité plus haut]; nous faisons une distinction entre appartenance religieuse et politique. Nous ne nous battons pas contre l'Etat d'Israël parce qu'il représente un Etat juif, mais parce qu'il occupe notre terre. Le problème de l'occupation est un problème politique, non religieux. Ce qui nous autorise à accepter un Etat palestinien dans les limites dessinées en 1967. Stratégiquement, notre but est de libérer la Palestine toute entière - à nos yeux, il s'agit de notre patrie historique; cependant, si un Etat palestinien viable est établi en Cisjordanie et Gaza, et un droit du retour accordé aux réfugiés - et non des compensations financières, Jérusalem comme capitale ouverte à toutes les religions, nous accepterons l'existence de l'Etat d'Israël, mais sans reconnaître sa légitimité.
"L'expérience démontre que les concessions faites par l'OLP et Fatah en 1993, ainsi que leur reconnaissance d'Israël n'ont pas débouché sur une réciprocité de la part des israéliens. Arafat a reconnu Israëlet a fini sa vie assiégé et assassiné. De plus, pourquoi cette insistance des occidentaux sur le besoin de reconnaître Israël? Nous sommes les victimes et non les bourreaux. Israël occupe notre terre, qu'Israël reconnaisse nos droits. Voyez ce qui s'est récemment passé à Gaza. Des réfugiés des précédentes occupations sont bombardés et accusés d'attaquer Israël dans les médias américains. La couverture médiatique occidentale ignore l'occupation et les agressions israéliennes ; seules comptes les inefficientes roquettes qui s'abattent en Israël. Comment expliquer le peu de soutien et de reconnaissance que les Palestiniens et le Hamas reçoivent de l'Europe? N'ont-ils pas soutenu De Gaulle contre Vichy alors que l'Allemagne occupait la France? La position du Hamas est similaire à celle des gaullistes pendant la seconde guerre mondiale."
Olivier Moos