"Ce n'est pas un guide des sites religieux sur l'Internet", avertit Jean-François Mayer, rédacteur en chef du site Religioscope et directeur de l'Institut Religioscope, auteur du livre Internet et religion, récemment paru chez l'éditeur suisse Infolio. L'auteur a choisi d'explorer les recoins parfois les plus inattendus du cyberespace pour comprendre quelles transformations le développement d'Internet entraîne pour les religions, et quelles perspectives cela ouvre pour l'avenir.
Au début, les grandes organisations religieuses n'ont pas toujours mesuré le potentiel de cet outil. Ce sont souvent des individus, fascinés par les nouvelles technologies, qui ont pris l'initiative de créer des sites: dans plus d'un diocèse catholique, les premiers sites furent le fait de bénévoles et d'initiatives individuelles; il arrive encore que de grandes organisations religieuses, par exemple dans le monde musulman, aient des sites de moindre qualité que ceux de groupes beaucoup moins représentatifs, mais d'autant plus actifs en ligne.
Cependant, la plupart des religions ont rapidement compris l'importance d'Internet et la nécessité d'y être présent. Religioscope avait relaté les réunions en 2002 et en 2003 de la European Christian Internet Conference (ECIC). Le Conseil pontifical pour les communications sociales publia en 2002 deux documents, L'Eglise et Internet et Ethique en Internet. Ces exemples illustrent la prise en compte de ce média par les groupes religieux. Il est tout simplement devenu impossible d'ignorer Internet, et même des groupes très réticents, avec de rares exceptions, en arrivent à tolérer au moins un usage limité parmi leurs fidèles.
Internet crée de nouveaux moyens pour des communautés religieuses d'offrir une vitrine au monde: le livre constate ainsi la forte présence en ligne des monastères. Cela leur permet également de se faire connaître à ceux qui ressentiraient une vocation pour la vie monastique.
Internet n'est cependant pas seulement un moyen de se faire connaître. L'existence du Web a des conséquences pour les religions dans plusieurs domaines. Il est par exemple facile à des voix multiples de se faire entendre, de façon délocalisée, comme on le constate avec les cyberfatwas dans le monde musulman: au lieu d'aller consulter l'imam de la mosquée du lieu, un croyant en quête de réponses à ses questions peut s'adresser à des conseillers qui vivent à l'autre bout du monde, et ne le connaissent ni lui ni son environnement culturel et social. Internet aiguise ainsi la crise d'autorité qui traverse aujourd'hui le monde musulman, estime Jean-François Mayer.
Cela dit, rien d'étonnant si des sites de cyberfatwas et, plus largement, des sites offrant des conseils spirituels dans toutes les traditions religieuses rencontrent un certain succès: l'anonymat constitue en effet un atout du Web, permettant de poser des questions sans se gêner.
Mais les usages vont plus loin, soulevant des questions troublantes: le livre s'intéresse ainsi aux pratiques religieuses en ligne et à l'émergence de communautés virtuelles.
La pratique religieuse en ligne peut se borner à retransmettre des célébrations d'un culte, exactement comme cela existe déjà depuis des années avec des retransmissions télévisées de services religieux. Mais certains sites s'efforcent de mettre à profit le caractère interactif du Web: parmi les cas les plus intéressants, l'auteur cite les pujas en ligne que proposent certains sites hindous, avec l'intégration d'éléments sonores et la possibilité, à l'aide de la souris, de présenter devant l'image divine des offrandes virtuelles ou de mouvoir une flamme virtuelle; l'importance de la dimension visuelle dans l'hindouisme favorise bien entendu ces expériences.
Certains sites, notamment chrétiens, proposent des cultes en ligne "à la carte": c'est en particulier le cas de cyberéglises, qui n'existent que sur Internet, comme l'Alpha Church, qui se décrit comme une "Eglise chrétienne globale en ligne". Le fidèle choisit lui-même des éléments pour composer son culte et le célèbre où il veut et quand il veut: serait-ce l'aboutissement d'une démarche religieuse totalement individualisée?
Sans doute, mais ce n'est qu'un mode d'utilisation du Web parmi d'autres, et rien ne dit qu'il recueille l'adhésion d'un grand nombre d'internautes. Rien ne laisse penser qu'un grand nombre de chrétiens sont aujourd'hui adeptes de "cyberéglises", même si ces tentatives méritent l'attention en ce qu'elles pourraient préfigurer des développements à venir.
A l'inverse, Jean-François Mayer admet que, malgré son scepticisme initial, il a découvert des phénomènes qui ressemblent bel et bien à l'émergence de communautés en ligne, que ce soit à travers des chaînes de prière ou des pratiques collectives de culte en ligne, comme nous pouvons par exemple les observer sur le site (créé par des méthodistes) St Pixels.
Internet permet-il de développer une activité missionnaire, d'atteindre de nouveaux fidèles potentiels? C'est e rêve de beaucoup de groupes religieux: avec le sentiment qu'il faut être sur Internet, parce que c'est là que les gens sont aujourd'hui, mais aussi parce que cet outil semble offrir la possibilité sans précédent d'atteindre simultanément toutes les régions du monde (à condition de pouvoir convaincre des visiteurs de venir sur son site, bien entendu!). Dans la réalité, cependant, plusieurs études suggèrent qu'un nombre important des gens religieusement actifs en ligne le sont également en dehors d'Internet.
Cela ne signifie pas que le potentiel missionnaire d'Internet n'existe pas: tout groupe religieux durablement actif sur Internet peut citer des exemples de contacts établis à travers cet outil parfois d'ailleurs curieusement pour rejoindre des personnes géographiquement proches, mais qui auraient peut-être hésité à franchir initalement la porte d'un lieu de culte. Mais il ne faut pas exagérer, à ce stade, l'impact d'Internet pour une activité missionnaire. Il est vrai que nous ne sommes encore qu'au début et que cela pourrait changer, au fut et à mesure qu'une partie importante de la population, dans les pays à forte pénétration d'Internet, intégrera de plus en plus l'ordinateur et le Web dans un usage quotidien.
L'étude de Jean-François Mayer suggère que, presque dans tous les domaines, Internet entraîne des effets doubles. Il a le potentiel de renforcer les tendances centralisatrices dans un groupe religieux (accès immédiat à la même information pour tous les fidèles, sans l'écran que peuvent représenter les niveaux intermédiaires, par exemple dans une institution religieuse à structure hiérarchique) – mais aussi de favoriser l'éclatement et l'individualisation (non seulement chacun peut développer ses propres interprétations et les mettre en ligne, mais tout utilisateur a également accès de façon aisée à une grande variété de points de vue).
Cette dualité apparaît également dans les controverses en ligne autour de mouvements religieux nouveaux et sectes, qui avait suscité au départ l'intérêt de l'auteur pour les usages religieux du Web. Dans les années 1990, rappelle Jean-François Mayer, notamment après l'affaire de Heaven's Gate (groupe californien qui avait commis un suicide collectif en 1997), des inquiétudes s'étaient exprimées: le groupe était en effet très actif sur Internet, y avait annoncé son "départ" et avait même tenté de recruter en ligne. Cependant, une analyse plus poussée montre que les efforts de recrutement en ligne n'avaient finalement permis de convaincre qu'une seule personne et que le groupe, dans ses efforts de prosélytisme, rencontré sur le Web plus de ridicule que de succès.
En revanche, d'anciens membres de groupes religieux devenus critiques envers ceux-ci ont trouvé dans Internet un terrain de prédilection: en effet, Internet permet même à une individu isolé et sans grandes ressources de faire entendre sa voix, alors que celle-ci serait souvent restée ignorée sans cet outil. Au lieu de photocopier des textes et de les distribuer laborieusement, il est possible de les mettre en ligne. Et, par la grâce des moteurs de recherche et de leurs algorithmes d'indexation, des sites critiques parviennent à se hisser parfois parmi les premiers résultats pour un mot-clé. Celui qui cherche de l'information en ligne sur un groupe, pour autant que celui-ci ait rencontré des oppositions ou suscité des controverses, trouvera probablement parmi les premiers résultats du moteur de recherche non seulement des pages favorables au groupe, mais aussi des pages critiques. Le livre en évoque plusieurs cas. Internet empêche ainsi de plus en plus des groupes (religieux ou autres), même relativement peu connus, de garder sous le boisseau des informations ou faits les concernant: les nouveaux moyens de communication et d'information créent une pression pour la transparence, ou permettent en tout cas l'accès à une multiplicité des sources d'information. Les règles du jeu changent donc, à une époque où tout journaliste et tout particulier, désireux de s'informer sur n'importe quel sujet, religieux ou non, aura de plus en plus le réflexe de consulter d'abord les informations en ligne à l'aide de moteurs de recherche.
Bien d'autres questions sont évoquées dans ce livre de lecture aisée, avec de nombreux exemples. Il permettra aux lecteurs de faire le point sur les usages religieux d'une nouvelle technologie qui est en même temps un phénomène de société dont les effets ne peuvent manquer de se faire sentir dans le champ religieux aussi. Et, nous explique Jean-François Mayer, "nous n'en sommes encore qu'au début, la plupart d'entre nous n'utilisaient pas encore Internet il y a dix ou quinze ans. Nous ne pressentons pas encore entièrement pas ce que cela va signifier pour l'avenir, dans le domaine religieux et dans le reste de notre existence."
Modifié le 15 juin 2008.
Jean-François Mayer, Internet et religion, Gollion, Infolio, 2008, 188 p.