D'un côté, les islamistes manifestent bruyamment et veulent voir le gouvernement interdire cette branche dissidente de l'islam, qui regroupe 200000 fidèles en Indonésie; de l'autre, les défenseurs de la liberté religieuse appellent à la protection de la liberté de croyance et de culte dans un pays où vivent, aux côtés de 88 % de musulmans, des minorités chrétiennes, hindoues et bouddhistes.
Fondé en 1889 à Qadian, au Pendjab (dans l'actuel Pakistan) par Mirza Ghulam Ahmad (1839-1908), le mouvement est considéré comme une secte déviante de l'islam par les musulmans orthodoxes. Au Pakistan ou au Bangladesh, ils font l'objet de brimades ou de persécutions ouvertes. Les ahmadis tiennent leur fondateur pour le mahdi, celui que certains musulmans attendent et qui apparaîtra à la fin des temps. Présent en Indonésie depuis 1925, le mouvement y est divisé en deux branches: le Jamaah Ahmadiyah Indonesia (JAI), connu aussi sous le nom d'Ahmadiyah Qodiyani, et le Mouvement indonésien des Ahmadiyah (GAI), également désigné sous le vocable Ahmadiyah Lahore. Pour le JAl, Mirza Ghulam Ahmad est le dernier prophète après Mahomet; pour le GAI, Mirza Ghulam est seulement un réformateur de l'islam.
L’agitation a commencé le 16 avril 2008, lorsque le Bureau de coordination pour la surveillance des croyances mystiques dans la société (Bakor Pakem) a estimé, après une enquête de trois mois auprès de 55 communautés d'ahmadis réparties à travers le pays, que ce groupe religieux professait une vision «hérétique» de l'islam. Le Bureau, composé de fonctionnaires des ministères de la Justice, des Affaires religieuses, de l'Intérieur et de la Police nationale, formule des conseils au sujet des activités religieuses en Indonésie, à charge pour le gouvernement de les suivre et de les retranscrire, le cas échéant, dans la législation nationale.
Rapidement après la prise de position du Bakor Pakem, l'agitation a pris de l'ampleur. Le 28 avril, un groupuscule islamiste a incendié une mosquée appartenant aux ahmadis; l'incident, qui s'est produit à Parakan Salak, dans le district de Sukabumi, dans la province de Java-Ouest, n'a pas fait de victimes. Sommés de «revenir à l'islam», les ahmadis ont demandé la protection de la police, les islamistes promettant de ne pas en rester là au cas où rien n'était entrepris pour assurer le «retour» de ces croyants dans le «vrai islam».
Du côté des défenseurs de la liberté religieuse, la réaction a été assez vive. La Fondation pour l'aide juridique en Indonésie (YLBHI) a appelé à la dissolution du Bakor Pakem, qualifié de «survivance de l'Ordre nouveau», en référence aux institutions mises en place par l'ancien dictateur Suharto (au pouvoir de 1966 à 1998). A Djakarta, le 6 mai, une manifestation réunissant des ahmadis, des musulmans modérés et des chrétiens a été organisée pour réclamer la protection de la liberté de culte et de religion en Indonésie. Des juristes ont mis en garde le président de la République, Susilo Bambang Yudhoyono, contre une éventuelle interdiction officielle des ahmadis, mesure qui, selon eux, pourrait amener le déclenchement d'une procédure en destitution (impeachment). Des musulmans modérés ont appelé les grandes organisations musulmanes de masse, la Nahdlatul Ulama et la Muhammadiyah, à protéger les ahmadis, en dépit du fait que les dirigeants de ces deux organisations ont déclaré qu'il était légitime que le gouvernement se prononce pour l'interdiction de la religion des ahmadis.
Face à cette double pression, le gouvernement hésite sur la conduite à tenir. Un décret devait être rendu public le lundi 5 mai, mais le ministre de l'Intérieur a déclaré que le texte était toujours en cours de finalisation. «Nous devons être très prudents et précis afin d'éviter d'entrer en conflit avec les lois existantes», a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse. Mais pour Mubarik, porte-parole de l'une des deux organisations représentant les ahmadis en Indonésie, le mal est fait. Quel que soit le sens dans lequel le décret gouvernemental ira, ce dernier, a-t-il ajouté, sera utilisé comme prétexte par les groupes islamistes radicaux pour multiplier les attaques contre les communautés d'ahmadis. «Pour ceux d'entre nous qui vivent dans les grandes villes, notre sécurité peut être assurée, mais pour les autres qui vivent dans les villages, la police est-elle en mesure de les protéger?»
© Missions Etrangères de Paris – 2008 — Cette information a été publiée dans le N° 485 (16 mai 2008) d’Eglises d’Asie.