Si la sécularisation a été présentée depuis quelques années par plusieurs sociologues comme une "exception européenne" plutôt qu'un modèle de développement universel, les religions se trouvent cependant soumises aussi aux pressions de la modernité dans d'autres régions du globe: le numéro de décembre 2007 de Religion Watch rapporte les résultats d'une recherche présentée en novembre à un colloque de l'Association for the Study of Religion, Economics, and Culture, selon lesquels le temps consacré par les Américains aux activités religieuses diminue. Le travail étant de plus en plus souvent autorisé le dimanche, la pratique dominicale décline chez les chrétiens américains: 26,5% auraient des activités religieuses le dimanche, mais 40,4% admettent faire des achats le dimanche. Et d'autres recherches montrent que, malgré l'énorme diffusion de la Bible, le niveau moyen de culture biblique de la population américaine est plutôt faible.
La place de la religion aux Etats-Unis reste cependant importante, comme le montrent certains épisodes des actuelles "primaires" de la prochaine présidentielle américaine. L'Economist rappelle que la moitié des votes pour le président Bush étaient venues d'évangéliques blancs en 2004, mais l'électorat évangélique adopte des positions de plus en plus variées, même si une majorité (en diminution) voit encore dans le Parti républicain le meilleur représentant de ses valeurs. Des analyses du Pew Forum (4 décembre 2007) estiment d'ailleurs que la division entre les attitudes des électeurs religieusement pratiquants et celles des autres est en train de devenir moins nette.
Dans plusieurs pays européens, la question des nouvelles utilisations d'églises qui ferment leurs portes en raison de la diminution du nombre de fidèles illustre les adaptations auxquelles se trouvent confrontées les églises par suite des évolutions survenues au cours des dernières décennies. Cela survient dans un contexte où des groupes formés d'immigrés (surtout musulmans, mais aussi orthodoxes et adeptes d'autres croyances religieuses) ouvrent des lieux de culte ou cherchent à en créer. Dans la plupart des cas, pour des raisons symboliques, les grandes Eglises chrétiennes sont réticentes à céder un bâtiment précédemment utilisé pour le culte chrétien à des musulmans – dans un contexte où la place de l'islam en Europe fait l'objet de vives discussions.
Le contexte de mondialisation se prête en effet à l'exportation des religions, y compris celles qui étaient autrefois confinées à une sphère géographique. Mais cela entraîne aussi des transformations de l'organisation et des pratiques des communautés religieuses en diaspora. Cela a été mis une fois de plus en lumière par le livre de Prema Kurien, A Place at the Multicultural Table: The Development of an American Hinduism (Rutgers University Press), recensé par Richard Cimino (Religion Watch, octobre 2007): les structures des temples aux Etats-Unis sont de plus en plus souvent "oecuméniques", incorporant différentes traditions régionales de l'Inde; les structures d'organisation des temples s'adaptent aussi au contexte américain. Kurien souligne par ailleurs que le multiculturalisme a paradoxalement renforcé les courants "nationalistes" dans l'hindouisme américain, encourageant la "fierté ethnique" (ethnic pride). Les hindous font de plus en plus entendre leur voix aux Etats-Unis, comme l'a montré la controverse sur les manuels scolaires en Californie, que des organisations hindoues auraient voulu corriger sur certains points relatifs à leur tradition.
L'actualité orthodoxe a notamment été marquée par la poursuite de tensions et rivalités entre Moscou et Constantinople, qui se sont exprimées lors de la réunion de dialogue entre catholiques et orthodoxes à Ravenne. La question du rôle du Patriarcat de Constantinople dans le monde orthodoxe est l'une des questions de ces débats. Des frictions entre Moscou et Bucarest au sujet de la présence d'une juridiction orthodoxe roumaine en Moldavie se sont à nouveau aggravées, durant les derniers mois de l'année, après l'annonce de la création de trois évêchés roumains sur ce territoire, où existe une Eglise dans la juridiction du Patriarcat de Moscou.
L'Eglise orthodoxe russe a célébré cette année la réconciliation avec l'Eglise orthodoxe russe hors-frontières, groupe séparé du Patriarcat de Moscou depuis les années 1920 afin d'échapper au contrôle communiste; dans le même temps, l'Eglise russe saisit toutes les occasions de mettre en évidence son rôle national et se montre de plus en plus active dans la diaspora russe. Sur un autre plan, les responsables des relations extérieures du Patriarcat de Moscou examinent de plus en plus manifestement l'idée d'une coopération avec l'Eglise catholique romaine pour faire front aux tendances sécularisantes, en particulier sur le continent européen; en revanche, l'existence d'une structure diocésaine catholique en Russie continue d'être considérée comme inacceptable, et les soupçons de prosélytisme catholique en Russie restent vifs.
Les relations entre courants conservateurs et libéraux dans la Communion anglicane ont continué d'être très turbulentes cette année, avec l'affirmation toujours plus nette du rôle des primats d'Eglises anglicanes de l'hémisphère sud (surtout en Afrique) pour contrebalancer les tendances libérales de certains secteurs influents de l'anglicanisme en Occident. La question de l'ordination d'homosexuel(le)s est l'un des symboles de cette crise, qui voit des paroisses épiscopaliennes conservatrices aux Etats-Unis passer sous la juridiction d'évêques africains et ceux-ci ordonner des prêtres et des évêques américains. Le schisme annoncé dans la Communion anglicane n'est toujours pas accompli, même s'il semble difficile de l'éviter au vu des récentes évolutions. Mais d'autres modèles sont aussi possibles, par exemple une reconfiguration dans le sens d'une plus grande autonomie des provinces anglicanes, suggérait The Tablet (23 février 2007). Au cours de l'été 2008, la Conférence de Lambeth, qui réunit les responsables des Eglises anglicanes du monde entier, promet d'être animée.
Près de vingt ans après la rupture entre les catholiques traditionalistes liés à Mgr Lefebvre (juin 1988) et Rome, le motu proprio de Benoît XVI, Summorum Pontificum (septembre 2007), n'a pas suffi à résorber la division (qui ne porte pas uniquement sur des questions liturgiques), mais garantit en revanche la place de la "forme liturgique extraordinaire du rite romain" (messe dite de St Pie V) dans l'Eglise catholique romaine Il est trop tôt pour savoir quel pourcentage des catholiques pratiquants voudront réellement pratiquer selon l'ancien rite, par exemple dans un pays comme la France. Quant à la mise en application par les évêques, il manque encore une vue d'ensemble, mais les premières observations suggèrent de fortes variations selon les diocèses, ainsi que l'a montré une enquête du Catholic World Report (octobre 2007) sur la situation américaine
Dans le monde musulman, les tensions entre sunnites et chiites, alimentées par le conflit en Irak et la crainte d'un "arc chiite" au Proche-Orient, ont également un impact dans d'autres régions du monde musulman, y compris dans des régions où les chiites sont très minoritaires. Tant l'Iran que d'autres acteurs s'efforcent de contrer ces développements à travers des dialogues et d'autres initiatives de rapprochement.
Dans le cadre de réponses aux idéologies radicales, nous observons toujours plus d'efforts, dans différentes régions du monde, pour organiser des forces musulmanes qualifiées de "modérées" afin de faire entendre leur voix. L'impact réel de ces initiatives est difficile à estimer: elles pourraient avoir une influence là où les acteurs musulmans qui s'engagent ont par ailleurs un ferme enracinement et une assise dans leur communauté; dans les cas d'intellectuels isolés, en revanche, il y a peu de chance que ces actions aient un grand effet. Notons cependant des initiatives dans le domaine du dialogue islamo-chrétien, comme cet appel de 138 religieux et intellectuels musulmans à leurs homologues chrétiens pour le dialogue et la paix, en soulignant les bases communes de l'islam et du christianisme, sous le titre A Common Word Between Us and You (automne 2007).
D'autres projets visent à trouver des solutions à des questions qui portent atteinte à l'image de l'islam dans les sociétés modernes, par exemple la question de l'apostasie et de la liberté religieuse: plus d'une centaine de musulmans connus ont ainsi signé une déclaration affirmant à la fois croire à l'islam comme voie de salut et soutenir la liberté de choix en matière religieuse.
Dans le but de contrecarrer l'écho des thèses djihadistes dans certains milieux musulmans, nous assistons aussi à une multiplication de tentatives de développer un travail "contre-idéologique". Logiquement, ces initiatives recourent également à l'outil Internet: voir par exemple ce site de Singapour et cet autre site (singapourien aussi) du Religious Rehabilitation Group, ou encore The Radical Middle Way et Terrorism Has No Religion. Nul doute que nous en verrons plusieurs autres apparaître au cours des mois et années à venir, à côté des projets étatiques (y compris des centres de "réhabilitation" qui ont vu le jour dans certains pays arabes, afin de répondre à des références religieuses justifiant les positions radicales par d'autres interprétations.
La religion conserve une force mobilisatrice, et pas seulement dans le monde musulman: le bouddhisme est devenu "une force pour l'activisme politique", remarque le Wall Street Journal (7 novembre 2007) après les manifestations de moines au Myanmar (Birmanie). Bien que la tradition bouddhiste ne donne pas de consigne de révolte contre des gouvernements injustes, remarque l'auteur de l'article, Andrew Higgins, de plus en plus de bouddhistes voient dans leur religion également un instrument de réforme de la société. L'activisme monastique peut d'ailleurs prendre des formes divers: au Sri Lanka, des moines participent à des groupes pour une solution pacifique, tandis que d'autres adhèrent à des courants ultranationalistes.
La question des missions et du prosélytisme continue de causer des frictions dans différentes régions du monde. De l'avis de l'Economist (22 décembre 2007), qui s'intéresse à la "guerre des livres", c'est-à-dire à une comparaison entre les efforts de distribution de la Bible et ceux du Coran dans le monde, les chrétiens se montrent pour l'instant plus efficaces dans la diffusion de la Bible, pour des raisons qui tiennent à la fois aux techniques utilisées (savoir-faire des grands éditeurs chrétiens dans le domaine du marketing) et à l'approche même du livre saint (variété des traductions et utilisations de la Bible, alors que les milieux musulmans se montrent plus réticents en raison du statut reconnu au Coran). La vigueur d'une activité missionnaire organisée n'est cependant pas le seul facteur d'expansion religieuse: l'hebdomadaire rappelle que plusieurs analyses prédisent que le nombre de musulmans dans le monde dépassera celui des chrétiens en 2050, et se dit certain que les efforts de propagation respective des religions entraîneront des tensions dans plusieurs régions du monde, notamment dans l'Afrique subsaharienne. A vrai dire, des réactions face aux missionnaires se manifestent aussi dans d'autres contextes religieux (hindous, bouddhistes, etc.); les violents incidents survenus dans des villages de l'Orissa entre chrétiens et militants hindous au moment des célébrations de Noël 2007 l'ont récemment rappelé.
De nouveaux types d'activité missionnaire se développent, par exemple dans des groupes chrétiens: après les "missions de courte durée" (short-term missionaries), c'est-à-dire ceux qui partent pour quelques semaines ou quelques mois, nous voyons un nombre croissant de retraités (surtout nord-américains) qui partent pour quelque temps comme volontaires, notait Christianity Today (février 2007). Mais le même magazine (novembre 2007) évoque aussi le développement d'un nouveau phénomène, Business as Mission: des entreprises combinent la gestion de leurs affaires et le travail missionnaire, par exemple dans des régions d'accès difficile pour des missionnaires "classiques".
2008 sera aussi l'année des Jeux olympiques à Pékin, occasion que certains groupes religieux souhaitent saisir pour propager leur foi ou pour obtenir un plus grand assouplissement des règles régissant l'activité des religions en Chine: une perspective qui n'enthousiasme pas vraiment les autorités communistes chinoises, inquiète de la possible "infiltration de forces étrangères hostiles sous couvert de christianisme" et entendent "maintenir la stabilité de la société dans le domaine religieux".
A une heure où les principes de la science moderne se sont largement imposés dans l'enseignement, et pas seulement en Occident, nous assistons depuis quelque temps à une offensive "créationniste", et pas seulement dans le cadre chrétien et américain: le débat sur la création et l'évolution est en train de devenir planétaire, remarque l'Economist (21 avril 2007). Un Musée de la création a ouvert ses portes à Peterbsurg (Kentucky) en mai 2007. Un sondage du Pew Forum on Religion and Public Life, en 2006, avait montré que 58% des Américains étaient favorables à l'enseignement du créationnisme à côté de l'évolutionnisme dans les écoles publiques. A l'opposé, le 4 octobre 2007, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a condamné les tentatives d'introduire l'enseignement du créationnisme dans les écoles. Le mois précédent, au Royaume-Uni, les autorités scolaires ont mis à disposition des enseignants des lignes directrices pour savoir comment réagir face aux demandes d'un enseignement créationniste.
Il est vrai que les demandes ne proviennent plus seulement de cercles chrétiens. Dans les milieux musulmans, des thèses anti-évolutionnistes rencontrent un écho croissant, notamment en raison des efforts de diffusion (engagés depuis des années, mais notés depuis peu de temps par les médias) des disciples de l'auteur turc Harun Yahya (pseudonyme d'Adnan Öktar). Ses livres richement illustrés – par exemple son Atlas de la Création – se retrouvent aujourd'hui en grosses piles dans les rayons de librairies musulmanes du monde entier, également dans les pays occidentaux. En Turquie, selon une enquête de l'Académie des sciences, jusqu'à 75% des étudiants considéreraient le darwinisme comme sans fondement, indique Delphine Nerbollier dans un article du quotidien Le Temps (16 avril 2007).
Si la question du rôle des femmes dans les religions n'a pas fait la une des médias cette année, cela reste un thème de longue haleine, et des courants de transformation sont à l'oeuvre dans plusieurs traditions religieuses: un article de Hinduism Today évoquait la (ré)apparition de femmes célébrant des rituels (pujaris) dans le contexte hindou. Des voix se font entendre en Asie du Sud-Est pour un statut de plein droit des moniales bouddhistes ou l'accès à l'ordination monastique là où celle-ci n'est pas (encore) possible. Depuis les années 1990, des femmes bouddhistes cinghalaises ont reçu à nouveau l'ordination monastique. Dans le monde chrétien, si l'accès des femmes au ministère pastoral est maintenant établi dans nombre de communautés protestantes (avec des résistances de certains groupes), il est peu probable que l'on assiste à des évolutions dans ce sens de la part des autorités de l'Eglise catholique romaine ou des Eglises orthodoxes dans un avenir prévisible.
Les préoccupations pour l'environnement ont occupé plusieurs fois le devant de la scène en 2007 et retiennent également l'attention des religions. Dans un article publié dans The New Republic (10 décembre 2007), l'historien Philip Jenkins estime que les problèmes d'environnement pourraient, au cours des prochaines décennies, entraîner également des tensions et conflits entre religions. Se fondant sur des précédents historiques, il suggère que des changements climatiques – et donc le réchauffement global annoncé – sont fréquemment associés à des tensions religieuses. L'avenir nous dira ce qu'il en est de ces prévisions: dans l'immédiat, nous pouvons noter l'intérêt croissant pour les questions écologiques de milieux qui y étaient jusqu'à maintenant assez peu sensibles, par exemple une partie du milieu évangéliques américain.
Plusieurs médias ont titré en 2007 sur un "nouvel athéisme", tant en Amérique du Nord qu'en Europe, plus militant et contrebalançant le supposé "réveil des religions". Ce "nouvel athéisme" s'exprime cependant surtout à travers le succès de certains livres et penseurs: les effectifs des organisations d'athées et de libres penseurs restent modestes et leur influence plutôt faible.
Pour ceux qui s’intéressent aux tendances et indicateurs de développements dans l’actualité religieuse, signalons que l’Institut Religioscope vient de reprendre la lettre d’information Religion Watch (en anglais), qui paraît depuis 23 ans aux Etats-Unis. Une refonte complète de la présentation de ce périodique et de son site web est en cours; le premier numéro de Religion Watch dans sa nouvelle formule sera publié dans le courant du mois de février, et le nouveau site de la revue sera inauguré à ce moment. La lettre sera publiée bimestriellement; chaque numéro comptera 12 pages. L’abonnement annuel à la version imprimée est de 33$ pour les abonnés en Amérique du Nord, 36$ dans le reste du monde; l’abonnement à la version électronique (au format PDF dès 2008) est de 20$. En attendant la mise en place d’un nouveau système d’abonnement, il est possible de s’abonner pour 2008 directement sur le site provisoire de Religion Watch.
Sur les questions de prospective dans le domaine religieux, mentionnons la publication, l’été dernier, d’un article de Jean-François Mayer, directeur de Religioscope, sur “Les courants religieux à l’horizon 2037. Les religions entre mondialisation et individualisation”. Cet article est paru dans la revue de prospective française Futuribles (N° 332, juillet-août 2007, pp. 55-69). Les personnes intéressées sont priées de s’adresser directement à la rédaction de Futuribles (47 rue de Babylone, F-75007 Paris).