Une chercheuse japonaise, Yumi Kitamura (Center for Southeast Asian Studies, Université de Kyoto), étudie les développements du confucianisme en Indonésie et a présenté les résultats de ses enquêtes lors d'un atelier de l'International Convention of Asia Scholars (ICAS), qui s'est tenue à Kuala Lumpur.
Le confucianisme est présent en Indonésie depuis le 19e siècle, avec l'immigration chinoise. Son développement à partir des deux dernières décennies de ce siècle fut intimement lié, résume Kitamura, à un mouvement d'identité chinoise, l'établissement de lieux de culte et d'écoles pour enseigner tant la doctrine de Confucius que la langue chinoise allant de concert. En 1923, un congrès des groupes confucéens établit un organe de coordination, qui se transforma en 1955 en une organisation nommée MATAKIN (Majelis Tinggi Agama Khonghucu Indonesia, Conseil Suprême du Confucianisme en Indonésie).
Comme on le sait, les approches du confucianisme sont variés: certaines le voient avant tout comme une philosophie, d'autres comme une religion. En 1965, un décret du président Sukarno établit une liste de six religions pratiquées par le peuple indonésien: l'islam, le protestantisme, le catholicisme, l'hindouisme, le bouddhisme et le confucianisme. En 1970, rappelle Kitmaura, 0,90% de la population indonésienne se déclarait confucéenne, ce qui était à peu près équivalent au pourcentage des bouddhistes à la même époque (0,92%).
Cependant, le statut du confucianisme était loin de se trouver clairement établie, et il subit également les répercussions d'un certain nombre de mesures antichinoises (y compris des mesures contre des pratiques traditionnelles chinoises). En 1979, le gouvernement indonésien décida que le confucianisme n'était pas une religion, mais une croyance: les religions officiellement reconnues se trouvaient ainsi réduites au nombre de cinq. Les organisations confucéennes ne furent pas interdites, mais les pratiquants de la religion confucéenne éprouvèrent de nombreuses difficultés, puisqu'il ne pouvaient pas faire légaliser des mariages confucéens, par exemple, ce qui les contraignait souvent à se faire enregistrer comme bouddhistes et à ajouter des statues du Bouddha dans leurs lieux de culte afin de "déguiser" ceux-ci.
Des confucéens décidèrent de faire reconnaître leurs droits. En 1995, à Surabaya, un couple se maria selon le rite confucéen: le confucianisme n'étant plus une religion reconnue, le mariage ne pouvait être enregistré. Les intéressés engagèrent donc une action en justice contre l'état civil, avec le soutien du MATAKIN, et également l'appui de certains intellectuels musulmans, qui soutenaient la démarche du point de vue du respect des droits de l'homme. Le ministère des Affaires religieuses continuait cependant de considérer le confucianisme comme une philosophie.
Après la chute du président Suharto, le nouveau gouvernement annula une circulaire du ministère de l'Intérieur qui avait retiré le confucianisme de la liste des religions officielles en 1978. Le président Wahid marqua son ouverture pour les confucéens en participant à la célébration du Nouvel An chinois. Des facteurs internationaux jouaient certes aussi un rôle, avec la prise de conscience de la montée en puissance de la Chine. Mais la sympathie du président Wahid pour la cause de confucéens était sincère, car il l'avait déjà exprimée avant son accession au pouvoir.
Le gouvernement central en arriva donc de facto à reconnaître rapidement le confucianisme à nouveau comme une religion. Cette politique fut suivie par les présidents qui succédèrent à Wahid après 2001.
Restait à faire passer cette évolution dans la réalité locale. Ce fut chose fait le 24 février 2006: une circulaire officielle mit les administrations provinciales et locales en demeure de traiter le confucianisme comme une religion. Cela signifiait notamment que les mariages confucéens revêtaient de nouveau une valeur légale.
Selon Yomi Kitamura, certains bouddhistes se montrèrent réticents à la re-reconnaissance du confucianisme. En revanche, d'autres groupes religieux, notamment les sikhs, espèrent que cela ouvrira la porte à la reconnaissance officielle d'autres groupes religieux comme entités indépendantes.
Dans l'Indonésie contemporaine, avec son système de religions officiellement reconnues, les habitants d'origine ethnique chinoise pratiquant le confucianisme ont été conduits à mouler celui-ci sur le système en vigueur. Ainsi, explique Yumi Kitamura, le confucianisme est présenté comme ayant comme divinité Tien, comme prophète Confucius, comme écritures saintes les Quatre Livres et les Cinq Classiques, comme lieu de culte Li Tang (un édifice où l'on pratique les rituels et étudie la doctrine de Confucius, il en existe dans différentes régions de l'Indonésie), et enfin des prêtres (avec un système à trois degrés).
La chercheuse japonaise a montré à ses auditeurs un film présentant des extraits d'un service religieux confucéen en Indonésie: il combinait apparemment des rituels traditionnels chinois et des modes de culte proches de ceux d'une église chrétienne, avec une chorale, des hymnes, des enfants de chœur, produisant le sentiment d'une fascinante hybridation culturelle. Il faudrait bien sûr savoir dans quelle mesure des cultes semblables sont célébrés dans d'autres pays où le confucianisme est établi.
En effet, depuis les années 1980, un réveil du confucianisme sous des formes religieuses se manifeste dans différentes régions du monde, notamment à Hong Kong, en Corée et aux Etats-Unis.
Sur la reconnaissance légale du confucianisme en Indonésie, un intéressant article en anglais est accessible en ligne au format PDF et pourra compléter le présent article: Heriyanto Yang, “The history and legal position of Confucianism in postindependence Indonesia”, Marburg Journal of Religion, 10/1, août 2005. URL: http://web.uni-marburg.de/religionswissenschaft/journal/mjr/pdf/2005/yang2005.pdf
Organisée par le MATAKIN, la 4e Conférence internationale du confucianisme se tiendra à Djakarta du 20 au 23 nocembre 2007.