En Russie le mouvement néo-païen est né dans les années 1970-80, dans le contexte de l'affaiblissement de l'idéologie marxiste, accompagné d'une attitude pour le moins critique sur le rôle historique de l'Eglise orthodoxe.
Les premiers néo-païens russes étaient des intellectuels dissidents, membres de l'underground soviétique. On compte parmi eux les auteurs du journal national patriotique Vetche, Anatole Ivanov (pseudonyme Maliouta Skouratov grand peintre du neo-paganisme, Constantin Vassiliev et Alexis Dobrovolskiy, connu sous le nom de Dobroslav. Ce dernier deviendra l'une des figures de proue du néo-paganisme russe, auquel il inclinera à donner un caractere ultra nationaliste et philo-nazi.
Dans les années 1980, les premiers païens de cette nouvelle génération sont rejoints par l'universitaire arabisant Valeri Emelianov, l'un des membres les plus brillants de l'organisation d'extrême droite Pamiat, et un professeur de philosophie de l'Université de Saint-Petersbourg, Victor Bezvekhiy.
Le paganisme présent dans la mémoire collective des Russes
Les néo-païens russes se fixent pour objectif de reconstruire la religion des peuples slaves avant que le prince Vladimir ne décide de convertir manu militari son peuple au christianisme oriental. Leur choix repose sur plusieurs constats.
Selon eux, le polythéisme participe des particularités génétiques des peuples slaves, germains et plus généralement de la race blanche. Preuves à l'appui, ils entendents démontrent que l'orthodoxie triomphante est truffée de coutumes païennes.
Il est vrai que la religiosité populaire russe en offre de nombreux exemples. Chaque année, à la veille de Pâques, les prêtres exhortent les fidèles à pas aller placer sur les tombes du cimetière, le jour de la Résurrection, des œufs colores et des koulitchs (gâteau de Pâques traditionnel). Dans les campagnes, des paysans vénèrent les sources, certains arbres, et collent leur oreille contre la terre pour entendre la voix de Kitej, la ville mythique enfouie sous les eaux
La littérature russe foisonne également de références païennes et même le grand auteur chrétien Dostoïevski semble y donner un écho lorsque, à la fin de Crime et Châtiment, Sonia ordonne à Raskolnikov de s'agenouiller et de demander pardon à la terre qu'il a souillé du sang de l'usurière avant d'aller se livrer a la justice des hommes.
Par ailleurs, certains intellectuels pensent que l'orthodoxie, qui prône la soumission à Dieu, n'était pas adaptée au caractère guerrier des slaves et qu'elle est à l'origine de tous les malheurs de la Russie.
Enfin, le paganisme se veut libre de toute compromission avec le pouvoir temporel, mettant volontiers leur attitude en contraste avec celle de l'Eglise.
Les premiers néo-païens russes vivaient dans une semi-clandestinité. Chacun créait sa petite communauté, organisée de façon quasi-militaire, sur le principe de l'obéissance à un chef. A la mort des dirigeants, toutes ces petites communautés disparaissent ou se fondent dans d'autres, plus importantes
Ces groupuscules ont principalement en commun leur haine des juifs et du christianisme, vu comme religion juive, imposée aux peuples slaves par la force; ils sont convaincus de la réalité d'un complot judéo-maçonnique fomenté contre le peuple russe.
A la suite des événements de 1991, les néo-païens sortent de l'ombre et s'efforcent de se réunir. La Communauté des païens russes, crée par les descendants de V. Emelianov, tente de fédérer les païens de divers courants qui vont des intellectuels "libéraux" adorateurs de Veles et de Svarogue aux adeptes de Peroun, beaucoup plus radicaux.
Toutefois l'unification faite d'une façon mécanique sans formation d'un panthéon, d'une idéologie et des rites communs, sera de courte durée. Au milieu des années 1990 plusieurs groupes sortent de l'organisation et finalement la Communauté des païens russes se tgrouve réduite à une peau de chagrin.
Guerre froide entre les deux grandes communautés païennes
A l'heure actuelle, les néo-païens sont principalement regroupés dans deux grands ensembles, l'Union des communautés de la foi patriarcale slave et le Cercle de la tradition païenne
L'Union de la foi patriarcale slave a ete formée à l'origine par cinq communautés qui s'étaient réunies pour un congres en 1997 sur les bords de la rivière Kaloujka. Il s'agit d'une organisation fortement autoritaire, avec un pouvoir centralisé. Elle a pour chef Kazakov. Son but est de rétablir en Russie l'ancienne religion des Slaves, son idéologie est anti-chrétienne, anti-mondialiste et ultra-nationaliste. Tous les membres sont obligatoirement des Slaves et les rapports interconfessionnels n'existent qu'avec les autres groupes païens. Il y a actuellement dans l'organisation quinze communautés et environ mille membres actifs.
Le Cercle de la tradition païenne une nébuleuse née en 2002. Grâce a sa structure plus lâche qui permet à chaque communauté de conserver son chef, ses rites et son panthéon ainsi que grâce à son idéologie, elle se développe rapidement, en particulier parmi les jeunes, et compterait plusieurs milliers de membres.
Dans son idéologie, la composante écologique est très présente ainsi que la lutte contre l'Eglise orthodoxe, accusée de vouloir transformer la Russie laïque en un état "théocratique et criminel". Par contre, le Cercle de la tradition païenne refuse le nazisme, l'extrémisme et le national-chauvinisme "sous toutes ses formes", peut-on lire dans le manifeste du mouvement.
Ces deux groupes vivent en situation de guerre froide et se livrent une concurrence farouche pour tenter de récupérer les quelques dizaines de mini-communautés, sortes d'électrons libres du néo-paganisme, qui vivotent à leurs côtés.
Nathalie Ouvaroff