On pourrait penser que la fumée de l’encens, les prières et les inclinations profondes adressées à celui qui a introduit au Vietnam une idéologie athée ne sont le fait que de quelques zélateurs peu éclairés, éloignés de la mouvance du parti au pouvoir. De nombreux signes visibles, ainsi que les déclarations de responsables politiques que l’on peut recueillir dans la presse officielle, montrent qu’il n’en est rien et que le développement de cette nouvelle religion est, sans doute, le fruit d’une politique concertée.
De très nombreux édifices religieux sont sortis de terre ces temps derniers au Vietnam, aussi bien chez les catholiques que chez les bouddhistes. La nouvelle religion n’échappe pas à cette tendance générale. La multiplication des temples consacrés au fondateur de la République socialiste du Vietnam témoigne de la vitalité du culte de l’oncle Hô [1]. Il n’existe pas de statistiques nationales officielles à ce sujet. Cependant, récemment, la presse officielle [2] a fait état d’une dépêche de l’Agence d’informations vietnamienne décrivant les infrastructures matérielles de cette religion pour le delta du Mékong. On peut trouver aujourd’hui 30 temples et lieux de culte consacrés au président Hô, répartis dans sept des treize provinces de cette région méridionale. La seule province de Ca Mau, à l’extrémité sud du Vietnam, en compte dix-huit. Selon la dépêche, toutes ces constructions témoignent de la vénération affectueuse que la population locale porte à Hô Chi Minh, décédé en 1969. Beaucoup de ces lieux de culte ont été édifiés dès l’année de la mort de l’oncle Hô, en pleine guerre. Certains autres ont été construits en 1975. Une réplique de la maison sur pilotis du président défunt a été récemment édifiée dans un parc de la ville de Ca Mau.
Tous ces lieux sont fréquentés surtout à l’occasion du Nouvel An. En dehors de Ca Mau, dans la province de Hâu Giang, selon une autre dépêche de l’AVI (28 juin 2004), un temple dédié à l’oncle Hô dans la commune de Luong Tâm aurait accueilli 80 000 visiteurs au cours des trois dernières années.
Cependant, le plus grand et le plus somptueux des temples élevés à la gloire de l’oncle Hô se trouve à Thu Dâu Môt, dans la province de Binh Duong. Appelé «Dai Nam Quôc Tu», tout récemment construit, il occupe une surface de 5.000 m2 dans une zone touristique qui elle-même s’étend sur des centaines d’hectares et où devrait être construit un hôtel de 5.000 chambres [3]. Son sanctuaire de trois étages abrite trois statues géantes recouvertes d’or, celles de Bouddha, du roi Hung, l’ancêtre éponyme du Vietnam, et de Hô Chi Minh représenté assis sur un trône devant les deux autres.
Il ne fait pas de doute que ce culte de l’ancêtre du socialisme au Vietnam soit fortement encouragé par les autorités au plus haut niveau. En témoigne un long article écrit au mois de mars 2007 par Huynh Van Toi, adjoint au président du Comité populaire de la province de Dông Nai, dans un journal intitulé «L’Industrie du Dông Nai» (Công Nghiêp Dông Nai). Sous le titre: «La vie culturelle et spirituelle de la population de Dông Nai», le texte souligne le rôle que joue le culte de Hô Chi Minh dans la vie quotidienne et surtout la place qu’il tient parmi les esprits et divinités bénéfiques traditionnelles.
Au sein du culte familial, l’oncle Hô est délibérément placé sur le même plan que les ancêtres de la famille et les génies familiers comme le génie de la cuisine «Tào Quân», le génie de la terre «ng Dia» et diverses fées bienveillantes. «Il est le père, celui qui apporte le bonheur à la famille», souligne l’article. L’esprit du président défunt a aussi sa place et son autel, en tant que sauveur de la patrie, à côté des esprits des héros régionaux ou nationaux vénérés à l’intérieur du «Dinh», le temple et la maison commune du village. Le même article signale que, dans un temple de Biên Hôa, consacré au roi Jung, le président Hô est vénéré comme le 19ème roi de la dynastie, en particulier le 19 mai, anniversaire officiel de la naissance de Hô Chi Minh.
Dans les années 1990, la pensée de Hô Chi Minh avait remplacé les références à Marx et à Lénine. La promotion de l’oncle Hô au rang de divinité tutélaire évite désormais les références à cette pensée passablement «insaisissable».
Notes
[1] Ce texte s’est très largement inspiré de deux articles en vietnamien de Trân Khai, parus sur le site: «L’oncle Hô à l’égal de Bouddha et de Dieu» du 22 mai 2007 et «Edifier des temples pour l’oncle Hô» du 23 mai 2007.
[2] La dépêche de l’AVI (Agence vietnamienne d’information) a été publiée par Tiên Phông le 15 mai 2007.
[3] Tuôi Tre, quotidien des Jeunesses communistes, 10 février 2007
Cet article a été publié dans le N° 464 (1er juin 2007) d’Eglises d’Asie, Agence d’Information des Missions Etrangères de Paris (128 rue du Bac, 75341 Paris Cedex 07).
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