EDA, 1er février 2007 -- L'entretien a duré trois quarts d'heure. Des cadeaux ont été échangés, une pièce de porcelaine pour le pape et des médailles pour le chef du gouvernement de la République socialiste du Vietnam. La délégation vietnamienne a tenu ensuite à rencontrer le cardinal Tarcisio Bertone, secrétaire d'Etat, et Mgr Dominique Mamberti, secrétaire pour les relations avec les Etats. Deux comptes-rendus de la visite ont été aussitôt publiés à Rome et à Hanoi.
Cette visite a surpris aussi bien à l'intérieur du pays qu'à l'extérieur. On avait attendu, il y a quelques années, une visite du pape au Vietnam sans soupçonner que l'inverse se produirait. Pourquoi donc cette rencontre? On ne trouve pas d'éléments de réponse à cette question dans le communiqué de Hanoi confirmant la visite. Autant les annonces de la visite par les agences de presse et les commentaires médiatiques suscités par elle avaient paru emphatiques et contradictoires, autant le premier communiqué de presse de la partie vietnamienne s'était efforcé de minimiser l'importance de l'événement. La dépêche de l'agence d'information officielle du Vietnam, repris tel quel par le Nhân Dân, se contentait de dire qu'à l'occasion de son voyage en Italie, le Premier ministre aurait une «entrevue» avec le pape.
Le premier commentaire officiel d'une certaine ampleur a été donné dans une interview à Radio Free Asia par l'adjoint au responsable des Affaires religieuses, Nguyên Thê Danh. Il s'est appliqué à montrer que cet événement était l'aboutissement d'une politique religieuse menée depuis une décennie et demie par son gouvernement. Il a rappelé la première visite au Vietnam du cardinal Etchegaray, les autres contacts au plus haut niveau ainsi que les négociations régulières qui ont suivi. Il a spécifié ensuite que la visite au chef de l'Etat du Vatican visait un objectif diplomatique lié à la situation intérieure. La visite était la consécration d'un certain type de relations établies avec le Saint-Siège, susceptibles de contribuer au règlement des questions intérieures du catholicisme au Vietnam, les questions du personnel de l'Eglise, des séminaires, la participation de l'Eglise aux ouvres sociales.
Ce double objectif a été clairement réaffirmé par le Premier ministre lors de son entrevue avec le pape. Dans le communiqué publié immédiatement après la rencontre, celui-ci a exposé avec grand soin la position de son gouvernement en se référant longuement à la situation intérieure du Vietnam. Après avoir vanté le respect de son gouvernement à l'égard des droits de l'homme et de la liberté religieuse, ainsi que les mérites de la communauté catholique associant Dieu et la patrie dans un même amour, il s'est déclaré très satisfait du statut actuel des relations entre son Etat et le Saint-Siège. Il a, en particulier, évoqué les rencontres régulières entre les deux parties, qui ont débuté en 1990. Les résultats sont, selon lui, positifs. C'est pourquoi «le gouvernement vietnamien préconise de poursuivre le processus de dialogue direct avec le Vatican sur la base des principes du respect mutuel et de la non-ingérence dans les affaires intérieures d'autrui».
Toutefois, le chef du gouvernement vietnamien a pris acte de la proposition faite par le Saint-Siège d'établir des relations diplomatiques classiques entre les deux parties. Il n'y a pas opposé de fin de non-recevoir, mais il s'est contenté de proposer de laisser aux bureaux diplomatiques des deux pays la tâche d'en discuter concrètement. Cette réponse avait déjà été donnée à d'autres occasions, notamment à l'époque où l'Eglise du Vietnam avait proposé au gouvernement d'inviter le pape Jean-Paul II à visiter le Vietnam.
En outre, on peut légitimement penser que, derrière cette visite, se cache une ambition diplomatique plus large. Le voyage en Italie et au Vatican constitue en effet l'une des étapes du processus d'ouverture internationale poursuivi par Nguyên Tân Dung. Nommé Premier ministre le 27 juin 2006, peu après le dernier Congrès du Parti communiste - placé sous le signe de la croissance économique et de la conquête de la scène internationale -, il s'est d'abord assuré de la protection de ses deux plus puissants voisins asiatiques. En octobre 2006, il a rendu une visite officielle au Japon, où il a rencontré de nombreuses personnalités. Il s'est ensuite rendu en Chine, dans la région autonome de Zhuang, au Guangxi où il s'est entretenu avec son homologue chinois. Il a aussi visité d'autres pays proches de l'Asie du Sud-Est: le Cambodge, le Laos, la Thaïlande et les Philippines. Si l'on excepte le court voyage à Helsinki, où il participait à un sommet Asie-Europe en septembre dernier, le voyage au Vatican du 25 janvier a constitué son premier contact diplomatique avec l'Europe. Il est significatif que dans le large éventail des pays d'Europe, il ait choisi cet Etat pour une visite qui, en raison de la nature du régime politique en vigueur au Vietnam, ne pouvait manquer de frapper les esprits.
La visite du Premier ministre vietnamien au Vatican suscite, au Vietnam, des réactions contrastées
La rencontre du dirigeant vietnamien et du pape a suscité une certaine émotion à l'intérieur du pays, en particulier au sein de la population chrétienne. Les réactions de l'opinion publique ont été recueillies par un certain nombre de médias internationaux ou encore ont été diffusées par l'intermédiaire d'Internet. Généralement favorables, elles divergent cependant selon les milieux d'où elles émanent. Elles sont quelquefois accompagnées de très fortes réticences, comme c'est le cas pour la lettre au pape rédigée à cette occasion par un groupe de prêtres de laïcs du centre Vietnam.
La presse officielle, contrôlée par l'Etat, a généralement repris scrupuleusement le contenu du premier compte-rendu officiel publié par vietnamienne d'information, le jour même. C'est le cas par exemple de l'organe du parti, le Nhân Dân, qui, dans les articles publiés les jours suivants, n'ajoutera rien à la première version des faits. Certains journaux, comme Tuôi Tre du 27 janvier, publieront une revue des articles de la presse internationale relatant cette visite. Un reportage de celle-ci a été diffusé à la télévision vietnamienne le 28 janvier. Il y a été dit qu'il n'existait pas de relations diplomatiques entre le Vatican et le Vietnam, mais que le Saint-Siège considérait la politique religieuse appliquée au Vietnam comme un modèle pour les autres pays. En fin de compte, la presse vietnamienne aura fait paraître peu de commentaires originaux et se sera contenté de refléter la satisfaction du pouvoir central à ce sujet.
Les membres de la hiérarchie de l'Eglise catholique au Vietnam sollicités par les agences et médias internationaux ont, pour la plupart, exprimé leur enthousiasme. Selon AsiaNews, le cardinal Pham Minh Mân, archevêque de Saigon, s'est réjoui de l'événement et a déclaré que désormais il n'y avait plus d'obstacle à l'établissement de relations diplomatiques entre le Vietnam et le Saint-Siège. Moins optimiste que le cardinal Mân, l'archevêque de Hanoi, Mgr Ngô Quang Kiêt, a confié à Ucanews que, sur ce sujet, les deux parties avaient une «vision conservatrice». Dans le diocèse de Thanh Hoa, Mgr Nguyên Chi Linh a déclaré à une radio étrangère que cette visite réalisait le vou profond de tous les chrétiens. Il a cependant ajouté que les changements que cette visite pourrait apporter à la situation religieuse du pays ne se feraient sentir que peu à peu.
Cet optimisme n'est cependant pas partagé par l'ensemble du clergé et des fidèles. Le P. Hoang Minh Thang, de Radio Vatican, tout en reconnaissant dans cette visite un événement historique, y voit surtout la volonté du Vietnam de tenir sa place dans le concert des nations en se conciliant les forces spirituelles de l'Eglise catholique. Une lettre émanant d'un groupe de prêtres et de laïcs du Centre Vietnam a été envoyée au pape Benoît XVI peu avant la visite du Premier ministre. Elle demande au Souverain pontife de rappeler à son visiteur les injustices commises par son gouvernement. Les auteurs de la requête mentionnent les plus récentes à savoir les persécutions des mennonites par les autorités sur les Hauts Plateaux comme à Ho Chi Minh-Ville, la répression qui frappe le bouddhisme hoa hao depuis des dizaines d'années, la peine de résidence surveillée subie par les dirigeants du bouddhisme unifié et par le P. Nguyên Van Ly, les conflits de propriété opposant l'Eglise et l'Etat. Sont mentionnés ensuite l'ordonnance sur la religion du 2 juin 2004 et son décret d'application, destinés, dit la lettre, à tenir en laisse et à instrumentaliser la religion. Cette oppression, est-il ajouté, s'étend à tous les droits de l'homme dans le pays. A l'appui de leurs dires, les auteurs de la lettre citent les déclarations des plus hauts dirigeants de l'Eglise au Vietnam. Enfin, en conclusion, le groupe de prêtres et de laïcs signataires de la lettre souhaite que le Saint-Siège use de son influence pour forcer les dirigeants du Vietnam à abandonner la politique menée jusqu'ici.
Le Bureau des Affaires religieuses dresse un bilan de la politique religieuse de ces trois dernières années
Alors que se préparait la visite du Premier ministre Nguyên Tân Dung au pape Benoît XVI, à Ho Chi Minh-Ville, le bureau gouvernemental des Affaires religieuses organisait, le 18 janvier, une réunion destinée à dresser le bilan de trois ans d'application de la résolution 25-NQ-TW du Comité central. Celle-ci avait été émise en 2003 à l'intention des cadres du Bureau des Affaires religieuses, à l'issue d'un plénum du Comité central. Le ton du compte-rendu de cette réunion, paru le jour suivant dans les colonnes de Saigon Giai Phong ('Saigon libéré'), présente une vision de la politique religieuse tout autre que celle qui a été exposée par le chef du gouvernement au chef de l'Eglise catholique universelle. Les conceptions et le vocabulaire y sont différents, plus proches de ceux habituels à ce genre de documents. Après s'être félicité des résultats obtenus en matière religieuse au cours des trois années écoulées et de leur impact sur l'opinion internationale, le compte-rendu énumère les sept missions qui incombent désormais aux cadres des Affaires religieuses.
En premier lieu, il est demandé aux spécialistes du Bureau des Affaires religieuses de continuer d'approfondir et de diffuser la politique religieuse officielle du Parti ainsi que les textes législatifs en ce domaine. De plus en plus, est-il ajouté, la doctrine religieuse du Parti devra prendre la forme de textes législatifs et de textes réglementaires. Il est aussi souligné que l'action religieuse de l'Etat doit prendre en compte l'opinion de l'étranger. Les cadres du Bureau devront également mener une action aussi bien préventive qu'immédiate contre ceux qui prônent l'utilisation de la religion dans un but de sabotage de l'union nationale. La directive préconise aussi de renforcer la formation ainsi que le recyclage des fonctionnaires des Affaires religieuses et de donner à l'action religieuse du gouvernement une coordination plus grande.
La directive dont le Bureau des Affaires religieuses vient d'établir le bilan d'application avait été publiée le 12 mars 2003 à l'issue du septième plénum du Comité central (neuvième mandat). Le document, signé du secrétaire général Nông Duc Manh, revêt une très grande importance et n'était pas connu avant sa publication. Il n'a été placé sur le site Internet du Parti communiste vietnamien qu'au mois d'août 2006. Le document décrivait la situation religieuse du pays et s'étendait longuement sur les conceptions religieuses mises en œuvre dans la politique du Parti et de l'Etat. La résolution du Comité central définissait ensuite les diverses missions confiées aux cadres des Affaires religieuses ainsi qu'aux différentes instances du Parti pour la période à venir.
Selon Human Rights Watch, le bouddhisme unifié et les Eglises chrétiennes locales sont les principales cibles de la répression religieuse
Dans son rapport sur la situation des droits de l'homme dans le monde en 2006, l'association Human Rights Watch reste encore très pessimiste sur le Vietnam et introduit ainsi le chapitre concernant ce pays: «Bien que bénéficiant d'un des taux de croissance les plus élevés en Asie, ce pays reste à la traîne derrière beaucoup d'autres en ce qui concerne le respect des droits de l'homme fondamentaux.» Les auteurs de ce bilan annuel mentionnent le mouvement de grèves qui s'est développé à la fin de l'année 2005 et durant les premiers mois de l'année suivante. Ils évoquent également la naissance et la croissance d'un mouvement pro-démocratique ainsi que la répression qu'il a rencontrée. Le rapport s'est aussi largement étendu sur les obstacles opposés par l'Etat à la liberté d'expression, en particulier dans le domaine d'Internet spécialement contrôlé et censuré. Les observateurs de Human Rights Watch se sont aussi efforcés de décrire avec soin la situation actuelle dans le domaine religieux.
Il est d'abord rappelé que, si l'Ordonnance de 2004 sur la croyance et la religion affirme le droit à la liberté de religion, elle stipule ensuite que tout groupe religieux, pour être légal, doit se faire enregistrer. Le texte législatif interdit toute activité religieuse susceptible de provoquer un trouble à l'ordre public ou de porter atteinte à la sécurité et à l'unité nationales. Ce sont les religions non reconnues que les autorités ont persécuté en supprimant leurs rassemblements religieux, confisquant les équipements cultuels ou convoquant leurs dirigeants à des interrogatoires policiers. Human Rights Watch relève, parmi les religions non reconnues, le bouddhisme unifié - dont les deux plus hauts dirigeants sont en résidence surveillée de fait - et des groupes de chrétiens se rassemblant dans des maisons privées pour la prière et le culte.
La situation des communautés chrétiennes locales est plus longuement décrite. A la suite de directives du Premier ministre de février 2005, un processus d'enregistrement des Eglises locales a été mis en place et proposé aux groupes chrétiens concernés. Or plusieurs centaines de ces communautés qui ont déposé une demande d'enregistrement ont vu cette requête rejetée ou ignorée, ou encore renvoyée sans que l'enveloppe ait été ouverte. Selon le rapport, ce fut le cas de quelque cinq cent Eglises de la région montagneuse du nord-ouest du Vietnam. Au centre du Vietnam, quelques-unes en lien avec l'Eglise évangélique du Vietnam (EEV) - en bons termes avec l'Etat - ont pu être enregistrées. Les autres ont subi de fortes pressions pour rejoindre l'EEV ou encore ont été pressées de renoncer à leurs croyances, bien que l'ordonnance de 2005 interdise formellement ce genre de pratique.
Au chapitre des prisonniers de conscience, l'organisation américaine de défense des droits de l'homme estime que, depuis 2001, date des premières manifestations publiques sur les Hauts Plateaux, plus de 350 Montagnards ont été condamnés à des peines de prison par les tribunaux locaux, en grande partie du fait de leurs croyances religieuses.
Cet article a été publié dans le N° 456 (1er février 2007) d’Eglises d’Asie, Agence d’Information des Missions Etrangères de Paris (128 rue du Bac, 75341 Paris Cedex 07).
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