Quinze ans après la perestroïka qui a réhabilité l'Eglise et lui a rendu sa place dans la société, l'orthodoxie demeure un phénomène marginal. Si 80% de la population se déclare orthodoxe, il s'agit d'une religion de façade qui n'implique ni l'observation des rites ni un mode de vie en accords avec les Commandements. Dans ce contexte, rien d'étonnant à ce que l'Eglise se penche sur son passé pour y puiser des recettes susceptibles ramener les brebis égarées au bercail. Le regain d'intérêt de autorités religieuses pour le vieux rite est une manifestation de ce souci (pour une introduction sur les vieux-croyants russes, voir l'article de Nathalie Ouvaroff publié par Religioscope en juillet 2006, NDLR).
Le 21 juillet 2006, le jour de la fête de l'icône la Vierge de Kazan, le métropolite Juvénal, doyen du Saint Synode, a ordonné dans une église de "la vieille foi" appartenant au Patriarcat de Moscou un prêtre et un diacre au cours d'une liturgie célébrée selon le rite en vigueur avant le schisme. Le service religieux était fidèle jusque dans les moindres détails à ceux qui étaient célébrés en Russie sous Ivan III et Ivan IV: les hommes avaient revêtus des kaftans et portaient de longues barbes.Les femmes étaient habillées de robes ou de jupes jusqu'à la cheville; sur la tête un foulard attaché sous le menton par une épingle a nourrice, avec dans les mains les chapelets tels qu'ils étaient très répandu dans la Russie d'avant le schisme. Bien entendu le clergé et les fidèles se signaient avec deux doigts (les autres orthodoxes se signent en joignant trois doigts, NDLR), et se prosternaient le visage contre terre agenouillés sur des petits tapis qui avaient été confectionnés pour l'occasion.
Lors de l'assemblée archiépiscopale de l'Eglise orthodoxe russe qui s'est tenue ä Moscou du 3 au 8 octobre 2004, les participants s'étaient penchés pour la première fois sur la question de l'unité de tous les orthodoxes de tradition russe. Cette formulation comprend non seulement l'Eglise orthodoxe russe hors-frontières née dans l'émigration et les Russes rattachés au Patriarcat de Constantinople, mais également les vieux-croyants.Dans un rapport très remarqué, le Métropolite Kiril, prétendant a la succession d'Alexis II, a expliqué que le problème de la veille foi n'était pas seulement religieux, mais avait une dimension sociale, politique et culturelle: "la rupture avec les traditions et des valeurs morales et spirituelles a provoqué une cassure dans la conscience collective, et le peuple qui ne faisait qu'un avec son église a été mortellement blessé". Et d'ajouter: "la cassure de la société russe provoquée par le schisme a été le précurseur des autres ruptures qui ont finalement conduit à la révolution" (un thème qui avait déjà été évoqué en son temps par le célèbre dissident Alexandre Soljenitsyne, NDLR).
Au milieu du XVIIe siècle, le Tsar Alexeï Mikhailovitch, influencé par l'ambitieux patriarche Nikon, a provoqué une fracture dans la vie de l'Eglise. Le rite ancien, qui était celui de l'Empire byzantin, des principautés de Kiev, Novgorod, et de la Russie moscovite, a été réformé sous l'influence des Grecs et des catholiques romains polonais. Cet action eut pour conséquence la rupture d'un tiers de la population d'avec l'Eglise.
Les partisans de Nikon ont conservé la hiérarchie canonique et l'héritage des apôtres, tandis les vieux-croyants conservaient avec leur liturgie un ancien mode de vie et les rites traditionnels de la Russie médiévale. Et cette Sainte Russie qui devait être la troisième Rome, ils l'ont emmenée avec eux dans les montagnes et les forêts
Les anathèmes prononces par l'assemblée des évêques de 1666-1667 rendaient toute réconciliation impossible. En réponse, les vieux-croyants ont accusé les "nikoniens" d'hérésie; en l'absence de prêtres, ils se sont divisés en une multitude de petites confréries qui ne se reconnaissent pas les unes les autres. Pendant le même temps, l'Eglise officielle devenait, avec les réformes de Pierre le Grand – qui la privèrent complètement de toute liberté d'action – un instrument aux mains du pouvoir temporel.
Toutefois, l'essence de la tragédie ne vint ni du toilettage liturgique ni d'un changement dans les coutumes. Le messianisme russe repose sur l'idée que, dans le concert des nations, la Russie à une place à part. Elle est l'héritière de l'Empire byzantin, "la Troisième Rome et il n'y en pas de quatrième". Elle est un katekhon, c'est-à-dire une force qui empêche l'univers de sombrer dans la fin des temps avec la venue de l'Antéchrist. Les réformateurs sont accusés d'avoir détruit cette notion du caractère sacré du katekhon et d'avoir amené la Russie dans le temps de l'Occident, avec comme corollaires le libéralisme et le socialisme.
Dans ce contexte, nombreux sont ceux qui pensent que le rôle de la vieille foi est d'aider l'Eglise à revenir doucement et sans soubresaut s vers les véritables sources de l'orthodoxie. La vieille foi est "une voie" et "un projet orthodoxe". "La vieille foi est un retour vers soi-même et vers ses racines", déclare le philosophe A. Douguine, lui-même adepte de la vieille foi. De façon plus terre à terre, l'Eglise besoin de retrouver ses racines pour lutter plus efficacement contre les maux de la société moderne.
S'adressant non seulement aux vieux-croyants qui reconnaissent le Patriarcat de Moscou, mais à l'ensemble de la communauté, le Métropolite Kiril a lancé un appel ä l'unité: ”Les vieux-croyants et nous partageons la même foi et le même système de valeurs et nous nous opposons au sécularisme qui prône la réussite financière et sociale à tout prix et rejette les impératifs religieux", a-t-il déclaré
Nathalie Ouvaroff