Massivement exporté en Occident, le bouddhisme y bénéficie d’une forte médiatisation et d’un large plébiscite, tantôt considéré comme un mode de vie, tantôt comme une philosophie, tantôt encore comme une religion (non-théiste, puisqu’elle ne connaît pas de dieu éternel), mais toujours associé à la non-violence (comme la figure du Dalaï Lama), à la relaxation, à la tolérance, au détachement...
Le détournement du message originel
En dépit de tout ce que le bouddhisme peut avoir de séduisant et de répandu, il y a néanmoins un profond paradoxe à en faire des allusions dans la publicité. L’un des piliers de l’enseignement bouddhique est en effet le détachement des valeurs matérielles, c’est-à-dire l’abandon de tout désir dans le but de se défaire de la souffrance liée à l’impermanence des plaisirs terrestres. Or, la publicité détourne ce message originel pour le restreindre à la recherche d’un bonheur matériel immédiat.
Ce détournement est manifeste dans une publicité de la marque de vêtements pour hommes Facis: dans une salle de gymnastique, un homme aux cheveux mi-longs, habillé en complet-cravate, les pieds dénudés, est assis en tailleur. En arrière-plan, un homme chauve, pieds et torse nus, vêtu d’un pantalon en toile blanc, est installé dans la même posture de méditation: les yeux mi-clos leur permettent de se concentrer sur leur corps, tout en ayant conscience de ce qui les entoure; le contact entre le pouce et l’index maintient fermée la circulation du flux d’énergie; la poitrine ouverte facilite une respiration fluide. Dans ce contexte de méditation, le complet paraît alors totalement inapproprié.
Notre avis: En le présentant dans une scène improbable de la vie quotidienne, la publicité démontre l’irrésistibilité du confort de ce costume Facis, sacrifiant la recherche spirituelle sur l’autel du bonheur matériel. Le principe bouddhique du détachement est donc clairement instrumentalisé.
Des clichés à la confusion
Le bouddhisme est très souvent symbolisé par la position du lotus, l’une des quatre positions de méditation enseignées par le bouddhisme. Il en est ainsi d’une publicité pour les mouchoirs Tempo, qui récupère le cliché associant le bouddhisme à la pratique de la relaxation: au slogan «Une respiration relaxante» répond un visuel représentant une femme en position de relaxation, en tous points conforme aux règles bouddhiques. La femme, faire-valoir du produit (sensibilité), habillée tout en blanc (hygiène, comme la couleur du produit), renforce le sentiment d’équilibre insufflé par la symétrie de l’ensemble. Le décor naturel, en forme d’auréole, répond quant à lui à la suite du slogan «senteur Tempo Aromathera». Mais les quatre bras, renvoyant à Shiva, dieu hindou aux multiples bras, témoignent d’une prise de liberté avec les références bouddhiques.
Notre avis: Cette publicité Tempo prend donc des libertés en associant bouddhisme et hindouisme; elle évoque les notions de bien-être et de sérénité (ciel bleu), et non pas celle de spiritualité bouddhique.
De la confusion à l’iconoclasme
Si la publicité Facis instrumentalise le bouddhisme, si la publicité Tempo opère une fusion entre bouddhisme et hindouisme, une publicité diAx (opérateur de téléphonie mobile et provider Internet, racheté depuis par Sunrise) associe, par photomontage, des images chrétiennes, bouddhiques et hindouistes. Les cinq images, disposées en forme de croix, évoquent le catholicisme (crucifix), allusion confortée, à gauche et à droite, par les deux bras crucifiés (titrés respectivement Le site du Vatican et Confession on-line). Au sommet se trouve une image de la tête du Bouddha historique et, au centre, prend place celle du dieu hindou à quatre bras (Shiva).
La juxtaposition de ces trois religions, inhabituelle en soi, est doublée par la présence d’une image de jambes de footballeur qui, contrairement aux quatre autres images, n’appartient pas à la sphère religieuse.
Notre avis: En associant un thème sportif à plusieurs religions, diAx crée une publicité patchwork qui ouvre la réflexion sur la situation actuelle de la religion, mais aussi sur le rôle que peut jouer le sport comme substitut spirituel: les rencontres sportives sont autant de grandes messes glorifiant les exploits sportifs et faisant des footballeurs de véritables dieux vivants. Le slogan «Des réponses aux questions vitales» étaye cette interprétation en présentant le sport et les religions comme autant de questions de vie ou de mort.
Entre liquéfaction spirituelle et bricolage religieux
P. Blanquart (*) observe que la modernité est «marquée par un phénomène à la fois double et unique: le développement considérable des techniques et moyens de communication, et le brassage généralisé des populations qui, jusque-là, se répartissaient la planète en zones distinctes et relativement homogènes. Il en résulte une liquéfaction des identités, collectives et individuelles». Face à une crise des institutions (dernier exemple en date, le Da Vinci Code et l’idée du complot), face à une perte de l’identité religieuse, on observe à la fois un durcissement des pratiques religieuses (à commencer par l’envolée évangéliste) et un bricolage religieux.
Or, le frottement entre religions (Tempo, diAx) est caractéristique de ces périodes d’effritement et de renaissance culturels, exhumant les traditions anciennes pour les réaménager aux circonstances et besoins nouveaux. Mais, dans la publicité diAx, au mélange de di verses religions s’ajoute celui du sacré et du profane. Ce panachage semble être le témoin d’une inconsistance croissante des valeurs religieuses, d’une renégociation des valeurs tant sacrées que profanes. Liquéfaction des croyances, ou émergence d’un nouveau système de croyances, telle est l’énigme que pose en définitive cette instrumentalisation du bouddhisme.
Gilles Lugrin
Maître assistant, Université de Lausanne
Switchith Xayachack
Mémorante, Université de Lausanne
(*) BLANQUART, P. (1987): «Le religieux: un nouvel enjeu stratégique», in L’état des religions dans le monde, Michel Clevenot (dir.), Paris, La Découverte-Le Cerf, pp. 13-21.
Cet article est d'abord paru dans le numéro 343 (juin 2006) du mensuel J'achète mieux, organe de la Fédération romande des consommateurs. Site web: www.frc.ch
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