Selon la version officielle, l'initiative de tenir cette réunion revient au Patriarche Alexis qui s'en est ouvert au Président Poutine au mois de décembre, lorsque ce dernier est venu le féliciter pour son anniversaire.
Gaydar Djemal, président du Comité des musulmans russes, défend une autre thèse: selon lui, l'idée vient de Poutine et – comme en d'autre temps – la hiérarchie religieuse n'a fait que mettre en œuvre la volonté du pouvoir politique en renouant avec une "bonne vieille tradition qui vient de la période soviétique".
En 1948, à l'issue de la Seconde Guerre mondiale, Staline avait tenté d'organiser un forum religieux. Cette tentative échoua: seulement deux prélats appartenant à des pays du camp socialiste se rendirent à son invitation.
Vingt ans plus tard, en 1969, alors que nombre de croyants se trouvaient dans les goulags et dans les hôpitaux psychiatriques, le Conseil de affaires religieuses et les responsables ecclésiastiques avaient organisé ensemble à Zagorsk une réunion similaire; à l'époque, le but était de contribuer à "la lutte pour la paix" tout en égratignant les Américains et le capitalisme, responsable de tous les malheurs du monde.
Malgré son nom, le sommet de Moscou avait des visées au moins autant politiques que religieuses. Pour preuve: les deux interventions de Poutine. Le chef de l'Etat a posé on ne peut plus nettement le problème: "Il ne faut pas s'occuper seulement de théologie", a-t-il déclaré. Par ailleurs, le Dalaï Lama n'avait pas été invité: interrogé à ce sujet, l'archiprêtre Vsévolode Tchaplin, un proche du métropolite Kirill, a expliqué que le ministère des affaires étrangères n'avait souhaité sa venue.
La manifestation de Moscou poursuivait plusieurs objectifs:
- Améliorer l'image de la Russie à la veille du G8.
- Redorer le blason du Métropolite Kirill.
- Renforcer la position de l'Eglise orthodoxe russe vis à vis des autres Eglises orthodoxe et plus spécialement par rapport à Constantinople.
- Jeter les bases d'une nouvelle forme d'œcuménisme reposant sur les traditions et les valeurs communes aux trois religions du "Livre" et au bouddhisme.
Moscou: capitale de la tolérance?
A l'heure où les Occidentaux ne perdent pas une occasion de souligner le regain de pulsions xénophobes, l'intolérance, voire le racisme en Russie, la capitale russe a voulu apparaître aux yeux du monde non seulement comme un des centres de l'orthodoxie, mais comme le point de rencontre de toutes les confessions.
Au cours d'une conférence de presse à la veille du sommet, l'un des grands rabbins de Russie, Berl Lazar, après avoir insisté sur les points communs entre l'islam et le judaïsme, a donné son opinion sur les événements du Proche-Orient: "Il s'agit d'une confrontation politique et non pas religieuse. Il n'y pas de guerre de religion, il n'y en a jamais eu. Tout simplement les Etats utilisent les religions pour parvenir à leur fins." Et de conclure que, en Russie, "les relations entre les musulmans, les juifs et les chrétiens sont excellentes et le reste du monde devrait prendre exemple sur notre pays."
Malheureusement, les propos optimistes du Grand Rabbin ont été démentis par les événements. Alors que les délégués parlaient de concorde la Russie a connu trois attaques: le toit d'une mosquée arraché par une explosion, une confrontation violente entre juifs et chrétiens lors de l'exposition interconfessionnelle "Foi, espérance, amour", et enfin un monastère de vieux-croyants saccagé.
Monseigneur Kirill: métropolite de combat
Le chef du Département des relations extérieures du Patriarcat de Moscou est sorti brillamment d'une période de disgrâce qui durait depuis quelques mois. On lui reprochait ses initiatives malheureuses: l'adresse du patriarche appelant tous les orthodoxes d'origine russe à rejoindre Moscou, les problèmes de Biarritz et de Nice [tentative de prise de contrôle par le Patriarcat de Moscou, dans le premier cas, et par les autorités russes, dans le second, d'églises appartenant à des groupes d'émigrés russes - NDLR], enfin l'affaire de Londres [départ d'un évêque vers la juridiction du Patriarcat de Constantinople, suivi par des fidèles se plaignant des influences et du rôle du Département des relations extérieures dans leur diocèse - NDLR]. Il n'avait que de loin participé aux négociations avec l'Eglise russe hors-frontières. Lors de ses récents déplacements, le Patriarche était accompagné par le métropolite Clément, le grand rival de Kirill. Enfin, le site internet Credo.ru avait ressorti des vieilles accusations selon lesquelles le Département des relations extérieures avait trempé dans le commerce illicite d'alcool et de tabac.
A l'actif du Métropolite, outre le sommet qui a été sans aucun doute un succès diplomatique, la très nette amélioration des relations avec le Vatican, qui s'est concrétisée par une lettre d'encouragement du pape Benoît XVI . Interrogé sur l'état des rapports entre le Patriarcat et le Vatican, le cardinal Roger Etchegarray n'a pas caché sa satisfaction: "Les relations entre le Patriarcat et le Vatican connaissent une embellie notable", a-t-il déclaré avec un large sourire. D'après des sources bien informées, une rencontre entre le Pape et le Patriarche Alexis en terrain neutre est envisageable.
Moscou "troisième Rome"
Ce mythe vieux de plusieurs siècles a constamment poursuivi à la fois l'Eglise et l'Etat russe, y compris pendant la période communiste avec les grand-messes du mouvement de la paix.
La réunion de Moscou avait pour but de renforcer la place de l'Eglise russe dans le monde orthodoxe. Moscou était destinée un jour à prendre la place de Constantinople. Reste que les autres centres du monde orthodoxe ne sont pas prêts à accepter le leadership de Moscou comme le montre leur absence au sommet. Le patriarche de Constantinople n'était pas invité, celui d'Antioche Ignace IV l'était, mais il a prétexté des raisons de santé pour ne pas venir. Enfin, le patriarche d'Alexandrie, Théodore II, avait programmé un autre voyage qu'il ne pouvait remettre.
Autres absents de marque, les Eglises protestantes américaines, anglaises et allemandes Eglises appartenant à des pays membres du G8, qui n'ont donc pas participé a l'élaboration du texte au sera proposé à leurs dirigeants politiques.
Vers un nouvel "oecuménisme"
Depuis quelques années, les relations entre l'Eglise orthodoxe russe et le Conseil œcuménique des Eglises, au sein duquel les protestants jouent un rôle moteur, sont tendues sont tendues. Lors d'un entretien au site Diploweb en 2005, le patriarche Alexis
II avait laissé entendre que Moscou envisageait de quitter cette instance "qui perd son temps dans des discussions stériles sur des problèmes qui ne sont pas du ressort de l'Eglise". Par ailleurs, la question de l'œcuménisme constituait une pomme de discorde avec l'Eglise russe hors frontières, fondamentalement opposée à ce mouvement. Le sommet de Moscou, copie en grand format du Conseil des affaires religieuses russe, constitue une tentative pour constituer parallèlement au Conseil œcuménique des Eglises une nouvelle instance ouverte à l'ensemble des religions traditionnelles.
Nathalie Ouvaroff
Titulaire d'une maîtrise de russe et diplômée de l'Institut d'études politiques de Paris, Nathalie Ouvaroff a été correspondante du Figaro en Inde et est depuis 2005 journaliste à Moscou, d'où elle collabore à différents organes de presse, revues et sites Internet.
© 2006 Nathalie Ouvaroff.
Document – Message du Sommet mondial des chefs religieux
A titre documentaire, nous reproduisons ci-dessous la traduction française du message du Sommet, telle qu’elle a été publiée le 10 juillet sur le site de la Représentation de l’Eglise orthodoxe russe à Strasbourg (NDLR):
Nous, les participants au Sommet mondial des leaders religieux, chefs et délégués des communautés chrétiennes, musulmanes, juives, bouddhistes et shintoïstes, venant de 49 pays, nous sommes réunis à Moscou avant le sommet du G8. Ayant débattu en détail de questions qui présentaient un intérêt commun, nous nous adressons aux chefs d’Etats, à nos communautés religieuses et à tous les hommes de bonne volonté.
Nous considérons que par sa nature l’être humain est religieux. Dès le début de l’histoire, la religion joue un rôle clé dans la formation de la pensée, de la culture, de la morale, du mode de vie social. Du fait du rôle croissant de la foi dans la société actuelle, nous souhaitons que la religion continue à servir de base solide à la paix et au dialogue entre les civilisations et qu’elle ne soit pas utilisée en qualité de source de querelles et de conflits. La religion a la possibilité potentielle de lier différents peuples et différentes cultures malgré notre fragilité humaine et particulièrement dans le contexte actuel de pluralisme et de diversité.
La vie humaine est un don du Très-Haut. Notre devoir sacré est de préserver ce don et cela doit être le souci aussi bien des communautés religieuses que des leaders politiques.
Le dialogue et le partenariat entre les civilisations ne doivent pas être de simples slogans. Nous devons construire un tel ordre mondial où seraient réunis la démocratie, comme moyen de concilier différents intérêts et comme participation des gens aux prises de décisions à un niveau national et global, et le respect envers les sentiments moraux, le mode de vie, les différents systèmes de droit et de politique, les traditions nationales et religieuses des gens. Les solutions globales, équitables et stables des différends internationaux doivent être trouvées par des moyens amiables. Nous refusons les doubles standards dans les relations internationales. Le monde doit être multipolaire avec différents modes de vie à la satisfaction des tous les êtres et de tous les peuples et non être confiné dans des schémas idéologiques simplifiés et dénués de vie.
L’homme est une œuvre unique du Créateur dont l’existence s’étend à l’éternité. Il ne doit devenir ni une marchandise, ni un objet de manipulations politiques, ni une pièce détachée d’une machine de production et de consommation.
Pour cela il faut avant tout affirmer constamment l’extrême valeur de la vie humaine depuis sa conception et jusqu’à son dernier souffle et son trépas naturel. De ce fait, la famille a besoin aujourd’hui d’être soutenue car elle est le milieu privilégié pour former une personne libre, raisonnable et morale. Nous appelons à renforcer le soutien de la famille et particulièrement dans sa mission éducative avec l’aide du droit national et international et de l’usage des Etats, différentes institutions publiques, communautés religieuses et moyens d’information des masses. En liaison avec cela nous sommes préoccupés par la situation des femmes et des enfants dans de nombreuses sociétés. En aidant au développement de la personnalité unique de chaque individu, femmes et hommes, enfants et vieillards, de même que personnes handicapées, nous voyons qu’ils possèdent tous des dons particuliers. Leur défense contre la violence et l’exploitation, c’est la mission commune du pouvoir, de la société et des communautés religieuses.
L’homme est le chef d’œuvre du Très-Haut. Pour cela les droits de l’homme, leur défense et leur respect au niveau national, régional et international sont une préoccupation importante pour nous. Cependant, notre expérience nous montre également que s’il n’y a pas de pivot moral, si nous ne comprenons pas nos devoirs, aucun pays, aucune société ne seront libres de conflits et de décadence. Le péché et le vice détruisent et la personne et la société. De ce fait, nous sommes convaincus que la loi et le mode de vie social doivent unir en une entente féconde l’attachement aux droits et aux libertés tout en comprenant les principes de la morale qui sont à la base de la vie commune des humains.
Nous affirmons l’importance de la liberté religieuse dans le monde actuel. Les gens et les groupes doivent être libres de contraintes. On ne doit obliger personne à agir contre ses propres convictions religieuses. Il est essentiel également de tenir compte des droits des minorités religieuses et nationales.
Nous condamnons le terrorisme et l’extrémisme sous toute forme ainsi que les tentatives de les justifier par la religion. Nous considérons comme notre devoir de nous opposer à la haine qu’elle soit sur un terrain politique, national ou religieux. Nous regrettons les actions des groupes et des mouvements pseudo-religieux qui détruisent la liberté et la santé des gens ainsi que le climat moral dans la société. L’utilisation de la religion comme moyen d’attiser la haine ou comme prétexte à des crimes contre l’individu, la morale, l’humanité, c’est l’un des principaux défis du temps présent. On ne peut réellement en venir à bout qu’au travers de l’enseignement et de l’éducation morale. L’école, les mass-médias et la prédication des chefs religieux doivent rendre à nos contemporains la pleine connaissance de leurs traditions religieuses qui appellent à la paix et à l’amour.
Nous exigeons l’arrêt de tout outrage aux sentiments religieux et de toute profanation des textes, symboles, noms et lieux qui sont sacrés pour un croyant. Celui qui porte atteinte aux choses sacrées doit savoir qu’il blesse profondément les cœurs des hommes et sème la discorde entre eux.
Par l’éducation et l’action sociale, nous devons réaffirmer les valeurs morales durables. Nous considérons que ces valeurs nous ont été données par le Très-Haut et qu’elles sont profondément enracinées dans la vie de l’homme. Elles sont pour beaucoup pratiquement les mêmes dans nos religions. Nous sentons notre responsabilité pour l’état moral de nos sociétés et nous souhaitons prendre cette responsabilité, en œuvrant avec les gouvernements et les associations civiles au nom d’une vie dans laquelle les valeurs morales seront une vertu et une source de développement durable.
La vie de l’homme est également liée à l’économie. Le régime économique mondial, de même que les autres domaines de l’architecture globale, doivent être fondés sur l’équité. Toute l’activité économique et celle du monde des affaires doit être socialement responsable et s’appuyer sur les normes de la morale. C’est justement ce qui la rend véritablement efficace, c’est-à-dire apportant le bien-être aux gens. Une vie uniquement vouée au profit et aux rendements de production devient indigente et vide. Le sachant, nous appelons le monde des affaires à être ouvert et responsable envers la société civile, y compris les communautés religieuses, aussi bien au niveau national que global.
Il est impératif que tous les gouvernements et tout le monde des affaires soient, au même titre, responsables de la préservation des ressources de notre planète. Ces ressources sont offertes par le Créateur à toutes les générations et doivent être utilisées pour le bien de chaque être humain. Tous les peuples ont le droit d’utiliser ces ressources de même que de développer des techniques nécessaires à leur conservation et à leur utilisation efficace. Une répartition responsable des richesses de la Terre et une activité humanitaire efficiente permettront de vaincre la pauvreté et la faim dont souffrent des milliards de nos frères et de nos sœurs. La pauvreté et l’absence de protection sociale deviennent la cause d’une migration massive laquelle provoque de plus en plus de nouveaux problèmes aussi bien dans les pays pauvres que dans les pays riches. La concentration de la plus grande part des richesses du monde entre les mains d’une minorité sur le fond d’une extrême pauvreté d’une quantité énorme de gens, en particulier d’enfants, c’est une tragédie globale. Il est sûr qu’elle continuera à déstabiliser le monde et constitue une menace pour la paix sur la planète. Nous appelons tous les peuples à revenir à une vie de modération, à l’autolimitation et à une équité active. Ceci assurera un avenir plein d’espérance aux générations futures et désarçonnera les terroristes et les extrémistes.
Les gouvernements, les communautés religieuses et les peuples du monde doivent ensemble lutter pour vaincre les nouveaux défis tels que les épidémies de maladies infectieuses, et particulièrement le SIDA, de même que la drogue et la dissémination des armes de destructions massives. Aucun pays, même le plus riche et le plus puissant, ne peut seul venir à bout de ces menaces. Nous sommes tous liés les uns aux autres et nous avons le même destin. Ceci exige des efforts concertés et unis de la part de tous les Etats-membres de la communauté mondiale. Les maladies ne sont pas les préoccupations des seuls médecins comme la dispersion des technologies de mort n’est pas le problème des seules forces de maintien de l’ordre. Ces défis doivent devenir la préoccupation de la société dans son ensemble.
Le dialogue entre les religions doit se réaliser grâce aux efforts des chefs religieux et des spécialistes et doit s’enrichir grâce à la contribution des simples croyants. Il ne doit pas y avoir de situation, dont le danger a été confirmé par l’histoire, lorsque les communautés religieuses agissent sous la dictée d’intérêts politiques. Nous condamnons également les tentatives de «mixer» artificiellement les croyances ou de les modifier sans que leurs adeptes le veuillent, en vue de les rapprocher du sécularisme.
Nos communautés sont prêtes à développer le dialogue avec les partisans des opinions laïques, avec les hommes politiques, avec toutes les structures de la société civile, avec les organisations internationales. Nous espérons que ce dialogue continuera et permettra aux religions d’apporter leur contribution à la concorde et à la compréhension mutuelle entre les peuples, dans notre maison commune, fondée sur la vérité, construite sur l’équité, vivifiée par l’amour et la liberté. Ce dialogue doit avoir lieu entre égaux, doit être conduit régulièrement avec responsabilité, être ouvert à tous les sujets sans préjugés idéologiques. Nous pensons que le temps est venu pour un partenariat plus systématique des religieux avec l’Organisation des Nations Unies.
Nous nous adressons tout particulièrement à tous les croyants, nous les appelons à se respecter et à s’accepter les uns les autres quelles que soient les différences religieuses, nationales ou autres. Aidons-nous les uns les autres avec tous les hommes de bonne volonté à construire un meilleur avenir pour toute la famille des humains. Préservons le monde que le Très-Haut nous a donné en héritage!