Le type même du Maghrébin converti au christianisme est une Maghrébine. Entre 35 ans et 45 ans, issue d'une famille peu pratiquante, ce choix spirituel scelle son intégration dans la société française, tout en restant attachée à sa culture nord-africaine. Pour Loïc Lepape, sociologue des religions à l'EHESS (Ecole de hautes études en sciences sociales): "On se convertit pour se marier ou pour avoir la même religion que son conjoint."
Le mariage est une raison nécessaire, mais pas suffisante. Les convertis au catholicisme, au protestantisme ou au christianisme évangélique témoignent d'une attirance puis d'une forte rencontre avec la personnalité de Jésus, comme maître spirituel. "Je ne comprenais pas pourquoi il fallait jeter ce livre, j'y revenais sans cesse, explique Myriam. Pourquoi les chrétiens étaient-ils des infidèles?" Cette rencontre n'implique pas une entrée immédiate dans une Eglise instituée. Une période de "nomadisme spirituel", aux marges des Eglises, peut durer plusieurs années.
"C'est le fondamentalisme qui déçoit, pas le Coran"
"La foi musulmane met l'accent sur la toute puissance de Dieu, à laquelle le croyant, comme un soldat, est amené à se soumettre, explique Thérèse Lecroart, responsable du catéchuménat pour le diocèse de la Rochelle, passer d'un Dieu tout puissant, à un Dieu d'amour, qui a donné sa vie pour tout homme, est souvent le point le plus difficile à comprendre pour un ex-musulman." Le message coranique insiste sur la crainte du jugement dernier, certains imams martèlent cette menace. Elle doit maintenir le croyant dans un chemin droit. Le quitter, c'est renoncer à une paix promise par l'Islam. Les notions bibliques de pardon accordé gratuitement et d'accueil inconditionnel de l'étranger sont alors valorisées par les personnes qui les accompagnent. "C'est le fondamentalisme qui déçoit, pas le Coran" reconnaît Thérèse Lecroart.
Pour le recteur de la mosquée de Bordeaux, Tareq Oubrou, il est pourtant aisé de rester dans l'islam: "Ses dogmes sont simples. La naissance d'un musulman fait son baptême, il n'y a pas de rite particulier. Devenu adulte, s'il le souhaite, il pourra changer. La foi ne s'injecte pas chez une personne. Je peux comprendre que l'Amour, le Pardon mis en exergue dans le Christianisme séduisent des musulmans comme des athées. Ces notions existent dans le Coran, je tiens à le rappeler, on présente trop souvent l'Islam comme une religion de guerre, dans les livres d'histoire de mes enfants par exemple."
Un témoignage beaucoup plus valorisé que les raisons de la conversion
Quitter l'Islam, c'est aussi quitter l'Umma, c'est-à-dire la communauté religieuse et sociale formée l'ensemble des Maghrébins, issus de l'immigration. "Quitter l'Islam n'est pas un tabou, mais ce n'est pas bien vu, explique Mohamed Latahy, membre du conseil régional du culte musulman de Strasbourg, ils sont taxés d'arrivisme, se convertir serait une preuve de bonne conduite. Le christianisme reste la religion du colonisateur. Mais la guidance de Dieu ne se juge pas, il vient chercher qui il veut!"
Ces convertis vivent une solitude spirituelle doublée d'une solitude sociale. Loïc Lepape constate: "A peu près 150 Maghrébins demandent le baptême chaque année, au sein de l'Eglise catholique. Ils sont sûrement trois à quatre fois plus à rejoindre les rangs des églises et groupes évangéliques. Ces chiffres sont sans commune mesure avec les 50.000 convertis à l'Islam, selon certaines estimations." La vie communautaire, où la chaleur et la spontanéité des témoignages sont partagées, se retrouve plus naturellement dans les mouvements charismatiques ou les églises évangéliques, que dans les paroisses ordinaires des Eglises historiques. Le témoignage est beaucoup plus valorisé que les raisons de la conversion.
Les communautés évangéliques fondamentalistes et néo-pentecôtistes, offrent aux nouveaux convertis un entourage et une intégration à un groupe soudé autour de valeurs chrétiennes fortes, où les dialogues œcuménique et interreligieux sont dénigrés. "La lecture littérale des textes est celle qui prévaut chez les évangéliques fondamentalistes", explique Eve Lanchantin. Cette pasteur arabophone de l'Eglise Réformée continue: "Un converti venant de l'Islam dur n'a pas de mal à se retrouver dans cette lecture de la Bible. C'est celle qu'il a pu connaître du Coran. C'est un repère qui, malgré la conversion, perdure."
Désolidarisation de la cause palestinienne
Ove Ullestadt, théologien protestant,explique : "La création de l'Etat d'Israël en 1946 a confirmé une certaine lecture littérale de la Bible. Cet événement politique était compris par certains mouvements évangéliques fondamentalistes comme un signe tangible de l'accomplissement des Ecritures et une preuve du retour imminent du Christ sur terre. Des Maghrébins nouvellement chrétiens vont jusqu'à se désolidariser de la cause palestinienne et grossir les rangs des mouvements sionistes pour aller jusqu'au bout de leur logique de conversion" reconnaît-il. "Pouvoir changer de religion est une liberté fondamentale, conclut-il. La conversion reste le dernier tabou du dialogue interreligieux en France."
Linda Caille
Reportage: les youyous de la louange
Elles sont arabes et chrétiennes. Parfois, leur mari et leur famille ignorent leur conversion. Pendant deux jours, ces femmes se sont rassemblées, dans la banlieue lyonnaise, cet automne. Ce rassemblement est le second en trois ans, organisée à l'initiative d'un réseau d'églises et de groupes chrétiens évangéliques. Thème de cette rencontre, pour laquelle aucune publicité n'a été faite: "Partage d'expériences aux différentes étapes de la vie d'une femme nord-africaine chrétienne vivant en France." Beaucoup de joie et de souffrance se sont exprimées en français, en arabe et en berbère. Renégates de l'Islam ou nouvelles recrues chrétiennes? Portraits de femmes converties et courageuses.
Quelque part dans la banlieue lyonnaise, sous les arcanes d'un centre de conférence catholique, des Maghrébines de tous les âges se pressent à l'accueil. Les organisatrices leur remettent leur badge, sur lequel elles ajoutent leur prénom : "hello my name is..." Ce rassemblement organisé à l'initiative d'un réseau d'églises et de groupes chrétiens évangéliques, baptisé Oasis. Le programme précise: "aucun enfant n'est accepté, sauf les nourrissons".
"T'es quoi toi, arabe ou chrétienne?"
Nadja attend devant la salle du sous-sol. La quarantaine, joliment apprêtée dans son chemisier blanc, elle explique: "J'ai vendu des bibles en berbère, français et arabe aux puces de Clignancourt. J'avais une pancarte: 'Dieu est amour', écrit en berbère. Je me suis fait insulter: "T'es quoi toi? Arabe ou chrétienne?"
A l'intérieur, l'équipe d'organisation, uniquement des femmes, se présente aux participantes. Sur le tableau blanc, des babouches à paillettes sont accrochées, à côté d'une robe à voiles. D'ordinaire éparpillées dans toute la France, ces femmes se sont rassemblées pour, comme le mime avec ses mains l'une d'entre elle, "souffler un peu". Toutes rendent grâce à Dieu dans une prière en français. Le staff annonce les thèmes des ateliers: le célibat, les conflits conjugaux, le divorce et le couple mixte. "Mixte?" demande l'une d'entre elle. "L'un est marocain, l'autre algérien; ou bien l'une chrétienne et l'autre musulman", lui explique sa voisine.
Couple mixte
Elles sont une dizaine à se rassembler dans cet atelier. Fatima, femme rassurante de 47 ans, présente le sujet. " Qu'est ce qui est important pour nous les Maghrébines? La famille bien sûr. L'hospitalité, chez nous c'est du vécu. Bientôt ce sera l'aïd, cette culture est ancrée en nous."
"Nous sommes conditionnées" reconnaît une jeune femme. Une autre renchérit: "Quand on épouse un Marocain, on épouse sa famille! Il paraît que les belles-mères berbères marocaines sont les plus terribles!" Sa voisine explique : "Mon mari me dit souvent: pour une Algérienne, t'es pas soumise! Je me soumets à mon mari, car il est soumis à Christ. J'ai la chance de partager ma vie avec un chrétien."
Pour certaines la conversion au christianisme a été l'occasion d'une brouille définitive avec leur famille. Leila est algérienne et chrétienne. A 23 ans, elle s'est convertie. Pendant huit années, sa famille ne lui a donné aucune nouvelle. "J'ai beau me dire que la famille des chrétiens m'a accueillie, cela ne remplace pas ma famille de sang!"
Les conjoints, musulmans de tradition, mais éloignés des pratiques religieuses, sont souvent indifférents à la conversion au christianisme de leur compagne. Elles sont tiraillées entre leur héritage culturel nord-africain et leurs choix spirituels contemporains. "Ma double culture m'empêche parfois de voir le chemin", reconnaît Myriam, 28 ans. "Lors d'un mariage, explique une autre, j'ai refusé le henné sur les mains." Une chrétienne évangélique demande conseil : "Est-ce que je dois interdire à mes enfants de fêter le carnaval? Pour les Romains, cette fête était l'occasion d'orgies et de vénération des idoles. Je sais qu'il faut se garder d'une lecture littérale, car quelque part, dans les psaumes, il est écrit: Dieu est mort."
Dans une salle mitoyenne, l'ambiance est beaucoup plus légère. Un "salon de beauté" est improvisé. Les sèche-cheveux ronflent sur les chevelures mouillées, une odeur de dissolvant plane. L'une "refait les mèches", l'autre manucure et peint en vermillon les ongles trop courts de sa "cliente". "Les femmes sont bien entre elles, elles aiment que l'on s'occupe d'elles", sourit une organisatrice, qui attend patiemment son tour pour se faire masser.
Daily survival kit
A l'étage, sur le lit de chaque participante, un paquet enveloppé de papier kraft l'attend. A l'intérieur, un foulard coloré, une palette bon marché de fards à paupière, un tube de crème pour les mains, un échantillon de gel douche et un marque page de fleurs séchées, estampillé d'un verset de l'Ancien Testament. Dans une pochette en plastique, nommée Daily survival kit, le kit quotidien de survie, une référence biblique accompagne le mode d'emploi, entre autres, d'un cure dent (Mat. 7: 1-2), d'un pansement (Col. 3:12-14), d'un chewing gum (Phil. 4: 13) et même d'une pastille à la menthe (Jean 3: 16-17). Une carte de visite manuscrite informe la destinataire que ce paquet a été réalisé par Beth dans le New Jersey. Cette dernière donne son adresse mail car elle "would love to hear from you", "elle aimerait avoir des nouvelles de vous". Parmi les organisatrices, une Américaine explique "dans la banlieue parisienne, je m'occupe avec mon mari d'un centre d'aide pour les Maghrébins chrétiens. On enseigne le français et on évangélise."
De retour dans la grande salle, les temps de louanges sont chantés en kabyle et en français, accompagnés, d'un accordéon, d'une guitare ou d'un tam-tam. Les femmes suivent les paroles, projetées sur le mur, en arabe, kabyle et français. Les trois calligraphies se mêlent : "Ton nom Emmanuel / comme du miel sur mes lèvres / un parfum de grand prix / Seigneur, tu es mon roc." Et dans un tourbillon de chants et de claquements de mains, les youyous se mêlent aux "Alléluia!"
"Seigneur, délivre nous de la misogynie!"
Dans la soirée, une oratrice jordanienne, enseignante, épouse de pasteur et mère de trois enfants, est annoncée. Ruba a "un puissant ministère auprès des femmes arabophones et une grande expérience de conseillère spirituelle", précise un membre de l'organisation. Ruba apparaît. Avec douceur et concentration, elle commente l'épisode de la Samaritaine. Sans exaltation, elle affirme et répète: "La Vérité vous rendra libre. La vérité, c'est le Christ. Les femmes arabes sont entourées de limites. Tu les connais à l'intérieur de ta propre maison. Cette pression, on te l'impose depuis toujours." Aux premiers rangs, les auditrices approuvent du chef. "Qu'a-t-elle fait la Samaritaine? Elle a abandonné sa jarre, elle a abandonné sa vie, pour suivre le Christ et témoigner de sa nouvelle vie. Cette espérance, il te la donne aussi, à toi".
Ruba prêche en arabe pendant plus d'une heure, ses paroles sont traduites en français, même la traductrice a du mal à retenir son émotion. "Je sais que tu te demandes pourquoi tu n'as pas rencontré le Christ plus tôt. Comment comprendre et justifier ta vie avant ton baptême?". Pendant cette étude biblique, des visages se cachent dans les mains, les larmes coulent. La même mère de famille, qui une heure auparavant, racontait la joie d'être chrétienne, malgré un mari indifférent, s'effondre dans les bras de sa voisine: "Tu comprends, j'en peux plus!". Et Ruba prêche: "Tu souffres, tu manques de reconnaissance, tu es pauvre comme Job, et comme lui tu seras pleine de grâce, tes ennemis seront confondus... Baraka! Vous êtes bénies!" conclut-elle.
Elle abandonne l'estrade et laisse l'assistance hagarde. Toute la salle tombe en prière, certaines ânonnent debout le visage crispé, un bourdonnement de psalmodies s'élève, parfois un long "amen" s'échappe. Puis une voix s'exclame "Seigneur, délivre nous de la misogynie!"
A table, Lydia se calme un peu, après avoir quitté en sanglots le culte du matin: "Depuis que je suis fervente dans le Seigneur, je n'ai que des galères. Je prie pour en avoir moins. Quand je suis devenue chrétienne, dix ans après mon mariage, ma belle-famille a dit à mon mari: 'On aurait préféré qu'elle te trompe.' Il ne l'a pas digéré. Les gens sont hypocrites, je ne souhaite à personne le rejet que je connais." Du bout de l'index, elle frappe le haut de sa pommette: "Le regard des autres, il n'y a rien de pire."
Regrette-elle quelque chose de l'Islam? "Rien. Dans la Bible, y'a pas de si comme dans l'Islam, il faut faire pour être en règle avec Dieu. Avec le Christ, l'Amour est inconditionnel. On sera jamais en règle avec Dieu." Elle reprend son souffle, tire sur sa cigarette, et, gênée, reconnaît: "Je fume. Nulle n'est parfaite!" Sa voisine regrette une chose de l'Islam: "En Europe, on se moque de Dieu, alors que les Arabes respectent les autres croyants. Un jour, il faudra évangéliser les Français, ils sont incrédules. Eux, ont le privilège d'être nés chrétiens."
Fatima, silencieuse jusqu'à présent, prendrait bien un peu de vin, elle s'excuserait presque en tendant son verre : "Je me suis convertie il y a 23 ans tout de même. Mais le Côte du Rhône comme le filet de porc ne sont toujours pas mes pêchés mignons."
Marie Caleb
Bibliographie
Zora Aïtabdelmalek, Protestants d'Algérie, Editions Olivétan, 2004.
Danielle Hervieu-Léger, Le pèlerin et le converti, la religion en mouvement, Flammarion, 1999.
Isabelle Lévy, Pour comprendre les pratiques religieuses des juifs, des chrétiens et des musulmans, Presses de la Renaissance, 2003.
Le magazine Mission, fondé en 1832, est un mensuel d’information religieuse et de relations internationales publié par le service protestant de mission “Défap”.
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