Seconde ville du Bangladesh, un pays qui ne fait pas très souvent la une des médias francophones en dehors des catastrophiques inondations qui le frappent périodiquement, Chittagong est une ville portuaire à l'atmosphère plus détendue que celle de la capitale. Le passant qui déambule sur College Road pourrait aisément ne pas prêter attention à l'entrée relativement modeste de l'Université internationale islamique de Chittagong. On y trouve cependant non seulement l'administration, mais les salles de cours du campus urbain de cette institution, qui compte 2.000 étudiants à Chittagong même, tandis que la branche de Dhaka, la capitale, accueille 1.500 étudiants.
Mais la fierté de l'Université est le nouveau campus de Kumira, à une vingtaine de kilomètres de la ville. Grâce à l'aider d'institutions comme l'Islamic Development Bank et des dons, dont certains de mécènes de pays du Golfe, le campus de Kumira s'étend sur un vaste espace vert, avec des résidences et des salles de cours, et a pour cœur le superbe immeuble de la bibliothèque, construit par un architecte renommé, grâce à un don de l'Emir du Qatar.
La demande pour des universités islamiques est apparue dès le milieu des années 1960, explique à Religioscope le Pro-Vice Chancellor de l'Université, Abu Bakr Rafiqe. Cela a conduit à la création de trois universités islamiques à l'appel de la World Conference on Islamic Education, réunie à La Mecque en 1977: l'Université islamique de Malaisie, puis celle d'Islamabad, ainsi qu'une université au Bangladesh, qui existe toujours (comme université d'Etat), mais est installée dans un endroit assez reculé (Kushtia) et a rencontré certains problèmes qui ne lui ont pas permis de se développer autant que ses consoeurs.
L'Université islamique de Chittagong est une initiative différente, née en 1995, grâce à la législation de 1992 sur les universités privées, comme nous l'avons déjà indiqué. La compétition sur le marché des universités privées est d'ailleurs vive aujourd'hui au Bangladesh, où une nombreuse population jeune est en quête de formation et de débouchés. Ces universités présentent du point de vue des parents (et des étudiants désireux de travailler) l'avantage d'être à l'abri des agitations politiques qui marquent la vie de certaines universités publiques: certains étudiants ne cachent pas que c'est cela, tout autant que la dimension islamique, qui a motivé le choix familial.
Comme le montre l'édification du campus de Kumira (appelé à devenir campus principal une fois développé), l'Université islamique internationale de Chittagong nourrit d'ambitieux projets, alors qu'elle débuta modestement avec un simple immeuble loué comme siège. Elle compte aujourd'hui cinq facultés, dont une Faculté de shari'ah et d'études islamiques, qui aspire à surmonter la dichotomie entre sciences "religieuses" et "séculières". A noter que seule une minorité des étudiants viennent à l'Université dans le but de fréquenter cette faculté: ils sont au nombre de 200 environ.
Il faut également signaler que l'Université compte 300 jeunes filles, qui bénéficient de cours et d'installations séparées. Il y a une centaine d'étudiants non musulmans. La langue d'enseignement est l'anglais, sauf pour la Faculté de shari'ah et d'études islamiques, où l'enseignement est donné en arabe.
Une promenade dans l'université et des conversations avec les étudiants révèlent un profil très semblable à celui de la plupart des universités au Bangladesh: les branches les plus populaires sont les études commerciales et l'informatique. Par rapport aux (faibles) revenus moyens au Bangladesh, les frais d'écolage sont assez élevés, même si les étudiants obtenant des notes optimales peuvent bénéficier de réductions allant jusqu'à des exemptions totales d'écolage. Plus de 10% bénéficient de bourses, en application des principes imposés par le gouvernement aux établissements d'éducation afin de permettre la formation de jeunes venant de milieux démunis.
Mais quelle est donc la spécificité islamique d'une université qui donne, pour la plus grande partie, les mêmes cours que les autres universités de la région? "Tout est la création d'Allah, nous répond Mostaque Khandaker, responsable des relations publiques de l'université. Nous pouvons donc enseigner aussi l'informatique, par exemple." Et d'ajouter: "Nous essayons d'enrichir les cours grâce aux valeurs islamiques: c'est-à-dire nous comporter de façon éthique, développer des valeurs morales." Cet accent mis sur la dimension éthique revient d'ailleurs dans les observations de chacun de nos interlocuteurs: ils ressentent profondément la nécessité d'une moralisation de la vie publique du pays.
Si la plupart des matières sont séculières, l'Université islamique de Chittagong offre également la possibilité de suivre un enseignement islamique spécialisé pour ceux qui le veulent. En outre, quelques cours obligatoires pour tous les étudiants portent sur l'islam, le Coran, la vie du Prophète...
Dans une étape ultérieure, l'université souhaiterait contribuer au processus - aujourd'hui répandu à travers le monde musulman - d'islamisation de la connaissance, c'est-à-dire de réussir à développer également dans les sciences sociales ou les branches commerciales un enseignement à la lumière des principes islamiques.
L'Université islamique de Chittagong ne vit pas en vase clos: elle est sensible aux idées et figures qui traversent aujourd'hui le monde musulman. On peut ainsi y rencontrer un professeur envoyé depuis plusieurs années par la célèbre université égyptienne d'Al Azhar. Des penseurs du renouveau musulman dans le monde contemporain, comme par exemple Afghani, Rachid Rida ou Hassan al-Banna, sont également au programme des cours donnés dans l'Université. Et le très connu et influent Cheikh Youssouf al-Qaradawi encourage cette initiative et est venu à Chittagong.
Des accords de collaboration existent avec des institutions académiques à l'étranger, notamment l'University College of Cape Breton (Canada) et des institutions islamiques à travers le monde: l'Université islamique de Malaisie, l'Institut européen de sciences humaines (France) ou l'Islamic Foundation (Grande-Bretagne).
A l'instar d'autres milieux intellectuels islamiques, les musulmans à l'initiative de l'Université islamique de Chittagong estiment que les problèmes du monde musulman contemporain découlent en partie d'insuffisances dans le domaine éducatif. Mais ils font aussi le constat d'une crise de l'éducation plus générale, en raison d'une négligence des facteurs moraux et éthiques. C'est sur cet arrière-plan, ainsi que celui des courants qui traversent l'Islam contemporain, que s'inscrit cette initiative académique au Bangladesh.
Site de l’International Islamic University Chittagong:
http://www.iiuc.ac.bd/