La prédication de Simon Kimbangu (1887-1951) à partir de 1921 déboucha sur l'apparition d'un important mouvement religieux au Congo, puis au delà des frontières de celui-ci. En 1969, l'Eglise de Jésus-Christ sur la terre par son envoyé spécial Simon Kimbangu fut admise au sein du Conseil œcuménique des Eglises (COE).
Depuis quelques années, cependant, les relations avec les autres communautés chrétiennes se sont tendues. En juillet 2004, la Conférence des évêques catholiques du Congo a décidé d'interrompre toute relation œcuménique avec les kimbanguistes et de ne plus reconnaître la validité du baptême kimbanguiste, pour des raisons théologiques.
Quelle est l'histoire de ce mouvement? Comment est-il né, comment a-t-il évolué - et comment en est-on arrivé à la crise actuelle?
Afin d'en savoir plus, Religioscope a interrogé un «observateur de l'intérieur». Nduku-Fessau Badze est en effet chrétien kimbanguiste, originaire de la République démocratique du Congo. Né dans une famille kimbanguiste, il effectua ses études primaires chez les protestants, puis ses études secondaires en partie chez les protestants et en partie chez les kimbanguistes. Il travailla ensuite comme enseignant, d'abord à l'école primaire, puis au cycle d'orientation. Puis il décida d'étudier la théologie, d'abord chez les kimbanguistes; il vint poursuivre sa formation en Europe et étudier à l'Université de Fribourg, en Suisse, où il obtint une licence en missiologie et sciences des religions. Il poursuit sa recherche sur l'apport du kimbanguisme dans le développement intégral de la République Démocratique du Congo.
En annexe, comme document, nous publions un long texte de réflexions de Nduku-Fessau Badze sur la récente déclaration des évêques catholiques du Congo rompant le dialogue œcuménique avec les kimbanguistes: une occasion privilégiée de jeter un regard sur les débats identitaires au sein du kimbanguisme. Ce texte de 21 pages (396 Ko) peut être téléchargé au format PDF en cliquant ici.
Religioscope - Pour tous ceux qui ne connaissent pas le kimbanguisme, pourriez-vous nous expliquer qui était Simon Kimbangu?
Nduku-Fessau Badze - Simon Kimbangu était un modeste chrétien baptiste. Il reçut d'abord une formation primaire de quatre ans chez les missionnaires baptistes, à Ngombe-Lutete, station missionnaire située à une distance de vingt kilomètres de son village natal (N'Kamba). Après avoir bénéficié de cette formation et compte tenu de sa conduite très appréciée, il fut nommé catéchiste par les missionnaires de Ngombe-Lutete. A l'époque, celui qu'on nommait catéchiste jouait en même temps le rôle de l'enseignant du village.
En 1918, Simon Kimbangu dit avoir reçu la révélation du Christ, qui lui demanda de commencer son travail. Mais il refusa cette mission à plusieurs reprises, car il la jugeait trop difficile pour lui, un homme quasi illettré. Il fallait, selon lui, que cette mission fût confiée aux missionnaires de Ngombe-Lutete. Cependant, toujours selon le témoignage de Simon Kimbangu, le Christ insista.
C'est ainsi que, le mercredi 6 avril 1921, suivant la recommandation du Christ, Simon Kimbangu alla prier pour une malade. Il imposa la main sur cette femme qui était à l'agonie et lui ordonna, au nom du Christ, de se lever. Elle fut guérie sur le champ. A partir de cette guérison miraculeuse, Simon Kimbangu devint un personnage connu. Les gens venaient de part et d'autre pour le voir, lui qui guérissait au nom de Dieu, afin de lui demander guérison, bénédiction, et surtout pour entendre la parole de Dieu.
S'il est devenu connu en Afrique et à travers le monde, il faut se rappeler qu'au départ, c'était un modeste fidèle chrétien qui prêchait au nom du Christ mais qui ne se disait pas lui-même être le Christ.
Religioscope - Mais les autorités coloniales belges ont rapidement réagi face à l'attrait qu'exerçait Simon Kimbangu.
Nduku-Fessau Badze - Oui, les autorités coloniales ne pouvaient pas agir autrement. Les Congolais dépendaient du pouvoir belge: dans un tel contexte colonial, un Noir qui pouvait se permettre de réunir autour de lui des milliers de personnes (les rapports belges relatent qu'il y eut jusqu'à dix mille personnes par jour qui se déplaçaient pour écouter Simon Kimbangu) ne pouvait que susciter des inquiétudes. Le pouvoir colonial soupçonnait Simon Kimbangu de fomenter quelque chose en vue de renverser le pouvoir colonial.
Mais il est vrai que l'administration coloniale bénéficiait aussi du soutien de l'Eglise catholique romaine de l'époque. En effet, Léopold II - dont le Congo fut propriété privée avant d'être légué à la Belgique - exigeait, dans sa politique de recrutement de missionnaires pour le Congo, l'envoi de missionnaires catholiques belges. Ce que l'on appelait la «politique du patriotisme missionnaire»: vous faites une mission au nom du Christ, mais en sachant que vous êtes avant tout Belge et que vous travaillez pour les intérêts de la métropole. Les catholiques ont beaucoup joué là-dessus.
Religioscope - A ce moment-là, Simon Kimbangu fut emprisonné et allait passer la plus grande partie de sa vie en prison.
Nduku-Fessau Badze - Six mois après avoir commencé son travail, Simon Kimbangu fut arrêté et jugé par un tribunal militaire mis en place et dirigé par un certain De Rossi, citoyen italien qui travaillait pour le compte de la Belgique. Le jugement fut expéditif. Mais une fois la condamnation à mort prononcée, les protestants firent recours, jugeant la sentence injuste pour un homme qui n'avait fait que prêcher la parole de Dieu. Le recours fut accepté: l'on passa ainsi de la condamnation à mort à la détention à perpétuité. Simon Kimbangu resta en prison de 1921 jusqu'à sa mort en 1951, il fit donc environ trente ans de prison, plus que Nelson Mandela...
Religioscope - Les autorités s'imaginaient sans doute que, une fois Simon Kimbangu en prison, le mouvement allait périr de lui-même. Or, contre toute attente, celui-ci prit de l'ampleur. Comment se développa-t-il, qui en prit la direction pendant ces années où Simon Kimbangu était en prison et où le mouvement n'avait pas d'existence légale?
Nduku-Fessau Badze - Une fois Simon Kimbangu et ses collaborateurs arrêtés, tous les protestants et catholiques qui suivaient Kimbangu furent renvoyés des Eglises. Il a été formellement interdit de se réunir au nom de Simon Kimbangu. Toutefois, chassés des Eglises missionnaires, ces gens continuent la lutte dans la prière. A cause de l'interdiction de la puissance coloniale, ils sont obligés de se réunir la nuit pour aller prier dans les forêts.
Mais il y a un autre point important: l'épouse de Simon Kimbangu, Marie Mwilu Kiawanga, devient presque automatiquement le chef spirituel de l'Eglise kimbanguiste. Les gens affluent de partout, du Congo, de l'Angola, du Congo-Brazzaville, pour demander des conseils à cette femme, afin de savoir quels étaient l'enseignement et les recommandations de Kimbangu. Elle devient alors la référence. Autour d'elle se forme le premier noyau du kimbanguisme, qu'elle dirige, clandestinement, dès l'arrestation de son mari en 1921, jusqu'à son décès en 1959.
Religioscope - Pendant cette période, le kimbanguisme se développe bien au-delà de sa région d'origine, comme vous le mentionnez. On a de la peine à imaginer qu'un mouvement de cette ampleur ait pu rester totalement clandestin. N'y avait-il pas alors une sorte de semi-tolérance de fait de la part des autorités coloniales?
Nduku-Fessau Badze - Au départ, le pouvoir colonial était très strict, comme le démontrent les arrestations de Simon Kimbangu, puis d'autres personnes qui ne voulaient pas se résigner. Mais dans les années trente et quarante, il y a eu peu à peu, du côté du pouvoir colonial, une certaine attitude de compréhension.
Par exemple, après 1948, après la proclamation de la Déclaration universelle des droits de l'homme, il y eut quelques curieux, une élite intellectuelle au sein de l'Eglise kimbanguiste, qui prirent connaissance de ces textes. Comment se faisait-il que la liberté de prier et de confesser sa foi eût été reconnue dans la Constitution belge en rapport à la colonie? Les gens ont pris de plus en plus conscience de leurs droits et ont commencé à réclamer. On tendait vers l'indépendance du Congo.
Là, il faut citer une figure importante: le secrétaire général de l'église kimbanguiste, Lucien Luntadila Ndala Zafua. C'est lui qui a eu accès à ces documents et qui les a utilisés dans un texte adressé au gouverneur du Congo à cette époque, afin de réclamer le droit de prier librement.
Religioscope - En ce qui concerne l'extension vers d'autres zones, par quels réseaux cela s'est-il fait?
Nduku-Fessau Badze - Le Bas-Congo, d'où vient Simon Kimbangu, le Nord de l'Angola actuel et la région sud-ouest du Congo-Brazzaville faisaient tous partie de ce que l'on appelle le Royaume du Congo. Des liens existaient déjà. Tout ce qui s'est donc passé à N'Kamba, le village où Simon Kimbangu a commencé son travail et l'actuel siège de l'Eglise kimbanguiste, pouvait facilement se répercuter en Angola, au Congo-Brazzaville et au Congo-Kinshasa, puisque toutes ces entités ne formaient qu'un seul royaume. C'est la colonisation qui a divisé le territoire lors de la conférence de Berlin (en 1885), où l'on a posé ces frontières. Une fois que Simon Kimbangu eut commencé son œuvre, la nouvelle s'est donc rapidement étendue.
Religioscope -Il y avait également, à cette époque-là, d'autres mouvements religieux indigènes qui se développaient. Peut-on dire qu'il y avait une sorte d'effervescence religieuse en cette période coloniale?
Nduku-Fessau Badze - On appelle ces autres mouvements lengunzisme, ce qui signifie «prophète» en congolais. Mais il est vrai que tous ces mouvements prophétiques n'avaient pas le rayonnement du kimbanguisme. D'ailleurs, la plupart des dirigeants de ces mouvements-là se réclamaient de Simon Kimbangu.
Religioscope - Arrive ensuite l'indépendance. Pour un mouvement qui a été persécuté par les autorités coloniales, l'indépendance marque sans doute le moment d'un grand retournement: le kimbanguisme détient soudainement la possibilité d'agir librement, il est perçu comme non compromis par rapport aux autorités coloniales. Quelles sont les conséquences de l'indépendance pour le mouvement kimbanguiste?
Nduku-Fessau Badze - Le kimbanguisme, comme je l'ai dit, a vécu clandestinement depuis 1921. En 1959, il a officiellement reçu de l'Etat colonial belge le satut d'Eglise. A partir de ce moment, ce qui avait été un mouvement religieux combattu non seulement par l'administration, mais aussi par les Eglises missionnaires est devenu une Eglise officielle, au même rang que les Eglises catholique et protestante. De facto s'est posée la question de la relation entre cette nouvelle Eglise et le pouvoir existant, le lien entre pouvoir religieux et politique. Les catholiques, tout comme les protestants, avaient leur direction à l'extérieur: Rome, la Suisse ou Londres. Sur le plan matériel, ils dépendaient donc d'Eglises mères. Or, pour l'Eglise kimbanguiste se posait un problème: il n'y avait pas de direction à l'extérieur. L'indépendance, oui, mais matériellement, comment vivre?
Cette prise de conscience de ne pas avoir, comme le disait le chef spirituel Joseph Diangienda Kuntima, «une vache mère» à l'extérieur, a poussé les kimbanguistes à faire preuve de maturité pour mettre en place une solution: la pratique du «nsinsani». Celle-ci est une collecte organisée par les kimbanguistes afin de subvenir eux-mêmes à leurs besoins, par exemple la construction d'écoles et de dispensaires. En effet, à l'époque, les enfants dont les parents étaient kimbanguistes n'avaient plus accès aux écoles des missions catholiques ou protestantes. C'est pourquoi le chef spirituel Joseph Diangienda Kuntima a réuni des dirigeants de l'Eglise kimbanguiste afin de fonder écoles et dispensaires.
Voilà un exemple des conséquences de l'indépendance, tant sur le plan religieux que socio-politique. Indépendance qu'il a fallu payer chèrement. Mais en même temps, cette épreuve, ayant favorisé la mise en place du «nsinsani», a permis à l'Eglise kimbanguiste de s'autofinancer et s'autogérer. C'est un acquis positif pour «l'autonomie de l'Eglise».
Religioscope - Que représente aujourd'hui, du point de vue des effectifs, l'Eglise kimbanguiste, d'une part au Congo, d'autre part en dehors?
Nduku-Fessau Badze - Je ne connais pas exactement le nombre qu'on trouve à l'extérieur; dans l'ensemble, il pourrait y avoir jusqu'à 17 millions de kimbanguistes. Il n'existe pas vraiment de statistiques fiables. Mais il est vrai que le kimbanguisme est fort développé d'abord au Congo-Kinshasa, puis en Angola, et dans le Congo-Brazzaville. Il est aussi répandu dans plusieurs pays africains et quelques communautés extérieures, comme en France, en Belgique, en Suisse, au Canada et aux Etats-Unis. Actuellement, le kimbanguisme est représenté à travers tout le monde.
Religioscope - On entend parfois citer des chiffres selon lesquels 10% de la population congolaise est kimbanguiste. Cela correspond-il à la réalité?
Nduku-Fessau Badze - Oui, tout à fait.
Religioscope - Comment a été assurée la succession de Simon Kimbangu, après le décès de son
épouse, laquelle était le point de focalisation des fidèles?
Nduku-Fessau Badze - Après le décès de Marie Mwilu Kiawanga, il fallait mettre en place une organisation puisque, jusque là, le kimbanguisme n'était qu'un mouvement religieux sans structure cohérente. Cela a été réalisé sous la direction du fils cadet de Simon Kimbangu: Joseph Diangienda Kuntima (1918-1992). Comme nous l'avons vu, il existait d'autres mouvements religieux dont les dirigeants se réclamaient de Simon Kimbangu. Chacun voulait accéder au pouvoir et devenir le chef de cette nouvelle Eglise, ce qui a provoqué une lutte interne. Les sages ont jugé qu'il fallait trouver une personne qui puisse non seulement incarner l'autorité sur le plan spirituel, mais aussi permettre à la jeune Eglise de retrouver une cohésion, de rassembler toutes les tendances. C'est ainsi que fut désigné, à la tête de l'Eglise, le fils cadet de Simon Kimbangu.
En revanche, selon la tradition kimbanguiste, il est dit que Simon Kimbangu aurait lui-même vu l'Eglise dirigée par son fils cadet Joseph Diangienda Kuntima. Voilà ce qui se raconte dans le milieu kimbanguiste. Mais sur le plan historique, il y a la question de la prise en compte de la réalité: il fallait donner le pouvoir à quelqu'un autour duquel tout le monde puisse se retrouver.
On remarque ainsi une succession entre le père qui a fondé le mouvement, la mère qui l'a dirigé avec beaucoup d'autorité et de finesse, et puis le fils. On peut dire que, dès le départ, le kimbanguisme est une affaire familiale. Et aujourd'hui, on en est encore là, puisqu'il faut que le pouvoir se transmette au sein de cette famille
Religioscope - Qui se trouve aujourd'hui à la tête de l'Eglise kimbanguiste, après Joseph Diangienda?
Nduku-Fessau Badze - Il faut savoir que Simon Kimbangu avait trois fils. Aux côtés de Diangienda, le fils cadet, qui le premier a dirigé l'Eglise, il y en a deux autres: Charles-Daniel Kisolokele Lukelo (1914-1992), l'aîné, et Salomon Kiangani Dialungana (1916-2001), qui est le deuxième. Pendant que J. Diangienda Kutima dirigeait, l'aîné était le chef spirituel premier adjoint, et le deuxième avait le titre de chef spirituel deuxième adjoint. Après la mort de l'aîné, c'est le deuxième qui est devenu automatiquement chef spirituel, premier adjoint. Puis à la mort de J. Diangienda Kuntima, le deuxième, qui est resté en vie, a pris la direction. Mais il est mort peu longtemps après. Actuellement, c'est le fils de Salomon Kiangani Dialungana, lequel porte le nom de son grand-père, qui est le chef spirituel de l'Eglise kimbanguiste. Le nom de l'actuel chef spirituel de l'Eglise kimbanguiste est Simon Kimbangu Kiangani.
Religioscope - Venons-en à la question de l'identité du kimbanguisme. Que sait-on, d'après les documents et les témoignages que l'on possède, de la perception que Simon Kimbangu avait de sa mission, de son rôle dans le plan divin? On sait que le nom officiel du kimbanguisme est l'Eglise de Jésus-Christ sur la terre par le prophète Simon Kimbangu. Simon Kimbangu se considérait-il comme un guérisseur, un prophète? Avait-il au départ l'intention de fonder un mouvement ou est-ce l'exclusion des Eglises qui a conduit à sa création?
Nduku-Fessau Badze - Il faut partir du premier miracle qu'il a accompli pour comprendre la suite. Comme je disais, Simon Kimbangu a été sollicité par le Christ pour accomplir cette œuvre et a refusé. Lorsqu'il a accepté, son premier acte a été de dire à la femme malade:«Lève-toi au nom de Jésus-Christ.» Simon Kimbangu s'est toujours considéré comme étant un simple serviteur de Jésus-Christ. D'ailleurs, dans l'interrogatoire qu'il a subi de la part de De Rossi, la question lui a directement été posée de savoir s'il était Jésus, s'il était le «mvuluzi», ce qui signifie le «sauveur». Sa réponse a été sans aucune ambiguïté: «Non, je ne suis pas le mvuluzi, c'est Jésus qui est le mvuluzi. J'ai reçu de lui la mission de guérir mon peuple.». Simon Kimbangu a donc été clair dès le début.
Deuxièmement, Simon Kimbangu n'avait pas l'intention de fonder une Eglise. On en a des témoignages écrits par les catholiques, les protestants, voire même l'administration coloniale belge. Au moment où il guérissait et enseignait, des milliers de personnes allaient vers lui pour se faire baptiser au nom de Jésus. Mais lui a toujours refusé: il renvoyait les catholiques auprès de missionnaires catholiques, les protestants auprès de missionnaires protestants, et il demandait à ceux qui n'étaient pas baptisés de choisir entre les deux Eglises existantes. Il disait: «Moi, je suis envoyé pour annoncer la Parole, mais les Eglises sont là.». Simon Kimbangu n'a donc pas voulu fonder d'Eglise puisqu'il reconnaissait et respectait les Eglises traditionnelles.
Les missionnaires ont été la cause de cette situation. Je me dis toujours qu'il y a eu une mauvaise stratégie de leur part en excluant non seulement Simon Kimbangu, qu'ils avaient emprisonné, mais aussi ceux qui le suivaient et qui auraient dû être réintégrés au sein de leur Eglise. C'est parce que les missionnaires protestants et catholiques ont refusé tous ceux qui fréquentaient Simon Kimbangu que, finalement, ces gens, livrés à eux-mêmes, se sont sentis en position de s'unir pour former une Eglise. Celle-ci est née à cause de l'arrogance des missionnaires: «On ne veut plus de vous, on vous abandonne». De manière objective, les kimbanguistes n'avaient pas le projet de fonder une Eglise mais c'est la prise de position des Eglises missionnaires qui a poussé ces gens à se réunir pour prier.
Religioscope - Comme vous le dites, Simon Kimbangu se considérait comme serviteur de Jésus-Christ. En revanche, parmi ceux qui n'ont pas de contact avec lui, puisqu'il est en prison, et qui commencent à se réunir autour de son message, la perception du personnage commence-t-elle rapidement à devenir autre que celle d'un simple serviteur? N'y a-t-il pas peu à peu un rôle quasi messianique attribué à Simon Kimbangu?
Nduku-Fessau Badze - Oui, c'est cela. Comme je l'ai dit, on est confronté à un conflit entre les populations noires et les populations blanches: du côté des Noirs, on considère les Blancs comme des persécuteurs. Dans cette situation de souffrance, les Noirs avaient besoin de quelqu'un pour les délivrer, un peu comme le peuple d'Israël en Egypte. L'engagement de Simon Kimbangu ne revêtait pas qu'une implication religieuse mais aussi politique. Les Congolais croyaient fermement que cet homme, fraîchement arrêté, allait revenir, même si le jugement et la sanction étaient déjà prononcés. Tout le monde l'attendait. Même après sa mort, des gens se préparaient pour l'accueillir. Pour eux, il devait revenir vivant. Ce n'était pas un homme, mais un messie envoyé par Dieu pour libérer son peuple. On en a fait un mythe. Mais cela n'est pas la perception que Simon Kimbangu avait de lui-même.
Dans l'interrogatoire de De Rossi, à la question que celui-ci lui pose: «Est-ce que tu as ressuscité des morts?», Simon dit: «Oui». Puis De Rossi lui demande comment il a fait. Pour montrer qu'il était cohérent à lui-même, Simon répond:«Par la force que Jésus m'a donnée». Dans la tradition, cela est révélateur: cette force n'est pas en lui, mais elle vient de quelque part, c'est un don reçu. Or, quand on reçoit quelque chose, on ne peut pas forcément maîtriser l'origine.
Je crois que cela doit faire réfléchir nos Eglises pour comprendre non seulement l'humilité de Simon Kimbangu, mais aussi sa reconnaissance de Jésus, qu'il tient au-dessus de lui. Toutefois, il est vrai que l'histoire a pu montrer que les Congolais en ont fait un messie, puisqu'ils avaient besoin, dans le contexte colonial, d'une personne pour les libérer de l'oppression belge.
Religioscope - Peut-on parler, déjà en cette période de clandestinité, d'une structuration théologique, de l'émergence d'un message kimbanguiste dans sa spécificité? Ou alors les problèmes de la vie quotidienne prennent-ils le pas?
Nduku-Fessau Badze - Pendant la période coloniale en tout cas, à l'époque où le kimbanguisme n'était qu'un mouvement, il n'y avait pas de théologie structurée. Simon Kimbangu n'a pas formulé de théologie, c'est quelqu'un qui a reçu une révélation et a mis en pratique ce qui lui a été recommandé. Il est vrai que, à partir du message qu'il a annoncé: l'éthique, le respect des autorités, le respect de la loi de Dieu, bref, en tenant compte de tout ce qu'il a fait, l'on peut comprendre la théologie qu'il voulait mettre en place. Mais sur le plan structurel comme tel, il n'a pas formulé de théologie.
Ce n'est qu'à partir de 1959 que le mouvement kimbanguiste est devenu une Eglise. A partir de ce moment, son fils cadet, qui a pris la direction de l'Eglise avec la collaboration de certains anciens, a commencé à penser à la mise en place d'un cadre à donner pour certaines formations. C'est ainsi que, dans les années soixante, il a instauré une école de pasteurs et de catéchistes à N'Kamba.
Ce n'est qu'en 1969 que le kimbanguisme a été accepté au Conseil Œcuménique des Eglises. Le besoin d'avoir une formation sérieuse au sein de l'Eglise kimbanguiste s'est alors fait ressentir. Et comme celle-ci ne possédait pas de structure en vue d'une telle formation théologique, c'est par l'intermédiaire du Conseil œcuménique des Eglises que Marie-Louise Martin a été désignée pour venir travailler au sein de l'Eglise kimbanguiste. C'était une théologienne réformée suisse, de la région (Canton) de Lucerne. Elle a d'abord commencé, en 1970, par l'Ecole de théologie, qui est devenue par la suite l'Ecole supérieure de théologie puis, en 1977, la Faculté de théologie kimbanguiste. Une Suissesse à la direction cette Faculté, cela a été une contribution importante de la Suisse au niveau de la formation. Elle a continué à œuvrer jusqu'à son décès, en 1990.
Religioscope - N'est-il pas surprenant de voir le COE subitement admettre en son sein l'Eglise kimbanguiste, en 1969? C'était la première fois qu'une Eglise africaine était acceptée au COE. Comment expliquer cette démarche?
Nduku-Fessau Badze - Cela n'était pas sans poser de questions puisque, au départ, le kimbanguisme était perçu par les catholiques et les protestants comme une secte et ne se voyait pas toujours bien accepté. Mais puisque le fondateur de kimbanguisme est un ancien élève du protestantisme, de la branche baptiste plus précisément, c'est un fait naturel que les protestants se sentent beaucoup plus proches; ils considèrent le kimbanguisme comme leur fille spirituelle. Ils avaient en quelque sorte une certaine conscience d'avoir la responsabilité de soutenir ce mouvement, devenu une Eglise. Les protestants ont tout fait pour encadrer le kimbanguisme en conservant cette relation de solidarité.
Mais la question se posait, pour les kimbanguistes, de définir qui ils étaient réellement: que dit l'Eglise, sur qui est-elle fondée? Est-ce une Eglise qui perpétue des croyances tribales ou est-ce une Eglise fondée sur le Christ? Et là, on est revenu sur la vocation de Simon Kimbangu, pour que le Conseil œcuménique soit convaincu qu'il ne s'agissait pas d'une secte. De plus, des allégations circulaient, selon lesquelles les kimbanguistes avaient besoin d'être au COE pour avoir de l'argent.
Afin de mettre un terme à ces rumeurs, il fut décidé de mettre en place une commission, dont faisait partie Marie-Louise Martin, qui fut envoyée au Congo pour un voyage d'enquête. Après ce premier voyage, le compte rendu présenté au Conseil par le Marie-Louise Martin et son compagnon de voyage fut jugé trop positif. Un deuxième voyage eut lieu: Marie-Louise Martin était cette fois-ci accompagnée du Pasteur Willy Béguin, de La Chaux-de-Fonds. Et le second rapport effectué à l'issue du voyage fut encore plus positif que le précédent. Ce fut ainsi que le COE accepta de prendre en considération la demande de l'Eglise kimbanguiste.
Marie-Louise Martin avait rédigé sa thèse de doctorat sur les mouvements messianiques africains. Or, quand elle était encore en Afrique du Sud où elle enseignait, ses prises de position vis-à-vis du kimbanguisme n'étaient pas positives. Mais une fois arrivée au Congo, ayant vécu à l'intérieur du kimbanguisme, elle a progressivement mod
ifié sa vision du kimbanguisme. C'est aussi pourquoi certains disent qu'elle est devenue une fanatique. Mais je crois qu'elle est restée occidentale et rationnelle dans ses prises de positions.
Religioscope - Cela signifie donc une intervention de chrétiens occidentaux pour aider le kimbanguisme à articuler sa théologie. Se pose alors la question d'un thème notamment soulevé dans les travaux de Susan Asch, mais également par d'autres chercheurs, qui dit que pendant que s'élaborait une sorte de théologie du kimbanguisme compatible avec le christianisme traditionnel, le kimbanguisme populaire restait dans sa réalité autre chose. Est-ce qu'aujourd'hui, avec le recul, on peut confirmer cette dualité des croyances et des perceptions au sein du kimbanguisme?
Nduku-Fessau Badze - Je crois qu'aujourd'hui, en lisant les choses de manière rétrospective, on peut dire que Susan Asch est une des rares personnalités qui a su étudier et comprendre l'Eglise kimbanguiste de l'intérieur, dans son livre L'Eglise du Prophète Simon Kimbangu: de ses origines à son rôle actuel au Zaïre (Paris, Karthala, 1983). Elle a pris en compte cette évolution, qu'elle appelle dans son livre le «courant réformiste», qui a suivi officiellement ce que dit le christianisme occidental, à travers sa version protestante qui est représentée au sein du COE.
Mais en même temps, Susan Asch était attentive à l'aspect du mouvement qui continuait. Outre la version réformée, il y avait aussi la masse qui restait dans l'expression de la foi vécue au quotidien, où, comme on l'a déjà dit, Simon Kimbangu était considéré comme un messie. Susan Asch a eu la capacité de montrer les deux tendances du kimbanguisme. D'après ses observations, le kimbanguisme officiel est ce que l'élite kimbanguiste, y compris les chefs spirituels, présente au monde comme étant le kimbanguisme officiel, le «courant réformé». Mais il y a aussi le «kimbanguisme des kimbanguistes», celui où se tissent les mythes. Susan Asch a su présenter scientifiquement, avec beaucoup de courage et de sérieux, ces deux tendances qui sont là encore aujourd'hui.
Religioscope - Quand vous dites «les deux tendances qui sont là encore aujourd'hui», on a l'impression que, surtout à partir de la dernière décennie du XXe siècle, le discours kimbanguiste officiel se rapproche de plus en plus du discours kimbanguiste populaire en introduisant certaines prises de position qui tendent plutôt à l'éloigner de ses articulations théologiques articulées sous l'influence du COE. Pourriez-vous nous expliquer les étapes des développements théologiques des dix dernières années au sein du kimbanguisme, qui conduisent par exemple à remplacer la fête de Noël par la date de la naissance du fils de Simon Kimbangu?
Nduku-Fessau Badze - On peut voir que les kimbanguistes, en commençant par les chefs spirituels jusqu'aux simples fidèles, ont toujours tenu un double discours, ce qui fait l'ambiguïté du kimbanguisme. Ils savent que le discours officiel, dont on a parlé tout à l'heure, est réservé au monde extérieur, à faire entendre aux Blancs afin qu'ils comprennent que l'on est des chrétiens. Et simultanément, ces mêmes chefs tiennent un autre discours dans les cadres restreints. Il y a donc un discours réservé à ceux de la maison («Bana ya ndako») et un discours pour les gens de l'extérieur («Batu ya libanda »).
Il est vrai que, par la mise en place d'une Faculté de théologie, la direction du kimbanguisme a fait un effort pour souligner l'avantage de cette position officielle qui est ouvertement affichée à l'extérieur. Mais à l'intérieur, il est clair qu'il y a deux discours, ce qui fait l'ambiguïté de la foi.
Dans les années soixante et soixante-dix, il y avait des retraites spirituelles pour encadrer les gens, mais une croyance plutôt fondée sur les visions, où l'on tient Simon Kimbangu comme un dieu. De 1980 à 1990, ce discours-là a été beaucoup plus renforcé par le premier chef spirituel qui était J. Diangienda Kuntima. On parlait beaucoup de soirées spirituelles, qui sont des séances où l'on va confesser des péchés, purifier les cœurs pour avoir un peuple élu en quelque sorte. Dans ce cadre, la position des fils de Kimbangu est devenue de plus en plus prononcée: ils étaient considérés comme des êtres exceptionnels, composant la Trinité: le premier, qui est Dieu le Père, le deuxième, qui est le Fils, et J. Diangienda Kuntima, qui est le Saint-Esprit, l'incarnation de son père.
Après la mort de J. Diangienda Kuntima s'est passé quelque chose d'extraordinaire, puisque l'Eglise kimbanguiste a décidé de changer la date de Noël. Il ne fallait plus célébrer Noël le 25 décembre comme cela se fait dans les Eglises traditionnelles, mais le 25 mai. En effet, le 25 mai 1916 est la date de naissance du deuxième fils de Simon Kimbangu, Paul Salomon Kiangani Dialungana, qui est aussi le chef spirituel. C'est en 1999 qu'a été prise cette décision. Le changement de la date ne devait pas poser de problème sur le plan théologique; ce qui a toutefois continué à alimenter le débat est le fait que, non seulement la date de Noël est changée, mais que celui qui est né le 25 mai 1916 est considéré lui-même comme étant Jésus-Christ.
C'est cela qui fait que, aujourd'hui, entre l'Eglise kimbanguiste et les autres Eglises, catholique et protestante, voire même au sein de l'Eglise kimbanguiste, la position n'est pas claire. Car prétendre que Jésus-Christ est le deuxième fils de Simon Kimbangu, c'est ne pas reconnaître le Jésus historique auquel croient tous les chrétiens.
Susan Asch soulève ce problème-là dans son livre, tout comme le professeur Buakasa dans Le Zaïre face au développement du sous-développement, où il consacre un chapitre entier à expliquer comment la religion peut participer au développement. L'exemple dont il se sert est précisément le kimbanguisme. Dans son livre, Gérard Buakasa, après avoir analysé le kimbanguisme de l'intérieur, est parvenu aux mêmes résultats que Susan Asch, même si je pense que, en tant que Congolais, il a plus de sensibilité: il a montré qu'il y a deux kimbanguismes dus à cette dichotomie de la foi. D'une part, «les kimbanguistes chrétiens» qui reconnaissent Simon Kimbangu en tant qu'envoyé de Dieu et le tiennent comme un simple serviteur. D'autre part, «les kimbanguistes non chrétiens» qui considèrent Simon Kimbangu non seulement comme envoyé de Dieu mais aussi comme personne divine égale à Jésus-Christ. Lorsque Buakasa a publié son livre en 1988, tout comme Mme Susan Asch en 1983, les deux ont été attaqués par les kimbanguistes. Et pourtant, l'Eglise kimbanguiste affirme aujourd'hui ce qu'elle a nié hier!
Religioscope - En revanche, du point de vue des Ecritures Saintes du kimbanguisme, la Bible demeure-t-elle au centre de la piété kimbanguiste ou a-t-on vu, parallèlement à l'importance donnée aux membres de la famille de Simon Kimbangu, un déclin de la place la Bible dans la foi kimbanguiste?
Nduku-Fessau Badze - A son arrestation, Simon Kimbangu avait répondu à cette question: «Vous êtes arrêté, vous partez, qu'est-ce que vous nous laissez?». Simon Kimbangu a pris la Bible:«Moi, je pars avec le Livre. Vous aussi vous restez avec le Livre. Tout ce dont vous avez besoin est dans la Bible.». L'héritage que Simon Kimbangu a légué à sa progéniture spirituelle, c'est la Bible.
Mais il est vrai qu'avec le temps, les enfants de Simon Kimbangu ayant pris la place, quoi qu'on dise, la Bible est aujourd'hui notre livre de fondement, notre source. On lit la Bible comme dans tous les milieux fondamentalistes: on s'y réfère pour fonder certaines croyances, comme celle, par exemple, sur le Saint-Esprit. Le Prologue de l'Evangile de saint Jean - «Au commencement était la Parole» - est utilisé pour appuyer l'argument selon lequel Simon Kimbangu a préexisté, puisque Jésus annonçait qu'il allait envoyer quelqu'un pour nous libérer. Et chez nous, cette personne est Simon Kimbangu. On fait une lecture instrumentale de la Bible, afin de justifier des éléments de croyance kimbanguiste. Mais la Bible n'occupe plus vraiment le premier plan, on n'en fait pas une lecture critique et objective.
Religioscope - Tous ces développements conduisent à une crise, tout d'abord entre le kimbanguisme et ceux qui avaient été ses partenaires dans le dialogue au sein des communautés chrétiennes: dernière en date, tout récemment, au mois de juillet 2004, une déclaration de l'Eglise catholique au Congo, affirmant qu'elle ne peut désormais plus continuer des relations œcuméniques avec l'Eglise kimbanguiste, au vu des développements théologiques de cette dernière. L'Eglise catholique du Congo ne considère plus le kimbanguisme comme une confession chrétienne. Pourriez-vous commenter ces développements et nous expliquer pourquoi ils surviennent maintenant?
Nduku-Fessau Badze - Je crois, sans émettre de jugement de valeur, que ces prises de position sont compréhensibles. Pourquoi? Car il a fallu du temps à l'Eglise kimbanguiste pour formuler sa doctrine.
En 1977, le chef spirituel J. Diangienda Kuntima a publié un document intitulé L'essence de la théologie kimbanguiste. Les catholiques, protestants et autres chrétiens n'avaient plus besoin de chercher des informations sur l'Eglise kimbanguiste ailleurs. Ce qui les intéressait était la lecture de ce document-là. Celui-ci fut donc accueilli favorablement du côté catholique. De plus, dans ce document, les explications étaient claires: qui est Simon Kimbangu, qui est Jésus-Christ, quelle est la position des enfants de Simon Kimbangu, que représente le Saint-Esprit? Les Eglises traditionnelles, catholique et protestante, le Conseil des Eglises et la CETA étaient ainsi tous heureux d'obtenir ce document-là.
Mais le développement ultérieur a montré que, quel que soit le document de référence que l'Eglise kimbanguiste ait mis à la disposition de l'opinion mondiale, dans la pratique, le kimbanguisme ne respectait plus ce qui était consigné dans L'Essence de la théologie kimbanguiste. Donc la prise de position d'institutions chrétiennes par rapport à l'Eglise kimbanguiste est compréhensible, dans le sens que cette dernière n'est pas cohérente par rapport aux affirmations qu'elle a mises à disposition des autres: elle dit quelque chose et agit dans un autre sens. Un exemple récent du reste: le changement de la date de Noël et la proclamation du chef spirituel Salomon Kiangani Dialungana comme étant Jésus. C'est tellement flagrant qu'on ne pouvait pas faire autrement: il fallait que les autres réagissent pour que le kimbanguisme réalise qu'il n'est pas cohérent par rapport à ses dires.
Religioscope - Quelles sont alors, pour le kimbanguisme au Congo et dans le monde, les conséquences concrètes de ces suspensions et ruptures du dialogue œcuménique? Cela signifie par exemple que les prières communes, qui avaient lieu jusqu'à présent, n'ont plus cours, que le kimbanguisme ne participe plus à certains organismes et rassemblements chrétiens? Pouvez-vous résumer quelques conséquences telles qu'on peut les observer à ce stade?
Nduku-Fessau Badze - La première conséquence qui me touche particulièrement est la dynamique qui avait été instaurée ensemble. Comme je l'ai dit auparavant, durant toute l'époque coloniale, le kimbanguisme a vécu un peu en marge des autres. Au début des années soixante jusqu'en 1969, avant l'acceptation du kimbanguisme au sein du COE, nous étions isolés et pas respectés par les autres. Dès l'adhésion au COE, nous sommes devenus membres à part entière de la grande communauté chrétienne.
Du moment où l'Eglise kimbanguiste a pris distance de ceux qui l'ont considérée comme étant une Eglise chrétienne, cette solidarité ne sera plus vécue comme avant. Dans la déclaration des catholiques, c'est très clair: on ne nous appelle plus une Eglise, mais une communauté ou une confession kimbanguiste. Donc, qu'on le veuille ou non, on est en marge de la communauté de l'Eglise chrétienne.
Mais je dirais qu'il ne faut pas seulement prétendre que ce sont les autres qui nous ont exclus. Si exclusion il y a, elle relève de la responsabilité des kimbanguistes eux-mêmes, par leur manière d'être et de faire. C'est nous qui nous sommes exclus, parce que notre Eglise ne reconnaît plus Jésus-Christ comme étant le fondement de notre foi. Les autres ne veulent alors plus nous considérer comme membres de cette foi. Il n'y aura plus de célébrations œcuméniques, puisque nous n'avons pas le même Christ. Alors au nom de qui va-t-on se réunir? Les liens affectifs établis entre les chrétiens kimbanguistes, les chrétiens protestants et les chrétiens catholiques, on ne va malheureusement plus les vivre comme autrefois. Et sur le plan de l'engagement politique, quel qu'il soit, le dialogue entre nous, les chrétiens, n'aura plus le même impact.
Religioscope - Il y a donc une crise entre le kimbanguisme et ceux qui étaient jusqu'à maintenant ses partenaires dans le monde chrétien. Peut-on dire que cela provoque également une crise au sein de l'Eglise kimbanguiste?
Nduku-Fessau Badze - La crise est beaucoup plus prononcée entre l'Eglise kimbanguiste et les partenaires extérieurs. Beaucoup disent: «Voilà, nous sommes libres, nous sommes une Eglise née en Afrique, nous devons formuler notre théologie comme nous voulons. Et voilà que les autres, dans leur position paternaliste, veulent nous imposer ce que nous devons faire et dire». C'est comme cela que, hélas, la chose est vécue à l'intérieur:«Les catholiques aimeraient que nous soyons comme eux et le Conseil œcuménique aussi.». Ça, c'est la crise par rapport aux partenaires extérieurs.
Mais à l'intérieur du kimbanguisme, les gens sentent qu'il y a crise parce que l'on est exclu. Il y a une minorité au sein du kimbanguisme, dans laquelle je me reconnais, qui réalise que la crise est aussi interne. A l'intérieur se pose la question de la cohérence de notre propre foi: nous disons une chose, nous faisons autre chose. Mais ce qui est plus grave chez nous, c'est que les gens sentent que la crise est là, mais n'osent pas aborder ces questions: on ne critique pas, on ne fait pas part de ses questionnements au chef, on n'interpelle pas l'Eglise. Personne n'en a le courage. La crise est donc aussi interne, mais pas si prononcée qu'à l'extérieur, puisqu'il y a à peine une minorité qui arrive à poser ces questions, de manière très timide.
Je sais qu'il y a un théologien qui a préparé sa thèse à Strasbourg (Dr Léon Nguapitshi Kayongo) et à qui on a demandé de faire une lecture de la crise entre le Conseil Œcuménique et l'Eglise kimbanguiste. Il est parvenu aux mêmes conclusions que moi: du moment où l'Eglise tient à dire que les fils de Simon Kimbangu sont Dieu le Père et le Saint-Esprit, nous devons reconnaître que nous ne sommes plus des chrétiens. Mais pour avoir avancé cela, ce théologien a été suspendu de ses fonctions en tant que Professeur de Théologie systématique (Dogmatique) et Doyen de la faculté de théologie kimbanguiste.
C'est pour dire qu'à l'intérieur de l'Eglise kimbanguiste, la crise est là; malheureusement, l'élite intellectuelle, surtout les théologiens, n'assument pas leur rôle d'interpeller les instances hiérarchiques de l'Eglise, par peur d'être sanctionnés ou exclus.
L’entretien avec Nduku-Fessau Badze s’est déroulé le 10 août 2004 et a été revu par l’auteur avant sa mise en ligne. Les questions de Religioscope ont été posées par Jean-François Mayer. La retranscription de l’enregistrement a été assurée par Laure-Christine Grandjean.
[Quelques modifications ont été introduites en septembre 2016 dans un passage de l’entretien afin de corriger des données inexactes – 27.09.2016]