Le 23 mai 2004, l'Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours ouvrait un “temple” à Copenhague, Danemark. Ce type de lieux de cultes, habituellement fermés au public, entoure d'un certain secret les rites qui s'y déroulent. Avant leur inauguration, ils ouvrent pourtant leurs portes pour dévoiler les formes et symboles d'une architecture particulière. Nous avons profité du moment clef de ces “journées portes-ouvertes” pour mieux comprendre ce que sont les temples mormons et ce qui tient à leur implantation en Europe et au Danemark.
I. Remarques sur les temples et sur leur implantation en Europe
1. «Helliget herren - Herren hus». De la sacralisation de l'espace
Qu'est-ce qu'un temple pour les Mormons? Une “maison du Seigneur”, “consacré[e] pour le Seigneur”: le lieu le plus sacré dans l'É.S.D.J. Ne peuvent y pénétrer que les membres confirmés depuis au moins un an et “certifiés dignes” par leur évêque. Les rites les plus importants aux yeux des membres ne peuvent être célébrés que dans son enceinte: en dehors de cet espace dit “sacré”, nulle “autorité” ne leur serait reconnue. Or cette sacralisation a pour conséquence d'introduire une autre frontière, symbolique celle-là, celle du “secret”.
Il existe cependant une catégorie de lieux de culte, dans l'É.S.D.J., qui n'est pas dotée des mêmes attributs symboliques: les “chapelles”, où se réunissent les “paroisses” pour les réunions du dimanche (jour pendant lequel les temples gardent leurs portes closes), ne sont pas distinguées par le même degré de sacralité. On peut d'ailleurs remarquer que le nom anglophone de ces dernières semble dépourvu de toute connotation religieuse: il ne s'agit apparemment que de «meeting houses», de lieux de rencontre... Pourtant, les baptêmes, la commémoration de la Sainte-Cène et de nombreux rites s'y opèrent. Ils sont en réalité divisés en deux parties: la “chapelle” proprement dite, considérée comme un lieu sacré, et le reste du bâtiment, qui peut abriter toutes les activités profanes relatives au fonctionnement de la paroisse. Mais à la différence du temple, la sacralisation de l'espace n'implique ici ni la fermeture ni le secret. Non seulement les chapelles demeurent ouvertes à tous, mais elles accueillent souvent les activités prosélytes: les visiteurs extérieurs y sont régulièrement invités à des concerts, des expositions, des journées portes-ouvertes (comme celle qu'organise annuellement la “société généalogique”) et des conférences, ou à assister aux réunions du dimanche. On peut encore préciser que les membres sont fréquemment encouragés à y convier leur entourage et que, à l'occasion d'un discours public, aucun intervenant ne manque de remercier de leur présence ceux qui sont alors appelés “amis de l'Église”.
Sur quoi repose donc cette distinction entre temples et chapelles? Plusieurs éléments explicatifs peuvent être suggérés.
On peut, premièrement, se tourner vers l'instant déterminant qui transforme le temple en un lieu fermé, car c'est à partir d'une cérémonie, la “dédicace”, que l'entrée au temple devient limitée aux seuls “membres dignes”. Selon l'article d'une encyclopédie mormone consacré au terme anglais de “dedication” , celui-ci ne peut résumer l'idée d'une simple “consécration”, parce qu'il implique également l'idée de «“mettre à part” quelque chose pour un but spécifique dans la construction du royaume de Dieu». On peut encore comprendre que ce rite répond, pour les Mormons, aux références bibliques des «sacrifices de la fête de la dédicace» (Bible, 1 R 8 62-66), de la « Dédicace» du Temple de Salomon (Bible, 1 Ch 7) et de la «Purification du temple et dédicace» par Judas sur le Mont Sion (Bible, 1 M 4 59) - nous verrons d'ailleurs plus loin que les renvois à la Bible en général et à la construction d'une nouvelle “Sion” traduisent des représentations qui jouent une importance capitale dans l'argumentation fondant la construction des temples. On pourrait donc penser que le passage à travers ce rite marque la spécificité du temple. Mais il ne s'agit pas de la seule raison puisque, comme l'article de T. Callister l'explique, la “dédicace” concerne beaucoup d'autres lieux dont les chapelles, et vise des pays et des régions (pour l'œuvre missionnaire, comme ce fut le cas pour la Scandinavie en 1903) ou les maisons des Mormons; et pas seulement des lieux quand on pense à l'huile utilisée dans certains rites de “bénédictions”. Elle délimite pour ainsi dire tous les lieux, lato sensu, de la sacralité.
Deuxièmement, la référence à l'Ancien Testament est un autre aspect de la spécificité des temples. Il est vrai que la revendication d'une continuité entre l'époque biblique, l'Église primitive et l'É.S.D.J. est chose courante dans le mormonisme: d'où la croyance en un prophète dirigeant l'Église mormone («comme dans l'ancien monde», disent par exemple les Mormons); d'où également la reconnaissance de douze apôtres aux côtés de ce prophète. Mais les membres justifient aussi la construction de leurs temples par la nécessité d'une correspondance, moderne et actualisée, avec le temple de Salomon décrit dans la Bible. Nous avons pu en particulier le constater à deux occasions manifestes: lors de la vision du film introduisant la visite du temple de Copenhague, et en visitant une “exposition” sur «l'Ancien Testament» organisée par un “Institut de Religion” de l'É.S.D.J. dans la région de Bordeaux.
Aujourd'hui enfin, à l'intérieur des temples mormons eux-mêmes, certains symboles se révèlent être des références bibliques explicites: l'exemple le plus frappant est certainement celui des douze bœufs, figures selon les Mormons des douze tribus d'Israël, qui soutiennent les fonts baptismaux destinés au “baptême des morts”(cf. «La Mer de bronze», Bible, 1 R 7 23-26). Or, selon le modèle hébraïque ici mis en avant, le temple se distingue du lieu de prière collectif de la chapelle par un statut spécial de lieu clos: on pourrait presque dire que l'espace réservé aux “membres dignes” aurait pour vocation de se substituer, par analogie du moins, au «saint des saints» autrefois réservé au «grand prêtre» (voir Bible, Lv 16 et He 9 6-14).
Troisièmement, dans un article consacré aux «secret dans le mormonisme», J.-F. Mayer propose une autre interprétation, en portant son attention sur la progression initiatique instaurée par l'enchaînement des rites du temple, et sur un rite secret en particulier, l'“endowment” (ou “dotation”), à travers lequel on peut discerner les traces d'une certaine influence maçonnique. Or, d'après ce que nous avons pu comprendre en rencontrant les membres, la dotation est l'un des rites les plus important à leurs yeux. En effet, il ne suffit pas d'être “certifié digne” pour participer aux activités du temple, une fois l'autorisation d'entrée obtenue: il faut aussi avoir été doté, c'est-à-dire être passé par la première cérémonie du temple initiant à toutes les autres (aux autres “ordonnances” diront les Mormons). À ce titre effectivemen
t, les temples contrastent enfin avec les chapelles en n'ouvrant leurs portes qu'à ces membres initiés ou à ceux venus justement recevoir leur “dotation”. Et comme le souligne J-F. Mayer, cette distinction en induit une autreen «donn[ant] aux mormons le sentiment d'être “un peuple à part [peculiar people]” [...]».
2. Les temples en Europe
À l'heure actuelle, 119 temples mormons sont ouverts à travers le monde. Et puisque l'É.S.D.J. fut fondée à Fayette, dans l'État de New York (en 1830), et que, depuis le milieu du XIXe siècle, l'État d'Utah en est pour ainsi dire le lieu de résidence principale, l'on ne s'étonnera pas que la majorité de ses temples se trouvent aux États-Unis (dont 11 en Utah). Au demeurant, à partir des années 1950, les Mormons en ont établi certains sur le sol européen.
Si l'É.S.D.J. existe ainsi depuis 1830 et que les premiers temples européens datent seulement des années 1950, l'on pourrait penser que l'implantation du mormonisme en Europe fut tardive. Ce n'est pourtant pas le cas puisque des missionnaires mormons ont été envoyés vers ce continent depuis les débuts de l'Église mormone: vers l'Angleterre depuis 1837 et vers la Scandinavie depuis 1849. Des baptêmes et des réunions du dimanche y ont donc eu lieu dès les premiers temps du mormonisme, mais les rites du temple durent, pour leur part, être accomplis aux États-Unis d'Amérique jusque dans les années vingt. Pourquoi donc cette contradiction entre l'expansion de la politique prosélyte en Europe et cette absence prolongée des lieux considérés comme les plus sacrés? C'est peut-être dans l'évolution de l'une des principales représentations mormones du monde et du temps que réside la réponse.
Jusqu'au début du XXe siècle, en effet, les Mormons avaient pour objectif de rassembler les nouveaux convertis en Utah en vue de constituer ce qu'ils appelaient une «Sion des derniers Jours». Le lieu répondant au nom de Sion correspondait pour les Mormons à une cité idéale, voire à une «nouvelle Jérusalem ». Celle-ci devant, dans les «derniers jours», reproduire l'image d'une plus ancienne cité évoquée en ce sens par les Doctrine et Alliances, l'un des textes canoniques principaux des Mormons. Or, la croyance en la reconstruction nécessaire de ce symbole conduisit les membres de l'É.S.D.J. à élaborer plusieurs tentatives de mise en œuvre: tout d'abord un “rassemblement” en Ohio (en 1831); puis l'“organisation” d'un “camp de Sion” à New Portage (Ohio, 1834) qui incita les membres à s'installer plutôt dans le Comté de Clay (Missouri) et dans celui de Jackson (à Independence, Missouri); et, enfin, l'installation au bord du Lac Salé (Utah, 1847).
Au cours de cette dernière vague de migration, les missionnaires prirent une part active en conviant à cette réunion tous les nouveaux convertis, y compris ceux du vieux continent. Et cela fut particulièrement vrai pour les Scandinaves. De 1850 à 1950 en effet, 27 000 d'entre eux quittèrent leurs pays pour gagner l'Utah et, sur ceux-là, 14 000 étaient Danois. Ces chiffres, concernant la seule Scandinavie, sont d'ailleurs révélateurs d'un mouvement massif au point que, devant son développement, il fut bientôt question pour l'Église mormone d'une autre stratégie. L'un des “prophètes” alors reconnu par les Mormons déclara aussi en 1911 qu'une “révélation” l'avait averti qu'il fallait plutôt voir Sion d'une manière métaphorique et qu'il fallait donc l'ériger symboliquement sur tous les lieux de vie qui étaient déjà ceux des nouveaux membres, au moment de leur conversion. Or, la première évocation d'un projet de construction de temple en Europe date à peu près de la même période: elle eut lieu lors d'un discours du même dirigeant à Berne en 1906. La Suisse fut en effet le premier pays du vieux continent à avoir son propre temple. Selon divers témoignages, il semble que les deux guerres mondiales et la collecte des fonds nécessaires au financement de l'opération ait quelque peu retardé l'exécution du projet, car le temple de Berne ne fut ouvert que le 11 septembre 1955. Les pays scandinaves durent attendre les années 1980 avec l'ouverture de celui de Suède (Stockholm, 2 juillet 1985).
3. Politique actuelle de construction des temples
Que dire maintenant de la politique actuelle de l'É.S.D.J. en matière de construction de temples ces dernières années?
Depuis le début 2004, cinq temples ont été “dédicacés”, ce qui ne témoigne pas, à première vue, d'une période de construction particulièrement intensive en comparaison d'autres années: 19 temples furent par exemple ouverts entre 1983 et 1986, il y en eut 14 en 1999, et un nombre record fut peut-être atteint en l'an 2000 avec la dédicace de 33 bâtiments.
Mais la considération d'un autre paramètre, à savoir la dernière “présidence” de l'Église mormone, peut nous éclairer autrement sur ses intentions concernant l'édification de nouveaux temples. La page web d'un site officiel mormon consacrée aux temples souligne à ce propos que leur nombre a plus que doublé (en passant de 50 à 119) durant la présidence de Gordon B. Hinckley, le “prophète” actuel de l'É.S.D.J. (président depuis 1997). Cela est surtout vrai pour les cinq dernières années et dément notre première impression d'après laquelle l'époque actuelle ne serait pas particulièrement vouée à la multiplication des temples.
Cependant, l'accent ne semble pas être plus spécifiquement porté sur l'Europe aujourd'hui; et, si l'on considère la localisation des récentes dédicaces, il apparaît plutôt qu'une dissémination à travers le monde soit en cours: on voit désormais des temples nouvellement ouverts ou annoncés en Amérique Latine, en Europe de l'Est, en Alaska, en Afrique (au Ghana) et en Australie, ce qui diffère fortement de la politique dix-neuvièmiste focalisée sur une terre promise américaine. Autre témoignage peut-être de ce renversement de situation: l'allusion de G. B. Hinckley comparant le temple de Manhattan qu'il s'apprêtait à dédicacer à une «Sion dans Babylone».
II. Un cas concret: l'ouverture du temple de Copenhague
Présente au Danemark depuis 1850, l'É.S.D.J. y compte aujourd'hui près de 4 500 membres (sachant que le pays avait 5 349 212 habitants au 1.01.2001, dont 1 806 667 à Copenhague ). Mais les Danois ne bénéficient de leur propre temple que depuis le 23 mai 2004. Auparavant, ils devaient se rendre dans d'autres sites européens, et plus particulièrement à celui de Stockholm (Suède). À nouveau, l'établissement tardif des structures institutionnelles et cultuelles sur le sol danois ne doit pas faire oublier l'importance capitale de ce pays pour le développement du mormonisme: si la “mission danoise” fut fondée en 1920 et si le premier “pieu” (soit l'équivalent d'un diocèse) date seulement de 1973, nous avons déjà indiqué que 26 000 Danois s'étaient convertis avant les années 1920. Aujourd'hui encore, J. Langeland insiste sur ce point en déclarant qu'«en 1950, une étude montra qu'à peu près 45% des membres étaient au moins en partie d'origine scandinave» . L'auteur précise aussi que le premier Livre de Mormon traduit en une langue étrangère le fut en danois (en 1851, ce qui est relativement tôt sachant que la première parution anglophone date de 1830), et qu'il en fut de même pour les principaux cantiques mormons.
1. Les «Journée portes ouvertes». «Sens de la visite»
À Copenhague, comme ce fut le cas plus récemment encore à Manhattan, l'É.S.D.J. n'a pas choisi d'édifier une nouvelle construction. Peut-être cela dénote-il d'ailleurs une nouvelle politique architecturale: faire du neuf avec du vieux et, pourquoi pas, du plus secret avec du moins sacré. Dans le cas danois, le nouveau temple a été ainsi conçu à partir de la restauration et de l'adaptation d'une chapelle datant des années 1930. Les habitants des environs étaient donc accoutumés depuis fort longtemps à l'aspect extérieur du monument, du moins à un détail près: la statue de l'Ange Moroni, qui caractérise traditionnellement tous les temples mormons, ayant été ajoutée.
Pour l'occasion, l'É.S.D.J. a fortement marqué l'événement au moyen d'une campagne publicitaire utilisant les médias danois (quotidiens, radio et TV) et la distribution de brochures, de tracts d'information, et d'invitations aux “Åbent Hus” ou “portes-ouvertes”. Au cours d'une période de trois semaines environ, des “tours” du temple étaient proposés aux visiteurs extérieurs, de 10h00 à 21h00. Mais en quoi cela consistait-il exactement?
Au niveau de l'organisation d'abord, 85 membres, volontaires et bénévoles, se sont chacun engagés pour une durée de sept jours en tant que “guides du temple”. La plupart étaient bien sûr Danois, mais, nous avons également rencontré parmi eux des Suédois et des Allemands. À ceux-ci, s'ajoutaient encore les “coordinateurs” (munis de talkie-walkies et de carnets visant à réguler la rotation des tours de visites) et les “missionnaires” dont nous exposerons la tâche un peu plus loin.
Il semble que les Danois comme leurs proches voisins Suédois de Malmø furent relativement nombreux à avoir alors visité le temple. Par exemple, chaque groupe de visiteurs comptait environ 35 personnes; à certains moment de la journée, nous pouvions en dénombrer au moins six simultanément (en particulier le mercredi, où, traditionnellement, la plupart des musées de Copenhague sont gratuits). Quant au type des personnes concernées, il s'agissait de scolaires, de voisins, de curieux venus individuellement ou en famille, mais, très peu étaient mormons (ceux-là attendant plutôt de pouvoir entrer dans le temple dédicacé). D'après les chiffres fournis par l'É.S.D.J. au Danemark enfin, il serait question de 25 512 visiteurs en deux semaines et demi.
Trois étapes résument ensuite la découverte du temple: l'accueil des visiteurs et un film introductif d'une quinzaine de minutes; la visite proprement dite et un “cocktail” à la sortie en présence de missionnaires.
L'accueil se fait tout d'abord à la “meeting-house”, située juste derrière le temple. Là, les “guides du temples” forment les groupes de visiteurs en fonction des arrivées et de leur langue (danoise, suédoise ou anglaise) . Après avoir souhaité la bienvenue et spécifié que tout appareil photo ou téléphone portable et sac encombrant devait être laissé à la consigne avec les coordonnées de son propriétaire, ils conduisent les visiteurs dans une salle où est projeté un film comprenant un historique et une présentation des temples mormons (avec des photos d'autres sites dans le monde) mais surtout l'interview de membres, d'“autorités” et du “prophète” de l'É.S.D.J. justifiant l'intérêt de ces constructions et des rites qu'elles abritent. Puis les guides fournissent des recommandations encadrant la visite (interdiction de toucher, silence, etc.) et divisent l'assistance en deux sous-groupes.
Les groupes sont dirigés vers le temple où ils traversent différentes salles:
- une sorte de guichet, à l'entrée, où un “certificat de dignité” sera demandé aux membres qui voudront pénétrer dans le temple après sa dédicace;
- une salle d'accueil et de repos (v. première photo de la série qui suit, pièce arrangée dans un style «années trente» du fait de la construction d'origine);
- un vestiaire équipé de coffres où les “membres” laisseront leurs vêtement profanes pour revêtir ceux, blancs et simples, dévolus aux rites du temple;
- la salle de la mariée, où celle-ci se préeacute;parera en compagnie de sa mère au “mariage éternel” (v. deuxième photo);
- les fonts baptismaux, placés en sous-sol pour accuser la signification de la mort et de la renaissance symbolique, destinés au baptême des morts (v. troisième photo);
- une série de deux salles d'ordonnances, suivies de la salle céleste, sur laquelle nous reviendrons un peu plus loin (pour la salle céleste, v. quatrième photo);
- la salle des scellements où se font les “mariages éternels” et les “scellements” des membres d'une même famille (un jeu de deux miroirs se faisant face et créant une infinité de reflets y symbolise l'éternité. V. cinquième photo).
La visite se termine enfin sous une tente dressée à proximité du temple. Des rafraîchissements y attendent les visiteurs. C'est à ce moment qu'interviennent les missionnaires qui distribuent de petits cartons visant à recueillir les impressions de chacun. Le formulaire se divise en réalité en trois parties: l'une concerne l'identité et les coordonnées de l'individu, l'autre consigne ses commentaires sur la visite; et la dernière consiste en plusieurs propositions, soit un Livre de Mormon, soit une première visite des missionnaires pour recevoir leurs “enseignements”, soit une documentation sur l'É.S.D.J.. Ce faisant et en discutant informellement, les missionnaires procèdent à la prise de contact de nouvelles personnes auprès desquelles ils pourront conduire la série de “leçons missionnaires” habituelle à leur activité. D'après ceux et celles que nous avons rencontrés, le pourcentage de visiteurs acceptant cette dernière proposition reste assez faible, mais ceux qui demanderaient à obtenir le livre serait plus nombreux.2. Du visible... du sacré et du secret
Apparemment, tout est donc visible dans le temple tant qu'il n'est pas sacralisé par la dédicace. De surcroît, l'É.SD.J. tient à démontrer, au-delà d'une seule visibilité, une certaine ouverture à l'extériorité à travers son prosélytisme lui-même (certes, la démarche vise à intégrer l'altérité, mais celle-ci n'est pas totalement exclue). Où réside alors le secret du temple? Quelles frontières séparent ceux qui le partagent du monde extérieur?
La frontière des lieux s'impose naturellement la première, car elle disjoint à la fois l'intériorité spatiale de l'extériorité, et les personnes qui, tout en appartenant à une même communauté de croyances, sont “dignes” ou non d'accéder au secret.
Si l'on se tourne vers le mode de performance des rites, l'on s'aperçoit ensuite qu'il est justement mal connu. Il est vrai que des éléments significatifs et les buts poursuivis sont quelquefois rendus accessibles par des ex-Mormons. Mais les “membres-actifs” sont généralement réticents à les évoquer. En tout cas, il y a «des choses qu'ils ne peuvent pas (ou ne doivent pas, selon les différents témoignages) dire», et l'on peut ainsi concevoir que la seconde barrière hermétique demeure dans le discours.
Seulement ce tabou discursif est-il uniquement réservé aux relations avec le monde extérieur? Quelques détails explicitement présentés lors de la visite du temple incitent à réfléchir sur le rôle du silence au sein du temple lui-même.
En considérant la succession des “salles d'ordonnances”, on observe que le point d'aboutissement des deux premières est l'entrée dans la “salle céleste” où l'individu est amené à se représenter le terme d'achèvement de son parcours initiatique. Or, à cet endroit, le silence est de rigueur. Lors de la visite des portes-ouvertes, les visiteurs sont d'ailleurs prévenus avant d'y entrer qu'ils ne devront pas y dire un mot. Les guides spécifient également que les membres feront de même, lorsque le temple sera en service. La conclusion d'un secret pouvant être maintenu entre les initiés eux-mêmes serait un peu hâtive. Mais il n'en reste pas moins que le point culminant des révélations attendues par l'initié se tient dans le silence: on peut aussi constater le caractère personnel de leur contenu, et supposer leur incommunicabilité. De cette forme d'indicibilité émerge donc encore une zone de protection du secret.
En le visitant, un dernier détail atteste enfin fait que ce temple s'adresse d'une manière toute particulière aux Danois: dans la salle réservée au baptême des morts, l'une des deux fresques ornant les murs représente des Danois célèbres du passé (ainsi, entre autres, Andersen) appelés au baptême mormon par le Christ. Comme si un dualisme entre silence et prosélytisme - coexistence paradoxale du secret et de la transmission - voulait encore s'affirmer.
Sophie-Hélène Trigeaud
Doctorante de l'EHESS (Paris)
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Références:
Callister (T.), «Dedications», in Ludlow Daniel (D.), Encyclopedia of Mormonism – The History, Scripture, Doctrine and Procedure of the Church of Jesus Christ of Later Day Saints. New York, McMillan International, 1992.
Doctrine et Alliances. Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, Salt Lake City, Utah, USA.
Fletcher Stack (P.), «Faithful LDS join in temple dedication», The Salt Lake Tribune (UT), 14 juin 2004.
Hervieu-Léger (D.), Les Identités religieuses en Europe. Paris, La Découverte, 1996 (éd., avec G. Davie).
Langeland (J.), «Scandinavia – The Church in», in Ludlow Daniel (D.), Encyclopedia of Mormonism – The History, Scripture, Doctrine and Procedure of the Church of Jesus Christ of Later Day Saints. New York, McMillan International, 1992.
Le Guide des Écritures, in Le Livre de Mormon. Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, Salt Lake City, Utah, USA, 1998. (1ère éd. 1830). Pp. 1-215, à la suite des 653 pages du Livre de Mormon.
Ludlow Daniel (D.), Encyclopedia of Mormonism – The History, Scripture, Doctrine and Procedure of the Church of Jesus Christ of Later Day Saints. New York, Mc Millan international, 1992. [4 vol. La plupart des auteurs sont des professeurs de la BYU, la principale université de l’É.S.D.J.]
Mayer (J-F.), « Du secret dans le mormonisme ». Politica hermetica, N°5, “Secret, initiations et sociétés modernes”, 1991, pp. 14-30.
Mayer (J-F.), «Le Temple de Nauvoo», Religioscope. 28 juin 2002 [http://www.religioscope.com/articles/2002/004_nauvoo.htm]
Notre patrimoine – Brève histoire de l’Église de Jésus Christ des saints des derniers jours. Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, 1996. (tr. fr. de: Our Heritage: A Brief History of the Church of Jesus Christ of Latter-day Saints, 1996).
Trigeaud (S-H.), «Éducation, religion et communauté – Étude socio-anthropologique des pratiques et représentations des “Saints des Derniers Jours” ou Mormons». Thèse en cours sous la direction du Prof. D. Hervieu-Léger, Ehess, Paris.
Ambassade Royale du Danemark. V. la page sur l’Internet:
http://www.amb_danemark.fr/vie_danemark/infos_generales/introduction.htm (consulté le 12.07.2004).
Site officiel de l’É.S.D.J. au Danemark:
http://www.mormon.dk
Site d’information de l’É.S.D.J.:
http://www.lds.org/newsroom
Concernant l’historique de la construction des temples, v. la page du site général de l’É.S.D.J.:
http://www.lds.org/temples/chronological/0,11206,1900-1,00.html (consulté le 06.07.2004).
Page d’information sur le mormonisme au Danemark:
http://www.lds.org/newsroom/ciya/info/0,15251,3964-1-42,00.html
Nous tenons à remercier les membres de l’É.S.D.J. (Danois, mais pas seulement) qui nous ont accueillie à Copenhague et nous ont permis par leur accueil de découvrir leur nouveau temple.
© Sophie-Hélène Trigeaud 2004