Lors de sa rencontre avec les membres du Synode permanent des évêques ukrainiens le 3 juin 2004, le pape Jean-Paul II leur a déclaré "partager [leur] désir pour un plein statut juridique ecclésial, qui est bien fondé sur l'enseignement canonique et conciliaire", mais en ajoutant que cela demandait un examen plus poussé et "même de prendre en considération les évaluations d'autres Eglises chrétiennes". Une allusion, bien sûr, aux réactions des Eglises orthodoxes: Religioscope avait publié, au mois de mai, la traduction française d'une prise de position du patriarche Bartholomée de Constantinople, qui illustrait ces préoccupations.
Dans son numéro de juin-juillet 2004, sous la plume de Wlodzimier Redzioch, le magazine Inside the Vatican consacre à cette question un article, contenant un entretien avec le cardinal Lubomyr Husar, qui se trouve à la tête de l'Eglise catholique ukrainienne.
Il faut dire que ce ne sont pas seulement les milieux orthodoxes qui éprouvent de grandes réserves envers l'éventuel établissement d'un patriarcat uniate en Ukraine: certaines personnes au Vatican s'inquiètent des risques de voir une telle initiative déboucher sur la création d'une "Eglise nationale", dont les liens avec Rome se distendraient.
Mgr Lubomyr Husar répond en disant que le nationalisme n'est pas un phénomène uniquement ukrainien et qu'il ne faut pas "démoniser un nationalisme saint". Selon lui, le double fonctionnement de l'Eglise catholique romaine (c'est-à-dire l'Eglise universelle et les Eglises locales, en dialogue avec des fidèles enracinés dans une culture particulière) justifie une telle approche. Certes, il n'y avait que cinq patriarcats historiques au Ier millénaire, mais la naissance de patriarcats liés à un Etat particulier par la suite a constitué un processus de développement reflétant des changements historiques.
Il s'efforce de justifier la création d'un patriarcat ukrainien à la fois par la "maturité" qu'aurait atteinte son Eglise - puisque le patriarcat est la structure considérée comme normale pour les Eglises catholiques orientales - et par l'existence de l'importante diaspora ukrainienne à travers le monde, par exemple les 200.000 fidèles catholiques ukrainiens que compterait le Brésil: "Quand les fidèles sont dispersés à travers tant de pays différents, la structure patriarcale aide à conduire le travail pastoral."
Il ne nie pas que la création d'un patriarcat devrait aussi aider à "renforcer notre identité", mais s'empresse d'ajouter: "une forte identité signifie que nous pouvons nous ouvrir aux autres sans crainte."
Des relations existent entre les uniates ukrainiens et les deux Eglises ukrainiennes indépendantes qui se sont organisées sur le territoire national depuis la chute du système soviétique: le Patriarcat de Kiev et l'Eglise ukrainienne autocéphale. En revanche, il est difficile au cardinal Husar d'avoir des relations avec l'Eglise autonome d'Ukraine, liée au Patriarcat de Moscou.
Les décisions, en tout cas, se prendront à Rome et non à Kiev: le cardinal Husar ne cache d'ailleurs pas que certains de ses coreligionnaires sont irrités de voir la question traitée directement entre le Vatican et les représentants de l'Eglise orthodoxe russe, sans leur participation.