Depuis longtemps, l'une des lignes de faille au sein de la société israélienne est la différence entre Israéliens séculiers et juifs religieux: dans un paysage politique très éparpillé et où les coalitions jouent un rôle important pour chaque gouvernement, les juifs religieux ont souvent réussi à obtenir d'importantes concessions en échange de leur soutien, bien que seule une minorité de la population israélienne puisse être considérée comme religieuse. Cela a notamment pour conséquence la domination des formes orthodoxes de judaïsme dans les institutions et la vie publique, tandis que les autres interprétations du judaïsme n'occupent qu'une place marginale.
Curieusement, c'est sous l'actuel gouvernement d'Ariel Sharon que les choses sont en train de changer. Comme le faisait remarquer récemment Anna Morgan dans un article d'un grand quotidien américain, le gouvernement - tout en adoptant une ligne politique dure en matière de sécurité nationale - est probablement plus près qu'aucun de ses prédécesseurs d'avancer en direction d'un modèle de séparation de la religion et de l'Etat (Washington Post, 11 juillet 2004). Le contexte est favorable, puisque les partis religieux ont perdu nombre de sièges à la Knesset lors des élections de janvier 2003.
Depuis quelques mois, relève Anna Morgan, s'est amorcé un démantèlement de la bureaucratie du Ministère des Affaires religieuses, au nom de la nécessité de réaliser des économies.
Un autre aspect de cette offensive du gouvernement Sharon est la récente prise en main de la responsabilité des conversions au judaïsme directement par les services du Premier ministre, souligne Matti Friedman dans le Jerusalem Report (9 août 2004). En effet, nombre d'immigrants arrivés de l'ex-URSS ne remplissent pas les critères de judaïté exigés: leur conversion et leur pleine assimilation est donc une question cruciale pour un Etat qui sait que l'un des défis pour son avenir est la question démographique. Or, beaucoup d'immigrants de l'ex-Union soviétique se considèrent comme juifs, même s'ils ne le sont pas d'un point de vue légal.
L'objectif du passage de la responsabilité de la politique des conversions sous l'autorité des services du Premier ministre - décidé le 11 juillet 2004 - a donc pour objectif d'accroître le nombre des conversions parmi les immigrants, explique Friedman. Actuellement, environ 4.000 conversions par an ont lieu en Israël, dont 3.000 d'immigrants éthiopiens descendants de juifs convertis au christianisme.
Selon le nouveau système qui va être mis en place, les conversions continueront de se faire selon les principes du judaïsme orthodoxe, mais certaines des exigences posées jusqu'à maintenant aux futurs convertis par la bureaucratie religieuse seront assouplies: par exemple, on ne demandera plus à une femme souhaitant se convertir d'envoyer ses enfants dans une école religieuse. De même, des adolescentes désireuses de se convertir avaient parfois vu leur demande rejetée parce qu'elles exprimaient l'intention de faire leur service militaire au lieu de s'engager dans le service national non militaire destiné aux jeunes filles orthodoxes: cela aussi devrait changer avec la mise en place des nouvelles structures.
Autre signe des transformations en cours: le ministre de l'Intérieur, Avraham Poraz, a l'intention d'accorder la citoyenneté israélienne à des personnes converties au judaïsme conservateur ou réformé, du moment qu'ils étaient des résidents légaux en Israël au moment de leur conversion (Haaretz, 19 juillet 2004). Jusqu'à maintenant, seules les conversions survenues à l'extérieur d'Israël pouvaient ouvrir l'accès à la citoyennté israélienne, mais pas celles qui avaient eu lieu dans le pays même.
"Nous ne pouvons pas accepter le monopole détenu par les conversions orthodoxes, qui ne peut offrir une réponse à des dizaines de milliers d'immigrants en vertu de la Loi du Retour, qui veulent se joindre au peuple juif, mais n'ont pas l'intention d'observer les commandements", a expliqué Poraz dans une lettre adressée au Procureur général.
Dans un commentaire au sujet de ces développements, publié par le Jerusalem Post (23 juillet 2004), Reuven Hammer - qui appartient au judaïsme conservateur - soutient que la logique dicte d'appliquer les mêmes règles aux convertis en Israël et à l'extérieur d'Israël: si des conversions par des rabbins non orthodoxes en dehors du pays sont reconnues, elles devraient l'être aussi si elles ont été effectuées sur territoire israélien. Cependant, note Reuven Hammer, ce n'est pas si simple: non seulement la question de l'identité juive continue à faire l'objet de débats, mais le premier ministre Sharon aurait - selon certaines sources - donné certaines garanties aux rabbins israéliens sur la non-reconnaissance des conversions effectuées en Israël sous les auspices de juifs réformés (la branche la plus libérale).
Cela ne présage encore en rien de la décision finale du gouvernement. Mais l'on voit à nouveau se profiler la question des tractations politiques et de leur influence sur la politique religieuse du pays à l'heure où d'importantes décisions à prendre dans d'autres domaines contraindront le gouvernement à rechercher les appuis de différentes formations politiques.