Religioscope a déjà plusieurs fois eu l'occasion de relater les turbulences que provoque dans la Communion anglicane la question de l'homosexualité, qu'il s'agisse de la bénédiction d'unions homosexuelles dans le diocèse canadien de New Westminster ou de l'élévation de Gene Robinson à l'épiscopat dans l'Eglise des Etats-Unis.
Certains diocèses tentent de prévenir une dégradation de la situation et des tensions croissantes. Ainsi, ce mois même, l'évêque du Massachusetts, Thomas Shaw, a interdit au clergé de ce diocèse pourtant très libéral de célébrer des mariages religieux d'homosexuels. Bien que lui-même partisan de tels mariages, l'évêque souligne dans son message que les règles de l'Eglise épiscopalienne ne les autorisent pas. Les bénédictions d'unions homosexuelles pourront se poursuivre, mais sans aller jusqu'à la célébration de mariages. Cette interdiction a été perçue par les opposants aux unions de personnes de même sexe comme une tentative de les apaiser (Washington Times, 14 mai 2004).
De nouveaux événements ne cessent cependant d'attiser la controverse: ainsi, à la fin du mois d'avril, Otis Charles, ancien évêque épiscopalien de l'Utah, âgé aujourd'hui de 78 ans, a épousé dans une église de San Francisco son partenaire. Marié durant 42 années et père de cinq enfants, Charles avait fait sensation en révélant publiquement son homosexualité en 1993, après son départ à la retraite.
Tout cela entraîne des turbulences qui dépassent - de loin - les situations locales et, de l'avis de certains observateurs, pourraient mettre en péril à long terme l'unité de la Communion anglicane, en tout cas à l'échelle globale. Sur le plan local, des considérations plus concrètes - à commencer par l'attachement aux lieux dans lesquels ils sont accoutumés à venir prier et qu'ils perdraient en cas de séparation - retiennent apparemment encore bien des fidèles de franchir le pas de la séparation.
Ainsi, dans le diocèse de New Westminster, l'évêque Michael Ingham a certes accepté les démissions de plusieurs prêtres, affirmant que cela clarifiait la situation. Mais le chancelier du diocèse a fait remarquer qu'aucune paroisse ne pouvait disposer de propriétés sans l'approbation de l'évêque et du conseil diocésain. Les paroisses dissidentes ont déjà fait savoir qu'elles n'hésiteraient pas à traîner l'évêque devant les tribunaux si celui-ci refusait de leur laisser les immeubles et terrains de leurs paroisses (Anglican Journal, mai 2004).
Plusieurs des clercs dissidents du diocèse de New Westminster se trouvent maintenant dans la juridiction de l'Eglise anglicane du Rwanda. L'archevêque Kolini du Rwanda s'était déjà signalé, en l'an 2000, en soutenant - conjointement avec son homologue de Singapour - la création de l'Anglican Mission in America et en consacrant pour celle-ci des évêques.
Ces actions, qui conduisent les anciens pays de mission à considérer à leur tour les pays de tradition chrétienne comme territoires missionnaires, révèlent une ligne de faille croissante entre communautés anglicanes du Nord et du Sud, sur des questions qui ne se limitent pas seulement à l'homosexualité.
Les 15 et 16 avril 2004, les primats des Eglises anglicanes de l'hémisphère sud se sont réunis à Nairobi, sous la présidence de Peter Akinola, primat du Nigeria et président du Conseil des provinces anglicanes en Afrique, qui regroupe plus de la moitié des anglicans dans le monde.
Dans le communiqué officiel diffusé après ce sommet, les primats du Sud se déclarent "profondément conscients des défis critiques auxquels nous faisons actuellement face en tant que Communion [anglicane]" et réaffirment d'entrée leur adhésion à "la foi chrétienne apostolique et historique".
Ils réitèrent ensuite leur opposition à la décision unilatérale de l'Eglise épiscopalienne des Etats-Unis de consacrer un évêque divorcé et homosexuel, en dépit des engagements qui avaient été pris. Non seulement cela leur paraît en contradiction avec "la volonté de Dieu révélée dans les Saintes Ecritures", mais ils ressentent également cet acte comme un rupture flagrante avec la recherche de consensus au sein de la Communion anglicane. En agissant ainsi, l'Eglise épiscopalienne des Etats-Unis a "rompu la fraternité sacramentelle de la Communion".
Ils appellent la commission récemment mise sur pied par l'Archevêque de Cantorbéry pour traiter cette affaire à appeler les épiscopaliens à se repentir et à revenir sur leur décision. Si l'Eglise épiscopalienne des Etats-Unis ne se soumettait pas dans un délai de trois mois, elle devrait alors être expulsée de la Communion anglicane. Les mêmes règles doivent être appliquées à l'évêque et au synode du diocèse de New Westminster.
Tant l'Archevêque de Cantorbéry que les autres primats sont en outre invités à manifester leur sollicitude pastorale envers ceux qui, aux Etats-Unis, "continuent à maintenir la foi et la discipline historiques de la Communion anglicane".
Autant que ce communiqué, un autre fait a particulièrement frappé les observateurs: les évêques assemblés ont déclaré qu'ils allaient désormais refuser l'aide financière des épiscopaliens. Ces derniers continuent cependant de douter que cette menace sera réellement mise à exécution: les anglicans du continent africain sont les plus pauvres de la Communion, et 70% du budget du Conseil des provinces anglicanes en Afrique provient de sources occidentales (Christian Science Monitor, 19 avril 2004). L'archevêque Akinola lui-même a accepté l'an dernier 80.000$ pour la construction du nouveau quartier général dudit Conseil (The Guardian, 16 avril 2004). Les responsables épiscopaliens traitent donc plutôt les déclarations venues d'Afrique comme "une façon symbolique d'exprimer leur mécontentement" (Associated Press, 15 avril 2004).
Pourtant, les prélats africains affirment qu'il ne s'agit pas simplement de déclarations rhétoriques: "Nous ne mettrons pas en gage notre conscience, notre foi, notre salut, sur l'autel de l'argent", a martelé l'archevêque Akinola en réponse aux sceptiques. "L'argent ne peut pas nous acheter." Il est vrai que leurs fidèles les soutiennent largement, sur un continent où l'attitude à l'égard des comportements homosexuels est généralement négative. Mais c'est aussi, pour les anglicans africains, une question de principe, sur le plan moral et spirituel.
En revanche, il n'est pas certain que ce refus de l'argent américain s'applique également aux projets humanitaires. Pour l'instant, il est vrai que la plupart des déclarations de rupture des relations "financières" semblent avoir été orales (ou en tout cas non publiées), ce qui maintient un certain flou quant aux conséquences pratiques. La mise en application de ces déclarations risque en effet de rencontrer de sérieuses difficultés sur un continent où les diocèses anglicans reçoivent massivement l'aide occidentale (BBC, 15 avril 2004).
Il est vrai que les anglicans pourraient encore compter sur l'aide de leurs coreligionnaires américains partageant leurs vues, mais ceux-ci ne disposent pas des ressources financières de l'Eglise épiscopalienne, accumulées depuis plus de deux siècles.
En outre, la plupart des provinces anglicanes qui reçoivent une aide directe de l'Eglise épiscopalienne voient celle-ci venir sur une base annuelle et l'ont déjà reçue pour l'année 2004, ce qui leur laisse encore une marge de manoeuvre.
Une minorité d'évêques anglicans en Afrique ont une approche plus libérale de l'homosexualité: ainsi, lors d'une visite au Kenya en 2004, l'archevêque anglican sud-africain Desmond Tutu avait vivement irrité le clergé local en déclarant que l'orientation sexuelle ne saurait être un obstacle à l'accès au sacerdoce. De même, l'actuel archevêque du Cap, Njongonkulu Ndungane, est connu pour ses positions modérées (tout en signant également le document de la mi-avril) et a appelé les anglicans africains à la mi-mai à manifester "compréhension et patience". En ce qui concerne l'homosexualité, il faut "admettre que notre compréhension de ces questions évolue". Il invite donc à continuer à travailler ensemble.
Le débat n'est donc pas terminé. Mais les divisions entre différentes tendances de la Communion anglicane sont probablement plus exacerbées que jamais, et chaque nouvelle initiative risque de les tendre encore un peu plus.